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Section I : Retour sur la sélection des terrains, entre approche localisée et comparée

2 Exploration des cas logiques manquants à partir des configurations politiques locales

Pour compléter ce retour sur le choix des terrains, nous adoptons une approche en creux, visant à interroger et à expliquer les aspects non couverts par la sélection. Il n’est pas ici question de traiter de cas réels, qui n’auraient pas été retenus pour l’enquête − nous traitons à part ce point dans l’encadré C2-1 − mais de proposer une exploration des cas logiques manquants, à partir des variables liées aux configurations politiques locales. En effet, il nous semble avoir suffisamment argumenté les apports de notre sélection du point de vue des caractéristiques sociodémographiques et des cadres procéduraux des offres de participation. Mais la relative similarité de nos terrains du point de vue des contextes politiques locaux interroge légitimement dans quelle mesure nous aurions pu enrichir notre comparaison.

Nous abordons d’abord, (2.1) les logiques de la comparaison par les variables plutôt que par les cas, pour décrire les cas logiques absents, puis (2.2) nous nous centrons sur l’absence la plus évidente de notre sélection : la non-présence de villes gouvernées par la droite403.

Encadré C2-1 : Les enseignements de deux « cas manqués » : précisions de la problématique et de la posture de recherche

Au-delà des cas manquants, notre enquête de terrain a aussi connu des cas « manqués » ; autrement dit des lieux que nous avons finalement choisi de ne pas retenir, souvent après une étude documentaire − par exemple pour Grigny (Grand Lyon), Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine) − voire une première phase de terrain pour deux d’entre eux : Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine Maritime)et Saint- Herblain (Loire-Atlantique). Leur non-retenue a permis d’éclairer rétrospectivement notre problématique. Ce développement fait aussi le lien avec la section suivante, dédiée à notre posture de recherche. En effet, c’est la recherche d’une convergence entre notre recherche et notre statut de salarié, qui explique la tentative de leur intégration à l’enquête.

Saint-Etienne-du-Rouvray, ville communiste de 28 000 habitants, commande en 2013 un appel d’offre portant sur un « marché de mission de conseils et d’accompagnement stratégique et méthodologique de la politique de démocratie locale ». Dans la réponse écrite avec nos collègues, nous incluons un « état des lieux de la participation citoyenne sur la ville », faisant le lien avec notre position de chercheur et notre thèse. L’entreprise remporte la mise en concurrence, mais la mission qui devait s’effectuer sur deux ans est finalement annulée, du fait de restrictions budgétaires et de la réorganisation du service démocratie participative.

Malgré l’impossibilité de cumuler les positions de consultant et de chercheur, nous avons d’abord conservé l’idée de faire de cette ville un terrain. Nous nous sommes rendu sur place en février 2014, pour une journée d’observation et la réalisation d’un premier entretien avec le chargé de mission démocratie participative, suite à laquelle nous sommes revenu sur notre décision. Notre journal de terrain évoque ainsi cet épisode : « sur le fond, je ne suis pas sûr de l’adéquation entre ma recherche et ce que j’ai pu entrevoir. [...] Mon enquête actuelle s’attache à un objet : les parcours des participants, mais dans un contexte : celui d’une offre de dispositifs participatifs municipaux [...] d’où un possible décalage [...] Saint Etienne me semble un terrain intéressant, mais pour une thèse qui serait différente. Souvent les personnes rencontrées ont employé des termes du type « cela se joue dans l’informel », « c’est un travail de fourmi », « un travail quotidien »… [...] Faire une étude intéressante nécessiterait soit, dans une posture d’observation, une démarche ethnographique poussée [...], soit d’être dans une posture “d’intervention sociologique“ »404.

403 Nous remercions ici Julien Fretel d’avoir soulevé à juste titre cet aspect lors de la présentation de notre recherche à l’occasion du bilan des thèses organisé par notre école doctorale en octobre 2014.

404 Journal de terrain – Impressions suite à la journée à St Etienne du Rouvray, février 2014. Le style s’explique du fait que ce texte ait d’abord été rédigé comme brouillon d’un courriel d’explication auprès des personnes sollicitées, avant de comprendre leur statut de notes personnelles permettant d’expliciter un sentiment de non-adéquation avec notre projet de recherche, et donc de ne pas les partager, pour leur préférer un appel téléphonique.

