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Stopper la politique de seigneuriage

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 184-192)

CARACTERISES PAR UNE INFLATION ELEVEE

UNE APPROCHE HORS EQUILIBRE DES INFLATIONS FORTES

III.4. L’inflation forte: une pluralité de politiques économiques pour y mettre un terme

III.4.3. Stopper la politique de seigneuriage

Si nous nous en tenons aux descriptions des modèles de type Cagan, les gouvernements des pays subissant l’inflation forte émettent des quantités de monnaie de telle sorte que les revenus de seigneuriage obtenus soient ceux correspondant à la partie droite de la courbe de Laffer. En conséquence, pour améliorer la situation, il faudrait que les autorités monétaires réduisent leurs émissions de monnaie pour atteindre le niveau de seigneuriage d’équilibre (cf. II.1.1.).

A ce propos, il apparaît généralement admis par la littérature de la monnaie et de la finance que le remède contre l’inflation forte soit est facile à définir mais difficile à

administrer car il exige une solide volonté politique141. Essayer de mettre fin à un état d’inflation en stoppant purement et simplement l’émission de nouvelle monnaie est risqué. En terme de politique économique, il est préferable d’instaurer des mesures fiscales, monétaires ou financières pour viabiliser le système déficient.

L’idée dominante ici est qu’il faut ajuster l’émission de monnaie avec l’activité réelle de l’économie pour mettre un terme à l’inflation forte. Comme l’affirme Hansen «la confiance exclusive portée envers les autorités monétaires est une dangereuse arme inégale»

(exclusive reliance on monetary policy...is a dangerously one-sided weapon)142. La validité de

l’avertissement de Hansen peut être confirmée. Si le gouvernement souhaite mettre un frein à l’inflation, deux événements vont survenir. Tout d’abord, une crise du crédit va apparaître. La chute des revenus de certaines classes sociales va provoquer celle de la demande pour des

catégories de biens particulières143. La baisse de l’activité dans tous les secteurs économiques

correspondants provoque de forts troubles sociaux. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé à São Paulo en 1964. Pour le gouvernement, la solution la plus rapide permettant un certain retour à la paix sociale fut de dynamiser le commerce en relançant l’émission de nouvelle monnaie. C’est donc le véritable déséquilibre structurel de l’économie qui annihile toute tentative visant à ralentir l’inflation. Par ailleurs, les mesures anti-inflationnistes accentuent ces mêmes déséquilibres. Stopper l’émission de nouvelle monnaie est une mesure de politique monétaire laquelle, pour avoir une chance de succès, doit être accompagnée de règles de politiques économiques visant à corriger la structure déséquilibrée de la société. Ces dernières ne sont pas de simples réallocations de ressources. Elles sont «cristallisées» dans des capacités productives ne pouvant être instantanément transférées d’un secteur à l’autre.

Pour ce qui concerne les économies en transition de l’Est de l’Europe, que nous examinerons en détail au cours de la partie IV., le problème lié à la réallocation des ressources est particulièrement aiguë. Les relations économiques qui structurent la coordination des

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«Le problème , c’est d’avoir la volonté politique de prendre les mesures nécessaires. Lorsque la maladie de

l’inflation est déjà dans un état avancé, la cure prend longtemps et elle a des effets secondaires douloureux.».

Friedman M&R (1980) «La Liberté du Choix», Pierre Belfond Ed., p. 267.

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Hansen A., (1949) «Monetary Theory and Fiscal Policy», New York.

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Au cours des épisodes d’inflation forte vécus par les pays d’Amérique Latine dans les années 80, Georgescu Roegen a montré qu’à chaque fois que les gouvernements concernés diminuaient leur émission de nouvelle monnaie, les classes les plus riches subissaient une perte de leurs revenus réels et en conséquence diminuaient leurs demandes pour les biens de luxe.

activités sont encore aujourd’hui pour une grande part celles qui ont été décidées pas les anciens systèmes de planification. Or, les matrices input-output élaborées par les gouvernements socialistes étaient caractérisées par une très forte intégration verticale. Plus précisément, pour décider de la fabrication d’un bien, toute une chaîne de relations industrielles était construite. Par exemple, l’entreprise d’Etat fabriquant des chaussures recevait le cuir d’une et une seule tannerie qui elle-même était liée à un seul fournisseur du secteur agricole. La structure de ces économies était verticalement intégrée. Cette réalité industrielle n’est pas propice à la flexibilité.

Le déplacement de capacités productives d’un secteur vers un autre peut non seulement aboutir à la fermeture d’une entreprise mais aussi de toute la filière à laquelle elle appartient. Pour reprendre notre simple exemple, fermer le kolkhoz exploitant un troupeau de vaches peut conduire à la pénurie de chaussures dans l’économie. Il est très difficile dans une structure industrielle fortement monopolistique de se retourner vers un autre fournisseur. Les capacités productives existantes dans une économie sont issues de processus complexes (de décision puis de construction) qui mettent souvent des années avant de pouvoir produire des biens ou des services.

