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L’impact de l’inflation forte sur le comportement des agents

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 150-154)

CARACTERISES PAR UNE INFLATION ELEVEE

UNE APPROCHE HORS EQUILIBRE DES INFLATIONS FORTES

III.2. Les différents impacts de l’inflation forte sur le fonctionnement d’une économie: un véritable changement structurel

III.2.2. L’impact de l’inflation forte sur le comportement des agents

Vivre dans une situation d’inflation forte oblige les agents à adapter chaque aspect de leurs activités économiques à un environnement de plus en plus instable et imprévisible. Même les transactions les plus routinières doivent être réorganisées différemment. L’instabilité des prix complique grandement la coordination et la planification des activités économiques présentes et futures. Comme nous avons pu le remarquer précédemment, il est désavantageux en période de forte inflation de recevoir des paiements contractuels - pour reprendre la terminologie de Georgescu-Roegen. Aussi, les agents réalisent des efforts conséquents pour synchroniser les paiements et les recettes de chaque transaction. Bien évidemment tout ne peut être réglé au comptant. A ce propos, il est intéressant de constater que la durée de vie des contrats intertemporels diminue quand les taux d’inflation s’accélèrent. Par exemple, pour une situation où de tels taux sont modérés, l’échéance de ce type de contrat est généralement de 90 jours. Il a été observé qu’au cours de l’inflation forte d’Amérique Latine des années 80 le terme a été ramenée à 7 jours.

Ainsi, quand l’inflation augmente, les agents veulent être payés le plus rapidement possible et se libérer de l’encaissement de leurs ventes au plus vite car la taxe d’inflation érode le pouvoir d’achat des encaisses monétaires. En conséquence, la vitesse de circulation de la monnaie s’accélère et sa fonction de réserve de valeur disparaît progressivement. Pour certains marchés, notamment ceux de l’immobilier et des biens durables, les agents vont préférer être payés en dollars. Concernant le marché immobilier, les vendeurs doivent être capables de fixer un prix pour une certaine période de temps. Aussi, il apparaît naturel que la cotation de ce type de bien soit réalisée en dollars. Du côté des acheteurs, ces derniers doivent le plus souvent placer leur richesse à l’étranger pour pouvoir se procurer les dollars nécessaires à l’acquisition de l’actif immobilier. Malheureusement, l’étude de nombreux épisodes d’inflation forte nous enseigne que le besoin de dollars pour l’achat de biens durables ne s’accompagne pas d’un développement de marchés de crédit libellés dans cette devise internationale. Par exemple, au cours de l’inflation en Argentine des années 80, les appartements étaient payés au comptant et en dollars. Aucun institut de crédit n’était à même de réaliser un prêt en devise étrangère.

Georgescu-Roegen N., (1968), chap 7.,op.cit.

La raison en est simple, lorsque la monnaie domestique est trop instable, il est extrêmement risqué pour une banque de prêter à long terme en dollars. Pour les achats quotidiens la monnaie domestique continue à être utilisée même pour de très forts taux d’inflation. Ainsi, deux monnaies circulent (et parfois davantage) simultanément au cours des périodes fortement inflationnistes. L’utilisation de chacune d’entre elles est spécifique à

certains marchés111.

Les salaires sont payés en monnaie domestique. Les agents s’en servent pour acheter les biens nécessaires à la vie quotidienne et cherchent à épargner le surplus, si surplus il y a, dans un placement permettant d’éviter les méfaits de l’inflation. Pour ce faire, deux possibilités s’offrent à eux: soit (i) placer le surplus dans des dépôts bancaires de très court terme, soit (ii) le convertir en une devise étrangère. Comme au démarrage des périodes d’inflation forte dans les pays en transition de l’Est de l’Europe, les marchés bancaires et financiers étaient très peu développés c’est systématiquement la deuxième solution qui fut choisie par les agents. L’éventail des choix était plus large dans les pays d’Amérique Latine au cours des années 80. Dans ces économies, les banques s’étaient adaptées plus ou moins à la situation d’inflation forte. Grâce à des guichets automatiques, les agents pouvaient retirer leurs encaisses monétaires à tout moment. De même, certains fonds de placement à très court terme et très liquides avaient été introduits. Les agents avaient appris à s’en servir.

Par exemple: Le lundi matin, le chef d’entreprise demande à son banquier de retirer une certaine somme de son fonds de placement et de la placer sur son compte courant. Il se sert de ses encaisses disponibles pour les paiements nécessaires au bon fonctionnement de son entreprise. Le vendredi soir, il s’assure que son compte courant soit bien vide. Si ce n’est pas le cas, il replace le solde dans le fonds de placement pour que la valeur de ce dernier ne s’érode durant le week-end. Si l’inflation augmente, cette pratique hebdomadaire deviendra plus fréquente voir quotidienne si nécessaire.

111

Concernant la dollarisation, comme nous l’avons déjà souligné précédemment, elle prend une grande ampleur dans tous les pays en transition de l’Est de l’Europe. Compte tenu de l’importance de ce phénomène, nous y reviendrons plus en détail dans les paragraphes suivants et notamment dans la quatrième partie lorsque nous étudierons l’inflation forte en Ukraine.

Avec de telles procédés, les agents apprennent à vivre dans une situation d’inflation forte. Plus ils savent faire face économiquement à cette situation, plus pour le gouvernement le seigneuriage comme mode de financement perd de l’intérêt. En effet, comme les agents ne prennent que les encaisses nécessaires à leurs transactions quotidiennes, la demande de monnaie décroît considérablement. Or c’est cette dernière qui constitue la base fiscale de la taxe d’inflation.

