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Chapitre II : Une auto-organisation politique intercommunale par le biais des règles formelles et informelles

A. Les statuts comme outils de « codification » du pouvoir intercommunal

Contrairement aux communes, les EPCI à fiscalité propre disposent de statuts. Ces derniers se présentent comme l’ensemble des dispositions approuvés par chaque conseil municipal lors de la délibération relative à la création de l’EPCI. Ils se distinguent de la délibération d’institution de l’EPCI que prend l’arrêté préfectoral de création. Les statuts des EPCI à fiscalité propre, élaborés par les maires, leur permettent de réaffirmer leur pouvoir de décision dans la conduite des affaires intercommunales.

Selon l’article L. 5211-5-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), les statuts d’un établissement public de coopération intercommunale doivent comprendre, au minimum, un certain nombre de mentions prévues par la loi : la liste des communes-membres, le siège, la durée limitée ou illimitée de la structure intercommunale, les modalités de répartition des sièges aux communes-membres, l’institution éventuelle de suppléants laissée au choix des élus, les compétences transférées. Cet article se contente de fixer un contenu minimum aux statuts de l’établissement public de coopération intercommunale mais ces derniers peuvent contenir d’autres éléments. Les statuts des EPCI à fiscalité propre présentent un aspect « innovant » par rapport aux communes qui n’en possèdent pas. Ils confèrent une dimension de fonctionnalisation à la structure intercommunale et une contrainte institutionnelle qui pèse sur ses membres. Mais ces statuts peuvent faire l’objet de modifications en fonction des intérêts des communes-membres de l’EPCI à fiscalité propre, des rapports de force en présence.

Leur contenu résulte des négociations et des compromis entre les maires des communes-membres de l’EPCI à fiscalité propre. Les statuts élaborés en amont par les maires détermineront en partie les règles du jeu politique communautaire. En effet, avant la création de l’EPCI, les maires concernés par le futur EPCI se retrouvent dans des réunions informelles pour discuter du contenu des statuts de la future structure intercommunale. Si les élus ressentent la nécessité de s’associer au sein d’une structure intercommunale, les réunions préparatoires de la naissance de l’EPCI deviennent les lieux d’expression des accords inter- partisans qui caractériseront la gestion intercommunale. Lors de ces réunions, les maires des communes-membres de la future intercommunalité sont accompagnés de leurs collaborateurs de cabinet et d’employés municipaux, généralement le directeur général des services de la commune et/ou du secrétaire général de la commune pour les petites communes. De nombreux exemples illustrent cette première étape avant la constitution des structures intercommunales qui permet de mobiliser l’ensemble des maires des communes-membres intéressées par l’élaboration des statuts.

Le conseil des communes créé en 1999 tout juste après la parution de la loi Chevènement du 12 juillet 1999 pour promouvoir la création d’une communauté d’agglomération, à l’initiative de Jacques PEYRAT avait comme première mission de faire élaborer les statuts du futur EPCI à fiscalité propre. Des négociations ont permis de confier la présidence d’un comité de pilotage au maire UMP de Cagnes-sur-Mer. En effet, cette ville est la plus importante après Nice en termes démographiques. Confier à Louis Nègre cette mission s’apparentait à l’impliquer fortement, à l’élever au rang d’acteur principal en contrepartie du soutien qu’il pourrait apporter à Jacques Peyrat dans son initiative de création d’une communauté d’agglomération. Il s’avérait important pour le maire de Nice d’avoir le soutien du maire d’une grande ville dans la mise en place de l’EPCI à fiscalité compte tenu de son

poids démographique. Ce comité de pilotage crée des liens interpersonnels entre les maires et peut faciliter le processus de constitution de la structure intercommunale.

