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Section II : Les parcours individuels des élus participatifs

2 Les parcours de trois maires participationnistes et la conversion de ressources familiales, militantes ou professionnelles

2.3 Philippe, « un parcours professionnel pas sans rapport avec le fait d’être maire »

Encadré C3-11 : Parcours et récit biographique, Philippe, maire de Bruz, 2008-2014

Période Parcours Récit

Diplôme

DEFA (Diplôme d'État relatif aux fonctions d'animation)

« J’ai commencé par faire de la formation d’animateur [...] j’ai été directeur d’un organisme national de formation à Paris »

1983 Arrivée en Bretagne

« Pour des raisons familiales et personnelles »

« On a hésité entre Nantes et Rennes [...] une grande ville, parce que j’avais peu que, avec le fait d’avoir été directeur assez jeune d’un organisme national, les gens se disent « c’est un planqué qui cherche [...] à se reposer en Bretagne ». »

1984

Directeur du Centre Information Jeunesse Bretagne

« J’ai développé beaucoup d’action autour de l’expression des jeunes [...] un journal [...] des rencontres avec les élus ».

Membre du bureau et du CA de l’association l’ARC

« je me suis engagé très rapidement dans une structure associative, l’ARC, qui travaillait sur l’animation jeunesse et inter-associative de Bruz »

« même avant [d’être en Bretagne] le truc classique : parents d’élèves, engagé syndical, le militant syndical classique »

1990 Création d’une association d’insertion « qui a beaucoup travaillé sur la place des demandeurs d’emploi, leur expression, et pas seulement ce qu’on fait pour eux »

1996

Chargé de mission jeunesse à la ville de Rennes

« A la demande d’Edmond Hervé [maire de Rennes 1977-2008] j’ai rédigé un rapport sur les jeunes et la cité [...] suite à ça il m’a demandé de venir travailler à la ville. »617

« C’est un poste qui n’existait pas avant il n’y avait pas de service Jeunesse »

1996 Création de l’association Bruz, à venir

« Une association pour réfléchir ensemble à la manière dont les habitants pouvaient prendre la parole et s’organiser, donner leur avis même quand on leur demandait pas, parce qu’à ce moment personne leur demandait »

« On a commencé à labourer le terrain en organisant quelques réunions, des cafés citoyens [...] on était tous des gens de gauche, mais personne encarté ».

2001

Directeur de l’Association pour la promotion de l’action et de l’animation sociale depuis 2001618.

« ça c’est pour l’histoire professionnelle, c’est pour que tu me situes. » « En parallèle, ce qu’il faut peut-être dire, c’est que j’ai toujours été [...]

persuadé [...] que finalement l’être humain a une capacité d’expression énorme, mais que très souvent il est contraint à ne pas dire, peut-être parfois à ne pas penser… C’est pour ça que j’ai beaucoup fait de l’expression, de la prise de parole, du dialogue… une constante. »

2001 Conseiller municipal d’opposition

« C’était dans la logique de notre réflexion, et en 2001 on s’est dit on va y aller… un peu pour voir [...] on avait complètement oublié qu’il y avait des partis à gauche ! On s’est fait rattraper par le collet [...] on a eu un débat très dur, surtout avec le PS et les Verts [...] finalement on a obtenu la tête de liste [...] on a bossé ensemble [...] fait un super programme [...] mais on s’est pris 33% aux élections ! »

617 Patricia Loncle reprend antérieurement des éléments qui soulignent l’habitude pour l’élu de raconter son parcours dans le cadre d’un entretien et d’articuler et de mettre en cohérence ces différents éléments biographiques en lien avec la thématique de la participation :

« La missions jeunesse de la ville de Rennes a été créée, après les élections de 1995, suite à la production d'un rapport commandé par Edmond Hervé à Philippe C., alors directeur du CJIB. [...] Le rapport faisait apparaître des décalages [par rapport aux] demandes exprimées par les jeunes [...]. Ce constat conduit à l'institutionnalisation de la mission jeunesse. [...] Pour le dire autrement, la mission jeunesse contribue à renouveler les formes légitimes d'interpellation des jeunes. [...] Il s'agit de promouvoir cette nouvelle forme d'approche des jeunes que la grammaire locale désigne comme de la participation. » (P. Loncle, Pourquoi faire participer les jeunes ?, Paris : L’Harmattan, 2008 p.193-195)

618 « Créée en 1977, l’Apras réunit la ville de Rennes, Rennes métropole, le département, la caf, les organismes hlm. Ses missions principales sont l’observation sociale pour mieux comprendre la réalité sociale et ses évolutions, et le développement et l’animation de projets partenariaux dans le champ du social » « Un dispositif atypique. Mesure de réparation en Ille-et-Vilaine», Les Cahiers Dynamiques, n°35, 3/2005, p. 10-13

Période Parcours Récit

« j’avais été sollicité [comme tête de liste] mais c’était pas mon truc [...] et c’est le moment où j’étais candidat à l’Apras, donc pas très astucieux en plus professionnellement ».

