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Le recours au concept de «régime monétaire»

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 175-180)

CARACTERISES PAR UNE INFLATION ELEVEE

UNE APPROCHE HORS EQUILIBRE DES INFLATIONS FORTES

III.3. L’exigence d’une nouvelle méthode d’analyse des inflations fortes

III.3.2. Le recours au concept de «régime monétaire»

Dès 1981, Leijonhufvud propose une vision institutionnaliste des échanges

monétaires136. Cet auteur reproche à la théorie de l’équilibre général de ne représenter qu’un

système de «troc» multilatéral. Nous avons noté que ce n’est qu’au prix de l’introduction d’imperfections informationnelles que l’approche «Top Down» justifie l’usage de la monnaie. Bien évidemment, aucun économiste ne peut nier l’aspect coûteux et inefficace du troc. Cependant, considérer ce dernier comme une simple alternative à l’usage de la monnaie semble être, pour Leijonhufvud, une démarche considérablement réductrice. Il est autrement plus important de comprendre comment les agents prennent des décisions et agissent dans un environnement caractérisé par une grande instabilité.

Afin de relier leurs conduites à l’environnement dans lequel elles s’insèrent, Leijonhufvud propose l’utilisation du concept de «régime monétaire» qui rassemble à la fois un système d’anticipation et un modèle de comportement. Le système d’anticipation conditionne les décisions du public alors que le modèle de comportement détermine les décisions des autorités politiques compte tenu des anticipations du public.

Par définition, le régime monétaire constitue une part spéciale de l’environnement dans lequel, ensemble, le public et les autorités doivent prendre leurs décisions. Etant donné l’état des anticipations, un stimulus monétaire peut augmenter la production et l’emploi avec très peu d’effets sur le niveau des prix. Avec un état différent des anticipations le résultat peut provoquer une accélération dramatiquement inflationniste avec peu d’influences sur l’emploi. Comme nous l’avons énoncé, le concept de «régime» postule que le comportement actuel des autorités rencontre les anticipations du public. Si ce dernier dispose d’une parfaite connaissance de la politique stratégique du gouvernement, alors nous aboutissons au concept d’anticipation rationnelle au sens strict de la littérature. En revanche si, d’une part les agents ne font pas tous les mêmes anticipations à propos des actions des autorités politiques et que d’autre part l’état collectif des anticipations exhibe un certain degré de cohérence, alors le concept de régime monétaire présuppose que les agents comprennent

«comment le gouvernement travaille» en terme général et qu’ils aient identifié des règles simples de comportement. Dans des environnements relativement simples, les anticipations sur les politiques des gouvernements peuvent être «rationnellement» formées. Daniel Heymann et Axel Leijonhufvud insèrent leur étude des inflations fortes dans le concept de régime monétaire car, comme nous l’avons remarqué précédemment, l’hypothèse restrictive «ceteris paribus» ne permet pas de capturer la réalité des économies subissant d’importants déséquilibres. Leur préoccupation centrale est celle de savoir comment les agents sont capables de prédire les conséquences de leurs propres actions. Les régimes de fortes inflations rendent aléatoires les résultats réels de catégories entières d’actes économiques, si bien que les agents cessent largement de prendre des engagements. Dans tout contexte social - est cela n’est pas spécifique aux inflations fortes - le résultat de nos propres actions repose sur celles prises par les autres agents.

Pour étudier les inflations fortes il est à cet égard très important de définir les interactions entre les agents du secteur privé et ceux du secteur public. Le résultat des actions prises par les autorités monétaires va dépendre des anticipations du public. Cependant, les variables «d’anticipations» ne sont pas dans leur ensemble directement observables. Aussi, les décideurs des politiques économiques doivent supposer leurs valeurs. Le public de son côté forme des anticipations sur la base des suppositions qu’il peut faire quant aux stratégies politiques des autorités. Dans cette interaction, la fiabilité des conclusions tirées par une partie va dépendre indirectement de celles réalisées par l’autre partie.Le concept de régime monétaire, que l’on retrouve dans de nombreux travaux d’Axel Leijonhufvud, témoigne de l’intérêt de cet auteur pour l’étude des faits économiques. La modélisation remplit sa fonction véritable lorsqu’elle vise à expliquer la réalité de phénomènes concrètement observés. Aussi, intégrer un problème dans son environnement est une démarche cohérente que le concept de régime monétaire permet.

