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4. RESULTATS

4.1 L ES FACTEURS D ’ APPRENTISSAGE

4.1.3 Facteurs environnementaux liés au travail

4.1.3.6 Connaissance du contexte de travail et des résidants

Un des facteurs environnementaux liés à la place de travail et qui a une influence certaine sur la capacité du formé à réaliser des apprentissages, est celui de la connaissance de son contexte de travail et plus spécifiquement des résidants qu’il côtoie quotidiennement. En référence aux théories de l’approche située, nous avons vu qu’un savoir revêtait un aspect strictement

« local » dans le sens où il dépendait du contexte de travail, offrant une certaine réalité matérielle et sociale. En ce sens, l’activité est « située » et l’environnement fournit des ressources et également des contraintes à travers les opportunités et les artefacts déposés. A ce propos, Clara a vécu une situation particulière et nouvelle dont elle ne connaissait pas les déterminants environnants, ce qui l’a empêchée de se sentir à l’aise dans l’activité en cours.

Plus spécifiquement, Clara avait la mission de coucher un enfant dans le contexte des soins continus (milieu comprenant d’autres enfants et des infirmières) et n’a pas pensé à utiliser les rideaux séparant les lits pour obtenir plus d’intimité et calmer plus efficacement l’enfant, ce qui lui a valu de se sentir mal à l’aise et de se sentir jugée par les autres professionnels et les parents. Dans le même ordre d’idées, Gabriel, ne peut réellement savoir quels sont les coussins ayant la forme la plus adéquate pour installer confortablement une résidante, parce que la couleur de la fourre des coussins change en permanence, ce qui ne lui permet pas d’établir une corrélation fiable entre la couleur des coussins et leur forme. Dans ces deux exemples, cette méconnaissance du contexte matériel environnant empêche l’élaboration du savoir.

L’activité est, elle aussi, située et les processus cognitifs engagés sont indissociables de l’action entreprise. Aline montre qu’elle a intégré un savoir, celui de la valorisation des personnes, en lien avec une situation spécifique qu’elle décrit et qu’elle peut potentiellement vivre dans son contexte de travail. Cette situation concerne l’aide à l’habillage chez une personne âgée : « Au lieu qu’on prenne ses chaussettes, son pull, son pantalon et qu’on l’habille sans rien lui demander… Il va se sentir valorisé qu’on prenne le temps de s’adresser à lui. » (A1, L315-317). Gabriel économise certains processus cognitifs qu’il juge peu pertinents par rapport à son propre contexte de travail. Ainsi, pour lui, certains éléments de son classeur de travail (issu de l’école) ne lui servent pas pour les situations spécifiques qu’il rencontre dans son domaine d’activité : « Mais il y a des trucs dans le classeur qui ne me servent à rien mais que je vais pas forcément acquérir ou que je vais pas faire parce que c’est pas ciblé pour nous, c’est pas ciblé par rapport à ma formation. » (G1, L 45-47). La cognition est donc située et doit, pour avoir lieu, revêtir un caractère pratique et utile.

La connaissance des résidants avec lesquels travaillent quotidiennement nos apprentis est aussi une condition qui semble aider en grande partie les formés à prendre de l’assurance dans leur activité. Cette condition peut être remplie dans le cas d’institutions comme celles de Gabriel ou d’Aline. En effet, ces deux apprentis vivent au quotidien avec les mêmes personnes, malgré quelques départs ou arrivées de résidants. Or, dans le cas de Clara, qui évolue dans un contexte hospitalier où les départs et les arrivées alternent fréquemment, il est plus difficile de créer et de maintenir un lien profond avec les patients (enfants, parents), ce qui peut affecter en partie sa confiance dans le travail. Nous pouvons nous pencher sur les propos d’Aline, dont la connaissance des résidants lui permet de se sentir toujours plus à l’aise avec ce public et, partant, augmente son assurance. Elle en viendra même à confirmer ses propos dans le second entretien :

« Chaque jour on apprend à connaître et puis oui, avant je ne me serais pas sentie à l’aise parce que je ne connaissais pas les résidants et puis j’aurais pas osé prendre à la rigolade, faire des rigolades, faire des blagues si je connaissais pas les résidants » (A1, L 324-327). « Parce que je sais que je les connais individuellement, je sais comment Madame X répond, Madame B répond, je sais comment ils répondent et puis je sais comment dire la chose. Je sais qu’avec l’un d’eux toujours je pourrai pas avoir d’humour et d’autres ça passera mieux » (A2, 278-281).