Cette méthode permet aux maires d’identifier leurs intérêts, de faire connaître leurs préoccupations qui pourraient être prises en compte lors de l’élaboration des statuts. Mais elle permet aussi à chaque élu d’identifier les règles et d’éviter ainsi de bloquer le fonctionnement de la future structure intercommunale. Il s’agit « de poser les bases du fonctionnement intercommunal »218. Les statuts se caractérisent par les marges de manœuvres d’organisation intercommunale laissées aux élus. D’ailleurs, ils leur laissent la faculté, en ce qui concerne certains types d’EPCI à fiscalité propre, de fixer la durée de vie de leur structure intercommunale (les communautés de communes). En effet, la pratique des statuts donne aux élus la possibilité de s’associer pour un certain temps et de pouvoir ainsi renouveler l’existence de la structure pour une durée illimitée, si cette durée de cinq ans de collaboration est satisfaisante pour chacune des parties. Pour ce faire, les communes-membres doivent procéder à la modification des anciens statuts. Une majorité qualifiée est requise pour modifier les statuts, ce qui implique un accord large des communes-membres (article L. 5211- 20 du CGCT). Les statuts reflètent à un moment donné un certain état d’esprit des élus au moment de la création de l’EPCI. Leur élaboration permet ainsi de comprendre comment d’une part, les acteurs de l’intercommunalité intériorisent et incorporent des façons de penser et d’agir et d’autre part, quels usages ils en font dans leur pratique de l’institution. Par exemple, le 10 novembre 2010, deux ans après sa création (décembre 2008), les conseillers communautaires de la CC des Terres de Siagne approuvent une délibération de modification de la durée de leur EPCI, devenue illimitée et validée ensuite par le préfet. Cette modification statutaire est due à un impératif financier, celui des banques qui refusent de financer l’équipement d’un EPCI qui ne durerait que cinq ans. On voit là comment les maires s’adaptent à la situation du moment en modifiant les statuts en fonction de leurs intérêts.

Rédigés par les élus, les statuts doivent certes être conformes aux règles minimales en vigueur sur la composition du bureau, les fonctions du bureau et du président ainsi que le nom de l’EPCI, son siège, sa durée et la liste des communes-membres, mais les maires ont la faculté de mettre dans les statuts leurs expressions « subjectives ». Ainsi les statuts de Pôle Azur Provence mentionnent que « la communauté d’agglomération, en exerçant ses compétences, se fixe pour but de valoriser le cadre de vie, d’aménager le territoire et de renforcer son attractivité, de réduire les inégalités existant sur son territoire, que ces inégalités concernent les communes-membres entre elles ou leurs habitants. Pour atteindre ces objectifs, le développement de la démocratie participative locale est essentiel. Avec la mise en œuvre de différents principes d’action, la démocratie locale doit permettre aux habitants de s’approprier l’espace communautaire et de faire du développement de l’intercommunalité leur affaire »219.

Les statuts traduisent également les enjeux de pouvoir et définissent les rapports politiques au sein des structures intercommunales à travers des dispositions qui laissent une plus grande liberté pour la représentation et le nombre des vice-présidents. C’est en cela aussi que les statuts constituent une pratique de redistribution du pouvoir intercommunal entre les maires (ils indiquent la composition du bureau communautaire, les fonctions du président et

218

Entretien avec le directeur général des services de la CASA, juillet 2007.

des vice-présidents). Selon l’article 5211-10 du CGCT le bureau de l’établissement public de coopération intercommunale se compose du président, d’un ou de plusieurs vice-présidents et, éventuellement, d’un ou plusieurs autres membres. Mais l’article n’indique pas si toutes les communes sont obligatoirement représentées au sein du bureau de l’EPCI. Autrement dit, le silence de l’article donne lieu à diverses formulations statutaires quant à la répartition des postes de vice-présidence.

Ainsi les statuts de la communauté de communes de Terres de Siagne (CCTS) mentionnent que « toutes les communes sont obligatoirement représentées au bureau », 220 avec pour conséquence que, les six maires des communes-membres de la CCTS accèdent aux postes de vice-présidence alors que sur les quatorze maires des communes-membres de la communauté de communes de Monts d’Azur (CCMA), il n’y a que six maires-vice- présidents.221 Les élus communautaires de la CCTS ont érigé en norme « obligatoire » l’accession au mandat de vice-présidence qui en réalité n’a aucun caractère obligatoire dans le code général des collectivités territoriales (CGCT). Il s’agit pour chaque maire de pouvoir peser sur la prise de décision au sein de l’instance dirigeante intercommunale. Les marges de manœuvre laissées aux élus par le législateur dans l’élaboration et le contenu des statuts obligent alors les maires à négocier la répartition des postes de vice-présidence.

