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Section II : Les parcours individuels des élus participatifs

1 Les parcours des adjoints à la démocratie participative : entre légitimité locale, partisane et participative

1.1 L’opposition entre légitimité partisane et associative

A la lecture du tableau, un fait premier ressort : la prégnance de la variable « membre fondateur du rassemblement politique local ». Ainsi, la thématique reste largement un pré-carré, dans la suite de la stratégie distinctive déjà évoqué. Le cas d’Arcueil semble pourtant faire exception, rappelant une importance plus forte des partis dans cette ville, nous l’approfondissons comme révélateur de la concurrence entre ces deux voies d’accès à une délégation importante dans ces villes.

A Arcueil, la délégation est d’abord occupée durant les deux premiers mandats par une nouvelle élue, membre d’Entente Citoyenne, dont la présence sur la liste est sollicitée au titre de son engagement associatif. Ces premières années sont alignées sur la politique d’ouverture aux non-membres de partis. C’est lors de la passation de pouvoir en faveur du maire actuel, qu’elle devient adjoint délégué à la démocratie participative durant deux mandats.

594 Cette variable binaire est simplifiée : bien souvent les élus sont ou ont été membres d’associations locales. Ici, si nous encodons certains négativement, c’est pour souligner que ce n’est pas principalement à ce titre qu’ils ont rejoint la liste. Il ne s’agit donc pas de dire strictement si ces élus sont membres ou pas d’une association, la réponse serait alors positive pour la plupart, mais si cette appartenance est au fondement de leur désignation comme adjoint.

Encadré C3-6 : Parcours politique de Cécile, adjointe à la démocratie participative - Arcueil, 1997-2008

« On habite à Arcueil depuis 84 [...] [pour] le travail de mon mari, moi je me suis occupé des enfants on en a eu cinq [...] on est arrivé ici parce qu’il a trouvé du travail à Paris tout simplement [...] Moi j’ai soixante ans presque, cette année. [...] [après mes mandats] j’ai passé les concours de la fonction publique [...] [Le mandat d’élue] j’y suis arrivée parce que j’avais été sol… Enfin j’étais fort engagée dans la vie associative, et donc avec… automatiquement, une vie associative ça fait une participation à la vie de la cité, et donc m’a donné l’occasion de rencontrer différents élus, de travailler avec eux dans le cadre d’associations. Et c’est comme ça que j’ai été sollicitée pour devenir élue. [...] J’étais dans des associations, notamment des associations de parents d’élèves et j’étais un peu remuante. [...] Donc les élus sont venus, et quand on est parent d’élève on a des contacts avec les élus quand même. Donc c’est comme ça qu’on a pris contact. Et puis après on se connait… Arcueil c’est une petite ville, tout le monde se connait. Donc c’est comme ça que j’avais été un petit peu repéré. Parce que ça c’est une particularité quand même aussi d’Arcueil : la volonté de construire une liste avec des acteurs locaux et pas simplement des membres de parti politique. Et donc moi j’avais été sollicitée en tant qu’acteur local.

[...] Au départ j’étais simple conseillère municipale, et donc participant à l’installation du comité de quartier, de l’assemblée de mon quartier. C’est une démarche qui m’intéressait parce que je suis de contact plutôt facile, et j’aime bien discuter avec les gens, je les connaissais bien les gens du quartier… parce que l’école, les choses comme ça, les associations sont quand même des vecteurs de connaissance importants, donc du coup je me suis investie pas mal là-dedans, et dans mon mandat c’était quelque chose qui m’importait. Après il y a eu un changement de maire, un passage de flambeaux entre Marcel Trigon et Daniel B. en 97, et à cette occasion… j’ai eu un poste d’adjoint et j’ai eu en charge ces questions de démocratie et de participation. Ce qui m’a permis effectivement de m’y investir un peu plus et de travailler plus sur les fondements. [...] Donc peut-être, ce que représente la démocratie participative pour moi c’est que je ne la sépare pas de la démocratie représentative, pour moi c’est des choses qui se complètent. Les élus ont la légitimité de l’élection et par contre la démocratie participative ça permet de s’appuyer sur l’usage, sur la notion d’usage et de vraiment faire travailler le triptyque habitants, élus, services municipaux et administration communale. [...] J’ai été élue en 95 et j’ai eu la délégation de tout ce qui est démocratie citoyenne en 97. Jusque 2008. Donc les questions de référendums locaux et tout ça c’est quelque chose que j’ai piloté, donc j’ai eu pas mal de… Les référendums de quartier aussi. Oui j’ai connu 13 ans, quelque chose comme ça. [Qu’est ce qui a fait qu’en 2008 ?] Oh des tas de raisons… d’abord parce que je suis convaincue que c’est pas bien de rester toujours élue, je pense qu’il faut laisser la place. J’étais déjà convaincue de ça dans la vie associative. [...] Au départ j’avais dit que je ferai un seul mandat, j’en ai fait deux. C’est suffisant. Je n’étais pas décidée à continuer. Après j’ai pris le poste de directrice de cabinet, pendant trois ans, et puis après… Ce n’est pas toujours facile de fonctionner avec l’administration (rires) [...] et là je travaille dans une mairie [voisine], mais dans un service administratif.

