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Section II : Les débats autour des effets des dispositifs participatifs et de la demande de participation

2 Une controverse autour de la demande sociale de participation

2.1 La stealth democracy : une actualisation populiste des théories élitistes de la démocratie

La thèse de John R. Hibbing et Elizabeth Theiss-Morse de la préférence des citoyens américains pour ce qu’ils nomment une stealth democracy286 peut être considérée comme la source de la controverse autour de la demande sociale de participation287 ; c’est dans son prolongement que se situent les études, qui entendent en approfondir ou en nuancer les conclusions288.

Nous résumons d’abord (2.1.1) les logiques de cette thèse, et comment les auteurs la positionnent dans une visée polémique par rapport aux théories participationnistes. Nous la critiquons ensuite (2.1.2) à l’aune de ses faiblesses empiriques qui interrogent les visées de généralisation de ses auteurs. Enfin, (2.1.3) nous abordons les principaux travaux qui se sont inscrits dans son prolongement et ont permis sa reformulation partielle.

2.1.1 La stealth democracy contre les visées normatives participationnistes

John R. Hibbing et Elizabeth Theiss-Morse revendiquent une filiation avec des observations avancées quarante ans plus tôt par Gabriel Almond et Sidney Verba, à propos d’une valorisation des opportunités de participation indépendante du fait de les saisir289 , mais cette filiation va de

pair avec un retournement de l’argument initial. Là où les premiers affirment que « si l’homme ordinaire est intéressé par les affaires politiques, il est plus enclin à s’intéresser au résultat, qu’au processus de décision »290, les tenants de la stealth democracy fondent au contraire leur analyse sur le fait que « le processus/la procédure importe » ; processes matter291. Dès lors, comment la mesure d’une importance accordée aux enjeux procéduraux s’accorderait-elle avec un rejet de l’investissement plus ou moins direct des citoyens dans ce processus d’élaboration et de

286 John R. HIBBING et Elizabeth THEISS-MORSE, Stealth Democracy: Americans’ Beliefs About How Government Should Work, Cambridge ; New York, Cambridge University Press, 2002 ; John R. HIBBING et Elizabeth THEISS- MORSE, « Process Preferences and American Politics: What the People Want Government to Be », The American Political Science Review, 2001, vol. 95, no 1, p. 145‑153.

287 G. GOURGUES, S. RUI et S. TOPÇU, « Gouvernementalité et participation », op. cit., p. 14.

288 Michael A. NEBLO, Kevin M. ESTERLING, Ryan P. KENNEDY, David M. J. LAZER et Anand E. SOKHEY, « Who Wants To Deliberate—And Why? », American Political Science Review, 2010, vol. 104, no 3, p. 566‑583 ; Michael A. NEBLO, Deliberative Democracy between Theory and Practice, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; Guillaume GOURGUES et Jessica SAINTY, « La démocratie participative peut-elle convaincre la population de participer ? Analyse d’une enquête par sondage », in Loïc Blondiaux, Jean-Michel Fourniau, Laurence Monnoyer- Smith et Catherine Neveu (dir.), À quoi sert la démocratie participative ? Un bilan critique des recherches sur les effets de la participation en démocratie, A paraître, 2017

289 G. A. ALMOND et S. VERBA, The civic culture, op. cit., p. 360 et sq. 290 Ibid., p. 161.

291 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, Stealth Democracy, op. cit., p. 6.

décision ? C’est la recherche d’une solution à ce syllogisme qui aboutit à l’énoncé de la préférence pour une stealth democracy.

La démocratie « furtive » ou « discrète »292 se résume en deux courts énoncés : « de manière générale, les américains ne désirent pas une démocratie directe »293 et « si les gens ne sont pas enthousiastes à l’idée de contribuer aux décisions politiques, ils veulent savoir qu’ils pourraient le faire, si jamais ils en avaient le désir »294.

La thèse de la stealth democracy s’inscrit dans une typologie d’ensemble des modalités démocratiques. Dans leur classification trois catégories d’acteurs interviennent à deux instants : la décision et ce qui la précède. Ces trois types sont : (1) le peuple, (2) les élites rendant des comptes mais en partie intéressées (accountable but partially self-interested), (3) les élites objectives mais invisibles et ne rendant pas compte (largely invisible and unaccountable). Ces différentes entrées sont croisées295 pour qualifier différentes formes démocratiques, en complément desquelles viendraient la stealth democracy, qui correspond au croisement d’une délibération et d’une décision par des « élites objectives mais invisibles », quand les autres formes correspondent à des élites partiales qui décident et délibèrent (gouvernement représentatif) ou laissent le peuple délibérer (jurys citoyens, sondage délibératif) ou décider (référendums). Les exemples du peuple décidant et délibérant sont les town-hall meetings, les jurys d’assises et la « démocratie Navajo » 296.