2001 Création de Bruz cap à gauche

« Quand on a été battu, on s’est retrouvé le lendemain et on a créé une association [...] Bruz cap à gauche, parce que les partis nous avait reproché d’être pas assez clairement à gauche, de pas l’afficher suffisamment »

« Elle a quand même regroupé entre 60 et 80 personnes pendant 7 ans [...] ça a été la phase de préparation de notre projet municipal ».

2004 Création du collectif Cap 2008

« On a lancé des actions, un journal trimestriel [...] et à mi-mandat on a créé un collectif pour préparer les municipales [...] on a proposé tout de suite qu’il y ait 4 de Bruz Cap à gauche, 3 du PS, 3 des Verts, 1 de l’UDB, on a sollicité le PC, il y avait personne »

« On a commencé à faire des actions en direction du public [...] on était les fous du secteur. »

2007 Désigné tête de liste

« J’étais pas candidat au départ [...] j’étais très bien dans mon rôle d’animateur de la démarche [...] et un certain nombre de collègues l’ont voulu [...] il y a eu une élection j’ai été élu à 80% »

« De suite j’ai pris la parole et j’ai dit ce qui va se passer : création de groupes projets, de groupes recherches, dix-sept groupes de travail avec des règles très… vraiment dans l’animation, mais des trucs cadrés ».

2008 Retraite

« J’avais plein d’autres projets pour ma retraite que je n’ai évidemment pas pu réaliser »

« Si j’avais pas été élu j’aurais travaillé dans ce domaine, j’avais d’autres projets autour de la citoyenneté [...] reprendre une idée lancée par Edmond Hervé d’un institut de la citoyenneté [...] la transformer pour être dans un travail d’accompagnement, des trucs comme ça, peut-être qu’elle vous [cabinet Missions Publiques] aurait concurrencés aussi ! »

2008 Maire Conseiller communautaire, vice-président à l'insertion, commission cohésion sociale

« Tout le monde sait bien que c’est moi suis porteur, enfin initiateur, de cette place de la démocratie locale dans notre projet »

« La démocratie locale elle est vécu comme un moyen, c'est-à-dire un certain nombre de techniques, de lieux, d’actions, d’espaces… Mais en même temps elle est pour moi [...] une philosophie, une conception de la citoyenneté [...] Et je le dis avec mon expérience de militant [...] j’étais un timide, j’ouvrais pas le bec »

« Je reverrai toujours une réunion publique où une personne au fond m’avait dit « mais monsieur le maire, c’est pour ça que vous avez été élu, décidez vous- même ! » ça m’est resté… [...] Mais je crois qu’il y a une plus-value, toujours dans cette vision humaniste, à ce que le pouvoir soit partagé… »

« L’agglo [...] je connais bien [...] ça fait trente ans que je travaille dans tous ces réseaux. [...] le maire avant moi était un opposant fort à l’agglo [...] on a créé des liens, on a repris notre place [en tant que] deuxième ville ».

2014

Conseiller municipal d’opposition

Conseiller métropolitain

« Nous serons 7 membres de la liste à siéger au conseil municipal. Nous serons particulièrement attentifs à la mise en œuvre des promesses de l’équipe en place, en matière de démocratie locale, d’équipements nouveaux, de développement économique, de culture, de services, mais aussi de gestion financière... »

(extrait du bulletin municipal, juin 2014)

« Durant le mandat précédent, nous avons beaucoup innové en matière de démocratie locale. Après quelques expérimentations, nous avons mis au point une boîte à outils disponible dans un guide remis à tous les bruzois. Chaque année, le Conseil Municipal était appelé à débattre et à voter un plan d’actions de la démocratie locale. Nous avons été à plusieurs reprises -et sommes encore aujourd’hui- invités à témoigner de notre expérience auprès d’autres collectivités qui veulent faire participer les habitants.