En l’absence d’intervention conjointe avec le cabinet, il est apparu que nous n’étions pas en mesure d’observer les logiques de la production et de la réception d’une offre institutionnelle de participation, telle définies dans les premières vagues d’enquête. La mise en cohérence d’une telle offre aurait justement été l’objet de l’intervention annulée du cabinet-conseil. Cette remarque interroge le rôle des prestataires privées, dans la circulation des méthodes en matière de démocratie participative, et nous avons à partir de là davantage inclus cet aspect.

Par ailleurs, ce cas manqué illustre une forte articulation entre la « participation citoyenne » et « l’éducation populaire ». Alors qu’il souhaitait nous présenter des agents en charge des différents dispositifs participatifs à inclure dans l’étude, le fonctionnaire nous a fait faire la tournée des différents centres sociaux de la ville, dont les activités étaient fortement éloignées de l’idée d’une mise en discussion des politiques municipales. Il nous a été par exemple proposé de suivre un spectacle de danse, dit « participatif », au sens où une chorégraphe professionnelle travaillait avec des habitants, dont certains vivaient des situations sociales difficiles, pour monter avec eux un spectacle. Cet exemple a été le plus évident pour nous faire comprendre, que nous ne donnions pas la même signification aux termes « dispositifs participatifs ». Là encore, ce constat nous a incité à davantage inclure cet aspect dans l’étude des logiques de l’offre. Les offres de participation que nous avons retenues relèvent de « la participation citoyenne », plutôt que de « l’empowerment » ou de « l’injonction participative », comme exposé dans le premier chapitre405.

La non-retenue de ce terrain de recherche a permis de mieux expliciter la délimitation de notre objet d’étude et de comprendre en quoi les cas retenus permettaient effectivement de le traiter. Enfin, le protocole que nous avions déjà déployé par deux fois n’était guère reproductible : il comprenait une première vague de questionnaire suivie d’observations et d’entretiens, là où il aurait fallu plutôt pouvoir assumer un engagement ethnographique, que ne permettaient pas la poursuite des autres activités en tant que salarié. En ce sens, le choix de notre protocole, outre l’intérêt d’avoir un éclairage quantitatif sur la participation, est à comprendre au regard du temps disponible dans le cadre d’une Cifre supposant un emploi salarié à plein temps.

Saint-Herblain, ville socialiste de 44 000 habitants, commande une étude à un consultant indépendant à l’automne 2014, dans la perspective de la refonte de son offre de participation, et la préparation de « rencontres de la démocratie locale ». Notre employeur nous a détaché en tant que sous-traitant auprès de ce consultant, pour réaliser une série d’entretiens avec des responsables de centres sociaux et des conseillers de quartier. La temporalité délayée de la refonte de l’offre de participation rendait l’inclusion de ce terrain improbable. L’approche de ce cas nous a donc été imposée dans le cadre de notre emploi salarié et nous pourrions simplement dire que n’avons pas réussi à faire de nécessité vertu en la matière. Nous avons rapidement convenu de ne pas le retenir, pour des raisons d’incompatibilité des postures de prestataire et de chercheur qui nous sont apparues clairement lors des entretiens. En effet réaliser des entretiens chronométrés, en étant mandaté par la municipalité dans un but de réorganisation, implique une relation d’enquête qui n’est guère propice à un questionnement qui dépasse ce cadre utilitariste.

Cette enquête a ainsi été réalisée en un mois et demi, et nous n’avons pas ensuite donnée suite à l’éventualité d’y donner suite. Nous l’avons considérée au même titre que l’ensemble des activités réalisées en tant que salarié : un contre-point, nous permettant d’enrichir nos données et de mettre nos terrains en perspective ; par exemple en constatant la similarité des postures et des questionnements des conseillers de quartier. Le principal apport analytique de cet exemple de terrain possible a été l’intuition d’une évolution à l’œuvre dans la logique de l’offre de participation, avec une volonté de remplacer les instances pérennes de quartier par une participation ponctuelle par projets. Deux ans plus tard, ces intuitions sont explicitement résumées sur le site internet de la ville : « Les premiers dialogues herblinois, organisés à l’automne 2014, ont permis de renouveler en profondeur les instances de participation et de privilégier le mode projet et le pragmatisme. » Nous revenons plus loin sur ce résultat de notre enquête, mais signalons simplement ici que c’est à l’occasion de cette prise de distance avec nos terrains que ce cadre d’analyse nous est apparu pour la première fois, ce qui rappelle l’intérêt « d’aller voir ailleurs » pour enrichir la connaissance des cas. Ce terrain entrevu, nous a également permis d’entamer une réflexion sur notre posture de recherche, les applications et les implications d’une recherche menée au moins formellement dans le cadre d’une Cifre.