Ainsi, la mesure de l’apathie politique est interprétée comme le signe d’une préférence pour un système de décision dans lequel les individus ordinaires interféreraient le moins possible. Et ses auteurs extrapolent cette interprétation en faisant intervenir des « élites » dont les principales qualités seraient l’objectivité et l’invisibilité, avant le fait d’être tenu de rendre des comptes. En quelques mots, le démocrate discret s'incarne proverbialement dans l’adage : « pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». La seule chose qui rend cette forme de gouvernement non pleinement

292 Stealth est difficile à traduire convenablement. Les auteurs l’évoquent d’abord en référence à un objet assurément lointain : la technologie des avions militaires pour échapper aux radars. La furtivité ou la discrétion ne qualifie pas directement l’acte de participer qui serait caractérisé par une intermittence* ou une oscillation entre action publique et bonheur privé**. La furtivité concerne les procédures démocratiques elles-mêmes, ou plus exactement l’appréhension qu’en ont les citoyens, qui les souhaiteraient effectives mais le plus invisibles possibles. La stealth democracy qualifie donc avant tout les « croyances quant au (bon) fonctionnement du gouvernement », ainsi que le précise le sous-titre de l’ouvrage. Le « démocrate discret » incarnerait un potentiel troisième intervenant dans le dialogue prescriptif sur la citoyenneté que M. I. Young élabore entre le « démocrate délibératif » et le « militant »***. Lui ne souhaite pas prendre une part directe à la politique et préfère des procédures qui fonctionnent sans nécessiter son intervention. *Marion CARREL, Catherine NEVEU et Jacques ION, Les intermittences de la démocratie. Formes d’actions et visibilités citoyennes dans la ville, Paris, L’Harmattan, 2009 ; **Albert O. HIRSCHMAN, Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983 ; ***Iris Marion YOUNG, « Activist Challenges to Deliberative Democracy », Political Theory, 2001, vol. 29, no 5, p. 670‑690.

293 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, « Process Preferences and American Politics », op. cit., p. 150. (notre traduction ; ; idem pour les autres citations)

294 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, Stealth Democracy, op. cit., p. 239. (notre traduction - idem pour les autres citations)

295 Ibid., p. 164 ; 239.

296 En référence à Amitai ETZIONI, The new golden rule, 1996. L’ouvrage décrit dans des tribus amérindiennes un système de prise de décision fondé sur un dialogue continu jusqu’à l’unanimité, sans recours au vote.

On note que ce cas est le seul pour lequel les auteurs recourent à une qualification historiquement située, plutôt que de recourir à une description procédurale (« décision par consensus ») comme pour les autres croisements. Un procédé qui peut laisser à une disqualification ethnocentrique, reléguant cette option à des systèmes sociaux éloignés des sociétés occidentales contemporaines.

réalisée c’est la méfiance des citoyens, qui croient « à juste titre » à l’impossible impartialité des représentants et de ce fait « manifestent un intérêt de pure forme quant à l’idée de s’impliquer davantage eux-mêmes »297.

Leur position s’inscrit dans une controverse avec les théories participationnistes ou délibératives et les visées normatives attribuées à une délibération rendant les citoyens « meilleurs ». Les auteurs dénoncent l’élitisme dont feraient preuve ces théoriciens, en refusant d’entendre le désir de non-participation et surtout en ne tirant pas pleinement les conclusions des démonstrations empiriques de non-réalisation des attentes normatives.

« Eliasoph, Mansbridge ou Fiorina [...] alors que cela n’était pas dans leurs intentions font un récit très critique de la possibilité de diverses formes de participation de permettre des expériences politiques significatives et bénéfiques [...] En dépit de cela [...] ces universitaires trouvent difficile de se sortir de leur esprit que la solution reste de faire participer sur des enjeux complexes des personnes qui ne le souhaitent pas »298.

