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Chapitre I : Des élus inégaux face à l’accès aux mandats de délégués intercommunau

Section 1 : Le poids des variables sociodémographiques dans le recrutement des conseillers communautaires

A. La sous-représentation des femmes : le « déficit paritaire intercommunal »

En France, contrairement à d’autres pays européens comme les pays scandinaves, la parité peine à s’instaurer. Pour compenser ce « déficit » la loi tend à imposer la parité entre Françaises et Français au sein des différentes institutions de la vie politique locale : conseils municipaux, généraux, régionaux et conseils communautaires.

Si la loi du 6 juin 2000 321 sur la parité a favorisé l’accès des femmes aux mandats électifs locaux, cela est loin d’être le cas pour l’accession aux mandats intercommunaux. En effet, l’obligation de faire figurer autant de femmes que d’hommes sur les listes dans les communes de plus de 3 500 habitants n’est pas applicable aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. La parité, obligatoire pour pouvoir présenter une liste aux élections municipales, se retrouve ainsi globalement respectée dans la constitution des conseils municipaux. Nous analyserons plus loin la part de représentativité des femmes dans les exécutifs municipaux et intercommunaux, cette première partie se penchant essentiellement sur la figure du conseiller communautaire. Il faut toutefois nuancer ce respect de parité par les conseils municipaux des communes des moins de 3 500 habitants qui ne tombent pas à ce jour sous le coup de cette loi.

Nos recherches concernent une communauté urbaine, la CUNCA, trois communautés d’agglomération (PAP, CASA et CARF) et trois communautés de communes (Terres de Siagne, Monts d’Azur, Coteaux d’Azur). Nous obtenons le tableau suivant pour les EPCI retenus, en ce qui concerne la répartition par sexe des conseillers communautaires titulaires et suppléants au sein des conseils communautaires :

Tableau n°8 : La répartition par sexe des conseillers communautaires titulaires et suppléants

Genre Conseillers communautaires titulaires Conseillers communautaires suppléants Ensemble Effectif total 294 137 431

Hommes 218 soit 74,2% 85 soit 62 % 303 soit 70,3%

Femmes 76 soit 25,8% 52 soit 38% 128 soit 29,7 %

Nous remarquons, après analyse des données fournies par les 7 EPCI, que moins d’un tiers des femmes occupe une place de conseillère communautaire titulaire ou suppléante. Le scrutin municipal interne semble favoriser les élus hommes. Les conseils communautaires en termes de féminisation ne sont pas en phase avec la composition des conseils municipaux. Prenons deux exemples précis d’EPCI :

321 La loi du 6 juin 2000 relative à l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions

électives, dite « loi parité hommes-femmes », est appliquée pour la première fois lors des élections municipales des 11 et 18 mars 2001. Cette loi impose aux communes de plus de 3 500 habitants lors des élections municipales que les listes soient composées alternativement d’un représentant de chaque sexe.

Tableau n°9 : La répartition par sexe des conseillers communautaires de la communauté urbaine Nice Côte d’Azur et de PAP

Nature de l’EPCI à

fiscalité propre CUNCA PAP

Conseillers communautaires/ Hommes 78 soit 72,2% 33 soit 68,7 Conseillers communautaires/ Femmes 30 soit 27,8% 15 soit 31,3%

Total 108 soit 100% 48 soit 100%

Nous confirmons les données recueillies précédemment de façon générale. De plus, nous notons que dans les villes de Nice et de Grasse, la population féminine représente respectivement 53,3% et 51,8% (chiffres de l’Insee en 2008) de la population locale. Nous consolidons ainsi notre hypothèse que, quand les logiques paritaires ne s’appliquent pas, les organes politiques peinent à se féminiser. Toutefois, à la CUNCA, la ville-centre Nice compte 39% de femmes au conseil communautaire. Cette plus-value des représentants du sexe féminin ne suffit pas, cependant, à combler son déficit paritaire.

Face à cette importante disparité en termes de féminisation des organes délibérants communautaires, nous avons poussé plus loin notre recherche en nous penchant sur la nature de l’EPCI et son pourcentage de représentants de sexe féminin ou masculin.

