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Section I : Les configurations d’alternance par la démocratie participative

3 Arcueil, mutations et glissement du communisme municipal à la gauche citoyenne

3.2 Continuités et évolutions du communisme municipal

Un des aspects importants de ce cas est donc la question de l’héritage du communisme municipal. Le principal trait qui ressort est celui d’une certaine continuité, principalement pris en charge par la figure mayorale qui fait figure de consensus entre les résistances communistes et les velléités socialistes. Ainsi (3.2.1) le glissement depuis le communisme municipal à la démocratie participative s’effectue principalement au travers du maire actuel. Ce cas permet avec Lanester (3.2.2) d’interroger la pertinence des liens entre un historique communiste local et l’émergence d’offres de participation volontaristes.

3.2.1 Le glissement au travers de la continuité de la figure mayorale

A Arcueil, à partir de 1997, c’est la première fois que l’exécutif local est dirigé par un maire n’appartenant pas et n’ayant jamais formellement appartenu à un parti politique ; il se désigne

583 Entretien 103, Arcueil, avril 2015, Gilbert, 62 ans, Fonctionnaire territorial, Natif ; Habitant référent - assemblée de quartier - Président Entente Citoyenne

tout au plus comme « compagnon de route ». Cette parenthèse dure une dizaine d’années, jusqu’à ce qu’il décide de cumuler l’appartenance à « Entente Citoyenne » avec une adhésion à Europe Ecologie Les Verts. La ville devient ainsi comptabilisée parmi les mairies écologistes, concernée, de justesse au vu de sa taille, par l’accord inter-partisan au niveau national entre PS et EELV. L’entente citoyenne initiale devient soluble dans l’union des gauches plurielles584.

L’affiliation du maire d’Arcueil à un parti politique national, EELV, suite à la dynamique que cette formation a pu connaître en 2010 est en ce sens symptomatique d’une certaine insuffisance d’une étiquette uniquement « citoyenniste ».

« Ça a été difficile, je trouve que c’est dommage, et je pense il s’est fait avoir (rires), mais bon c’est tout. Il le sait que je pense ça. [...] Alors sa démarche au démarrage c’est de dire Europe Ecologie les Verts c’est la même démarche qu’Entente citoyenne parce que c’est un rassemblement de gens qui veulent discuter avec des idées autour de l’écologie [...] Mais, sauf que ça a un fonctionnement de parti politique, et que c’est bien Les Verts qui ont bouffé Europe Ecologie Les Verts. Parce que c’est comme ça qu’ils font. [...] Quand il y a un groupe de citoyens ou une association qui fonctionne on fait de l’entrisme et on les récupère et après on se les approprie. » (Entretien 98, Arcueil, avril 2015, Cécile, 60 ans, Fonctionnaire territoriale, Plus de 30 ans ; Ancien élu, EC, adjointe à la démocratie participative, 1997-2008)

La réalisation de l’union des gauches passe en partie par un dispositif dénommé « la fabrique citoyenne », qui vise à associer les habitants, de fait souvent des militants ou bénévoles associatifs locaux, à la formulation du contrat de mandature, mais auxquels les membres des autres formations peuvent être invités à participer. Ce rôle d’union par les dispositifs a été explicite lors de la campagne électorale de 2014, lorsque la section socialiste s’est divisée quant à l’opportunité de faire liste commune ou non dès le 1er tour avec le maire sortant. Ce sont

finalement les fidèles « au maire et à sa démarche »585 qui ont gain de cause et obtiennent par la

suite différentes délégations importantes pour la mandature (habitat, culture, finances, démocratie).

La continuité avec la tradition du communisme municipal transparaît également à travers la forte influence de la figure mayorale, que résume l’ancien président d’Entente Citoyenne, depuis en retrait de la politique : « La ville telle qu’on la voit, c’est Daniel B. »586. Le premier édile oscille ainsi entre la figure du « maire animateur », dans le cadre de la démarche de promotion de la participation citoyenne et d’animation d’une équipe municipale ouverte sur la société civile, et la figure du « maitre bâtisseur », sa ville ayant sous sa mandature bénéficié de crédits pour la rénovation urbaine : « deux ANRU, pour une petite ville comme Arcueil c’est énorme, et puis on y a mis beaucoup d’énergie »587. Ces deux thématiques se rejoignent du fait de l’opportunité que constitue la rénovation urbaine pour la mise en œuvre de démarches participatives, et qui permettent d’affirmer cette volonté politique.