Nous retrouvons dans le contexte français, cette idée d’une contribution des sciences sociales « à accréditer l’idée d’une demande sociale de participation sans questionner sa réalité, ses conditions de production, son caractère inégalement réparti »299, mais les auteurs étatsuniens

voient plus loin en évoquant des militants d’une science normative qui forts de leurs postulats ne se mettent plus au niveau des populations.

« Croyant les individus hautement capable de remplir leurs devoirs citoyens, [ils/elles] refusent d’écouter ce que ces personnes ont à dire. Quelle que soit exactement l’activité [i.e. le dispositif participatif] qu’ils promeuvent [...] en ont tous conclu qu’ils avaient le droit d’infliger leur processus préféré à un public décidément peu enthousiaste. [...] Ces penseurs croient fondamentalement que la politique non participative [...] n’est pas ce que les gens veulent, mais plutôt ce qu’ils ont été forcés à accepter parce que les élites les ont écartés avec dédain. Mais [d’après nous] Si [les gens] voulaient [participer], ils le feraient »300.

Dans un article postérieur, ils dénoncent explicitement une sophistication de la participation d’après eux vouée à l’échec, alors que « la plupart des citoyens ordinaires ont peu de désir de s’engager dans des discussions sur les politiques publiques [...] [et ce] quelle que puisse être l’inventivité derrière le forum artificiel (contrived forum) »301. Ce faisant, ils adoptent

une posture de sens commun, postulant la supériorité d’une supposée évidence « naturelle » de la participation sur sa mise en forme « technique ».

« Il existe une autre stratégie en vogue pour permettre l’engagement citoyen, c'est-à-dire faire qu’ils rejoignent les nombreuses associations civiques bénévoles qui existent déjà ou se regroupent avec des connaissances ou des voisins [...] les sujets abordés n’ont pas besoin d’être litigieux ou nationaux, et les participants n’ont pas à être sélectionnés aléatoirement ou préparés avec un apport d’information. Les gens ont simplement besoin de se rencontrer en face à face et le reste se mettra en place. »302

Ainsi les auteurs, en un sens pris au même piège que les théoriciens de la délibération qu’ils interpellent, prêtent à leur résultat une portée universelle et normative qui peut s’avérer

297 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, Stealth Democracy, op. cit., p. 238. 298 Ibid., p. 243.

299 Cécile BLATRIX, « Des sciences de la participation : paysage participatif et marché des biens savants en France », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, 2012, no 79, p. 59‑80, p. 67.

300 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, Stealth Democracy, op. cit., p. 232. (nous soulignons)

301 John R. HIBBING et Elizabeth THEISS-MORSE, « Citizenship and Civic Engagement », Annual Review of Political Science, 2005, vol. 8, no 1, p. 227‑249, p. 227.

302 Ibid., p. 228. (nous soulignons)

problématique. Une critique facile est de souligner que ces interprétations nous en apprennent probablement plus sur les chercheurs que sur les enquêtés. Une critique qu’eux-mêmes anticipent en consacrant leur conclusion à « l’accusation d’élitisme »303 dont ils pourraient faire l’objet. Pourtant, il n’y a rien d’inadéquat, ni rien de problématique en soi, à considérer la stealth

democracy comme une relecture des théories démocratiques élitistes : en impliquant une

dimension ontologique faisant de chaque citoyen en matière politique, un Bartelby qui en toutes circonstances « préférerait ne pas », c’est ce qu’elle est.

2.1.2 La stealth democracy, démonstration empirique ou déploiement d’un axiome théorique ?

Cette affirmation s’avance comme une démonstration empiriquement fondée, mais elle n’en présente pas moins des limites, par ailleurs rarement évoquées dans les discussions qui se concentrent sur les conclusions304. Nous revenons ici à la source du propos pour interroger de

possibles limites méthodologiques et souligner le sentiment d’emphase interprétative qui peut accompagner sa lecture.

L’ouvrage principal s’appuie sur l’analyse de réponses à des sondages d’opinion et des focus

groups : une enquête nationale auprès de 1266 répondants sur leur perception de la politique et 8

sessions avec une demi-douzaine de participants invités à débattre des institutions actuelles et de celles qu’ils désireraient. Ces données dans leur conception et leur interprétation comportent des présupposés qui nous interpellent. Ainsi les indicateurs censés définir le profil d’un partisan de la stealth democracy − que les élus arrêtent de discuter et agissent ; faire des compromis c’est trahir ses principes ; des experts ou des entrepreneurs au gouvernement305− reprennent des traits

qui ont pu par ailleurs être analysés comme technocratiques ou populistes306. Plus généralement

c’est la construction même de la catégorie de « démocrate discret », c’est-à-dire qui marque sa préférence pour une « démocratie furtive ou discrète », qui pose question307.

