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Certains marchés disparaissent, d’autres ont tendance à se multiplier

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 157-160)

CARACTERISES PAR UNE INFLATION ELEVEE

UNE APPROCHE HORS EQUILIBRE DES INFLATIONS FORTES

III.2. Les différents impacts de l’inflation forte sur le fonctionnement d’une économie: un véritable changement structurel

III.2.4. Certains marchés disparaissent, d’autres ont tendance à se multiplier

En situation d’inflation forte, la plupart des marchés intertemporels disparaissent. Même pour des inflations modérées, ce phénomène peut être constaté. Par exemple, dans les années 70, les taux d’inflation annuels aux USA ont avoisiné les 15 %. A la même période, il a été possible de constater que les marchés d’obligations à 30 ans ont disparu.

Les contrats nominaux deviennent de plus en plus risqués au fur et à mesure que les taux d’inflation augmentent. Comme le souligne Leijonhufvud, la théorie moderne de la monnaie et de la finance, n’envisage pas le cas où une forte variance soit à l’origine de la disparition du titre concerné d’un portefeuille d’actifs. Il s’agit même du contraire. Selon cette littérature, si la variance du risque s’élargit, les anticipations des agents dans un univers marqué par une forte incertitude vont diverger. De ce fait, leurs décisions vont être très différentes, multipliant par la même les marchés pour répondre à la diversité des raisonnements humains. Même pour les contrats indexés, ce phénomène de disparition des marchés peut être observé.

Lorsque l’inflation devient de part trop erratique, le nombre de contrats indexés à long terme se réduit voir s’annule totalement. Au niveau du secteur bancaire, il a pu être empiriquement constaté que pour de très forts niveaux de croissance de prix, seuls les marchés de crédit à très court terme pouvaient survivre. Pour ce qui est de la réalité des pays de l’Est en transition victimes de l’inflation forte, la question de la disparition des marchés se pose en des termes différents. Les marchés intertemporels concernant les produits financiers n’ont jamais existé. Par contre, si parler de disparition n’a que peu de sens, nous pouvons dire que le climat d’incertitude provoqué par l’inflation forte génère un phénomène de «non-émergence» de marchés intertemporels. Or, l’existence de tels marchés est indispensable à la viabilité du processus de transition.

Pour assurer un développement économique et aménager le changement structurel nécessaire pour y parvenir, des décisions de long terme doivent être prises et tout particulièrement celles relatives à la construction de nouvelles capacités productives. Le financement de tels investissements ne pourra se réaliser que si des outils de financement intertemporels performants existent. Compris dans ce sens, l’un des impacts majeurs de l’inflation forte dans les pays de l’Est en transition est d’empêcher la réussite du passage vers l’économie de marché.

Lorsque la situation monétaire correspond à une véritable hyperinflation, le phénomène de disparition ne concerne plus uniquement les marchés intertemporels mais aussi ceux au comptant. Dans un tel contexte, les agents doivent recalculer leurs plans d’achats et de ventes tous les jours, voire toutes les heures.

Même mettre un produit à la vente devient un acte économique risqué. Pour cette raison, les taux de marge augmentent de concert avec l’accélération de l’inflation. Si la situation devient trop instable, les vendeurs ne vendent plus: il n’y a donc plus de marché. En effet, à partir d’un extrême état de déséquilibre monétaire, le vendeur ne sait plus du tout selon quel référentiel il doit établir son prix117.

Il est enfermé dans un véritable dilemme qui peut s’expliquer de la sorte: «si le bien que j’ai mis en vente à un prix donné intéresse un acheteur peut-être que cela signifie que ce prix est trop faible. L’acheteur doit avoir une meilleure information que moi». C’est un tel

raisonnement que Heymann et Leijonhufvud qualifient de «complexity avoidance»118.