La nouvelle majorité n’a pas souhaité mettre en place le plan voté début 2014. C’est son droit. Mais aucun débat sur ce thème n’a été proposé au Conseil. [...] Que sont devenus les ateliers [...], comités [...] et groupes...qui ont pourtant produit des résultats visibles et souvent appréciés ? [...] Les visites dans les quartiers vont-elles reprendre ? Y aura-t- il des réunions publiques ? Les

Période Parcours Récit

modifications récentes du PLU l’auraient mérité pour éviter des malentendus. Que 2015 soit l’année d’une démocratie vivante et sans cesse réinventée, afin que reculent le désintérêt et l’abstention et que progressent l’implication et l’engagement citoyens. » (extrait bulletin municipal, janvier 2015)

Le parcours du maire de Bruz illustre une autre configuration. Philippe est originaire de la région parisienne et n’est arrivé dans la région que dans les années 1980, soit une trentaine d’années avant son premier mandat de conseiller municipal. Son cas illustre une conversion de ressources professionnelles dans le domaine politique ; tout comme Thérèse répond d’emblée en mettant en avant son histoire familiale, Philippe s’attache avant tout à retracer les grandes lignes de son parcours professionnel.

« D’abord il y a une histoire personnelle. Je suis en retraite depuis que je suis maire, à quelques mois près, et j’ai un parcours professionnel qui n’est pas sans rapport avec le fait d’être maire. Même si j’ai pas fait grand-chose pour l’être. En dehors de l’aspect anecdotique et personnel de cette affaire-là, je peux seulement te retracer mon parcours. En fait de formation je suis animateur, animateur professionnel, j’ai un seul diplôme qui est le DFA, qui ne s’appelait pas à l’époque le DFA ça n’a pas d’importance, et en fait j’ai un parcours un petit peu particulier. J’ai commencé par faire de la formation d’animateurs, et j’ai été directeur d’un organisme national de formation à Paris. Jusqu’au moment où pour des raisons familiales et personnelles, on a décidé un beau matin, on s’est dit « dans un an on part en Bretagne ». On a choisi la Bretagne un peu au hasard. » (Entretien 10, Bruz, sept. 2012, Philippe, 65 ans, Retraité. Directeur d'établissement social, Plus de 30 ans ; Maire, BCAG 2008-2014)

Ce récit de la carrière professionnelle, militante puis politique se déroule tout au long de l’entretien. Par exemple son « seul diplôme d’animateur professionnel » et son expérience professionnelle sont rapportés comme facteurs explicatifs de sa désignation comme tête de liste en 2008, après un mandat dans l’opposition municipale.

« J’étais pas candidat, au départ. Moi c’était pas mon truc. Quand je dis ça c’est vraiment pas de la flagornerie et tout… J’étais très bien dans mon rôle d’animateur de la démarche. C’était moi qui était principalement l’animateur et tout ça… Mais je me voyais très bien avoir un rôle… d’abord, j’avais plein d’autres projets pour ma retraite, que je n’ai évidemment pas pu réaliser… Donc j’étais pas là-dessus, et un certain nombre de collègue m’ont dit « Philippe, il faut que tu sois candidat ». On a pas mal discuté, pas mal hésité, et puis finalement, je me suis dit « j’y vais ». [...] J’avais quand même réfléchis à la suite, et [...] je leur avais dit, « je peux vous dire, ce qui va se passer si je suis élu... ». Et donc..., là tout de suite, j’ai pris la parole et je leur ai dit, voilà ce qu’il va se passer, je vous l’avais annoncé, ça c’est le deuxième temps : c’est la création de groupes projets, et de groupes recherches. Et j’ai proposé la création, c’est allé très vite, de dix-sept groupes de travail, avec des règles très... vraiment dans l’animation, mais des trucs très cadrés. C’est pour ça que je me retrouve assez bien dans ce que vous animez ici. (sourires) » (Entretien 10, Bruz, sept. 2012, Philippe, 65 ans, Maire, BCAG 2008-2014)

Ce parcours professionnel, qu’il lie à sa désignation comme candidat au sein du rassemblement politique local est axé sur la thématique de l’animation et sur l’insertion dans les réseaux administratifs et politiques au niveau de l’intercommunalité. Il est d’abord directeur du Centre d’Information Jeunesse Bretagne, et président de l’association nationale liée. Ce poste l’amène à fréquenter Edmond Hervé, maire de Rennes et membre du Parti Socialiste, qui le sollicite pour un rapport sur ces sujets avant de lui proposer son futur poste en tant que directeur du service jeunesse, nouvellement créé, dans cette municipalité. Il y reste cinq ans, avant de postuler et de devenir directeur de l’Apras, un organisme parapublic œuvrant dans le champ de l’action sociale et du logement. Par ailleurs Philippe s’est très rapidement engagé dans la vie associative locale, en étant notamment à l’origine avec son épouse d’une association d’insertion

professionnelle. Il résume son parcours comme « le truc classique » : parents d’élève, adhérent à la CFDT…. Ces différentes étapes précèdent la création d’une association « Bruz à venir », qui s’avère être le tremplin de la future liste candidate malheureuse en 2001, puis heureuse en 2008.