De plus, les statuts fixent la répartition des compétences entre la structure intercommunale et les communes-membres. Quel que soit le type d’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, les élus n’ont pas la possibilité de faire des choix parmi les compétences obligatoires (l’aménagement de l’espace, les actions de développement économique intéressant l’ensemble de la communauté, l’équilibre social de l’habitat sur le territoire communautaire, la politique de la ville dans la communauté, la gestion de services d’intérêt collectif…). Cependant, le choix des compétences optionnelles, avant d’être formalisées dans les statuts des EPCI à fiscalité propre donnent lieu à des négociations entre les maires. Au moment du choix des compétences optionnelles que l’EPCI doit exercer, les maires peuvent poser des conditions de création de la structure intercommunale. Ainsi avant la création de Pôle Azur Provence, le maire de Mouans-Sartoux, dont la commune dispose d’une régie municipale d’eau a exigé et obtenu que cette compétence municipale ne soit pas transférée à la communauté d’agglomération :

« Nous avons une régie municipale d’eau qui fonctionne depuis de nombreuses années. Nous n’avons jamais voulu que cette compétence municipale relève de la compétence d’un EPCI. Les habitants sont satisfaits du service rendu. Pourquoi allons-nous changer ce qui marche ? ». 222

La recherche des accords les plus larges possibles entre les maires de bord politique différent lors de l’élaboration des statuts aboutissent à faire des choix de compétences qui sont loin des principes de réalisation des « projets communautaires » énoncés par les lois relatives à l’intercommunalité. Le choix des compétences optionnelles donne lieu à une agrégation des revendications des maires. Certaines compétences exercées depuis de longue date par la

220 Article 9 des statuts relatif à la composition du bureau communautaire de la communauté de communes de

Terres de Siagne (CCTS).

221 Article 10 des statuts relatif à la composition du bureau communautaire de la communauté de communes de

Monts d’Azur (CCMA).

commune et maintenues dans le giron de la ville, contribuent à donner au maire l’image de celui qui défend les intérêts de ses habitants dans le cadre de la coopération intercommunale. Les statuts permettent ainsi aux maires de garder le monopole de l’exercice de certaines compétences stratégiques sur le plan politique. D’ailleurs André Aschieri, se prévaut de sa politique d’eau en régie municipale auprès de ses administrés : « Si l’eau de la commune de Mouans-Sartoux est la moins chère du département, c’est parce que nous la gérons en régie municipale. C’était la condition que j’avais posée pour adhérer à une structure intercommunale »223. Une compétence qui ne « tombe » pas dans le giron de l’EPCI à fiscalité propre devient ainsi une ressource qu’il faut publiciser pour espérer en avoir des retombées politiques. En effet, le maire de Mouans-Sartoux avait posé comme condition préalable à la transformation de la communauté de communes créée en 1993 en une communauté d’agglomération, l’exclusion de la compétence optionnelle « eau » parmi les compétences optionnelles. Cette condition répond à un choix politique car la commune de Mouans-Sartoux a sa propre régie d’eau et n’entend pas transférer cette compétence à la structure intercommunale. André Aschieri, veut préserver la qualité de son service et surtout le prix compétitif du mètre cube. C’est un choix politique car ce type d’attitude lui permet de « fédérer » autour de lui et de son équipe municipale, ses administrés-électeurs.

