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La CUNCA : une ville-centre pénalisée par la répartition des sièges au sein du conseil communautaire

Chapitre III : La fixation du nombre de délégués au conseil communautaire : un équilibre délicat entre règles formelles et informelles

Section 2 : Des illustrations concrètes de la répartition des sièges communautaires : une pluralité de pratiques politiques soumises aux compromis entre élus

C. La CUNCA : une ville-centre pénalisée par la répartition des sièges au sein du conseil communautaire

Les pratiques de répartition des sièges de délégués de communes ne sont sans incidences sur le nombre de sièges que doivent détenir les villes-centres des communautés de communes et les communautés d’agglomération. La distribution des sièges se fait très souvent au détriment des communes-centres de ces EPCI, alors que l’attribution automatique d’un siège par commune tend à l’inverse à favoriser une sur-représentation des plus petites communes dans les communautés urbaines. Les villes-centres ne disposent donc pas de sièges au sein du conseil communautaire, d’une importance proportionnelle à leur poids démographique.

Alors qu’aux termes de l’article L.5215-17 qui prescrit que « la répartition de sièges est établie soit par accord amiable de l’ensemble des conseils municipaux, soit selon les modalités suivantes : un siège est attribué à chaque commune-membre de la communauté ; seules participent à la répartition des sièges restant à pouvoir les communes dont la population municipale est supérieure au quotient obtenu en divisant la population municipale de l’agglomération, telle qu’elle résulte du dernier recensement général, par le nombre total de sièges à pourvoir. Les sièges restant à pourvoir sont répartis entre ces communes suivant le système de la représentation proportionnelle avec application de la règle de la plus forte moyenne, sur la base de leur population municipale diminuée d’un nombre d’habitants égal au quotient »,306 la communauté urbaine va faire prédominer l’accord amiable dans la répartition des sièges de délégués de communes. Ces villes-centres ont la possibilité, à défaut d’accord amiable entre maires, car la loi ne l’interdit pas, de détenir plus de la moitié des sièges communautaires. Les élus vont donc négocier pour que la ville-centre de la communauté urbaine ne puisse pas bénéficier de cet avantage.307

La communauté urbaine de Nice Côte d’Azur illustre cette situation. Le nombre de sièges par communes membres de cet établissement public de coopération intercommunale a été fixé en fonction de la population tout en garantissant une représentation minimale pour les petites communes. Les statuts308 de la communauté urbaine Nice Côte d’Azur ne prévoient

306 Le Code général des collectivités territoriales (CGCT), p. 765.

307 BOURJOL M., L’intercommunalité, réflexion autour d’un mythe, Paris, Editions Dalloz, 1992, 391 p. 308 Les statuts de cet EPCI ont été élaborés le 1er janvier 2002, dès la mise en place de la communauté

d’agglomération Nice Côte d’Azur, transformée ensuite en une communauté urbaine, le 27 décembre 2008, après les élections municipales de la même année. Mais les statuts de l’EPCI ne sont pas figés dans le marbre. Ils sont modifiés tout au long de la mandature intercommunale quand de nouveaux éléments interviennent tels que la transformation de l’EPCI, l’adhésion de nouvelles communes, le transfert de nouvelles compétences communales à la communauté, la définition de l’intérêt communautaire…

pas que le nombre et la répartition des délégués de communes se fassent selon des strates démographiques avec attribution d’un nombre de délégués prédéterminé pour chaque strate car tout nouveau recensement général ou complémentaire aurait des conséquences sur la représentation des communes au sein du conseil communautaire.

D’ailleurs, les derniers recensements qui sont intervenus en 2010 n’ont pas entraîné une révision du nombre de conseillers communautaires. Les petites communes veulent par cette disposition statutaire éviter une sur-représentation des conseillers communautaires de la ville-centre qui à elle seule a plus de la moitié de la population totale de la communauté urbaine. En effet, avant la transformation de la communauté d’agglomération Nice Côte d’Azur, comprenant au départ 24 communes, en communauté urbaine, le 27 décembre 2008309, le conseil communautaire comptait 93 sièges dont 35 pour la ville de Nice, ville- centre, ce qui représente 37,6% au lieu des 50% auxquels cette dernière pouvait de droit prétendre. Depuis, le 1er janvier 2010 date à laquelle, trois nouvelles communes310 ont adhéré à la communauté urbaine de Nice, portant le nombre de communes à 27, il y a 108 sièges communautaires dont 41 à la ville-centre, ce qui représente 38% au lieu de 50% auxquels elle pouvait prétendre du point de vue de la disposition législative intercommunale.