Au cours du paragraphe précédent (III.3.1), nous avons souligné le fait que l’adoption d’une démarche de type bottom up permettait d’intégrer les différents impacts de l’inflation forte sur la coordination réelle des activités économiques. Or, si «bottom up» est l’appellation de la méthodologie que nous préconisons pour l’étude des inflations fortes, le «régime monétaire» est l’appellation du champ d’application de cette même méthodologie. En

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Leijonhufvud A., (1981) «Information et Coordination: Essays in Macroeconomic Theory», New York, Oxford University Press. Chap. 9

d’autres termes, si l’on souhaite comprendre les interactions entres des agents confrontés à des déséquilibres extrêmes, il faut au préalable avoir une connaissance précise de l’environnement économique dans lequel ces interactions ont lieu. Bien évidemment, la méthodologie «bottom up» bâtie à partir de la connaissance du régime monétaire qui prévaut ne peut par construction avoir la même solidité formelle que l’approche «top down» qui puise ses fondements dans l’équilibre Général Walrasien. Les systèmes de dynamiques complexes n’ont, à vrai dire, jamais de solution unique et stable. Ce n’est pas la seule faiblesse de la démarche «bottom up». Cette dernière ne peut prétendre à l’obtention de résultats universels en raison de son champ d’application: le régime monétaire. Pour chaque économie et pour chaque période prévaut un régime monétaire spécifique. Les résultats dégagés par l’approche «bottom up» ne peuvent être valables qu’en un temps et un lieu donné. En revanche, et le chapitre suivant visera à le montrer (III.4.), appuyer une méthodologie «bottom up» à partir du concept de régime monétaire est une démarche qui dispose d’avantages non négligeables; à savoir que:

(i) Elle se rapproche de la réalité des problèmes économiques qu’elle étudie. Déjà, de nombreux auteurs ont mesuré la pertinence de ce concept et, à la suite des travaux de Leijonhufvud, toute une littérature préoccupée par la modélisation de problèmes économiques concrets se développe. A cet égard, nous pouvons citer les récentes recherches de Qin et Vanags (que nous étudierons plus en détail un peu plus loin) sur les inflations fortes dans certains

pays en transition d’Asie et de l’Est de l’Europe137.

(ii) Elle permet l’étude de la coordination des activités

(iii) Elle permet de fournir des recommandations en terme de politique économique

Arrivé à ce niveau de la partie III., il est nécessaire de faire le point. Notre objectif ici étant d’appréhender théoriquement les inflations fortes par une approche hors équilibre, nous avons dégagé un certain nombre d’outils et de concepts au travers des travaux de différents auteurs de plus particulièrement de ceux de Allais, Cukierman, Georgescu- Roegen, Heymann et Leijonhufvud. Il devient maintenant possible de synthétiser notre démarche au travers du tableau suivant (voir graphique n°3.4). Ce tableau vise d’une part à

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Qin D., Vanags A. H. (1996) «Inflation Process in Transition Economies: An empirical Comparison of Poland, Hungary and China», paru dans Modelling and Analysing Economies in Transition, Owsinski J.W. et Nahorski Z., editeurs, pp.177-202.

classifier les outils et concepts dégagés dans cette partie III. et d’autre part à positionner notre analyse dans la littérature des inflations fortes. Pour ce faire, nous considérons qu’un système économique peut se trouver dans une des deux situations suivantes:

* A L’équilibre Général Walrasien ou bien dans le corridor (tel que l’a

représenté Leijonhufvud dans les années 80138). C’est à dire proche ou à

l’équilibre.

