• Aucun résultat trouvé

Les pressions inflationnistes dans les économies non marchandes

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 98-106)

CARACTERISES PAR UNE INFLATION ELEVEE

II. L’APPORT DE LA THEORIE ECONOMIQUE DANS LA COMPREHENSION DES PHENOMENES MONETAIRES, CARACTERISES PAR UNE INFLATION

II.3. Les modèles d’inflation forte appliqués spécifiquement aux économies anciennement planifiées

II.3.1. Les pressions inflationnistes dans les économies non marchandes

Le modèle présenté ici vise à comprendre les pressions inflationnistes et la

stabilisation dans les économies non marchandes78. Il examine les expériences vécues par

plusieurs pays en transition de l’ex-URSS. Ces dernières sont elles-mêmes mises en parallèle avec celles comparables, vécues par des économies de marché. Il tend à montrer qu’en dépit des différences de structure et de cadre institutionnel, les périodes d’inflation dans les économies en transition sont similaires sur de nombreux aspects avec celles vécues par des économies de marché. On retrouve dans les deux cas le manque de discipline fiscale.

Ce modèle souligne deux faiblesses dans une économie de type soviétique, à savoir: L’offre de monnaie est endogène et le système est surdéterminé (dans le sens où à la fois les prix et les salaires sont fixés par les planificateurs).

78

Sahay R., Végh C. (1995) „Inflation and Stabilisation in Transition Economies: A Comparison with Market Economies“, IMF Working Paper/95/8, Janvier 1995.

1/ Lors de la transition vers l’économie de marché, le contrôle centralisé des salaires perd le rôle d’ancrage nominal qu’il avait jusqu’à présent. Au même moment, les économies en transition se sont retrouvées d’une part avec des entreprises d’Etat jouissant de contraintes budgétaires trop souples et d’autre part dépourvues d’instruments leur permettant de contrôler l’offre de monnaie.

Hypothèses

(i) L’économie comprend un grand nombre de consommateurs.

(ii) Pour chaque période, chaque consommateur offre une quantité constante de travail (normalisée à l’unité)

(iii) le seul actif disponible est la monnaie (M)

Côté demande

La contrainte budgétaire par tête des consommateurs résulte de la différence entre le revenu des salaires et les dépenses de consommation. Elle est donnée par l’équation suivante:

(9) Mt+1= Mt +Wtp ct t

Mt représente la détention de monnaie au début de la période t, Pt est le niveau

des prix à la période t. Ct et Wt sont respectivement la consommation par tête et les salaires

nominaux par tête à la période t.

Les consommateurs utilisent de la monnaie pour acheter des biens, soit: (10) Mt =P ct t +Lt

Lt (≥0) représente la quantité de monnaie non dépensée durant la période t et

fournit par la même une mesure de l’accumulation monétaire (souvent dénommée « épargne forcée »).

(11) Mt+1=Lt +Wt

L’offre de monnaie à la période t+1 est donc la somme des salaires et des encaisses monétaires non dépensés à la période t.

Côté Offre

Compte tenu de la quantité de travail disponible et de la productivité, les planificateurs déterminent un niveau de production (y) à atteindre:

(12) yp = f n( )

f(.) représente la fonction de production et n est l’offre de travail par tête (fixée à l’unité). P correspond aux quantités planifiées. Les planificateurs séparent ensuite la production en deux parties: une (C) est mise à disposition des ménages pour leur consommation tandis que l’autre (G) n’est pas vouée à la consommation finale (c’est-à-dire qu’elle sert aux dépenses liées à l’investissement, à l’achat de consommations intermédiaires. En terme plus général l’investissement). Ce qui permet d’écrire:

(13) cp = ypgp

Les profits (z) de la firme représentative sont alors donnés par:

(14) zt =P yt pWt

Comme le gouvernement est propriétaire de toutes les firmes, il taxe donc toutes celles réalisant des profits et couvre les coûts de toutes celles qui font des pertes. Le déficit (D) gouvernemental est donc:

(15) Dt =P gt tzt

(16) Mt+1Mt =Dt

Grâce aux équations (14), (15) et (16), il est possible de déterminer la contrainte budgétaire du gouvernement.

