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DES STRATÉGIES FONCIÈRES FAMILIALES AUX PRATIQUES DU DROIT LE SENS D'UNE DÉMARCHE

Une étude avait été menée , au début des années 1980, sur les stratégies foncières familiales durant la période coloniale (1) . Nous avions alors tenté de saisir la dynamique du rapport de l'homme à la terre, à travers ses permanences et ses ruptures, de mieux comprendre le présent vécu à partir d' une meilleure connaissance du passé .

Dans cet esprit cette recherche était avant tout une interrogation sur ce que pouvaient révéler les pratiques foncières, à travers un certain nombre d'actes, ventes - achats - donation - et hobous, affectant le patrimoine foncier d'une famille sur plusieurs générations.

Il s'agissait à partir d'une approche puremènt juridique mais avec des instruments d'investigation nouveaux empruntés à d'autres disciplines de comprendre comment vit le Droit et comment il est vécu à travers une relecture des Droits officiels et des réponses qui leur étaient apportée par les stratégies familiales. deux postulats de départ avaient guidé notre questionnement sur les rapports des hommes à la terre et les rapports des hommes entre eux autour de la terre :

- L'acte juridique n'est ni neutre ni indépendant , il exprime toujours quelque chose à un moment donné en interaction avec d'autres facteurs, il se réfère et traduit un mode de penser l'espace et de se penser dans cet espace.

- La représentation de l'espace n'est pas statique, elle évolue ce qui suppose un dynamisme des stratégies et du Droit qui les a engendrées.

Dans ce cadre, les règles de possession ou de propriété et la transmission des droits sur la terre ne pouvaient que traduire et inscrire dans l'espace un rapport foncier à décrypter et à interpréter.

La reconstitution des patrimoines fonciers superposés aux tableaux de filiations et d'alliances avait permis l'identification de manières de faire familiales qui constituaient des types de comportements, sériés dans des stratégies

différenciées autour de la terre. Elles se caractérisaient par une utilisation et une domestication du Droit. Dans le cadre des deux ordres juridiques officiels, le Droit colonial le Droit musulman, ils s'aménagent des espaces de liberté et expriment ainsi leur propre mode de penser l'espace, le rapport à la terre et leur rapport au Droit.

Ils domestiquent le Droit colonial et l'intègrent à leur logique, et lorsque l' indivision est trop pesante le recours au partage par voie judiciaire est le bienvenu, pendant que le hobous est à nouveau sacralisé et porté devant le cadi s'il peut éviter le démembrement du patrimoine.

Ils rusent avec le Droit musulman et la "Shari'â" et comme. les "hyals" sont intégrées à l'ordre juridique musulman les successions font l'objet de manipulations diverib.Sacralisées, parce que formalisées et explicitées dans le livre saint, les règles de succession sont contournées, afin de maintenir l' indivision du patrimoine au profit du principe de masculinité , par le hobous, le rachat des droits successifs des veuves, la vente fictive et autres pratiques dont seuls les cadis et les familles ont le secret.

C'est en ce sens oû le bilan de la colonisation reste à nuancer , en

particulier celui de la colonisation privée. Instituée par la loi warnier , elle portait sur la généralisation de la propriété privée individuelle pour une plus grande mobilité des terres au profit de la colonisation. Les réserves émises se

justifient en partie par les reculs de la législation coloniale à travers les lois de 1887 et 1920, sur le Hobous et le chéfaâ . Elles s'expliquent également par l'arrêt des procédures cadastrales et d'immatriculation engagées dans le cadre des

enquêtes générales et partielles . Il est indéniable que ces reculs sont aussi liés au recentrage de la colonisation sur les terres les plus riches et à la volonté d'endiguer la paupérisation qui a suivi l'application de ces lois. Ces reculs sont à analyser également à travers ce lent et patient grignotage de l' espace colonial par la paysannerie (1), notamment par le rachat des terres

tribales ou familiales qui a permis d'inverser le flux de la mobilité foncière allant dans certaines régions à l'encontre des objectifs de la colonisation(').

Le bilan de la dépossession reste considérable mais l'histoire de la colonisation reste à réécrire afin d'en nuancer l'impact. Derrière la grande histoire de la violence coloniale s'est profilée en silence la petite histoire des pratiques et des résistances, opposées au Droit colonial dont une infime partie a été mise en lumière par l'étude des stratégies foncières familiales.

Cette dimension et cette relativisation du fait colonial doit être prise en compte par le chercheur qui veut sonder sa société. Elle permet d'éviter la vision manichéenne, trompeuse qui amènerait à penser que le Droit national va réussir là où a échoué le Droit colonial et à oublier qu'ils sont tous deux empreint parfois de la même violence et engendreront de nouvelles résistances. Les réserves que nous émettons à ce sujet partent des conclusions de la première étude : Une domestication par les stratégies familiales de tous les ordres juridiques quels qu'ils soient.

Le rapport à l'ordre juridique est indéterminé car il ne se noue pas autour du Droit en soi mais autour des rapports des hommes à la terre, dés lors que ce Droit (colonial; musulman ou shari'à ) gêne le rapport à la terre il est mis en échec par des tactiques cliver-tell est à nouveau

invoqué et sollicité lorsqu'il y a convergence entre les logiques de cet ordre juridique et celles des familles. Cette analyse du rapport aux Droits, autour de la terre, pendant la période coloniale garde sa pertinence pour comprendre la genèse des phénomènes d'illicéité et d'informel qui se

développeront après l'indépendance . Au delà de l'illégitimité des producteurs des Droits voulus officiels, l'incapacité du Droit, national ou colonial, à s' imposer totalement dans les rapports de l'homme à la terre est un élément dominant de l'observation.