2.1 La description des cas du point de vue des contextes politiques locaux

Les contextes politiques locaux des trois terrains peuvent être simplifiés par réduction en quatre variables. D’abord, l’ancrage politique local de la ville : est-ce historiquement une ville

405 M. CARREL, Faire participer les habitants ?, op. cit., p. 60.

dont les électeurs votent plutôt à droite ou à gauche aux élections locales ? Ensuite, la position politique, revendiquée par les membres des listes élues sur un programme de démocratie participative, variable qui se prolonge en interrogeant la composition de ces listes : listes locales, associatives ou citoyennes, ou listes issues de partis politiques nationaux ? Enfin, ayant saisi les contextes politiques locaux à travers la notion de configurations d’alternance, quelle est la pérennité de celle-ci : est-ce que cette liste, suite à la mise en place de son programme participatif, a été réélue ? De là, il est possible de (2.1.1) convenir d’une série de zones d’ombres dans notre sélection, mais qui peuvent (2.1.2) trouver une explication empirique.

2.1.1 Les cas logiques absents du point de vue des contextes politiques locaux

 Tableau C2-6 : Description simplifiée des configurations politiques locales BRUZ LANESTER ARCUEIL Ville ancrée localement à droite (1) / à gauche (0) 1 0 0

Liste « citoyenne » (1) / de « parti politique » (0) 1 1/0 0/1 Liste étiquetée à gauche (1) 1 1 1

Liste réélue 0 1 1

A partir de cette réduction matricielle, il est possible de saisir aisément les cas théoriquement manquants en nous concentrant sur une comparaison par variables plutôt que par cas406, afin d’en réduire la complexité407. En nous concentrant ici sur les cas manquants plutôt que les cas retenus nous mobilisons l’approche dans une perspective logique, à partir du principe que les cas ne couvrent pas l’intégralité des configurations envisageables. Ces absences ne sont pas pour autant d’emblée dommageables à notre analyse : elles sont un renseignement à part entière et nous aident à situer, tant l’objet d’étude que les cas. Il ne s’agit pas ici de justifier illusoirement le fait de ne pas couvrir l’ensemble des configurations potentielles à partir de trois terrains, mais au contraire de comprendre que le fait que certaines caractéristiques soient plus ou moins prégnantes est significatif.

Le premier cas théorique absent est celui d’une « liste étiquetée à droite ». Dans les trois villes choisies les équipes municipales revendiquent une appartenance à « la gauche », sans pour autant mettre en avant une étiquette partisane d’un parti politique national. A notre sens, cette absence est un enseignement qui souligne l’importance de la variable partisane ; nous la traitons à part. Auparavant, nous nous concentrons sur les autres cas manquants qui sont moins évidents car impliquant une combinaison de variables. Le tableau C2-7 met en évidence les absences logiques, une fois acquise l’absence de villes de droite.

 Tableau C2-7 : Définition des cas théoriques manquants Cas

manquants Ville_Droite Citoyenne Réélection Traduction

406 Charles C. RAGIN, The comparative method: moving beyond qualitative and quantitative strategies, Berkeley, Etats-Unis d’Amérique, University of California Press, 1987 ; Charles C. RAGIN, Fuzzy-Set Social Science, Chicago, University Of Chicago Press, 2000.

407 Gisèle De MEUR, Benoît RIHOUX et Frédéric VARONE, « L’analyse quali-quantitative comparée (AQQC) : un outil innovant pour l’étude de l’action publique », Pyramides. Revue du Centre d’études et de recherches en administration publique, 2004, no 8, p. 137‑148 ; Benoît RIHOUX, Gisèle de MMEUR, Axel MARX, Geert VAN et Peter BURSENS, « Une “ troisième voie ” entre approches qualitative et quantitative ? », Revue internationale de

politique comparée, 2004, vol. 11, no 1, p. 117‑153.

A 0 0 0 Une ville ancrée localement à gauche, avec un exécutif local

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