Le tableau n°10 recense la proportion de conseillers communautaires féminins et masculins en fonction de la nature de l’EPCI. Selon que l’EPCI est un EPCI rural (petites communes de l’arrière-pays niçois ou grassois) ou un EPCI urbain (Moyen-Pays comme PAP ou littoral et Moyen-Pays comme la CASA), la présence féminine dans les organes délibérants ne présente pas la même configuration.

Tableau n°10 : Relation entre le sexe et la nature de l’EPCI à fiscalité propre

Nature des EPCI Communautés de

communes Communautés d’agglomération *CUNCA Nombre de conseillers communautaires féminins 11 titulaires, 17,8% 35 titulaires, 28,5% 30 titulaires, 27,8% 14 suppléantes, 51,8% 38 suppléantes, 34,5% Nombre de conseillers communautaires masculins 52 titulaires, 82,2% 88 titulaires, 71,5% 78 titulaires, 72,2% 13 suppléants, 48,2% 72 suppléantes, 65,5% Total 90 titulaires et suppléants 233 titulaires et suppléants 108 titulaires

*(CUNCA) : Cette communauté urbaine est le seul EPCI à fiscalité propre de cette nature dans le département des Alpes-Maritimes avec une population de plus de 500 000 habitants

Nous remarquons qu’il existe une relation entre la nature de l’EPCI à fiscalité propre et l’accès sexué aux mandats intercommunaux. La nature de l’établissement intercommunal consoliderait cette sous-représentation des conseillers communautaires féminins parmi les conseillers communautaires dans les organes délibérants intercommunaux puisqu’on recense seulement 18% des conseillers communautaires féminins dans les EPCI ruraux contre presque 30% dans les EPCI urbains. Dans les communautés de communes regroupant des villages ou de petites agglomérations inférieures à 3 500 habitants, la loi sur la parité, à ce jour, n’est pas applicable. Le mode de scrutin aux élections municipales ne favorise donc pas la féminisation des conseils communautaires. Les EPCI à fiscalité propre composés de petites communes rurales paraissent ainsi moins propices à l’entrée des femmes dans l’espace politique intercommunal.

Une recherche encore plus affinée confirme cette hypothèse. La communauté de communes de Terres de Siagne se compose de 5 communes sur 6 n’ayant aucune obligation d’appliquer la parité, car en dessous des 3 500 habitants. La moyenne des femmes des 5 conseils municipaux s’élève à 38,6% et elle tombe à 27,9% au conseil communautaire. Dans la communauté de communes des Monts d’Azur, qui comprend 14 communes de moins de 1000 habitants, la moyenne des femmes au sein des 14 conseils municipaux est de 36,8% et passe à 14,3% au conseil communautaire. Si nous nous penchons sur la ville de Peymeinade avec 7 877 habitants, les conseillères communautaires titulaires représentent 12% des conseillers communautaires et les suppléantes 50% alors que les conseillères municipales représentent 50% du conseil municipal. Nous voyons bien que quand la loi n’impose pas la parité, les femmes peinent à parvenir à de nouvelles fonctions électives. De plus, quand on connaît le rôle des suppléants dans les EPCI, simple rôle d’observation parfois, on peut supposer que l’on compense le manque de parité dans les lieux de pouvoir par ceux de « moindre pouvoir ». Cette attitude permet d’obtenir des moyennes d’ensemble qui sembleraient honorables mais une étude détaillée prouve le contraire.

Les suppléants viennent rarement au conseil communautaire où ils assistent un peu en retrait au vote. Ils n’ont de voix délibérative qu’en cas d’absence des titulaires. Choisir plus de femmes parmi les suppléants n’influe en aucune manière sur leur participation au conseil communautaire. Il s’agit de comportements qui tendraient à donner un semblant de démocratie et de parité qui équilibre les chiffres sans inquiéter les détenteurs habituels du pouvoir comme les hommes les mieux dotés en diverses ressources.