Comme le remarque Georgescu-Roegen, la «désaccumulation» n’est pas le processus opposé à celui de «l’accumulation» de même que la «déflation» n’est pas le

processus opposé à «l’inflation»144. Construire des capacités productives est une tâche

beaucoup plus simple que celle de détruire les capacités existantes. La raison en est simple, une fois les moyens à disposition, le processus d’accumulation peut être très rapidement mis en oeuvre. En revanche, pour être détruite, toute installation industrielle doit être efficacement utilisée jusqu’à ce que toutes ses composantes puissent être mises au rebut au même instant.

Ceci peut prendre plusieurs années. Bien sur, une installation industrielle peut être tout simplement détruite ou abandonnée mais il ne s’agit plus alors d’un déplacement d’un capital d’un secteur vers un autre. De plus, comme nous venons de le remarquer, détruire une installation industrielle dans une économie encore fortement marquée par la planification peut provoquer des dégâts considérables. Sa vente, même à perte, pourrait participer au mouvement de désaccumulation.

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«...decumulation is not the reverse process of accumulation, with the equally important consequence that

Dans les pays en transition, marqués par une forte obsolescence du tissu industriel, il est très difficile de trouver des entrepreneurs nationaux ou internationaux voulant à juste titre, prendre le risque d’acheter même à un prix dérisoire des capacités productives non rentables. La restructuration industrielle, si restructuration il y a ne peut reposer que sur les épaules des gouvernements, lesquels, ne disposent pas des fonds suffisants pour réaliser une telle politique. Pourtant, la modernisation des industries à l’Est de l’Europe est impérative si les gouvernements ne veulent pas avoir à affronter les conséquences de la faillite totale des systèmes qu’ils dirigent. Dans les économies socialistes anciennement planifiées, de nombreux secteurs sont sur-développés (c’est le cas notamment de ceux liés à la fillière militaro- industrielle), d’autres sont largement obsolètes (Par exemple, ceux liés à la mécanique industrielle, à l’énergie, à l’electro-menager ou à l’automobile) enfin la plupart des secteurs d’avenir sont quasiment inéxistants (télephonie, micro-informatique et electronique grand public, biologie transgénique...).

La seule solution pour corriger la structure déséquilibrée d’une économie en proie à une forte inflation et de poser cette dernière sur les rails d’un développement équilibré. Une telle entreprise exige de stopper la croissance de certaines industries et d’en promouvoir d’autres. Cette idée en théorie économique n’est pas neuve et fut particulièrement approfondie à partir des travaux de Rosenstein-Rodan dans les années 40 puis par Scitovski dans les années 50. 145.

Elles reposent sur deux points essentiels: (i)le rôle des infrastructures économiques et sociales et (ii) la notion de "grande poussée" (big push).

(i) Les infrastructures économiques et sociales représentent l'ensemble des équipements collectifs d'un pays (le plus souvent fourni par l'Etat) lesquelles ont pour objet de faciliter le fonctionnement des activités économiques. Il s'agit, plus précisément des moyens de communication, de la distribution de l'énergie et des services publics (éducation, santé....). Ces investissements en équipements lourds doivent précéder le lancement de ceux relatifs à la mise en

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Rosenstein-Rodan P (1943), "Problems of Industrialization of Eastern and Southtern Europe", Economic Journal, Juin-Septembre.

place de structures productives, ou être au moins être simultanés. L'insuffisance de tels équipements constitue selon les théoriciens de la croissance équilibrée le principal obstacle au développement des pays pauvres. Ces infrastructures peuvent augmenter le volume des échanges, désenclaver certaines régions et par là-même élargir les débouchés des firmes. Il revient le plus souvent à l'Etat de les mettre en place, les entreprises ne disposant pas de ressources suffisantes pour réaliser de tels programmes.

(ii)La notion de "grande poussée" exprime l’idée que les pays doivent lancer simultanément un large éventail d'industries pour permettre aux infrastructures économiques et sociales de fonctionner et de réussir une croissance soutenue. Rosenstein-Rodan illustre cette notion de grande poussée dans un exemple concernant une usine de chaussures. Dans celui-ci, un pays théorique cherche à décoller en construisant une usine de chaussures. Or, dès que cette entreprise tente de vendre sa production, elle se heurte à un problème de débouchés. Les seuls acheteurs potentiels (car disposant d'une rémunération suffisante) de cette production dans le pays ne peuvent être que les salariés de cette même usine; le reste de la population étant composée de paysans pauvres préférant porter des sandales qu'ils font eux même. Toute la production ne peut donc être écoulée, la demande de chaussures des salariés étant largement inférieure à l'offre. Cette situation conduit l'usine à tomber en faillite car elle est dans l'incapacité de vendre toute sa production.

Pour résoudre ce problème, Rosenstein-Rodan propose deux stratégies de développement distinctes:

(a) La croissance équilibrée du côté de la demande. La demande ou les modes de dépense des consommateurs (et des investisseurs) déterminent le développement des industries.