(17) Mt+1Mt +P yt P =Wt +P gt P

L’équation (17) énonce que les ressources à savoir seigneuriage et production (côté gauche) seront utilisées pour les dépenses gouvernementales et le paiement des salaires aux consommateurs (côté droit).

Pour clore le modèle, il faut spécifier quels sont les ancrages nominaux et comment ces derniers évoluent dans le temps. Le modèle comprend trois variables nominales qui pourraient agir comme des ancrages: la monnaie, les prix et les salaires. Dans les économies de marché, le seul ancrage nominal est l’offre de monnaie (ou le taux de change si l’économie est ouverte). En revanche, dans les économies planifiées le principal ancrage nominal est le niveau des prix (P). Par ailleurs, les salaires peuvent également servir d’ancrage nominal à partir du moment où leurs mécanismes de fixation sont centralisés auprès du planificateur. On peut noter que M et L sont les seules variables endogènes de ce modèle.

La stabilité macro-économique

Etant donné le montant initial de monnaie au temps 0 (M0), le niveau constant

des prix ( P ) est fixé de telle sorte qu’il permette aux dépenses nominales d’égaliser M0, soit:

(18) P M c P t = p ≡ 0 t≥0 (autrement dit: Pt cP M P * = 0 ≡ )

Les salaires nominaux sont payés de manière à ce que le montant total des rémunérations versées égalise le montant de la production (planifiée) de biens de consommation au prix fixé:

Compte tenu d’un niveau constant de consommation, cP (déterminé par (12) et (13)), le niveau des prix, les salaires nominaux et enfin le montant initial d’offre de monnaie au

temps 0 (M0), il est possible au travers des équations (9) et (10) de décrire totalement le

secteur de la consommation en déterminant les trajectoires temporelles de M et L.

Résolution du modèle

Résultat (1): Sachant que les quantités de biens consommés sont égales aux

quantités de biens produits pour la même période ( P cp =P Ct t), en intégrant (19) dans (9), on

obtient Mt+1=Mt. L’offre de monnaie est donc constante dans le temps. Il est alors possible

d’écrire Mt=M0 pour tout t. Etant donné ce résultat, et en insérant l’équation (18) dans (10) on

trouve que Lt=0 pour tout t.

Lt = 0 pour tout t montre que la stabilité macro-économique est réalisée s'il n’y

a pas d’épargne forcée ou autrement dit si toutes les encaisses monétaires sont dépensées pendant la période t. Un tel résultat n’est pas surprenant car les planificateurs ont émis la quantité de monnaie nécessaire à la réalisation de l’équilibre réel qu’ils s’étaient fixés.

Cependant, deux problèmes apparaissent à ce niveau d’analyse.

(i) Tout d’abord, l’offre de monnaie est endogène. Si Lt =0 pour tout t alors au

regard des équations (11) et (19) cela signifie Mt+1 =WP =P cP.

En clair, la quantité de monnaie offerte pour la période suivante correspond à la somme des salaires à verser pour cette même période, ce qui est cohérent avec le niveau des prix fixé par le planificateur.

Le cadre institutionnel est apparenté à la doctrine des «real Bills» (Holzmann (1960)). La banque d’Etat garantit des crédits à court terme aux entreprises - en créditant leurs comptes - pour les différents besoins de biens capitaux sortant de la simple période de planification. Tant que les nouveaux crédits ne sont pas utilisés pour payer les salaires, l’offre de monnaie et les prix à la consommation ne sont pas affectés.