Le maire justifie ainsi son engagement en faveur de la participation citoyenne du fait de son parcours, sur lequel nous revenons ensuite, et du contexte socio-politique d’un territoire où cette démarche préexiste en partie. C’est néanmoins sous son mandat que le vocable de démocratie

584 Dans un communiqué, l’élu « se félicite de cet aboutissement qui consacre le rassemblement de toutes les familles de la gauche [PC, Front de gauche, EELV et PS] ainsi que de très nombreux citoyens », Le Parisien, 30/01/2014 585 Journal de terrain, discussion avec une élue socialiste, automne 2014

586 Entretien 76, Arcueil, mars 2015, Michel, 62 ans, Retraité. Infographiste, Plus de 30 ans ; Habitant référent - Membre Entente Citoyenne

587 Entretien 38, Arcueil, juin 2014, Daniel, 62 ans, Maire, EELV, EC (1997-2016)

participative est clairement revendiqué et que des actions s’inscrivant dans ce mot d’ordre sont développées à travers différents dispositifs participatifs et la création d’une mission citoyenneté dans les services. La succession du précédent maire communiste, après un mandat de plus de trente ans, a ainsi pris la forme d’un passage de relais, dans une forme d’euphémisation de la rhétorique communiste partisane au profit d’une référence à une « gauche plurielle citoyenne », puis « écologique ». Mais la transition avec le communisme municipal se caractérise aussi par une série de ruptures. Ce glissement s’inscrit plus généralement dans le déclin de l’activité militante partisane et l’encadrement des classes populaires que celle-ci permettait.

« Historiquement dans nos villes le parti communiste était très implanté, c’est évident, y compris dans la vie des quartiers, des associations de quartier. A partir du moment où on a commencé à décliner… dans la vie du quartier notamment, ça n’a pas été remplacé… On est retombé dans l’individualisme qui était quand même tempéré par une activité militante, la fête du quartier, tout ça. Ça a pas été remplacé c’est clair, le militant qui passait tous les dimanches vendre l’Huma… D’une manière ou d’une autre l’activité militante a décliné quelle que soit les partis ». (Entretien 103, Arcueil, avril 2015, Gilbert, 62 ans, Fonctionnaire territorial, Natif ; Habitant référent - Président Entente Citoyenne)

Depuis les deux derniers mandats, la démocratie participative s’inscrit dans un jeu de pouvoir assez clair avec le Parti Socialiste membre de la majorité. Mais là où à Lanester la démocratie participative reste la marque distinctive et le pré-carré de Lanester Nouvelle Citoyenneté avec, et en même temps contre, le Parti Socialiste. A Arcueil son possible renouveau est fortement mis en avant et investi par l’adjointe, membre du Parti Socialiste et venue à cette thématique par la campagne de 2007 de S. Royal. Cette élue a soutenu la candidature de Daniel B. contre les tentations socialistes de faire liste à part en 2014, mais perçoit au-delà de cette allégeance et du respect qu’elle porte à celui qui incarne cette démarche à Arcueil, la possibilité d’asseoir une position locale en investissant cette démarche, et possiblement de rendre possible une victoire du Parti Socialiste dans cette ville des futures échéances électorales qui verront mettre en question la succession du maire actuel. Nous retrouvons ici une fragilité commune à l’ensemble des démarches étudiées : leur faible pérennité au-delà de la carrière des élus qui les promeuvent et en premier lieu des maires.

C’est bien pourtant le poids politique du leader de la majorité, qui permet en premier lieu la politique d’ouverture de la liste.

« Quand monsieur Trigon n’a plus été maire, il a fallu composer un petit peu avec nos amis des partis politiques, pour asseoir vraiment son successeur qui était Daniel B. .Donc on a été un peu moins nombreux (rires) de la mouvance citoyenne et un peu plus nombreux des partis, d’autant plus qu’on s’était constitué en association qu’on a appelé Entente Citoyenne.[...] Les assemblées de quartier ont peut-être été à un moment un enjeu politique, donc on avait décidé que telle assemblée serait dirigée par tel parti… voilà on a malheureusement retrouver à un moment… l’esprit de départ a un peu buté sur le fait qu’il fallait dire qu’il y aurait tant d’assemblées avec… tant du PS, tant du PC, et voilà. La politique nous a un peu rattrapés. [...] Les assemblées de quartier ont un peu stagné à ce moment-là. C’est curieux parce que quand vous faites une liste pour les municipales, au départ quand Monsieur Trigon dit : la moitié sera non membres de partis politiques. C’est génial, ça marche. Le suivant c’est Daniel B. et il n’a pas la même ancienneté… les partis politiques reviennent (rires) en reprenant un peu de vigueur et à ce moment-là il y a plus de politique qui intervient. Et maintenant qu’il en est déjà à son 3ème mandat, pour ce mandat il a de nouveau imposé que la moitié soit pas membres de partis et les assemblées s’en portent mieux. » (Entretien 102, Arcueil, avril 2015, François, 58 ans, Médecin, Entre 20 et 30 ans ; Elu, EC, conseiller municipal, depuis 2001)