(b) La croissance équilibrée du côté de l'offre. Ici, nécessité de bâtir un certain nombre d'usines simultanément pour empêcher l'apparition de goulets

Scitovsky T., (1954) : " Two Concepts of External Economies", Journal of Political Economy, vol 52. (2), pp.143-51

d'étranglement en matière d'offre. Il s'agit d'assurer les termes de l'échange entre les industries pour éviter un arrêt de la croissance.

Ce courant de la littérature du développement propose la mise en place d'une coordination horizontale des facteurs de production. Cette dernière doit être organisée avant le démarrage des activités productives. Une nouvelle forme de planification est donc nécessaire ex-ante. La coordination horizontale préconisée par les théories de la croissance équilibrée

visent à créer des réciprocités externes et ainsi déclencher des effets de synergie146. Le plan

devient donc un facteur de coordination visant à engendrer des complémentarités entre les processus économiques. Pour encourager le principe de la planification centralisée, Rosenstein- Rodan considère que l'on doit appréhender l'économie dans son ensemble et la traiter comme une firme unique et par là-même en internaliser les complémentarités. Le système de coordination que propose cet auteur se situe donc en dehors des forces spontanées du marché.

En effet, la planification est justifiée par, ce que les tenants de la croissance équilibrée nomment, les «market failures». Ces dernières sont le résultat de rigidités structurelles empêchant la libre fixation des prix. L’aménagement d’une coordination horizontale apparaît être la solution pour assurer la transition des pays anciennement planifiés de l’Est de l’Europe vers un système d’échanges marchands. Les structures fortement monopolistiques doivent progressivement être détruites. Cependant, lorsque Rosenstein-Rodan s’interesse aux mesures de politiques économiques visant à assurer une croissance équilibrée, il pense à des pays sous-développés dans lesquels «tout reste à faire». A cette égard, la remarque de Georgescu-Roegen est essentielle. Ce n’est pas tant l’accumulation qui importe dans les pays en transition mais la désaccumulation; en d’autre terme l’aménagement d’un changement structurel.

La question essentielle est celle de savoir quelles sont les industries à favoriser. Pour répondre à une telle question, Georgescu-Roegen distingue entre les «biens salaires» et les «biens de luxe». Les premiers sont ceux consommés quotidiennement par les travailleurs et les classes sociales les plus pauvres alors que les seconds ne peuvent être accessibles qu’aux agents les plus riches de la société. En conséquence, toute augmentation du revenu des classes sociales aisées se traduit exclusivement en augmentation de la demande pour les biens de luxe.

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Sur ce dernier aspect, Rosenstein-Rodan explique la présence de rendements croissants en s'appuyant sur Young.

Une fois cette distinction réalisée, Georgescu-Roegen propose d’impulser la production des biens salaires car l’histoire économique montre que c’est la croissance de ces derniers qui a été à l’origine des plus forts et solides développements vécus par les sociétés aujourd’hui les plus avancées. Le véritable développement économique apparaît selon cet auteur lorsque de plus en plus de biens de luxe deviennent des biens salaires. Pour développer la demande interne, les salaires réels doivent bien évidemment augmenter mais seulement en proportion avec la croissance de l’industrie des biens salaires pour éviter l’apparition de nouvelles pressions inflationnistes.

Au cours de ce paragraphe nous avons donc pu constater qu’une mesure de politique monétaire à elle seule, en l’occurrence le ralentissement ou l’arrêt de l’utilisation de la planche à billets, ne permet en aucun cas de mettre un terme à ce que Georgescu-Roegen nomme «un état d’inflation». Nous pouvons résumer notre propos de la manière suivante: Comme l’inflation constitue un transfert de propriété, l’émission de nouvelle monnaie avantage certaines catégories d’agents aux dépends d’autres. L’état d’inflation accentue donc les déséquilibres sociaux en terme de richesse. Stopper ou ralentir l’émission de nouvelle monnaie ne réduit pas les déséquilibres mais au contraire les aggrave. Des pénuries de crédit et des chutes au niveau de la demande pour certains biens apparaissent. Diminuer les pressions inflationnistes exige d’aménager un véritable changement structurel dans les relations économiques des sociétés concernées.

Le changement structurel en question doit viser à instaurer une croissance équilibrée au sens de Rosenstein-Rodan. Une telle entreprise exige des gouvernements à la fois du temps, des ressources et surtout de la clairvoyance. En effet, il est très difficile de connaître aujourd’hui les secteurs qui seront les moteurs de la croissance de demain. La coordination est donc au cœur des préoccupations des autorités politiques et monétaires.

S’il apparaît nécessaire de coordonner l’activité économique pour équilibrer sa structure il faut également que les gouvernements soient crédibles dans le temps auprès des agents. Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, en situation d’inflation forte, la pertinence de l’information se déprécie très rapidement car l’horizon temporel se raccourcit. L’environnement économique n’est pas propice aux prises de décisions économiques. La politique doit alors promouvoir les relations institutionnelles entre les agents. Il s’agit d’une

nouvelle conception du rôle des gouvernements des pays en proie aux fortes pressions inflationnistes.

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 184-192)