* Hors du corridor. Dès que l’économie s’éloigne trop de l’équilibre, des phénomènes cumulatifs apparaissent et conduisent le système à s’écarter d’une situation de parfaite coordination.

Ce tableau de synthèse souligne que l’apport majeur du concept de régime monétaire est de donner un rôle - et un contenu autonome - à la politique économique. Un tel concept constitue le chaînon qui manquait jusqu’à présent à notre analyse des inflations fortes.

Graphique n°: 3.4 A L’INTERIEUR DU CORRIDOR HORS DU CORRIDOR REGIME MONETAIRE

Fiable, simple, parfaitement lisible

Le vecteur d’information est accessible à tous dans son intégralité. En conséquence, les anticipations des agents (publics ou privés) sont identiques et ces derniers ont une parfaite connaissance du régime qui prévaut.

Non fiable, complexe, non lisible

Le vecteur d’information est incomplet. Les anticipations des agents sont différentes entre elles et ces derniers n’ont pas une totale confiance en leurs prévisions. En conséquence, l’environnement est marqué par une forte incertitude.

COORDINATION Parfaite ou pleine coordination

* Si le système est à l’équilibre, la coordination des activités est

parfaite. Tous les marchés sont

soldés et le vecteur des prix réalise un optimum de Pareto

* Si le système gravite autour de l’équilibre, la coordination est

pleine (au sens de Clower et

Mauvaise Coordination

L’allocation du capital s’effectue mal.

L’incertitude provoque des reports, voire des annulations de nombreuses décisions d’investissement. Le futur n’est pas préparé et des phénomènes

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Leijonhufvud A., (1981a) „Information and Coordination: Essays in Macroeconomics“, New York, Oxford University Press.

Leijonhufvud). Tous les marchés sont soldés mais l’équilibre n’est pas nécessairement optimal. Il peut exister des rigidités institutionnelles empêchant la réalisation de la pleine coordination.

cumulatifs se perpétuent.

POLITIQUE

ECONOMIQUE A la suite d’un choc, les forces du

marché permettent par elles-mêmes un retour à l’équilibre et la politique économique doit simplement promouvoir le libre jeu des mécanismes de concurrence.

La politique économique doit rendre fiable le régime monétaire. Cela consiste à réduire la complexité des stratégies de politiques économiques et à définir des règles de décision transparentes. Il s’agit de forger un environnement propice à une bonne coordination des activités.

Nous nous sommes aperçus progressivement que la réalité économique, vécue actuellement par la quasi-totalité des pays en transition de l’Est de l’Europe, pouvait être davantage comprise qu’au travers d’une approche hors équilibre des inflations fortes - nommée «bottom up». Ensuite, nous avons remarqué que l’inflation forte était d’une part la manifestation de déséquilibres réels c’est à dire d’une mauvaise coordination des activités et d’autre part, accentuait le processus de destruction des relations économiques (cf.: III.2.). Or la question qu’il convient de se poser à quiconque souhaite trouver un remède aux fortes inflations est celle de savoir quel doit être le rôle et le contenu des politiques monétaires et économiques à mettre en place pour éradiquer cette maladie. En adoptant le concept de régime monétaire nous savons où nous allons. Une bonne politique économique sera celle qui permettra de rendre un régime monétaire fiable. Plus précisément à mettre en concordance les schémas d’anticipation du public avec ceux des autorités.

Les nouveaux outils et concepts sont alors posés. Pour comprendre les phénomènes d’inflation forte en présence dans les pays de l’Est en transition, nous pouvons adopter une approche Bottom up, passant pas l’étude du régime monétaire et un examen détaillé des caractéristiques propres aux économies. Il devient alors possible de proposer des recommandations en terme de politique économique et c’est ce que nous allons effectuer dans le paragraphe suivant.

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 175-180)