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Les règlements intérieurs ou « l’emprise de l’institué » dans l’organisation de la gestion politique intercommunale

Chapitre II : Une auto-organisation politique intercommunale par le biais des règles formelles et informelles

A. Les règlements intérieurs ou « l’emprise de l’institué » dans l’organisation de la gestion politique intercommunale

Le Code général des collectivités territoriales (CGCT) opère une transposition de certains dispositifs qui régissent le fonctionnement des conseils municipaux à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Comme les lois successives relatives à la réforme de l’intercommunalité et à la mise en place des EPCI que nous avons déjà évoquées, les élus communautaires s’approprient des dispositifs formels existant de l’institution municipale tout en les adaptant aux spécificités internes de l’intercommunalité. Ainsi, contrairement aux conseils municipaux, l’élaboration des règlements intérieurs au sein des établissements publics de coopération intercommunale est révélatrice des compromis entre les maires des différentes communes. Dans l’élaboration des règlements intérieurs censés régir le fonctionnement de l’EPCI, les maires sont contraints au compromis. Ces derniers atténuent le caractère « présidentialiste »239 du pouvoir du maire obligé de négocier avec ses pairs.

La loi du 6 février 1992 sur l’administration territoriale de la République (ATR) oblige les conseils municipaux à se doter d’un règlement intérieur240 et dans les communes de moins de 3 500 habitants, c’est au conseil municipal qu’il appartient d’apprécier librement l’opportunité d’établir un tel règlement. Dans les communes de 3 500 habitants et plus, le conseil municipal établit son règlement intérieur dans les six mois qui suivent son installation. Disposant d’une large autonomie quant au contenu du règlement intérieur, c’est le maire qui dans la pratique, a le monopole de son élaboration. Il le soumet ensuite à l’approbation du conseil municipal. Parfois ce règlement n’est pas voté par les élus de l’opposition municipale. Ainsi, les exemples où les élus de l’opposition municipale ont voté contre les règlements intérieurs proposés par les majorités municipales sont légion. Après les élections municipales de 2008, les élus municipaux d’opposition de Grasse, de Pégomas, de La Roquette-sur-Siagne, de Mouans-Sartoux (communes-membres de PAP), d’Antibes, de Valbonne, Roquefort-les-Pins (communes-membres de la CASA), ont voté contre le règlement intérieur. On en déduit que, si dans les conseils municipaux, le maire, bénéficiant du soutien de la majorité municipale peut ne pas tenir compte de l’avis de l’opposition municipale lors du vote du règlement intérieur, ce n’est pas le cas au sein de l’assemblée intercommunale.

Les dispositions réglementaires des communes sont applicables aux établissements publics de coopération (EPCI) à fiscalité propre, le règlement intérieur étant obligatoire dans les communautés comprenant une commune de 3 500 habitants ou plus. Ainsi dans les six mois qui suivent l’installation du conseil communautaire, les organes délibérants des EPCI à fiscalité propre, comprenant une commune d’au moins 3 500 habitants, sont également tenus d’établir dans les mêmes conditions leur règlement intérieur. On remarque donc qu’un outil d’organisation des rapports entre élus municipaux est « importé » au sein des EPCI. Pour donner vie à un EPCI à fiscalité propre et lui apporter les moyens de sa mission, il est obligatoire (articles L. 2121-8 et L. 5211-1 du C.G.C.T) d’en définir clairement les règles de fonctionnement ainsi que les droits et les obligations de chacun de ses membres.

239 KERROUCHE Eric, op., cit. 240 Art. L. 2121-8 du CGCT.

A l’instar d’autres collectivités territoriales, organismes publics ou privés, le règlement intérieur participe à la régulation des rapports de forces entre les différents acteurs de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Son contenu peut varier selon les EPCI, mais le C.G.C.T exige un socle commun. Il s’agit des règles concernant les questions orales (article L. 2121-19), l’organisation du débat d’orientation budgétaire (article L. 2312-1), les règles de consultation des projets de contrats ou de marchés (article L. 2121-12). Depuis la loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002, il fixe aussi les modalités du droit d’expression de l’opposition au sein du bulletin d’information (article L. 2121-27-1). Mais, l’organisation des modalités du droit d’expression fait très souvent l’objet d’opposition entre la majorité et la minorité municipales. En 2008, l’opposition municipale d’Antibes (CASA) a demandé au maire et président de la CASA, Jean Léonetti de modifier le temps de parole qui figure dans le règlement intérieur :