Si les marchés intertemporels ont tendance à disparaître, ceux au comptant ont une propension à se fragmenter. Sous des conditions de relative instabilité monétaire, les modalités d’arbitrage ont tendance à figer les prix relatifs des biens selon leur localisation. Ainsi, la «loi du prix unique» ne s’applique plus, même pour des distances très réduites. La grande variabilité des prix complique toute comparaison. Connaître le prix d’un bien à un certain endroit ne permet pas à l’acheteur de tirer des conclusions quant au prix du même bien

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Heymann et Leijonhufvud signalent qu’au cours de la période d’hyperinflation en Argentine, il était possible de trouver à la porte de nombreux magasins des écritaux sur lesquels étaient inscrit «Fermé pour manque de prix». Heymann D., Leijonhufvud (1995), p.104, op.cit.

dans un lieu différent. En conséquence, alors que la dispersion des prix incite les agents à rechercher plus intensivement, cette quête les laissera sans supplément d’information à l’instant où ils se décideront à acheter. A partir d’un certain moment, les vendeurs constatent qu’ils disposent d’un certain degré de monopole à l’endroit où ils sont situés car l’acheteur ne sait

rien des prix pratiqués ailleurs. Aussi, ils auront tendance à augmenter leurs taux de marge119.

La situation d’inflation forte rend très difficile l’arbitrage spatial à la fois pour le vendeur et pour l’acheteur. Du côté du vendeur, acheter à bas prix un bien à un lieu précis pour le céder plus cher à un autre endroit, prend toujours un certain temps. En situation de forte inflation, cette période de temps doit être raccourcie au maximum sinon la marge bénéficiaire se réduit comme une peau de chagrin. Du côté du consommateur, la dispersion des prix est une forte incitation à se déplacer pour prendre connaissance des différentes conditions du marché. Cependant les écarts de prix constatés par les acheteurs ne sont pas autocorrélés. L’information acquise se déprécie très vite.

En résumé, lorsque l’inflation est faible, il est rentable de se déplacer pour connaître les conditions du marché. Le consommateur y retrouvera toujours son compte. Par contre, lorsque l’inflation est très forte, il n’est pas très profitable d’engager de tels coûts de transaction car l’information acquise perd trop rapidement de sa pertinence.

En inflation forte, les marchés au comptant restent donc très localisés au lieu de vente. Par exemple, il n’existe pas de marché de la vodka à Moscou. Il existe une kyrielle de marchés de la vodka en fonction du lieu et de l’heure où ce produit est vendu. La variation du nombre de marchés dans l’économie participe à ce que Georgescu-Roegen nomme le «changement structurel» d’une économie en situation de forte inflation. Cependant, la nature de ce changement est différente de celle que nous avons présentée précédemment à savoir: le changement structurel issu de la diffusion de la nouvelle monnaie dans l’économie. Certes, de fortes interactions existent entre ces deux types de changements.

Parfois, certaines catégories d’agents se retrouvent tellement appauvries par le transfert de propriété qu’elles décident de stopper leur activité économique. Cependant, il était nécessaire de traiter à part la question de la variabilité du nombre de marchés dans une économie en inflation forte car elle ne se pose pas en terme de transferts de richesses mais

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Ce qui pourrait, se traduire en français par «s’abstenir face à la complexité»

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plutôt en terme d’incertitude et de risque. Il s’agit donc d’un changement structurel que nous pourrions qualifier de «comportemental» alors que celui issu du transfert de propriété est de type «mécanique». Une conséquence importante des inflations fortes qui n’est pas véritablement traitée par la théorie standard que nous avons présentée dans la partie précédente (II.) concerne la variabilité des prix relatifs.

Bien évidemment, l’inflation forte ne se résume pas à une augmentation homothétique du prix de tous les biens et services de l’économie. A ce propos, nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de constater que le prix d’un même bien au même moment pouvait différer selon les différents lieux de vente. Ainsi, les phénomènes de disparition, de multiplication et de fragmentation des marchés participent à la variabilité des prix relatifs. Cependant, il est nécessaire dès à présent de faire le point sur cette question car elle a une influence directe sur la coordination des activités et en conséquence accentue le changement structurel à l’oeuvre dans une économie en transition.

Dans le document Inflation Forte et Transition à l'Est (Page 157-160)