TALEB-BENDIAB (M) - "Étude des transactions des biens immobiliers ruraux en Algérie

Après 130 ans de colonisation et 30 ans d'indépendance le paysage foncier reste marqué par la pluralité et l'enchevêtrement des statuts .C'est une situation qui nous interpelle aujourd'hui face au processus de généralisation de la propriété privée de l'immatriculation et du cadastre général.

Pour la période post-indépendance, la consultation des travaux portant sur des domaines aussi divers que les transactions foncières, la révolution agraire ou l'habitat illicite nous a permis de dégager une constante : c'est la confrontation des logiques et la contestation des modèles imposés, hier le modéle socialiste aujourd'hui la modéle libéral . La contestation se conjugue sur le mode feutré de l'échec au Droit par :« Ces acteurs de la

résistance à la colonisation, inventeurs de l'autogestion, aventuriers de l' émigration, producteurs aux techniques autonomes, stratèges de l'utilisation des offres étatiques, traditionnels par choix quand le legs du passé permet de s'adapter aux conditions concrètes d'existence, contestataires souvent conscients de leurs intérêts et de leurs droits toujours» (1).

On ne pouvait mieux décrire ce qui semble constituer selon nos observations des contre-pouvoirs situés à des échelles différentes et opposés à celui des producteurs officiels du Droit. Ce n'est point le Droit lui même qui est contesté en tant que tel, puisque ce même Droit est utilisé invoqué et revendiqué et que la plupart des pratiques, comme nous le verrons dans le titre Il, consacrée aux lotissement illicites, lui sont tangentes .

L'échec au Droit est généré par la confrontation de logiques contradictoires ce sont essentiellement des logiques locales qui entrent, à un moment donné en contradiction avec des logiques centrales /communes par exemple en matière de constitution et de "gestion des réserves foncières ou familles /commune en matière de constructions illicites ou alors / paysannerie en matière de mutations foncières et d'immatriculation des terres. Ces mêmes logiques trouvent parfois un terrain d'entente, le Droit est à nouveau sollicité .

Ces moments de convergence dans des espaces consensuels se sont manifestés durant la période coloniale par la libération des initiatives individuelles et se sont traduites par les ventes et l'émergence d'une propriété privée individuelle (analysés dans le titre I consacré aux effets des politiques foncières coloniales et agraires nationales). Dans ces cas la législation coloniale a été utilisée et perçue de manière positive par ses utilisateurs car elle a offert un espace d'autonomie et de liberté par rapport aux orf et à la Shari'â .

Cette attitude "d'attente" de ce que peut offrir le Droit officiel se manifeste aujourd'hui par le rapport ambiguë entretenu par les propriétaires fonciers autour de l'acte authentique et du titre de propriété. Dés lors que l'enjeu, pour eux, n'est pas encore visible l'adhésion des propriétaires fonciers et des occupants illicites, à la politique de généralisation de l'immatriculation et des régularisations se fait attendre.

C'est ainsi que les Droits et systèmes successivement mis en place seront mis en échec partiel ou total par des stratégies locales différenciées, selon les périodes, les domainetde l'intervention étatique et la marge d'autonomie concédée ou proposée. Ces situations très divert6 expriment des rapports particuliers au Droit et contiennent des réponses plurielles des dominés à la domination de ceux qui monopolisent le pouvoir exclusif de dire le Droit au singulier.

A ce pouvoir de dire le Droit vont alors s'organiser des contre-pouvoirs qui le pratiquent, le rendent plus «flexible» (1) et le domestiquent en une expression

plurielle et dynamique, à chaque fois renouvelée.

L'insistance sur cette notion de violence , exercée par ceux qui sont au pouvoir par l'instrumentation du Droit au service de politiques diversb est volontaire et c'est autour de ce rapport disputé entre l'État, les pratiques locales et le Droit que s'articule notre problématique.

-Il s'agit, à l'intérieur de la production juridique de 1962 à 1995 autour de la propriété foncière , de dire comment le Droit foncier étatique est vécu ; En restituant aux pratiques locales une partie de leurs signifiants à travers les différents acteurs impliqués - notaires, conservateurs fonciers, magistrats, collectivités locales, services techniques, communes, familles ; En tentant de cerner par l'observation, de situations concrètes, les enjeux de chaque espace disputé, négocié ou dominé par l'une ou l'autre des parties en cause , dans cette course à l'appropriation ou à la sauvegarde de l'espace.

Cette réflexion tend à dépasser le cadre étriqué des pratiques familiales qui ont révélé ce qui nous apparaît comme fondamental, la permanence et le dynamisme , des rapports de violence et de domination du Droit et des pratiques locales

-C'est un questionnement sur ce que peuvent révéler les pratiques pour comprendre ce qu'est le Droit , quel est son rôle , comment il est perçu, quelles sont ses limites et peut être se projeter dans l'avenir pour dire comment il peut être envisagé dans la société de demain.