Dans le cadre de notre étude Arcueil est ainsi marquée par des similitudes avec le cas lanestérien, mais aussi par une plus forte présence des partis politiques nationaux, dont la présence tend à invisibiliser la place de l’association politique locale qui a dans un premier temps servi d’étiquette unique au nouveau maire. La promotion de la démocratie participative, si elle a servi d’assise à une politique d’ouverture vers la société civile dans un premier temps, a ainsi depuis été largement reprise par les partis politiques locaux de gauche unis, au moins électoralement, sous la bannière du maire sortant.

3.2.2 Les liens avec l’historique communiste : similitudes entre Arcueil et Lanester

Du point de l’état des forces politiques, cette période des années 1990 correspond aussi à une période de déclin du communisme municipal pour se concentrer sur les cas d’Arcueil ou Lanester. Dans les territoires dits de la « banlieue rouge », le PCF passe de 54 communes dirigées en 1977 à moins d’une trentaine quarante ans plus tard. Tandis que ses résultats électoraux nationaux s’effondrent également588, à l’échelle nationale le parti revendique l’administration de 380 villes comptant 7,7 millions d’habitants en 1977, 227 pour 4 millions en 1995 et 145 pour 2,3 millions en 2014589. Les mandats durant lesquels émergent les alternances participatives dans

les villes étudiées correspondent ainsi à un communisme municipal, dont l’ampleur a été divisée de moitié par rapport à la fin des années 1970. Cette référence demeure néanmoins une donnée importante pour comprendre l’implantation des politiques municipales de participation publique que celles-ci s’inscrivent dans une rupture comme à Lanester ou une continuité à Arcueil.

D’ailleurs la comparaison entre les deux villes peut même s’entendre sur une période bien plus longue. Les histoires de ces deux communes comportent en effet des similarités initiales constitutives de leur devenir social et politique. Ce sont deux communes récentes, créées au début du XXème siècle des suites d’une scission avec une autre commune (Caudan à Lanester, Cachan à Arcueil). Ces scissions territoriales recoupent aussi des oppositions sociales, Caudan et Cachan sont à l’époque les entités plus rurales et bourgeoises tandis que Lanester et Arcueil se caractérisent par une activité industrielle et un peuplement ouvrier. Ces conditions de création déterminent ensuite fortement l’histoire politique de ces villes, liées au mouvement ouvrier et après la libération à un parti communiste auréolé de l’investissement de ses militants dans la résistance. Dans la période contemporaine, dans les deux cas, nous retrouvons les mutations idéologiques et politiques d’un parti à la recherche de nouveaux repères identitaires dans le contexte d’un déclin électoral et politique local.

Ainsi que l’observent Héloïse Nez et Julien Talpin la « démocratie participative est apparue aux yeux des élus communistes comme un moyen de répondre à un déclin politique local [...] une opportunité de reconstruire une identité positive »590. Mais ce constat se fait en rappelant

également la nécessaire contextualisation de ces remarques, car les initiatives liant démocratie participative et communisme municipal dans le contexte plus général des élections de 1995 et 2001 restent minoritaires : la démocratie participative n’est pas un mot d’ordre national du parti,

588 Julian MISCHI, Le communisme désarmé: le PCF et les classes populaires depuis les années 1970, Marseille, Agone, 2014.

589 Roger MARTELLI, L’archipel communiste: une histoire électorale du PCF, Paris, Éd. sociales, 2008 ; Roger MARTELLI, « L’archipel urbain du PCF », Métropolitiques, 2014.

590 H. NEZ et J. TALPIN, « Généalogies de la démocratie participative en banlieue rouge », op. cit., p. 103‑104.

elle est davantage fortement liée à des individualités. C’est cette importance de la référence à des individus et leurs trajectoires qui se retrouvent dans chacun de nos terrains : des dissidents, des réformateurs qui vont remettre en cause l’ancrage partisan par la référence à la démocratie participative. Cette importance des individualités rapproche les deux exemples d’Arcueil et Lanester plus qu’elle ne les éloigne. En effet, nous y retrouvons des nouvelles générations d’élus en quête de distinction électorale qui implique un certain détachement vis-à-vis du parti politique. Nous revenons plus largement sur ces aspects en détaillant les parcours des élus, mais ce lien est d’emblée perceptible compte-tenu des contextes politiques locaux et de la temporalité des alternances.

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