[...] Je n’ai jamais adhéré à un parti politique en tant que tel. Jamais. Juste l’association citoyenne qui s’était constituée à Arcueil. Une association vraiment de citoyens [...] Moi j’y suis plus [...] j’avais envie de prendre du recul. Mais bon après c’est tout un mélange d’histoire personnelle et d’engagement, c’est tout un ensemble. [...] il n’y avait pas que moi d’abord, c’était une idée aussi que le maire portait largement [...] c’était quand même toute la période Porto Alegre. Il y avait Morsang-sur-Orge qui avait commencé des choses aussi. Il y avait toute la réflexion avec l’Adels… Donc non, c’était… d’abord je n’étais pas toute seule à porter ça, sinon ce n’était pas la peine. Il y avait un maire largement convaincu de ça. [...] Parce qu’en fait on retrouvait toujours les mêmes partout quand même. [...] Ils ne sont pas élus mais ils pourraient presque. Il y en a certains ils pourraient. D’ailleurs il y en a qui sont devenus élus [...] il y en a plusieurs qui étaient dans les assemblées de quartier qui sont devenus élus. Dans la mesure où vous voulez construire une liste où il y a une partie de citoyens, une partie de partis politiques, des gens qui s’investissent dans une assemblée de quartier, logiquement c’est des gens qui sont acteurs de la vie locale, donc on les sollicite. [...] C’est des gens qui sont déjà souvent engagés dans le milieu associatif, on peut voir à droite à gauche. C’est souvent les mêmes que l’on voit dans les instances. Et c’est eux que vous retrouverez aux vœux du maire, dans les vernissages, des choses comme ça. Souvent c’est des gens qui sont… c’est logique, ils sont intéressés à la vie locale, point-barre. Ils occupent les espaces qui leur sont proposés, c’est logique. » (Entretien 98, Arcueil, avril 2015, Cécile, 60 ans, Fonctionnaire territoriale, Plus de 30 ans ; Ancien élu, EC, adjointe à la démocratie participative 1997-2008)

Lors du mandat de 2008, cette délégation est divisée en deux, par le haut et par le bas. D’un côté la « démocratie » est rattachée au « développement durable » et aux « affaires générales ». Ce premier ensemble est pris en charge par le premier adjoint, membre fondateur d’Entente

Citoyenne, proche de l’ancien maire et du maire actuel, avec qui il adhère à EELV. Il est par ailleurs vice-président à l’agglomération et devient maire d’Arcueil par succession en 2016, lorsque le maire élu démissionne pour son mandat métropolitain. De l’autre côté, les « assemblées de quartier », liées à la « politique de la ville », dans une délégation prise en charge par un élu, issu de la vie associative, notamment investi dans les associations de consommateur et habitant référent des assemblées de quartier, présent lui aussi depuis 1995, mais dont c’est le premier mandat :

« J’ai vu les choses de deux façons, en tant que simple habitant et en tant qu’élu des six assemblées de quartier, politique de la ville et vie des quartiers [...] J’étais engagé dans la vie associative [...] [On m’a fait la] proposition en 2008 d’être sur la liste, du fait de cet engagement local. Une liste à 50% de partis, 50% vie associative locale. » (Entretien 92, Arcueil, mars 2015, Daniel, 62 ans, Expert-comptable, Plus de 30 ans ; Ancien élu, EC, délégué à la politique de la ville et la vie des quartiers (2008-2014), habitant-référent de l'assemblée de quartier depuis 1996)