(ii) Le deuxième problème, réside dans le fait que le système est surdéterminé au sens où les planificateurs fixent deux variables nominales (prix et salaires). Dès lors, il existe un niveau unique de salaires qui est cohérent avec le principal ancrage nominal ( P ). Aussi, toute déviation des salaires nominaux ou du nombre de biens destinés à la consommation conduira le système à un état de déséquilibre permanent.

Etude d’une augmentation temporaire des salaires

La première source des pressions inflationnistes dans les économies planifiées est la déviation des salaires hors des niveaux fixés. Bien que ceux-ci soient déterminés par le gouvernement, il existe différents moyens de les augmenter, notamment au travers de l’attribution de bonifications ou de promotion sociale au sein de l’entreprise. Pour analyser les effets d’une augmentation temporaire des salaires, il est supposé que ces derniers ont été planifiés jusqu’à la période T. Au temps T il y a une augmentation des salaires et en T+1, ces derniers retournent à leurs niveaux initiaux. Formellement,

(20) W W t T W W t T a Actuel W W t T t P t a t P = ≤ < = = = = >      , , (" " ) , 0 , rem: Wa>WP

Au temps T, on peut déduire de l’équation (19) que Wa >P cP, ce qui implique

au travers de l’équation (9) que MT+1>MT=M0. Posons MT+1 ≡ M’. Dès lors que Wt=Wp pour t

≥ T+1 nous avons Mt = M’. En conséquence l’équation (10) indique que LT = 0 et que Lt=M’-

M0 pour tout t ≥ T+1.

Un tel résultat signifie qu’une augmentation temporaire des salaires nominaux provoque deux augmentations permanentes, d’une part de l’offre de monnaie (M’) et d’autre

part de l’épargne forcée (M’-M0). En résumé, une augmentation temporaire des salaires

provoque un déséquilibre monétaire permanent. Un tel phénomène est dû à la surdétermination du système (à la fois P et W sont fixés). Si l’économie avait un unique ancrage nominal, disons W, alors une augmentation temporaire des salaires ne provoquerait qu’une hausse temporaire de P et M.

A partir d’une situation d’équilibre, supposons une augmentation permanente des salaires au temps T, soit:

(21) W W t T W W t T t P t a = ≤ < = ≥     , , 0

Pour tout t ≥ T, nous avons Wa >P cP (voir (19)) et Mt+1>Mt (voir (9)).

De part l’équation de la contrainte budgétaire du consommateur:

Mt+1Mt =WaP cP, pour tout t≥T. Il est alors possible de déterminer (voir (11)) que

l’épargne forcée pour t≥T s’élève à: Lt+1=Lt+(Mt+1 -Mt). Il s’agit d’une équation croissante à

taux constant. En T+1, les agents vont recevoir des salaires plus élevés, l’offre de monnaie

pour la période suivante va s’élever (Mt+1>Mt), et l’épargne forcée ne va cesser de croître. Un

tel processus va perdurer indéfiniment et sera en permanence alimenté par un fossé grandissant entre les salaires et les dépenses liées à la consommation aux prix officiels.

Soulager les pressions inflationnistes

L’épargne forcée qui apparaît à la suite d’une augmentation permanente des salaires génère un rationnement sans cesse croissant (de l’inflation réprimée) lequel se traduit dans les faits à la fois par des “files d’attente” de plus en plus longues et par un développement du «marché noir».

Afin de mettre un terme à un tel déséquilibre, les planificateurs instaurent un système de prix dual. Ainsi, certains biens sont mis à disposition des consommateurs à un prix fixé alors que d’autres peuvent être vendus sur les marchés libres (principalement dans les fermes collectives). Cela permet dans une certaine mesure d’absorber l’excédent de pouvoir d’achat des consommateurs. L’objectif des autorités est qu’un tel mécanisme puisse provoquer un processus de convergence unifiant les niveaux de prix planifiés avec ceux des prix libres. Sahay et Végh montrent que la présence de marchés libres, à la suite d’une augmentation des salaires, empêche le processus sans cesse croissant d’instabilité monétaire. Grâce aux marchés libres, les agents peuvent dépenser toutes leurs liquidités, lesquelles sont reçues par les entreprises d’Etat. En conséquence, le gouvernement n’a - à la période suivante - pas à augmenter la masse monétaire pour payer des salaires plus conséquents. Cependant, ceci n’est

