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L’inflation forte: l’archétype d’une situation économique extrême

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 137-142)

CARACTERISES PAR UNE INFLATION ELEVEE

UNE APPROCHE HORS EQUILIBRE DES INFLATIONS FORTES

III.1. L’inflation forte: l’archétype d’une situation économique extrême

Les nombreux problèmes économiques que connaissent, à des degrés variés, la quasi-totalité des pays anciennement membres du bloc soviétique interpellent l’analyse économique. L’inflation forte, voire l’hyperinflation, constitue très certainement LE problème commun à tous ces pays. Aussi, depuis la chute du système de planification centralisée, la situation économique dans cette partie de la planète peut être qualifiée d’extrême. Il est cependant utile de préciser ce que nous entendons par situation économique extrême. Il s’agit d’une situation où la coordination des activités économiques (échange, production, finance) a tellement de difficultés à se réaliser que la viabilité d’ensemble du système concerné est fortement menacée. Le paragraphe suivant (III.1.1.) vise à expliquer quel est l’intérêt pour la Science Economique d’examiner de telles situations.

III.1.1. L’enseignement théorique des situations atypiques

Nombre d’économistes, et notamment les nouveaux Classiques à l’instar de

Robert Lucas96 pensent que l’étude des systèmes économiques subissant de forts déséquilibres

n’est pas d’un intérêt majeur pour la Science Economique. Ces auteurs se situent d’emblée à l’équilibre et considèrent que les situations instables sont des pathologies d’un système dont le fonctionnement est fondamentalement harmonieux. En résumé, il est selon ces derniers

impossible de tirer un quelconque enseignement de tout ce désordre97. Or, il est souvent très

éclairant d’examiner attentivement les situations extrêmes. Une étude des cas pathologiques peut révéler des propriétés des systèmes complexes, lesquelles sont impossibles à déceler si l’on se concentre tout le temps sur l’examen des situations bien ordonnées.

96

Lucas R., (1987) «Models of Business Cycles», Blackwell .

97

"La percée décisive de cette approche vient de ce qu'elle autorise une interprétation en termes d'équilibre

(on pourrait dire dans le langage de l'équilibre ) de n'importe quelle situation observable et, donc, par exemple, de fluctuations éventuellement très irrégulières...Une difficulté analytique majeure subsiste néanmoins: rien ne permet de dire que ce sont des comportements d'optimisation (c'est-à-dire d'équilibre) qui ont engendré les situations observées." (J.l. Gaffard, L. Punzo)

En macro-économie, une telle démarche intellectuelle revient à porter une attention toute particulière aux grandes dépressions, inflations fortes ou aux changements politiques brutaux (tels l’explosion du Gosplan). A cet égard, la remarque de Daniel Heymann et d’Axel Leijonhufvud est claire: “Highly inflationary economies are less well co-ordinated

than they would be if they enjoyed monetary stability”98. Ainsi, étudier une situation

économique caractérisée par de forts déséquilibres revient à s’intéresser clairement au problème de la coordination des activités. Le débat n’est plus de savoir s'il faut étudier des

situations à l’équilibre, dans le corridor, ou loin de l’équilibre99. L’enjeu est ailleurs. Les

situations extrêmes ont l’avantage de montrer à quels niveaux la coordination des activités économiques se réalise difficilement. Grandes dépressions, inflations fortes ou brutales, transitions économiques, constituent des champs d’expérimentations fertiles. Selon Leijonhufvud, l’analyse des problèmes économiques surgissant dans des situations extrêmes permet par la suite une meilleure compréhension des périodes de relative stabilité.