Cette division en deux branches acte en quelque sorte l’importance de la légitimité partisane par rapport à l’ouverture aux membres d’associations ou d’instances participatives. La distinction entre « démocratie » et « quartier » laisse entrevoir deux légitimités différentes, fondée pour une part sur la double appartenance à Entente Citoyenne et à EELV, et pour une autre part sur l’appartenance à Entente Citoyenne au titre de bénévole associatif et d’ancien participant dans les assemblées de quartier. Cécile, la première adjointe à la démocratie participative à Arcueil incarne pleinement l’accès par l’ouverture à la vie associative locale. Cette voie est quelque peu minorée par la délégation centrée sur les quartiers, tandis que le 1er adjoint récupère lui l’appellation « démocratie », ouvrant la voie à un partage de cette compétence avec les militants des partis politiques membres de la majorité municipale, qui s’ils sont eux aussi une expérience dans le dispositif des assemblées de quartier l’ont désormais en tant qu’ancien élu de quartier et non plus en tant qu’habitant référent.

A partir de 2014, la délégation est à nouveau unifiée et prise en charge par une ancienne élue de quartier, membre du Parti Socialiste, dont c’est le deuxième mandat. Elle est assez investie dans la section locale, par ailleurs salariée auprès du cabinet du député-maire socialiste d’une ville voisine. Son engagement politique date de 2005, renforcé ensuite dans le contexte de la campagne présidentielle de 2007, puis municipale de 2008. Elle cumule dans son accès à cette délégation une double légitimité : partisane et participative ; du fait de son appartenance au groupe socialiste et de son expérience en tant qu’élue responsable d’une assemblée de quartier. Mais à chaque fois, c’est bien en tant qu’élu qu’elle est sollicitée.

Il y a ainsi dans ce cas une progression de la légitimité partisane, au détriment de la seule appartenance au rassemblement politique local ou à l’engagement préalable dans les assemblées de quartier. Au fil du temps, et aussi du fait d’un certain brouillage à partir du moment où la double appartenance a commencé à être la règle, ce sont davantage des militants locaux d’organisations nationales qui occupent ce poste.

Encadré C3-7 : Parcours politique de Virginie, adjointe à la démocratie participative - Arcueil, 2014-2016

« [Au PS] Je suis dans le cercle proche de Le Foll. [...] je suis au bureau fédéral, et en fait je devrais être au conseil national, j’étais censé monter. Mais les listes n’ont pas été faites. Mais je suis associé à tout le petit cercle qui se réunit à chaque fois qu’il y a un conseil national, fédéraux, sénateurs, députés qui sont une quinzaine réunis autour de Stéphane Le Fol, et je sais pas pourquoi mais j’y suis invitée, donc j’y participe.