L’interdiction pour une commune-membre d’un établissement public de coopération intercommunale, de disposer de plus de la moitié des sièges communautaires ne s’applique pas à une communauté urbaine. Mais si cette répartition des sièges lèse la ville-centre qui se retrouve sous-représentée au conseil communautaire, elle permet de mettre en place, au-delà des règles formelles qui régissent le fonctionnement de l’intercommunalité, une relation de confiance dans laquelle les élus communautaires s’engagent non pas dans une logique partisane, mais en étant prêts à faire des concessions pour satisfaire chacun.311 Mais lorsque des changements politiques importants surviennent dans une municipalité comme un changement de couleur politique ou un maire ayant des vues divergentes sur la répartition des sièges que son prédécesseur, alors le système mis en place révèle toute sa fragilité. Il n’est pas rare que l’on renégocie la répartition des sièges au conseil communautaire pour mieux peser sur la prise de décision communautaire.

S’il est vrai qu’aucune commune ne peut à elle seule constituer une majorité au sein des organes délibérants des EPCI, il n’en reste pas moins que toutes les pratiques de représentation des communes en leur sein sont déterminées par le poids des enjeux politiques. En effet, les maires des communes moins importantes cherchent à redistribuer au niveau municipal des plus-values obtenues au conseil communautaire. La construction d’un stade ou d’une piscine représente une plus-value politique car le maire la valorise aux yeux de ses électeurs comme un acquis municipal qui n’affecte pas le budget de la commune. Ces pratiques, quels que soient les critères de répartition de sièges communautaires pris en compte par les élus, ont pour but d’empêcher la ville-centre de dicter à elle seule la politique intercommunale de l’ensemble du territoire.

309 L’arrêté préfectoral du 27 décembre 2008 a été publié officiellement dans le recueil des actes administratifs

de la Préfecture des Alpes-Maritimes le 29 décembre 2008, portant transformation de la communauté d’agglomération Nice Côte d’Azur en communauté urbaine Nice Côte d’Azur et portant adoption de ses statuts.

310 Il s’agit des communes d’Utelle, de Lantosque dont l’adhésion a eu lieu le 1er janvier 2010 et de Carros qui a

adhéré le 28 juillet 2009.

A ce jour, l’atténuation du poids et de l’hégémonie politique des communes-centres au sein des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre demeure une donnée importante de la problématique politique intercommunale. Elle représente bien souvent pour les élus communautaires une condition du consensus politique communautaire. Cette atténuation du poids politique des communes- centres au sein des conseils communautaires n’est pas nécessairement compensée par l’attribution des fonctions exécutives. La présidence du groupement de communes, nous y reviendrons plus loin, n’étant pas forcément assurée par le maire de la commune principale de la communauté. Cependant, cette sous-représentation de la ville-centre au conseil communautaire peut être partiellement compensée par l’attribution de responsabilités exécutives aux élus communautaires de la ville principale.

Pour F.-G. Bailey312, usant des « règles pragmatiques » du jeu politique, les acteurs élaborent des règles informelles sans le dire publiquement pour créer un certain consensus dans la répartition des sièges. Faire des concessions sur la répartition des sièges, comme la ville-centre d’une communauté urbaine qui renonce à détenir plus de la moitié des sièges, représente ainsi un geste tendant à rassurer ses pairs sur une possible hégémonie liée à son poids démographique. Ainsi, ces pratiques diversifiées d’attribution de sièges aux communes, « inventées » par les élus ont toutes un enjeu politique : la construction d’un « consensus communautaire », gage d’une gestion politique « sereine et apaisée »313 de la structure intercommunale.