Les compétences optionnelles choisies par les élus pour figurer dans les statuts des communautés de communes et des communautés d’agglomération ne sont pas sans lien avec les intérêts communaux. Le choix de ces compétences optionnelles présente des enjeux politiques en fonction des spécificités de chaque territoire et visent plus à satisfaire les attentes des maires qu’à répondre véritablement à des missions communautaires. En d’autres termes, les intérêts des communes orientent le choix de la majorité des compétences qui seront fixées dans les statuts. On retrouve cette pratique des compétences dans les communautés de communes224 composées en grande partie de communes rurales qui choisissent très souvent d’inscrire dans leurs statuts la compétence « protection et mise en valeur de l’environnement » ou la compétence « politique du logement et du cadre de vie ». Le choix de ces compétences inscrites dans les statuts par les élus des communes rurales n’est pas anodin. Ces dernières, devant la saturation des villes du littoral en termes fonciers ou du Moyen-Pays grassois par exemple refusent de voir remonter sur leur territoire une urbanisation qui nuirait à la qualité de vie de leurs concitoyens. C’est d’ailleurs l’un des arguments avancés par les élus de la CC de Terres de Siagne pour ne pas fusionner avec Pôle Azur Provence car l’adhésion de leurs communes à cette dernière signifierait pour eux « la perte de la qualité de vie du village ».

En fait, ce sont des thèmes qui rencontrent un certain écho favorable auprès des administrés/électeurs. Ces thèmes de « protection du cadre de vie », de « perte de qualité de vie du village » pourraient être mobilisés dans une campagne électorale. Le contenu des professions de foi des candidats225 lors des dernières élections municipales de 2008 dans les

223

André Aschieri sur FR3 Côte d’Azur, journal d’informations de 19 heures, 25 juillet 2008.

224 Ce sont les communautés de communes de Terres de Siagne, des Monts d’Azur, des Coteaux d’Azur, du Pays

des Paillons…

225 Lors des campagnes municipales de mars 2008, « la préservation du cadre et de l’esprit du village » était

inscrite dans les professions de foi de tous les candidats du canton de Saint-Vallier-de-Thiey, sur lequel est aujourd’hui bâtie, la communauté de communes de Terres de Siagne. Dans de nombreuses communes du canton de Saint-Auban, les candidats dans leurs professions de foi en ont fait cas, pendant les élections municipales de 2008.

communes du canton de Saint-Vallier-de-Thiey témoigne d’une certaine instrumentalisation des compétences. Il s’agit pour ces candidats de « défendre le cadre de vie des habitants » ou de « préserver l’environnement» de la commune. Le choix des compétences optionnelles par les communes rurales membres des EPCI semblent traduire ce clivage permanent entre monde rural et monde urbain.

Par contre, dans les communautés d’agglomération, les élus choisissent comme compétences optionnelles celles qui touchent aux problèmes d’aménagement de l’espace urbain ou semi-urbain. Les statuts226 des communautés d’agglomération mentionnent de façon majoritaire comme compétence optionnelle, « la création, l’aménagement ou l’entretien de voirie et de parcs de stationnement » car dans ces centres urbains, les problèmes de voirie et de stationnement se posent avec acuité. Par exemple, le directeur général des services de la CASA fait remarquer que « certaines communes de la communauté d’agglomération de la CASA doivent faire face aux problèmes de voirie et de stationnement. Seules, elles ne peuvent pas remédier à cette situation »227. Comme dans le cas des communautés de communes, le discours sur la qualité des services publics locaux liés à l’exercice de ces compétences optionnelles peut être une ressource mobilisable lors des campagnes municipales228.

L’élaboration des statuts des EPCI à fiscalité propre, tant au niveau de la répartition des postes de vice-présidence qu’au niveau du choix de certaines compétences, en l’occurrence optionnelles, obéit à des logiques de consolidation des positions de pouvoir déjà acquises par certains élus locaux, au maintien des équilibres politiques et à la défense des intérêts communaux. Justement, les statuts des EPCI font l’objet de modifications permanentes initiées par les élus communautaires. Ces modifications statutaires tout au long de la vie de l’EPCI mettent en évidence la grande liberté d’action laissée aux élus par le législateur dans la conduite des affaires intercommunales. Celles-ci tiennent plus compte de l’évolution des intérêts communaux que des mutations des politiques publiques locales. Les dispositions statutaires offrent des marges de manœuvres aux élus dans la mise en œuvre des compétences intercommunales. Ainsi, l’usage de la notion « d’intérêt communautaire » permet de réaffirmer la prééminence des intérêts municipaux dans les statuts.

B. L’usage stratégique de la notion de « l’intérêt communautaire » dans les

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