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A - LES RÉAPPROPkJIATHONS LABORIEUSES

Dans le document Droit foncier étatique et stratégies locales (Page 132-139)

Tableau N° 11

Communes Taille des propriétés Dates successives d'acquisition

IBN ZIAD 5 ha 1889 -1892 - 1943 - 1945- 1946 - 1949 8 ha 1952 -1952 -1953 - 1953-1953 -1953 -1953 -1953 9 ha 1896 - 1913 - 1924 - 1926-11 ha 1924 1931 1932 1933 1938 1938 1938 -18 ha 1878 - 1880 - 1897 - 1899- 1948 - 1948 - 1951 39 ha 1902 - 1917 - 1921 DIDOUCHE M. 24 ha 1888 -1906 -1918 - 1920- 1925 - 1953 26 ha 1912 -1920 - 1924

Ces données ont été dégagées à partir du dépouillement des fiches d' enquête foncière des deux communes enquêtées.

Ce sont des processus d'acquisition sur une génération. Le travail d' accumulation est lent mais continu, et s'achève en 1953 pour les deux communes. Le début de la Guerre de Libération, en 1954, correspond également aux premiers flux migratoires importants vers Constantine . Ils expliquent en partie l'arrêt de ce processus . Les actes d'acquisition sont, dans leur majorité, des actes notariés.

Essayons d'en saisir le sens à travers les stratégies développées dans trois cas .

- Les remembrements individuels des patrimoines familiaux émiettés. - Les réappropriations individuelles de l'espace tribal.

- Les appropriations de l'espace avec le cas d'émergence d'une nouvelle propriété foncière citadine.

B D E L ' É M I E T T E M E N T D U P A T R I M O I N E

-UGNAGER

I

À L'ÉMERGENCE D'ILINE PROPRIÉTÉ JE

ND I VI D VIELLE

Nous tenterons de restituer, à travers un cas de démembrement de propriété lignagère puis familiale, avec utilisation conjuguée de la loi musulmane et des nouvelles techniques juridiques colonialeVémergence de stratégies individuelles de remembrement de la propriété lignagère. Nous pourrons ainsi mieux observer, situer et comprendre les niveaux de rupture, de confrontation et, éventuellement, d'adhésion, entre, d'une part, les logiques familiales et l'ordre juridique musulman, et d'autre part, ces mêmes logiques familiales et les logiques coloniales en matière de circulation des terres.

Présentation de la famille: et des acteurs principaux :

- Entre 1771 et 1791, "Si Abderrahmane Ben Lefgoun" est désigné par le Dey d'Alger, Cheikh el blad (Premier magistrat de la ville) de Constantine. Lors de la prise de la ville, en 1837, par l'armée française, "Si Mohamed Ben Lefgoun" se trouve, parmi les notables qui assurent la reddition de la ville. Il est, de ce fait, confirmé dans ses fonctions dont il se désistera au profit de son fils aîné " Hammouda" .

Ce dernier sera nommé Kaid (chargé des impôts) et Hakem (gouverneur).

Ces différentes fonctions lui permettent d'obtenir des terres de compensation de

la part du domaine de l'État français, en échange d'un séquestre d'une partie des terres lignagères, au nord-est de Constantine et d'un périmètre de colonisation au Nord-Ouest . Il a pu ainsi préserver le patrimoine lignager indivis , entre les 9 branches du lignage .

Le premier partage aura lieu en 1889, date approximative à laquelle l'héritier de la charge paternelle "Hammouda" entrera en litige avec

l'administration française et sera dessaisi de ses fonctions et privilèges.

En 1907, son neveu "Mohamed fils de Lahcène" né en 1854, est nommé assesseur au Conseil Général de Constantine. En 1910, il est élu conseiller

municipal et membre de la Chambre d'agriculture. En 1912, il est élu délégué financier. En 1927, il est nommé Agha de Constantine, et en 1927, grand officier de la Légion d'honneur.

Le fils de "Mohamed" "Khodja" occupera, de 1938 à 1944, le poste de secrétaire de la chambre d'agriculture de Constantine. En 1945, il sera élu conseiller municipal.