La théorie monétaire standard, dominée théoriquement par les travaux dérivés du modèle de Cagan, repose implicitement sur l’existence d’un commissaire-priseur walrasien. La conception de la coordination sous-jacente, fait référence à un processus centralisé, dans lequel l’allocation des ressources est réalisée par un planificateur central. En optant pour une problématique de l’équilibre, toute cette littérature s’inscrit dans la longue tradition de l’orthodoxie néoclassique. Dans la théorie monétaire standard, il est supposé que les individus rationnels comprennent l’intégralité des conséquences objectives de leurs propres comportements. Ils sont donc capables de mener à bien un calcul d’optimisation. Ce calcul peut s’effectuer car les agents parviennent à lister à l’avance toutes les conséquences de chaque action possible. Dans un tel contexte, la coordination des activités s’opère au sein d’un système dans lequel les agents ont tous accès à la même information. Axel Leijonhufvud conteste cette

Gaffard, J.L., Punzo L., (1995): Introduction au volume n°46, numéro 6 de la Revue Economique de Novembre 1995: L'économie Hors de l'équilibre

98

Heymann D., Leijonhufvud (1995) «High inflation», p.174. op.cit.

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Tout au long de cette troisième partie, nous aurons l’occasion à plusieurs reprises d’utiliser le terme de «corridor» pour qualifier les situations économiques proches de l’équilibre. Lorsque nous utilisons ce terme, nous faisons explicitement référence à la description d’Axel Leijonhufvud. En conséquence, dans le corridor les anticipations sont rationnelles et tous les agents disposent de la même information. De ce fait, le système se comporte conformément aux principes guidant l’équilibre général walrasien: les mécanismes qui ramènent à l’équilibre à la suite d’un choc agissent pleinement.

Leijonhufvud A., (1981) “Information and Coordination: Essays in Macroeconomics” Chap. 6., Effective

conception de la littérature dans laquelle la coordination des activités s’effectue automatiquement au travers la fiction d’un planificateur central.

Comme nous le verrons par la suite, une telle projection est très éloignée de la réalité des économies subissant de forts déséquilibres. Ainsi, il peut être intéressant de rechercher à s’éloigner de cette fiction pour étudier les situations économiques marquées par une forte instabilité. Il s’agit véritablement d’un renversement de perspective et l’enjeu est de savoir en quoi un tel renversement remet en cause l’approche traditionnelle des inflations fortes.

Nous pouvons constater que notre étude sur les phénomènes monétaires à l’oeuvre dans les pays en transition de l’Est de l’Europe déplace progressivement son centre d’intérêt. Après avoir fait un état des lieux (I.) puis s’être intéressé à l’inflation comme phénomène monétaire (II.), voilà que maintenant nous nous apercevons progressivement que l’inflation forte peut être la simple manifestation des problèmes de coordination surgissant au cours d’épisodes de changements structurels radicaux. Passer du Gosplan à des systèmes de marchés décentralisés constitue pour le moins un changement structurel majeur. Nous sommes ici à un tournant de notre réflexion. Nous allons montrer qu’il est nécessaire d’aller au-delà de la proposition de Milton Friedman disant que “Inflation is always and everywhere a monetary

phenomenon”100. Le paragraphe suivant vise à expliquer que cette proposition ne tient plus

lorsque l’on s’intéresse aux périodes de transition vécues par les pays de l’Est.

III.1.2. L’inflation n’est pas un phénomène purement monétaire

Le simple modèle monétaire et fiscal de l’inflation (exemple Cagan 56) représente une économie dans un équilibre de croissance, quelque peu déformée par la taxe sur la monnaie. A part ces quelques différences, tout est comme cela devrait l’être en situation de stabilité monétaire: les marchés opèrent de la même manière, les prix relatifs sont grossièrement les mêmes, les activités sont bien coordonnées.

100

La présentation la plus élaborée prend pour point de départ la formalisation de

Arrow - Debreu posée en terme de marchés complets101. La théorie moderne de la finance est

réalisée entièrement en termes réels, la conversion en terme monétaire est complètement ad hoc. Un tel constat sur l’état de la théorie traditionnelle de la monnaie ne nous situe pas dans une situation favorable pour l’étude des inflations fortes et des hyperinflations. Dans la tradition théorique dominante, basée sur l’équation quantitative, il est possible «d’ajouter» la monnaie à un équilibre général non monétaire.