Bon je ne dis rien, j’écoute. [...] J’ai pris ma carte en 2005. 10 ans. Il y a dix ans j’avais 27 ans, mes enfants avaient 4 ans et 6 ans, et c’était chaud, j’avais trois enfants de 4 ans et 6 ans… Le militantisme c’était… parce que moi j’ai toujours été une militante active, à partir du moment où j’ai pris ma carte, je me suis engagée à être une militante active… Donc à boiter, à être là quand il fallait… Donc, non, dix ans quand on a 37 ans, ça fait quand même un bon chemin quoi. A 16, 17 ans j’étais à Avignon quand Elisabeth Guigou avait tenté sa chance sur les législatives, j’avais été parmi les… j’étais pas adhérente, mes parents étaient adhérents, moi j’étais pas adhérente, mais j’avais milité en fait auprès d’elle, j’aimais bien. [A Arcueil] J’étais militante, en 2005, de suite je me suis mobilisée… En fait j’étais parent d’élèves, j’ai commencé à 24 ans (rires). En fait l’année où je suis arrivée ici à 24 ans. [...] Moi je me suis engagée du coup dans l’école en tant que parent d’élèves, après j’ai fini par être présidente des parents d’élèves de l’école, et du coup j’ai commencé à préparer la coordination entre les différentes structures… En fait ça va vite quand on a trois gamins, entre les clubs sportifs, l’école, les… ça va vite quand même de connaître pas mal de monde. [...] Je me suis retrouvée très vite impliquée un peu dans tout ça, ce qui était assez naturel… J’ai toujours été déléguée (rires), ouais j’ai toujours été déléguée à l’école, du collège jusqu’à la fac j’ai toujours été déléguée. Après c’est une histoire de nature je pense. [...] Après ce qui s’est passé, c’est que quand il y a eu les municipales, donc en 2007, ça faisait deux ans que j’étais militante à Arcueil, des femmes on regardait autour de la table, il y en avait pas 10 000… Et la parité a fait qu’on m’a demandé d’être sur la liste, donc je suis rentrée en tant que simple conseillère municipale. J’étais tout à fait décalée, j’étais pas prête du tout, j’étais pas du tout… je savais pas du tout… je pense que j’ai changé pour le coup (rires) par rapport à tout ça, je me souviens de mon entretien avec Daniel B., j’étais pas mature pour tout ça, je savais pas exactement ce que ça voulait dire d’être élue. Je savais ce que c’est que d’être impliquée, associativement, mais je ne connaissais pas l’organisation en termes d’administration… Et je me suis occupée de l’assemblée de quartier Laplace, là j’ai pris le virus quoi. [...] J’étais sur l’assemblée de quartier Laplace, et je me suis retrouvée là au moment où il y avait la barre qui a été détruite, les gens qui emménageaient dans la cité paysagère, des transformations, une nouvelle école… vraiment un quartier qui était en train de bouger à un point, et… moi je sais pas tellement faire les choses à moitié. Donc je me suis plongé dans ce truc-là, et on a fait vraiment des belles choses. [...] Mais je n’étais jamais allé dans une assemblée de quartier en tant qu’habitante… Non. Je me suis retrouvé d’un coup. Direct. [...] [lors d’un premier entretien, elle précisait] En fait c’est aussi une histoire de connaissance et compréhension. Comprenez que l’avantage qu’on a c’est d’avoir Daniel B. comme maire. Daniel B. il a été, il a incarné tout ce qui était innovation en matière de démocratie participative au niveau du conseil général, en étant VP au conseil général du Val de Marne, donc c’est son sujet. C’est sa matrice, ça le constitue… Enfin, je veux dire il est l’exemplarité par rapport à ça. Et il en connait aussi les limites. Et les bénéfices, d’un point de vue électoral. On a vraiment toutes les facettes de cette démarche-là. Moi je suis rentrée en politique par Ségolène Royal et justement par cette idée… d’ateliers… de remettre les gens dans ce goût de faire. »

(Entretien 89, Arcueil, mars 2015, Virginie, 38 ans, Assistante député-maire, Entre 10 et 20 ans ; Elu, PS, adjoint à la démocratie participative (depuis 2014), élue référente d'assemblée de quartier 2008-2014)

Dans les autres villes, et notamment à Lanester, cette délégation reste liée à LNC. On y repère même davantage l’indice d’une promotion par les instances participatives. L’élue déléguée à partir du troisième mandat fonde d’abord sa légitimité sur le fait de s’être fortement investie dans LNC et dans les conseils de quartier, dont elle a toujours été une membre régulière, tandis que son mari en assurait la présidence595. Cette voie d’accès à cette délégation ne se retrouve à Arcueil que pour les premiers mandats et ne fait pas sens à Bruz.

Mais la principale différence, c’est la pérennité des prises de fonctions électives selon la voie de promotion suivie par les individus. Ceux qui sont membres d’un parti restent toujours élus au- delà de leurs premiers mandats. Autrement dit, le support de l’organisation partisane offre une certaine continuité à l’engagement politique local, que ne donne pas nécessairement le fait d’y être venue dans une démarche d’ouverture par la vie associative. Les parcours dits « d’ouverture » sont aussi ceux qui se referment le plus vite.

595 Nous réservons la discussion autour de cette participation « tremplin » vers un engagement politique local pour le chapitre 9 sur les parcours de participation.

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