Les charges et fonctions multiples, occupées par les membres de cette famille citadine sous la période beylicale puis coloniale permettent l'acquisition d' un patrimoine foncier important qui va la placer dans la liste des plus gros propriétaires de la ville. Un patrimoine foncier estimé, en 1837 à :

- 13 000 ha (propriété initiale, avant l'occupation ottomane) - 12 000 ha attribués par le dernier Bey

- 7 000 ha de terres de compensation du domaine français.

Le partage du patrimoine effectué en 1889, le glissement du centre du pouvoir et des privilèges de la branche aînée à une branche cadette , et les fonctions stratégiques occupées sur les deux générations de cette branche, vont constituer autant de facteurs du recentrage observé en matière de stratégie de préservation et d'agrandissement du patrimoine .

En effet, le mouvement général observé et signalé par différents auteurs sur l' émiettement de la grosse propriété foncière citadine à partir de l'entre-deux Guerres n'épargne pas le patrimoine lignager, si l'on en juge par les mouvements de vente à l'extérieur du cercle lignager.

"Khodja", à la faveur des stratégies de préservation de la deuxième génération, et de ses fonctions, qui lui assurent simultanément la priorité dans l' information sur des ventes éventuelles de terres, et la disponibilité des capitaux nécessaires, va se dégager comme le principal acteur d'un mouvement de remembrement de la propriété lignagère, émiettée, et d'une recomposition de ce même patrimoine vers une propriété individuelle à la première génération, et familiale à la deuxième génération.

Le premier, à la première génération, en 1889, du vivant de l'aïeul. Il est effectué par le père au profit de ses 8 fils, héritiers à parts égales, et de son petit-fils, fils d'un fils prédécédé. Cette pratique, courante chez les citadins de Constantine, constitue, avec les donations, une des nombreuses ruses (Ilyals) tendant à contourner le régime successoral qui exclut de la succession, les enfants du fils décédé avant son père.

Le deuxième partage intervient en 1953, entre les héritiers de "Mohamed" autour de biens hérités du père et de la mère . Ce partage est immédiatement suivi de ventes à l'extérieur du lignage et constitue, de ce fait, l'un des premiers résultats des facilités offertes par la reformulation de la Chefa'â par le législateur colonial, pour briser l'indivision.

Ces résultats se traduisent également par l'émiettement des patrimoines, la désagrégation des solidarités traditionnelles et la fin de l'indivision des patrimoines comme support matériel des solidarités de groupe.

Les donations : Au nombre de 4 .

1898 : "Mohamed" fait une donation à son fils unique au détriment de ses filles, de toutes ses parts dans 2 propriétés. Comme la donation, en Droit musulman, ne peut excéder, sous peine de nullité, le tiers des biens disponibles( 1), il utilise une autre technique juridique, celle de la vente. La donation et la vente (fictive) n'ont pas entièrement lésé les filles puisqu'elles réapparaissent lors des ventes , de manière très active .

1921 : Le fils unique de "Mohamed" fait une donation à parts égales entre ses 3 fils et son petit-fils, fils d'un fils prédécédé , cette donation est faite dans le même esprit que le partage de 1889.

La tactique se répète à la troisième génération , en 1956 , par le petit fils de "Mohamed" qui fait une donation à son fils et à ses deux petits-fils, fils d'un fils prédécédé, de tous ses biens et à parts égales.

De cette histoire de propriété se dégagent donc 3 cas classiques de démembrement de propriété :

Le premier admis par le Droit musulman - succession, partage, donation qui individualisent théoriquement les droits de chaque bénéficiaire et s' accompagnent d'une faculté de vente. Une faculté tempérée et souvent bloquée du fait de l'indivision et des entraves apportées à la circulation des terres par la Chefa'â et le Hobous .

Les nouvelles techniques juridiques offertes par le Droit colonial en faciliteront l'exercice effectif, à partir de la 2° génération, par la matérialisation de ces droits détenus sur la terre (acte de propriété, plans cadastraux, immatriculation), par la reformulation et les limites apportées aux entraves traditionnelles à la circulation des terres .

Les effets indirects de la colonisation, éclatement des solidarités familiales, de la résidence commune, créent les conditions objectives d'une circulation des terres hors des sphères familiales et lignagères dans lesquelles elles étaient cantonnées par le Droit coutumier, les pratiques locales et familiales .

Nous sommes face à une apparente symbiose entre l'ordre juridique musulman exprimé principalement par le régime successoral, et l'ordre juridique colonial, puisque le second a permis au premier de s'exprimer et de se libérer des entraves coutumières et sociales que sont le Hobous, la Chefàa et l' indivision.