« La proportionnalité du temps de parole et le délai maximum d’intervention n’apparaissent pas dans les règlements intérieurs types. Nous n’approuvons pas le fait que cela figure dans notre règlement intérieur. Si le maire applique ce que nous proposons, nous pouvons comme sous la mandature précédente effectuer notre mandat d’opposition dans de bonnes conditions »241

Mais malgré les demandes renouvelées du groupe d’opposition « La Gauche et l’Ecologie pour Antibes Juan-les-Pins » comme lors du conseil municipal du 25 octobre 2010, le maire maintient sa position de refus. Il suggère même aux élus d’opposition : « allez au tribunal »242. Si l’adoption d’un règlement intérieur municipal demeure une obligation dans les communes de plus de 3 500 habitants, il apparaît en effet que le législateur ne mentionne pas obligatoirement la participation de l’opposition municipale dans l’élaboration de ce document. Le silence du législateur laisse toute liberté au maire de rédiger un règlement intérieur, dans le respect toutefois des dispositions législatives et règlementaires en vigueur, qu’il soumet ensuite au vote des conseillers municipaux. Il ne reste plus qu’aux élus de l’opposition municipale de déférer le règlement intérieur au tribunal administratif en cas de désaccords sur son contenu. Pour Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, « Un instrument n’est jamais réductible à une rationalité technique pure. Il est indissociable des agents qui en déploient les usages »243. Ainsi, dans les conseils municipaux, le règlement intérieur apparaît comme un instrument de domination de l’exécutif municipal sur la minorité politique d’opposition. Il est révélateur du déséquilibre des rapports de forces politiques au sein du conseil municipal.

Cependant dans les EPCI à fiscalité propre, le président n’a pas le monopole de l’élaboration du règlement communautaire. L’élaboration du règlement intérieur de l’EPCI apparaît comme l’une des étapes pour asseoir les bases du travail communautaire et sans doute aussi comme l’un des éléments de la fabrication du « consensus communautaire »244. En outre, des mentions facultatives peuvent y figurer. Il s’agit des attributions et compositions

241 Extrait de l’intervention du groupe d’opposition municipale d’Antibes, « La gauche et l’Ecologie pour

Antibes Juan-les-Pins », conseil municipal du 24 avril 2008.

242

Extrait du compte rendu du conseil municipal d’Antibes du 25 octobre 2010.

243 LASCOUMES Pierre et LE GALES Patrick, Gouverner par les instruments, Paris, SciencesPo. Les Presses,

2004, p. 14.

244

DESAGE Fabien, Le « consensus » communautaire contre l’intégration intercommunale. Séquences et

dynamiques d’institutionnalisation de la communauté urbaine de Lille (1964-2003), Thèse de doctorat en

des commissions, la fréquence des réunions, l’organisation de débats, des droits et devoirs des groupes politiques. La loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002, fixe également les règles concernant la formation d’une « mission d’information et d’évaluation » pour les EPCI regroupant une population de 50 000 habitants et plus. Mais le rôle de cette « mission d’information et d’évaluation » n’étant pas précisé par la loi, cela laisse la faculté aux élus communautaires de la mettre en place. Aucun EPCI à fiscalité propre du département ne la mentionne dans son règlement intérieur. On peut expliquer ce manque par le fait qu’une « mission d’information et d’évaluation » aura pour but d’informer les conseillers communautaires et de suivre l’action de l’exécutif intercommunal sur les politiques communautaires. Or, on voit très mal comment les maires peuvent accepter de se faire contrôler par des élus communautaires, les maires des communes-membres étant les principaux rédacteurs du règlement intérieur de la structure intercommunale.

En effet, après chaque renouvellement du conseil communautaire à l’issue des élections municipales, les maires doivent procéder à l’élaboration d’un nouveau règlement intérieur de la structure intercommunale. Pour ce faire, un travail de consultation est d’abord mené en amont par le président de l’exécutif intercommunal, sans que cela soit une obligation juridique, avec l’ensemble des maires des communes-membres de l’EPCI, avant son approbation définitive par l’assemblée délibérante communautaire. Une telle pratique permet d’éviter d’éventuelles oppositions politiques ou partisanes à l’adoption du règlement intérieur intercommunal. Car comme celui du conseil municipal, le règlement intérieur des communautés est susceptible de recours devant la juridiction administrative pendant le délai de droit commun et son illégalité peut toujours être soulevée par voie d’exception245.