Pour Gabriel, nous pouvons effectuer le même constat ; la connaissance spécifique d’une résidante lui a même permis d’obtenir plus de responsabilité vis-à-vis de cette personne : « les sorties avec un résidant et tout ça, ils ont jugé (ses collègues) que comme je suis en 2ème année, S (pour prendre un nom), que j’accompagne depuis plus d’une année et demie donc je la connais, je sais comment gérer si jamais il arrive quelque chose » (G2, L82-85).

Gabriel a aussi compris l’importance des rituels avec une population telle que la sienne et il est en mesure de cerner ces rituels parce qu’il côtoie cette population tous les jours.

Malgré la population fluctuante avec laquelle travaille Clara, il lui arrive également de prendre de l’assurance dès qu’elle côtoie un enfant qui séjourne assez longtemps, ce qui lui a permis d’élaborer des connaissances sur le comportement de l’enfant en question et d’ajuster sa pratique professionnelle face à lui :

« Là maintenant je vois que je suis de plus en plus à l’aise avec les siestes pour M, après les suivantes ben je savais comment il faisait, il pleurait un petit coup, il voulait

pas enlever ses chaussures mais je voyais qu’il était fatigué, donc maintenant j’arrive vite à voir de quoi ils ont besoin. » (C1, L255-247).

Mais posséder une bonne connaissance au sujet des personnes que l’apprenti côtoie régulièrement ne suffit pas. Il faut également que le résidant, lui aussi, connaisse assez bien l’apprenti, ce qui aboutira à une relation de confiance et diminuera le sentiment d’être jugé et les chances d’être mal compris. A la question de savoir si Aline prend mieux en charge les activités avec les résidants qu’au début de son apprentissage, celle-ci répond qu’il est plus aisé pour elle de les prendre en charge maintenant parce qu’elle connaît mieux les résidants et que ceux-ci la connaissent également. Cette connaissance réciproque diminue le sentiment d’être jugée parce que les résidants sauront être indulgents en cas d’échec étant donné qu’ils connaissent plus généralement l’apprenante et savent de quoi elle est capable. La peur du jugement diminue lorsque tous les sujets se connaissent et l’individu ne craint plus d’être mis en échec. Dans le cas de Gabriel, ses collègues ont appris à le connaître et ne s’étonnent plus de le voir adopter une attitude directive dans certaines situations, ce qui permet d’éviter les malentendus.

Malgré le caractère « situé » des apprentissages, il peut y avoir transposition des savoirs à d’autres situations spécifiques de travail et donc généralisation des savoirs. Clara, qui travaille dans un contexte variable, n’hésite pas à transposer les connaissances qu’elle a acquises dans d’autres lieux pour mieux évoluer au quotidien. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’expliquer comment elle a appris à verbaliser ses actes auprès des enfants qu’elle prend en charge, Clara précise qu’un stage en garderie lui a permis d’adopter ce réflexe et qu’elle le transpose aujourd’hui dans son apprentissage à l’hôpital. C’est pourquoi le contexte particulier de l’hôpital oblige également Clara à faire appel à des savoirs « situés », qu’elle peut au besoin réutiliser dans d’autres situations similaires ou avec d’autres types d’enfants. Du fait que la population n’est jamais la même à l’hôpital, Clara n’hésite pas à utiliser des connaissances acquises avec une certaine population d’enfants et de les tester avec une population d’enfants d’âges différents, comme le montre cet exemple : « parce que j’ai pu tester avec d’autres enfants, enfin voilà peut-être qu’elle a 4 mois mais à 1 année un enfant il aura les mêmes symptômes, les mêmes signes de fatigue et puis ouais juste essayer » (C2, 204-206). Elle est à même de généraliser ses acquis et de les étendre à des situations plus globales et moins « situées ».