Mais l’application de la nouvelle législation en 2014 aura des conséquences importantes au sein de la CUNCA car la loi permet de réduire le nombre de conseillers communautaires. « Plus précisément, les communautés urbaines perdraient en moyenne deux délégués, les communautés d’agglomérations quatre sièges et les communautés de communes sept. Cette baisse des effectifs associée à la proposition du gouvernement de réduire le nombre de vice-présidences à 20% de l’effectif total des élus communautaires aurait mécaniquement pour effet de réduire de moitié le nombre de vice-présidents »,314 d’où une perte d’influence pour les petites communes.

A ce jour, les EPCI laissent encore un pouvoir important aux délégués communautaires des petites communes bien représentées dans les conseils communautaires. Quelles seront en termes de pouvoir les conséquences de la nouvelle législation intercommunale ? Nous pouvons émettre l’hypothèse que certaines se maintiendront au sein des nouveaux EPCI contre des avantages financiers liés à la répartition des dotations financières de l’Etat et que d’autres résisteront en renforçant les communautés de communes qu’elles rejoindront où elles pourront maintenir leur pouvoir local. Nous pouvons aussi supposer que les discussions pour le maintien des équilibres au sein des EPCI deviendront plus âpres et que de nouvelles tensions verront le jour.

312 BAILEY Frederick Georges, op., cit.

313 Une gestion politique « sereine et apaisée » de la structure intercommunale par opposition aux débats

politiques très houleux dans les conseils municipaux entre la majorité politique municipale et l’opposition. D’ailleurs au cours de nos différents entretiens réalisés auprès des élus communautaires, ils n’ont pas manqué de mettre en évidence cet aspect singulier du dépassement des clivages politiques dans la gestion communautaire.

Conclusion

Cette observation au cas par cas confirme l’hypothèse que l’Etat a laissé à ce jour une relative liberté aux élus pour désigner le nombre de représentants au conseil communautaire et ce « dans la perspective de favoriser le contrôle des maires sur les groupements intercommunaux ».315

Elle permet aussi de voir comment le département se positionne à travers le choix de la composition des conseils communautaires au regard des pourcentages nationaux : 44% pour le poids démographique des communes, 33% pour le système mixte d’un nombre minimal de délégués par commune avec une représentation proportionnelle à la démographie et 15% pour un même nombre de représentants par commune316. Elle offre l’opportunité d’affirmer que le poids des compromis ne se voit guère pris en compte au niveau national et que l’on tend à globaliser le choix du poids démographique des communes. En fait, la sous-représentation des villes-centres, dans le cas des Alpes-Maritimes, redimensionne quelque peu les pourcentages nationaux.

Ensuite, elle met en évidence la force des retombées politiques au niveau municipal. Les maires agissent bien, à ce jour, avant tout dans l’intérêt de leur commune mais aussi pour consolider leur pouvoir local. Cette constatation à l’échelle locale, confirme les propos de Jacques Lagroye et Bernard Lacroix : « Cette perspective conduit à mettre l’accent sur la construction de l’institution comme résultat d’engagements et d’activités hétérogènes, jamais complètement voulu par quiconque non plus que jamais totalement contrôlé par personne, sans rien abandonner de l’idée que cette institution échappe, pour cette raison même, à ses auteurs comme à ses interprètes, quoiqu’elle n’ait cependant peut-être pas d’autre consistance que celle que lui confère la variété des entreprises tendant à s’en saisir et s’en servir ».317

Enfin, elle permet de confirmer notre hypothèse avancée en début de chapitre. La répartition des sièges communautaires au sein des EPCI renforce la domestication de l’institution par les élus. Elle consolide aussi les petites communes qui réussissent à être relativement bien représentées en termes de sièges proportionnellement à leur population.

Mais « ces règles pragmatiques » du jeu politique intercommunal dans la répartition des sièges excluent une partie des conseillers municipaux des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale, en l’occurrence, les minorités politiques municipales. Car des logiques de politisation sont véritablement à l’œuvre dans le recrutement des conseillers communautaires, qu’ils soient titulaires ou suppléants.