Inversement, si la demande de monnaie baisse, les coûts de transaction s’apprécient car les agents font des efforts importants pour diminuer leurs encaisses monétaires. De tels coûts proviennent du fait qu’il n’est pas si simple pour ces derniers de trouver des modalités permettant d’échapper à la taxe d’inflation. C’est d’ailleurs en raison de l’existence de ces coûts de transactions que de nouvelles activités bancaires sont apparues. Le comportement des agents (de plus en plus sophistiqué pour éviter la pression exercée par la taxe d’inflation) a conduit les banques à imaginer de nouveaux produits financiers et donc en conséquence de nouveaux marchés pour ces produits. Cette multiplication des marchés a pu être constatée dans les pays d’Amérique Latine dans les années 80 et en Allemagne dans les

années 20112. Cependant, il faut souligner que ce sont les catégories d’agents les plus informées

qui ont accès aux instruments financiers les plus développés. De plus, l’information n’est pas la seule barrière à l’entrée pour ces marchés, la richesse compte aussi. Les banques fixent

traditionnellement des montants de dépôts minimums pour y accéder113.

L’élévation des coûts de transactions provient en grande partie des efforts et du temps passé par les agents pour acquérir et traiter de l’information. Or, plus l’économie est en déséquilibre, plus le prix de la connaissance est élevé. Plus les élévations de prix sont fortes et erratiques, plus la complexité des décisions à prendre croît. En effet, lorsque les évolutions de prix diffèrent fortement selon les marchés et que le contenu informationnel des prix passés est très faible, les agents peuvent difficilement former des anticipations convenables. Bien évidemment, dans les grandes lignes, ils sont conscients du lien qui existe entre les déficits budgétaires, la monnaie et les prix.

112

Cf. Heymann et Leijonhufvud (1995), p.88, op.cit. et Bresciani-Turroni (1937), op.cit.

113

De telles barrières à l’entrée ne sont pas l’apanage des pays fortement inflationnistes. En France par exemple, l’acquisition d’un contrat MATIF pour la couverture d’une opération à terme coûte 500 000 FF par contrat plus 500 000 FF de dépôt de garantie auprès des instances de surveillance de ce marché.

Cependant, chacun d’entre eux ne disposant pas du même vecteur d’information, leur interprétation individuelle de la situation économique présente, vont différer les unes des autres. Le comportement des agents concernant leurs négociations contractuelles est lui aussi modifié en inflation forte par rapport à celui qui prévaut dans des économies jouissant d’une relative stabilité monétaire. En effet, dans les situations fortement inflationnistes, les agents sont incapables de connaître quelle sera leur situation future ainsi que celles de leurs partenaires commerciaux. De plus avec l’instabilité croissante de l’évolution du vecteur des prix, il devient de plus en plus difficile de trouver sur quelle base fixer le contrat. En conséquence, les contrats de long terme et surtout ceux libellés en terme nominaux apparaissent comme très risqués.

Face à une telle situation, les parties au contrat ont à leur disposition trois solutions:

(i) Elaborer des contrats qui rendent les paiements futurs contingents aux différents états du monde susceptibles d’apparaître dans l’avenir. De tels types d’accords sont très complexes à écrire car personne ne sait véritablement de quoi le futur sera fait et certaines éventualités peuvent être oubliées.

(ii) La maturité des contrats peut être raccourcie, tout en spécifiant des possibilités de renégociation périodiques. L’introduction de mécanismes de renégociation des termes du contrat induit un coût supplémentaire pour ce dernier et de plus, il est impossible de savoir si au moment de la renégociation un nouvel accord entre les parties pourra être obtenu.

(iii) Eviter, autant que faire se peut de contracter lorsque la situation économique devient par trop risquée. Dans ce dernier cas, très peu de transactions peuvent être réalisées et certains marchés disparaissent

L’étude des faits économiques montre que si les taux d’inflation continuent d’augmenter et que la situation monétaire devient extrêmement instable, différentes formes d’indexation au contrat ont tendance à apparaître.

Ces contrats indexés visent à stabiliser les paiements réels en fonction des prix

composant un panier de biens114.

114

Lors de l’hyperinflation de 1923 en Allemagne, les syndicats et le patronat se sont entendus pour mettre en place un système d’ajustement des salaires selon le niveau des prix anticipés pour la semaine à venir. Les

Il existe un impact (que nous avons eu d’ailleurs l’occasion de mentionner à plusieurs reprises) de l’inflation forte sur l’économie dans laquelle elle intervient qui est étroitement lié au comportement des agents. Celui ci porte sur le degré d’utilisation de la monnaie domestique. Jamais, même au cours d’épisodes d’hyperinflation spectaculaires la monnaie domestique n’a été totalement abandonnée par les agents.

Il a toujours fallu la mise en place de programmes de stabilisation par les autorités monétaires pour qu’une nouvelle parité ou devise soit introduite. Le libre jeu des mécanismes monétaires n’a jamais mis complètement au rebut la devise nationale. Or, un tel phénomène n’est pas prédit par la théorie standard des inflations fortes issue des travaux de Cagan et de Bailey. Bien qu’intimement lié aux comportements des agents, il est nécessaire de porter un regard attentif sur ce phénomène économique; c’est d’ailleurs ce que nous allons faire dès à présent.

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