C'est dans cet esprit que la francisation des terres et des actes devaitselon les mécanismes mis en place par le législateur colonial, assurer une plus grande fluidité des flux fonciers, et une plus grande sécurité et stabilité dans les

transactions foncières au profit des colons.

C'est donc essentiellement autour des destinataires ou des bénéficiaires des terres, désormais libérées des entraves à leur mobilité, que vont émerger les résistances et les points de rupture entre les logiques familiales et les logiques coloniales.

Ce qui se dégage également de cette histoire foncière familiale, est cette constance à éviter le démembrement du patrimoine, en déployant des

stratégies diverses contre la loi musulmane elle-même, ruses pour la contourner - partages, donations ou hobous - exclusion de certains successibles et, contre les coups de boutoir du système colonial. Les facilités offertes par le Droit colonial se traduisent, dans ce cas précis, par un " dynamisme" de l'élément féminin, à émietter le patrimoine à l'extérieur des sphères traditionnelles, lignage - famille - voisinage.

Le maintien du système des donations au profit exclusif des garçons apparaît comme une tendance lourde dans le comportement de la famille, étalée sur les 4 générations . Il est orienté contre ceux des successibles susceptibles de démembrer le patrimoine. Cette tendance qui s'inscrit dans des stratégies traditionnelles de préservation des patrimoines de l'émiettement des successions, se trouvera, dans ce cas précis, renforcée par la situation nouvelle de la colonisation . Elle va s'accompagner, à partir do la 3° génération, de nouvelles tactiques qui tardent à se mettre en place et à se généraliser . Il s'agit des stratégies de remembrement ou de reconstitution des patrimoines familiaux émiettés. Sur l'ensemble du lignage, un seul membre, " Khodja", a pu réaliser une stratégie de remembrement stoppée définitivement en 1954, avec le déclenchement de la Guerre de Libération Nationale.

De 1917 à 1954, "Khodja" va agir positivement et accroître son patrimoine par des rachats de terres lignagères vendues à des étrangers, des achats auprès de membres du lignage et enfin d'échange.

1) Les achats au sein du lignage :

En 1941,i1 acquiert auprès de ses deux cousines , dont l'une est la veuve de son frère, le huitième indivis leur revenant de l'héritage de leur père .

En 1943, il acquiert auprès de sa troisième cousine , la part indivise lui revenant de l'héritage de son père. Il acquiert ainsi une part dans une autre branche de son lignage .

Il est important de souligner que cette propriété acquise par "Khodja" avait fait l'objet d'une mise en hobous de la part de par son arrière grand oncle, en 1989, après le partage (1889) du patrimoine entre l'ensemble des branches du lignage. Un hobous constitué au profit des enfants et au détriment des épouses. Le statut de la terre ayant été francisée (enquêtes générales) elle est

alors soumise aux dispositions de la loi de 1873, article 7 alinéa 2, qui abolit

«tous droits réels, servitudes ou causes de résolution quelconque qui seraient contraires à la loi française». Le hobous peut être ainsi aliéné lorsque la terre

est francisée , mais plus précisément lorsque ses dispositions sont invoquées par un Européen , ceci dans un esprit de sécurité et de stabilité des açquisitions et des installations de colons. Dans ce cas précis, il est intéressant de souligner l'usage fait des facilitéroffertespar les lois françaises de libérer les terres, des entraves traditionnelles et des dispositions du hobous, par un algérien .

En 1951, il acquiert des terres auprès de deux femmes, la veuve et le fils de son cousin, autre branche du lignage .

En 1954, 1955 et 1956, il procédera à l'achat successif des parts d'un membre de sa branche lignagère sur des parts dans la propriété qu'il avait déjà commencé à remembrer en 1941 et dont il rachètera progressivement des parcelles à des étrangers qui les avaient acquises auparavant, suite à des ventes.

2) Les rachats de terres

En 1919 à un négociant israélite, les parts vendues par son oncle puis par sa veuve .

En 1938 auprès du même négociant, les parts cédées par son cousin et qui lui revenaient de l'héritage de son père.

3) Les échanges :

Ils seront utilisés à remembrer une autre propriété déjà agrandie par son héritage et porteront sur des transactions à l'intérieur de la branche du lignage auprès des femmes essentiellement .

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