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L’atténuation des logiques démographiques dans la répartition des sièges communautaires

Chapitre III : La fixation du nombre de délégués au conseil communautaire : un équilibre délicat entre règles formelles et informelles

Section 2 : Des illustrations concrètes de la répartition des sièges communautaires : une pluralité de pratiques politiques soumises aux compromis entre élus

B. L’atténuation des logiques démographiques dans la répartition des sièges communautaires

Dans certains EPCI à fiscalité propre, les élus cherchent à tenir compte de la taille respective des communes-membres parmi les modalités pratiques de répartition des sièges de délégués de communes, ce qui permet d’éviter d’interminables négociations, sources de tensions politiques. Mais si les élus prennent en compte la population des communes pour leur attribuer des sièges, ils vont s’inspirer des modalités de répartition par strates démographiques des communautés urbaines300 pour bâtir leurs propres strates démographiques.

Autrement dit, si les articles L. 5214-7 et L. 5219-3 du code général des collectivités territoriales stipulent que, pour la communauté de communes et la communauté d’agglomération, « le nombre et la répartition des sièges au sein du conseil communautaire sont déterminés, soit par accord amiable des conseils municipaux des communes membres, soit en fonction de la population par décision des conseils municipaux des communes intéressées dans les conditions de majorité qualifiée requises pour la création du groupement », ils ne donnent, cependant, aucune indication sur les différentes strates démographiques, comme dans le cas d’une communauté urbaine, permettant la fixation du nombre et les modalités de répartition des sièges de délégués de communes. C’est ainsi que les élus d’une communauté de communes ou d’une communauté d’agglomération vont s’inspirer des modalités de répartition des sièges communautaires à partir du tableau de strates démographiques conçu par le législateur pour une communauté urbaine (Tableau n°6). La loi ne fait pas du tout cas de la répartition des sièges au sein des communautés de communes et d’agglomération par strates démographiques, contrairement à une communauté urbaine. Le silence de la loi permet ainsi aux élus de construire la taille de leur assemblée intercommunale.

Tableau n°6 : Le nombre de membres du conseil de communauté d’une communauté urbaine Population municipale de l’agglomération

Nombres de communes 200 000 au plus 200 000 à 600 000 600 000 à 1 000 000 Plus de 1 000 000 20 au plus 50 80 90 120 De 21 à 50 70 90 120 140 Plus de 50 90 120 140 155

Source : Code général des collectivités territoriales (CGCT), p. 765

Ce tableau qui sert normalement aux élus des communes d’une communauté urbaine selon l’article L. 5215-6 du code général des collectivités territoriales à fixer le nombre des délégués de communes et à procéder ensuite à leur répartition va être utilisé par d’autres établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, de toute autre nature, en l’occurrence, la communauté d’agglomération et dans une moindre mesure la communauté de communes, pour fixer des strates démographiques d’attribution des sièges.

Ces strates démographiques sont arrêtées d’un commun accord des maires indépendamment de la taille de la population de chaque commune-membre de l’EPCI à fiscalité propre. La représentativité d’un délégué communautaire va donc varier selon ces strates démographiques « créées » par les élus eux-mêmes. Mais la répartition des sièges de délégués de communes ne se fait pas véritablement en fonction de la taille respective des communes-membres. La pratique consistant à attribuer un nombre « raisonnable » de sièges aux communes de taille démographique importante et un nombre minimum de sièges aux petites communes avec le souci de ne pas rendre « ingouvernable » le conseil communautaire par un nombre pléthorique de délégués de communes. En fait, les considérations politiques en termes de gouvernance politique de l’EPCI à fiscalité propre occupent une place non moins importante dans la composition de certains organes délibérants communautaires. Les propos du maire de la commune de Gourdon (379 habitants), commune membre de la communauté d’agglomération Sophia-Antipolis, traduisent cette pratique à l’œuvre dans certains EPCI à fiscalité propre :

« Si on voulait faire une répartition en tenant compte de la taille de chaque commune membre de la communauté d’agglomération Sophia-Antipolis (CASA), on serait à une centaine de conseillers communautaires. La conséquence, c’est que notre communauté d’agglomération deviendrait ingérable. On a mis un ratio pour les communes de moins de 2 500 à 3 500 habitants. On a une commune comme Bar/Loup qui, avec son nombre d’habitants, a un conseiller communautaire en plus parce qu’elle a une grande usine sur son territoire avec une taxe professionnelle importante. Elle a un enjeu important pour la CASA. Pour les communes de moins de 2 500 habitants, la commune dispose d’un conseiller communautaire et d’un suppléant. La ville d’Antibes qui a plus de la moitié des habitants de la CASA se retrouve avec un tiers de conseillers communautaires au sein de notre structure intercommunale ».301