Dans l’échantillon national un quart s’accorde sur au moins une, moins de la moitié sur deux et un quart sur trois de ces formulations. Mais ces résultats ne sont guère contextualisés dans l’espace social ; seuls les niveaux d’éducation et des tendances démocrates, au sens partisan étatsunien, sont corrélés négativement avec ce qui est dit comme étant un « support pour une démocratie discrète », mais avec des écarts faibles et non significatifs308. Prenons un exemple : interrogeant la perception de la « représentativité » du pouvoir, les auteurs s’étonnent que cela soit « le groupe généralement vu comme dominant dans la société américaine - des hommes blancs éduqués d’âge mûr - qui considère tendanciellement le plus que le système actuel ne

303 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, Stealth Democracy, op. cit., p. 320.

304 Une exception notable est la contribution de Guillaume Gourgues et Jessica Sainty qui en prenant du recul sur la controverse pour en tester les fondements empiriques soulignent « une certaine artificialité du débat » fondé sur des travaux expérimentaux et quantitatifs dont les capacités de « montée en généralité » et d’application au « monde réel de la participation » demeurent fortement limitées.

G. GOURGUES et J. SAINTY, « La démocratie participative peut-elle convaincre la population de participer ? Analyse

d’une enquête par sondage », op. cit.

305 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, Stealth Democracy, op. cit., p. 143.

306 Paul WEBB, « Who is willing to participate? Dissatisfied democrats, stealth democrats and populists in the United Kingdom: Who is willing to participate? », European Journal of Political Research, 2013, vol. 52, no 6, p. 747‑772. 307 Michael M. ATKINSON, Stephen WHITE, Loleen BERDAHL et David MCGRANE, « Are Canadians Stealth Democrats? An American Idea Comes North », American Review of Canadian Studies, 2016, vol. 46, no 1, p. 55‑73. 308 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, Stealth Democracy, op. cit., p. 146.

représentent pas les intérêts de tous les américains »309. Ce point reste mis en avant comme une

« incohérence », sans jamais être interrogé au regard des inégalités sociales et culturelles en matière politique. Au contraire chaque résultat semble avancé de manière isolée et assorti d’un implicite ceteris paribus. En ce sens une tentative de réitération du volet qualitatif de la recherche originelle dans le contexte français310 souligne la difficulté à tirer des conclusions quant à la

perception du système démocratique par les citoyens, du fait de la forte variabilité des raisonnements et des jugements selon les groupes sociaux. Ces chercheurs rappellent l’importance de la prise en compte de la classe sociale, du niveau d’engagement et de l’orientation politique. Dans leur étude, plutôt qu’une distinction nette entre démocrates discrets ou délibératifs c’est un sentiment récurrent de défiance et d’impuissance politique qui est le résultat qualitatif le plus tangible.

Certes, J. Hibbing et E. Theiss-Morse complètent à la marge leurs résultats en mobilisant des données qualitatives pour faire valoir qu’ils s’expliquent en partie du fait de référentiels différents. Par exemple dans leurs extraits d’entretiens utilisés, les dominés valorisent davantage des formes de reconnaissance symbolique que des enjeux politiques : « s’ils ne demandent pas des solutions à leurs problèmes, ils demandent respect, sensibilité et compréhension »311. Mais cette mobilisation n’est qu’illustrative et ne vient pas amender la thèse d’une préférence transversale pour une « démocratie discrète », qui semble finalement fondée sur une agrégation de logiques éparses, alors que les éléments de preuve mobilisés pourraient largement remettre en cause sa définition et sa portée312. Pourtant, juxtaposer l’affirmation que « les gens souhaitent que le processus de décision relève d’un équilibre entre les représentants élus et les personnes ordinaires, mais perçoivent que le processus actuel est dominé par les titulaires d’une charge publique »313, et qu’ils n’en tirent aucune conclusion, devrait ramener la démonstration vers le