Nous observons, grâce à ces recherches sur le terrain que, même si les nouvelles dispositions en matière de parité dans les communes de plus de 3 500 habitants ont traduit une nette progression des femmes au sein des conseils municipaux, celles-ci n’ont pas eu de fortes répercussions sur l’accession féminine à l’espace politique intercommunal. Nos recherches confirment les propos d’Aurélia Troupel qui affirme que « les assemblées locales ne sont pas toutes astreintes avec la même intensité à l’obligation paritaire. Certaines, à l’instar des assemblées intercommunales, y échappent »322. Nous sommes par conséquent face à une

accession « sexuée » au mandat de délégué intercommunal qui favorise les conseillers municipaux hommes. Pour le moment, l’intercommunalité constitue une « nouvelle frontière », un « plafond de verre » pour la féminisation de la vie politique locale.

322 TROUPEL Aurélia, « La valeur des mandats aujourd’hui : cumul et évolution », in C. Bidegaray, S. Cadiou,

Nous avançons comme première hypothèse de notre étude comparative sur la population féminine des élus communautaires, que, là où la loi n’intervient pas en régulateur, on se retrouve face à des blocages. Les hommes ont une « mainmise » sur les instances politiques. Quand il s’agit de constituer des listes de candidats, la loi intervient et fixe des règles que l’on respecte. Quand il s’agit de fonctions électives axées sur une personne comme les législatives ou les cantonales, les hommes s’imposent. En 2009, on comptait 48,6% de conseillères régionales mais seulement 12,4% de conseillères générales et 13,9% de femmes- maires323. De plus à ce jour, l’EPCI ne représente qu’un instrument de coopération et la loi sur la parité ne peut donc agir en régulateur. Nous verrons plus loin comment s’opère le processus de sélection des conseillers communautaires mais nous pouvons d’ores et déjà affirmer que cette hypothèse se révèle d’autant plus intéressante que cette dernière forme d’EPCI s’insère dans le maillage institutionnel pour rompre avec le passé et aboutit finalement à un constat axé sur un paradoxe, celui du verrouillage de l’accès des femmes aux conseils communautaires des EPCI.

En outre, les fonctions de conseiller communautaire titulaire ou suppléant, sauf à la CUNCA et à la CASA pour les titulaires, ne se voient pas rémunérées. On donne beaucoup de son temps en réunions dans les commissions, lors des différents conseils communautaires entre 16 heures et 19 heures. Les femmes sont les plus absentes dans les conseils municipaux alors, peut-être, ne ressentent-elles pas le désir d’un surcroît de charges pour très peu de possibilités de peser personnellement sur les décisions communautaires. La frustration de certains conseillers municipaux sans responsabilité s’amplifie au conseil communautaire qui ne prévoit aucune réunion de majorité où les idées et les échanges circulent. Enfin, certains élus ne semblent pas encore percevoir toute l’importance de l’EPCI qui ne mérite pas alors un investissement d’énergie pour y accéder.

Toutefois, la réforme des collectivités territoriales qui va modifier les modalités de désignation des délégués de communes devrait accentuer la « féminisation » des conseils communautaires des EPCI à fiscalité propre. En effet, l’article 2 relatif à l’élection au suffrage universel direct des délégués des communes dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui entrera en vigueur lors des élections municipales de 2014 prévoit un système de « fléchage ». Ce système indiquera sur les listes municipales, les futurs conseillers municipaux élus aussi conseillers communautaires. Le choix des conseillers communautaires ne s’opérera plus sur un simple choix du chef de l’exécutif municipal, mais on passera ainsi à une fonction élective pour laquelle devront être respectées les règles sur la parité. Ce « fléchage » amènera ainsi les premiers conseillers municipaux de liste à siéger au conseil municipal et au conseil communautaire et évitera, selon le législateur, de créer une nouvelle circonscription intercommunale qui ferait, de facto, disparaître la commune. Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’avec l’application de la loi324 tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux dans les communes de 3 500 habitants et plus et obligeant à une alternance stricte dans la présentation des listes aux élections municipales, il y aura sans doute autant de conseillers communautaires hommes que de conseillers communautaires femmes.

323

Source : Ministère de l’Intérieur, bureau des élections et des études politiques.

324 Loi n° 2007-128 du janvier 2007 tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats

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