En effet, La société Mane est implantée sur la commune de Bar-sur-Loup depuis 1871. C’est une entreprise patrimoniale qui porte le même nom que son fondateur. Elle est spécialisée dans la production d’arômes et de matières premières pour l’aromatique et la parfumerie. Mane, Société anonyme (SA) réalise un chiffre d’affaires de 288 millions d’euros et occupe la 7ème place mondiale dans l’aromatique. Dans la pratique de répartition des sièges communautaires, les élus prennent aussi en compte aussi des éléments économiques, strictement relatifs à chaque commune comme par exemple le potentiel fiscal302 de la commune d’origine des délégués communautaires.

Le Bar-sur-Loup, commune membre de la communauté d’agglomération Sophia- Antipolis (CASA) de 2 543 habitants, est un exemple de cette inégalité de détention de sièges, liée à une certaine richesse fiscale communale. Cette petite commune par le nombre de ses habitants détient autant de sièges que la commune de La Colle-sur-Loup (6 697 habitants) qui représente 2,6 fois la population de Bar-sur-Loup. Cette différence entre population et sièges entre les deux communes membres de la CASA s’expliquerait par la présence de l’usine

301 Extrait de l’entretien réalisé le 15 août 2007 avec Eric Mèle, maire de Gourdon, vice-président de la

communauté d’agglomération Sophia-Antipolis.

302 Selon l'article L. 2334-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), le potentiel fiscal des

collectivités locales est un indicateur utilisé pour comparer la richesse fiscale potentielle des collectivités les unes par rapport aux autres. Il est obtenu en appliquant aux bases d’imposition aux quatre taxes directes locales (la taxe d’habitation, la taxe sur le foncier bâti, la taxe sur le foncier non bâti, l’ancienne taxe professionnelle remplacée par la contribution économique territoriale) les taux nationaux d’imposition à chacune de ces taxes.

Mane sur le territoire de Bar-sur-Loup depuis 1871. Les retombées financières pour la communauté d’agglomération qui perçoit la taxe professionnelle unique (TPU), remplacée depuis le 1er janvier 2010 par une nouvelle modalité fiscale, en l’occurrence la contribution économique territoriale (CET) en lieu et place de la commune sont importantes. Mais, la prise en compte de la donne économique dans la répartition des sièges de délégués de communes n’est pas une pratique généralisée par les élus. Il convient donc de relativiser l’importance de cette variable financière. Car si tel était le cas, des villes-centres des EPCI à fiscalité propre, par exemple Grasse, ville industrielle par excellence, avec un fort potentiel fiscal par rapport aux autres communes-membres de Pôle Azur Provence aurait détenu plus de 9 sièges, voire plus de la moitié des sièges communautaires. En d’autres termes, la loi laisse donc la liberté aux maires d’organiser la distribution des sièges communautaires. La prise en compte de la ressource financière de la commune dans l’attribution des sièges reste donc un acte politique car la loi ne la mentionne pas dans les critères de répartition de sièges communautaires. C’est un jeu d’échanges politiques où les maires trouvent leur compte. Donner un siège supplémentaire à une commune pour des raisons fiscales permet à chacun d’avoir des retombées économiques pour sa commune, tel peut être le compromis dans le cas de la CASA.

Si les strates démographiques limitent le nombre de sièges qu’une commune peut détenir, elles n’empêchent pas qu’une commune, sortie d’une strate démographique inférieure se voit attribuer des sièges supplémentaires auxquels elle a droit. C’est pour éviter cette fluctuation du nombre de sièges qui influe sur la composition politique communautaire que des établissements publics de coopération intercommunale, comme les communautés d’agglomération Pôle Azur Provence (PAP)303 et la communauté d’agglomération de la Riviera Française (CARF)304, contrairement à la communauté d’agglomération Sophia- Antipolis, procèdent à la répartition des sièges communautaires sur la base d’accords avec une relative prise en compte de la population de chaque commune, sans détermination de strates démographiques. La modification des statuts communautaires quand intervient une nouvelle donne implique alors des négociations et des compromis. Dans la communauté d’agglomération Pôle Azur Provence, alors que la ville de Grasse, ville-centre avec une population importante dispose seulement de 9 sièges, le total des sièges détenus par les quatre autres communes dépasse largement ceux de Grasse (Tableau n°7)

303 Créés en 2001, les statuts de la communauté d’agglomération Pôle Azur Provence composée de cinq

communes, fixent le nombre de sièges de délégués par commune membre sans fixation de strates démographiques.