315 LE SAOUT Rémy, op, cit., p. 117.

316 Source : Intercommunalités, ADCF, n°136, juillet 2009. 317 LAGROYE Jacques et OFFERLE Michel, op, cit., p. 17.

TITRE II

Le poids des ressources sociopolitiques dans la sélection des élus au conseil communautaire et à l’exécutif intercommunal

Dans la conquête des postes de conseillers communautaires, les élus municipaux les mieux dotés en ressources sociopolitiques s’imposent par rapport à leurs pairs. En effet, les agents en compétition doivent mobiliser des ressources qu’ils vont convertir en « capital politique ». 318 L’accession aux mandats de délégués intercommunaux favorise des profils d’élus et requiert par conséquent la détention de ressources très inégalement distribuées. Voilà pourquoi il convient de voir dans un premier temps, en amont du rôle du maire et du poids de la majorité politique municipale dans ce « troisième tour des élections municipales »,319 comment les caractéristiques de certains élus locaux sont prégnantes dans le processus de recrutement des délégués des communes pour siéger dans les organes délibérants et exécutifs des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.

Le mandat de délégué intercommunal se voit attribué après une élection interne au sein du conseil municipal. Mais la détention du mandat de conseiller municipal n’est pas suffisante pour prétendre au poste de conseiller communautaire. A l’intérieur des conseils municipaux, il existe une compétition supplémentaire pour la désignation des conseillers municipaux qui aspirent à devenir conseillers communautaires. Dans cette compétition, la détention d’un certain nombre de ressources que nous analyserons au cours de ce premier volet de notre recherche se révèle déterminant. La loi offre aussi la possibilité de désigner des conseillers communautaires suppléants. Ceux-ci, sont appelés à siéger au conseil communautaire avec voix délibérative en cas d’empêchement des conseillers communautaires titulaires. Cependant, les conseillers municipaux, candidats aux postes de délégués intercommunaux titulaires et suppléants ne disposent pas des mêmes ressources. Ainsi, il convient de se pencher dans un premier temps sur les facteurs qui, en termes sociodémographiques et socioprofessionnels, favorisent la sélection des conseillers communautaires. Nous analyserons ensuite, comme nous l’avons fait pour les membres du conseil communautaire, les caractéristiques des membres du bureau, celles qui leur donne plus de chances d’accéder aux responsabilités exécutives. Nous tenterons ainsi de saisir le profil sociodémographique et socioprofessionnel des chefs de l’exécutif communautaire. (Chapitre I)

A côté de ces ressources détenues par les candidats qui aspirent à accéder à des postes de délégués intercommunaux, des ressources d’ordre politique sont aussi à prendre en compte dans la sélectivité qui s’opère entre les candidats. Il y a des conditions cumulatives, voire combinatoires qui permettent la sélection des candidats aux postes de délégués intercommunaux et qui du coup, excluent d’autres élus du « troisième tour intercommunal ». Cette désignation en interne contribue à renforcer les positions de pouvoir déjà acquises par certains élus les mieux dotés socialement et politiquement et participe à renforcer la hiérarchie politique entre élus communautaires. De plus, il ne faut pas négliger les réseaux associatifs qui deviennent souvent un puissant levier pouvant favoriser l’accès aux fonctions de délégué de commune. (Chapitre II)

318 BOURDIEU Pierre, « La représentation politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 1981, pp. 3-

24.

Enfin, nous tenterons de dégager un profil politique du chef de l’exécutif. Nous verrons comment les ressources acquises auparavant grâce par exemple au cumul des mandats se révèlent un atout important. Toutefois, nous ne manquerons pas de relativiser cet atout car la ville-centre ne représente pas toujours un acquis gagnant. En position de force, les maires profitent du « déficit démocratique » de l’intercommunalité pour asseoir leur pouvoir à travers des leviers comme la majorité municipale ou la capacité à coopter des élus municipaux. Cependant, il nous faudra relativiser ce profil de « super-élu » qui, bon gré mal gré, doit son élection à la tête de l’EPCI à un « consensus communautaire » qui relativise son apparent monopole sur le pouvoir intercommunal (Chapitre III)

Chapitre I : Des élus inégaux face à l’accès aux mandats de délégués

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