sujet de la compétence politique et de l’impuissance perçue et réelle des acteurs en la matière. L’horizon interprétatif peut ainsi apparaître déconnecté des données de l’enquête qui sont rendues accessibles ; sans que cela n’oblitère nécessairement la pertinence et l'intérêt d’une partie du propos : l’importance des préférences procédurales, la mesure de la défiance vis-à-vis du politique et l’impasse que constitue le fait qu’aux écueils de la participation la seule solution envisagée soit davantage de participation. Ils notent en ce sens que les effets attribués à la participation seraient en fait davantage ceux de l’engagement dans des mouvements sociaux et ses rétributions. L’erreur de la démocratie participative serait de généraliser trop hâtivement ces résultats empiriques en attentes normatives décontextualisées, ce qui rejoint les études des effets contrastés de l’engagement au sein de dispositifs participatifs. Ils l’évoquent d'ailleurs à travers

309 Ibid., p. 153.

310 Communication de G. Gourgues, A. Mazeaud, H. Nez, J. Sainty, J. Talpin, « French discontent with stealth democracy. Do French people want more or less participation in political decising-making ? », ECPR 2015, draft paper, non publié.

311 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, Stealth Democracy, op. cit., p. 157.

312 « On peut demander n’importe quoi à n’importe qui [...] qui a presque toujours assez de bonne volonté pour répondre au moins n’importe quoi à n’importe quelle question, [...] [ne pas se poser] la question de la signification spécifique des questions [c’est risquer] de trouver trop aisément une garantie du réalisme des questions dans la réalité des réponses qu’elles reçoivent [...]Toutes les fois que le sociologue est inconscient de la problématique qu'il engage dans ses questions, il s'interdit de comprendre celle que les sujets engagent dans leurs réponses » Pierre BOURDIEU, Jean-Claude PASSERON et Jean-Claude CHAMBOREDON, Le Métier de sociologue, Paris, Mouton-Bordas, 1968, p. 62.

313 J. R. HIBBING et E. THEISS-MORSE, « Process Preferences and American Politics », op. cit., p. 152.

des entretiens collectifs où les participants « réagissent souvent de manière chaleureuse à l’idée [d’avoir] plus le droit à la parole dans une démocratie directe, mais rapidement émettent des doutes quant à sa faisabilité ou la volonté des gens de s’impliquer en politique ou d’avoir les compétences civiques pour ce faire »314, mais ce faisant omettent une autre interprétation possible, pourtant en lien avec l’affirmation processes matter : l’effet des opportunités de participation et leurs conditions.

2.1.3 De la perception du régime politique aux conditions de la participation

La thèse de la stealth democracy a à son actif d’être à l’origine de questionnements sur la pertinence de la demande sociale de participation. Outre son caractère provocateur − supporté par une citation romanesque sans équivoque : « je ne pense pas à la politique… C’est un de mes foutus droits américains adorés que de ne pas penser à la politique »315 - censée résumer la position de la majorité des citoyens et qui en interroge l'ancrage nord-américain, c'est leur conclusion affirmant que « les individus ne souhaitent pas consacrer plus de temps à s’impliquer en politique, et ce quelle que soit la forme que pourrait prendre cet engagement »316 qui a pu

sembler trop ambitieuse et fonder la controverse.

Ainsi différents développements et contre-arguments interrogent cette précision finale : « quelle que soit la forme », pour penser à quelles conditions l’offre pourrait à l'inverse susciter l'intérêt et la participation. C'est sur ce point que se fondent la plupart des contre-arguments : c'est par l'amélioration de l'offre et des possibilités de participer que peut être empiriquement contredite la thèse de la préférence pour une démocratie discrète.

Dans le contexte britannique, Paul Webb propose une différenciation du profil « furtif » distinguant démocrates « déçus » et « furtifs » et suggère que les premiers sont majoritaires mais à la participation latente faute d’offre convaincante, tandis que le rapport ambigu à l’engagement des seconds souligne la composante populiste de ce profil317. En Finlande, une étude propose de tester des correspondances entre les parcours de participation et l’expression de préférences procédurales - représentatives, technocratiques, participatives - pour mettre en évidence leurs conséquences sur les pratiques mais aussi leurs sensibilités au contexte318. Ce dernier point fait

néanmoins débat puisqu’il a aussi été mesuré que les préférences déclarées des citoyens ne se traduisent pas par un engagement effectif dans un dispositif participatif319. Pour ces derniers

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