304 Créés en 2001, les statuts de la communauté d’agglomération de la Riviera Française composée de dix

communes, fixent également le nombre de sièges de délégués par commune membre sans fixation de strates démographiques.

Tableau n°7 : Répartition des sièges communautaires à PAP Ville membre de PAP Nombre

d’habitants Nombre de conseillers communautaires titulaires Nombre de conseillers communautaires suppléants Auribeau-sur-Siagne 2 765 3 3 Grasse 51770 9 9 Mouans-Sartoux 10 527 5 5 Pégomas 6 326 4 4 Roquette-sur-Siagne 4 958 3 3

Sur les 24 sièges communautaires de Pôle Azur Provence, les 4 communes (Auribeau- sur-Siagne, Mouans-Sartoux, Pégomas, La Roquette-sur-Siagne) cumulent 15 sièges, soit presque deux tiers des sièges. Or si la loi interdit à la ville-centre, membre de tout type d’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (communauté de communes, communauté d’agglomération, communauté urbaine) de détenir plus de la moitié des sièges de délégués de communes, l’inverse pour le nombre total des sièges détenus par les petites communes n’est pas interdit. Du moins, cette possibilité de la détention de plus de la moitié des sièges communautaires par l’ensemble des communes-membres de l’EPCI à fiscalité propre, à part la ville-centre, n’est pas mentionnée dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT). Ce silence de la loi offre la possibilité aux maires des communes les plus petites en termes démographiques de fixer le nombre et les modalités de répartition des sièges communautaires. Si cette pratique consolide le pouvoir des maires des petites communes-membres d’un EPCI à fiscalité propre, elle pourrait atténuer le pouvoir intercommunal des maires des villes-centres.

Les élus des petites communes, en l’occurrence les maires, jouent un rôle d’autant plus important au sein des conseils des communautés que le maire de la ville-centre, généralement président de l’EPCI à fiscalité propre, se trouve dans une situation où il doit négocier avec ses pairs dans la conduite des affaires de l’institution intercommunale. Si certains établissements publics de coopération intercommunale ont procédé par répartition égalitaire des sièges de délégués de communes après les élections municipales de mars 2008 sur la base d’accords politiques, d’autres privilégient par contre, une répartition des sièges sur la base de la population des communes-membres. Dans ce cas, la variable du poids démographique va influer sur l’attribution des sièges entre communes, mais de façon, somme toute relative.

Mais cette situation de force des communes périphériques et notamment des plus petites devraient disparaître avec les élections municipales de 2014. « Ce passage d’une élection au second degré à une élection au suffrage universel direct des délégués communautaires a un effet direct sur les modes répartition des sièges entre les communes- membres ». Les maires vont perdre « toute marge de manœuvre pour définir entre eux les modes de répartition » et « les modifications proposées présentent selon le gouvernement le double avantage de rééquilibrer les représentations locales en faveur des villes-centres ».305

305 LE SAOUT Rémy, « La question des délégués communautaires dans la réforme des collectivités territoriales :

Si le rééquilibrage de la détention des sièges communautaires s’effectuait à l’issue de l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires en 2014, il conforterait le pouvoir des maires de grandes villes au détriment de ceux de petites communes au sein de l’instance décisionnelle intercommunale. Ce qui expliquerait sans doute les tensions entre élus dont les communes appartiennent déjà à une structure intercommunale avec l’évolution législative de l’intercommunalité impulsée par la loi du 16 décembre 2010, un aspect évolutif de l’intercommunalité sur lequel nous reviendrons plus loin. La CUNCA illustre bien cette répartition des sièges communautaires où la ville-centre se retrouve « perdante » dans une très grande intercommunalité (27 communes).

C. La CUNCA : une ville-centre pénalisée par la répartition des sièges au sein

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