La théorie moderne de la finance procède aussi de la même manière en déterminant avant tout, les vrais prix des actifs dans un contexte entièrement non monétaire et en y accrochant par la suite la monnaie pour obtenir des prix monétaires. Les théories suivant cette conception ont étroitement réduit, selon Heymann et Leijonhufvud, les voies d’analyse dans lesquelles il est possible d’imaginer une monnaie «non-neutre», affectant le comportement

réel102. En effet, la description de l’inflation que nous avons des modèles monétaires et fiscaux

standards est celle d’une économie (située dans un équilibre général) quelque peu perturbée par la taxe qu’exerce l’inflation sur les équilibres monétaires. Hormis les distorsions directement attribuables à la taxe, l’économie fonctionne correctement comme dans le cas d’une parfaite stabilité monétaire.

Lorsque Milton Friedman affirme “Inflation is always and everywhere a monetary phenomenon”, il veut simplement signifier que l’inflation provoque un déclin du pouvoir d’achat de la monnaie. Sur ce fait, cette affirmation est incontestable mais le problème est ailleurs. Une théorie, telle celle des inflations fortes issue des travaux de Cagan et de Bailey, qui ne cherche qu’à expliquer pourquoi les revenus de seigneuriage atteignent un maximum et ensuite décroissent avec l’augmentation des taux d’inflation, passe à côté de nombreux problèmes posés par toute période fortement inflationniste.

101

Arrow K. (1959) “Toward a Theory of Price Adjustment”, in M. Abramovitz et al., The allocation of

Economic Resources : Essays in Honour of Bernard Francis Haley, Stanford, California.

Debreu G., (1959) “Theory of Value : an axiomatic analysis of Economic Equilibrium” Cowles Foundation for Research in Economics, Monograph N°.17, New York.

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En effet, ce n’est pas tant l’impact de l’offre de monnaie sur les revenus de seigneuriage qui importe mais surtout quels ont été les mécanismes économiques à la source du vaste mouvement de création de nouvelle monnaie. A cet égard, la vraie question à se poser est la suivante: “Why do government chose to let the money stock increase at an inflationary rate ?”.103

A ce propos, nous allons constater que les épisodes d’inflation forte ou d’hyperinflation intervenus récemment, ou bien toujours présents dans les pays en transition de l’Est de l’Europe, sont typiquement d’origine réelle. Ce sont des déséquilibres réels qui ont conduit les gouvernements des économies en question à émettre de la nouvelle monnaie. De plus, les interactions sphère monétaire - sphère réelle dans l’économie s’effectuent dans les deux sens. Des ruptures dans la coordination des activités provoquent des pénuries de financement pour les gouvernements, lesquels sont amenés à imprimer de la nouvelle monnaie. Inversement, la diffusion des nouveaux billets dans la société opère des transferts de propriétés entre les agents et par là-même des modifications dans le fonctionnement de l’économie.

Il s’agit donc maintenant d’étudier cette imbrication de l’inflation forte dans l’aspect réel de l’économie. La question qui nous préoccupera dans le paragraphe suivant (III.2.) sera donc: Quelle(s) influence(s) peut/peuvent avoir de fortes inflations ou hyperinflations sur le mode de fonctionnement d’une économie ?

103

Heymann et Leijonhufvud ne sont pas les seuls déplorer que la théorie des inflations fortes néglige une telle question. D’autres auteurs tels qu’Alex Cukierman et Nicholas Georgescu Roegen font la même remarque. Cukierman A., (1992) “Central Bank Strategy, Credibility, and Independence: Theory and Evidence”, The MIT Press, Cambridge, Massachussets, London, England.

III.2. Les différents impacts de l’inflation forte sur le fonctionnement d’une économie:

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