« Moi je connais bien ce secteur là si tu veux, professionnellement ça fait trente ans que je travaille dans tous ces réseaux… d’autres réseaux locaux… et c’est vrai que c’est peut-être aussi pour ça que les collègues ils m’ont choisi [...] j’avais une connaissance de l’agglo qui… Edmond Hervé est venu durant notre campagne par exemple, personnellement, parce qu’il voulait s’impliquer. Voilà, je crois que c’est clair. Bruz n’a jamais été à gauche avant nous. » (Entretien 10, Bruz, sept. 2012, Philippe, 65 ans, Maire 2008-2014)

C’est le cumul de ces différentes expériences qui l’amène à investir la démarche participative comme étant au fondement de sa candidature : cette façon de procéder, et son lexique (animation, groupe de travail, enquête sociale, observatoire sociologique, groupe-projet), sont ancrés dans son parcours. De fait, celui-ci ressemble à celui de certains professionnels de la participation, et alors que nous le rencontrons au lendemain d’une formation animée par un collègue du cabinet Missions Publiques, il multiplie les références à cette profession, qui a pu constituer à un moment une perspective pour lui ; ces « projets pour [s]a retraite, qu[‘il n’a] évidemment pas pu réaliser… »

« Si j’avais pas été élu j’aurais travaillé dans ce domaine, j’avais d’autres projets autour de la citoyenneté [...] reprendre une idée lancée par Edmond Hervé d’un institut de la citoyenneté [...] la transformer pour être dans un travail d’accompagnement, des trucs comme ça, peut-être qu’elle vous [cabinet Missions Publiques] aurait concurrencés aussi ! » (Entretien 10, Bruz, sept. 2012, Philippe, 65 ans, Maire 2008-2014)

A noter que si la thématique de l’expérience et de la compétence professionnelle est omniprésente, le fait que faire participer ne s’improvise pas, « j’ai des collègues aussi qui ne savent pas faire (sourires), qui nous ont un peu planté des groupes… par leur manque de savoir- faire d’animation » ; elle est aussi régulièrement convertie au travers du prisme de la passion et de l’engagement, comme pour en préciser la sincérité qu’elle recouvre.

« Ça c’est pour l’histoire professionnelle, c’est pour que tu me situes. En parallèle, ce qu’il faut peut-être dire, c’est que j’ai toujours été un… On le retrouve à travers ça… Beaucoup persuadé… ça c’est une question de philosophie, humaine et humaniste… [...] C’est que finalement l’être humain a une capacité d’expression énorme, mais que très souvent il est contraint à ne pas dire, peut-être parfois à ne pas penser… C’est pour ça que j’ai beaucoup fait de l’expression, de la prise de parole, du dialogue… une constante [...] C’était aussi dans des engagements associatifs dans lesquels j’étais. J’étais engagé depuis très longtemps. Toujours un peu la même idée, c’est de chercher comment… Au-delà de l’impulsion institutionnelle. » (Entretien 10, Bruz, sept. 2012, Philippe, 65 ans, Retraité. Directeur d'établissement social, Plus de 30 ans ; Maire, BCAG 2008-2014)

Cette constance « philosophique » constitue le mot de la fin de notre entrevue. Alors qu’il doit mettre un terme à notre discussion du fait de ses obligations, le maire tient à ramener ce thème sur le devant de la discussion, à laisser cette dernière impression. La relecture de l’entretien laisse ainsi entrevoir un fil argumentatif sincère mais parfaitement maîtrisé, les indices de prise de contrôle sur le déroulement de l’entretien sont récurrents en ce sens619.

619 Hélène CHAMBOREDON, Fabienne PAVIS, Muriel SURDEZ et Laurent WILLEMEZ, « S’imposer aux imposants. A propos de quelques obstacles rencontrés par des sociologues débutants dans la pratique et l’usage de l’entretien », Genèses, 1994, vol. 16, no 1, p. 114‑132 ; Sylvain LAURENS, « « “Pourquoi” et “comment” poser les questions qui fâchent ? ». Réflexions sur les dilemmes récurrents que posent les entretiens avec des « imposants » », Genèses, 2007, no 69, p. 112‑127.

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