vrai uniquement que si l’épargne forcée réintègre le système économique contrôlé par l’Etat. Or, dans la plupart des cas, il existe des marchés noirs et les montants d’épargne forcée qu’ils capturent, échappent au système centralisé et ne peuvent être réutilisés à la période suivante pour financer l’augmentation des salaires. En conséquence, en présence de «marchés noir», l’Etat doit à chaque période imprimer une quantité supplémentaire de billets. Dans un tel contexte, lutter contre l’économie souterraine contribue à la stabilité monétaire.

La stabilisation

Compte tenu du rôle passif de la monnaie et du crédit dans les économies planifiées ainsi que du manque d’actifs financiers alternatifs, les traditionnels outils pour stabiliser l’inflation utilisés habituellement dans les économies de marché (taux d’intérêts forts sur les substituts monétaires, opérations «d’open market», augmentation des réserves de change, taux de change fixes...) sont inutilisables dans les économies planifiés. La marge de manoeuvre du planificateur ne se résume alors qu’à un simple contrôle quantitatif de la monnaie et du crédit. Les outils servant à la stabilisation sont donc: le contrôle de l’offre de monnaie auprès des banques d’Etat, le contrôle des prix et des salaires pour diminuer l’écart entre les encaisses monétaires des consommateurs et leurs dépenses, et enfin la capacité à encadrer les prix des biens échangés.

La libéralisation des prix

Pour illustrer les problèmes monétaires auxquels sont confrontées les économies planifiées lors de leurs transitions vers le système d’économie de marché, analysons les effets d’une libéralisation des prix. Supposons qu’au départ, l’économie soit dans une situation

instable - c’est-à-dire, comme dans le cas précédent, que Lt+1=Lt+(Mt+1 -Mt). Au début de la

période T+S, les prix sont libéralisés (sans aucun changement structurel par ailleurs). Les salaires restent sous le contrôle de l’Etat.

Avec la libéralisation des prix, l’épargne forcée est immédiatement éliminée. L’offre de monnaie n’a pas alors à augmenter pour la période suivante. S'il n’y a plus d’épargne

forcée, l’équation (11) indique que: MT S W Pa

+ +1 = , ce qui signifie que MT+S < MT+S+1.

Intuitivement, un tel mécanisme peut se comprendre aisément. Pendant la période T+S, les entreprises d’Etat reçoivent des dépenses de consommation supérieures aux montants de

salaires à verser (soit, Wa P c

T S p

< + ).

Cela conduit l’Etat à réduire l’offre de monnaie pour la période suivante car les

entreprises n’ont eu à payer que Wa en terme de salaires. En vertu de l’équation (18), la chute

de l’offre de monnaie provoque celle des prix. A la suite de la libéralisation des prix, la stabilité macro-économique a pu être rétablie immédiatement car les salaires étaient restés un ancrage nominal. En revanche, si à la fois les salaires et les prix sont libéralisés, et que l’offre de monnaie ne puisse jouer un rôle d’ancrage, alors l’économie bascule dans une dramatique phase d’instabilité.

Le cadre théorique proposé ici par Sahay et Végh est riche d’enseignements. En effet, il permet de synthétiser les principales caractéristiques des économies planifiées pour mieux étudier le relâchement progressif de leurs structures. Il favorise une meilleure compréhension du rôle du Plan, des ancrages monétaires et de la place du «marché noir». Néanmoins, tout comme le modèle de Cagan cette approche reste centrée autour d’une problématique d’équilibre.

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 98-106)