Aucun règlement intérieur, voté par les conseils communautaires des EPCI à fiscalité propre, choisis dans notre échantillon de recherche, n’a fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif ou d’un vote négatif lors de son approbation, comme c’est très souvent le cas au sein des conseils municipaux. Mais le vote à l’unanimité du règlement intérieur au sein du conseil communautaire est le résultat d’un consensus sur son contenu obtenu en amont par les maires. C’est que ce mettent en évidence les propos de Jean-Pierre Leleux (président de PAP) :

« Nous pouvons être fiers de notre travail de collaboration à travers ce règlement intérieur. Le fait de l’approuver aujourd’hui montre que notre communauté d’agglomération fonctionne comme nous nous le voulons. C’est un esprit de solidarité entre nos communes, qui à mon avis, se manifeste dans ce que nous pouvons construire »246.

Il ressort de ces propos que l’approbation du règlement intérieur par l’ensemble des conseillers communautaires implique que les maires aient d’abord adhéré à son contenu, défini de manière collective. Document de référence pour l’action politique intercommunale,

245 L’illégalité d’un acte peut être constatée par voie d’action ou par voie d’exception dans le cas d’un

contentieux administratif. Le recours contre le règlement (voie d’action) aboutit, s’il est fondé, à son annulation. Il doit être formulé dans un délai de deux mois. L’exception d’illégalité permet au requérant de demander au juge de ne pas appliquer un acte illégal lors d’un contentieux portant sur un acte. Par conséquent, une disposition illégale du règlement intérieur ne pourra être valablement invoquée à l’appui d’un autre acte, par exemple, une délibération. L’article 2121-8 du CGCT précise que le « règlement intérieur peut être déféré au tribunal administratif ». Les requérants peuvent demander une annulation partielle du règlement intérieur.

le règlement intérieur qui fixe les règles d’organisation du travail politique intercommunal, participe en quelque sorte à définir les règles du jeu entre les maires. Il régit le mode d’organisation et de fonctionnement des EPCI à fiscalité propre. Les règlements intérieurs que l’on peut assimiler à des instruments que les élus utilisent pour « gouverner », traduisent les rapports de pouvoir entre eux, et « nourrissent une dynamique d’institutionnalisation »247 de l’EPCI à fiscalité propre. En effet, contrairement à ce qui se passe dans un conseil municipal, le président de l’EPCI à fiscalité propre est obligé de travailler de façon collégiale avec les autres maires, vice-présidents de la communauté pour mettre en place le règlement intérieur intercommunal. C’est le fruit d’une consultation menée avant le vote au conseil communautaire entre le président et ses vice-présidents contraints d’accepter des compromis. Ils abandonnent ainsi une part de leur pouvoir mayoral car ils ne peuvent décider seuls du contenu du règlement intérieur comme dans un conseil municipal.

Les règlements intérieurs de l’EPCI à fiscalité propre et du conseil municipal présentent des points de convergence, mais aussi des différences au niveau de leur contenu. Ils ont pour points communs de présenter l’organisation des séances de leurs assemblées délibérantes (la périodicité des séances, les convocations, la fixation de l’ordre du jour, l’accès aux dossiers par les élus, les questions orales), la conduite des séances (la présidence de la séance assurée par le président de l’EPCI, comme le maire au conseil municipal, la police de l’assemblée délibérante assurée de la même façon par les exécutifs communaux et intercommunaux), l’organisation des débats et le vote des délibérations des assemblées délibérantes (le président et le maire accordent la parole aux élus et la retire, les délibérations sont prises à la majorité absolue des suffrages exprimés), la composition et le rôle des commissions ( les commissions réglementaires et les commissions facultatives). Dans les communes et les EPCI à fiscalité propre, les commissions n’ont pas de pouvoir de décision.

Il existe néanmoins des éléments de différence. Les communes de plus de 3 500 habitants qui ont l’obligation d’élaborer un règlement intérieur mentionnent le droit d’expression des groupes d’opposition du conseil municipal dans les supports d’information, conformément à l’article L. 2121-27-1 du CGCT qui fait obligation au maire de réserver un espace d’expression aux conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale dans les supports d’information. Mais, les règlements intérieurs des EPCI à fiscalité propre comprenant une commune de 3 500 habitants et plus, ne mentionnent nulle part le droit de réserver un espace d’expression dans les supports d’information de l’institution intercommunale, sauf dans le cas de la communauté urbaine. Or, l’article L. 2121-27-1, relatif au droit d’expression des conseillers municipaux n’appartenant pas à la majorité municipale dans le bulletin d’information diffusé par une commune de plus de 3 500 habitants, est applicable aux délégués de l’intercommunalité en vertu de l’article L. 5211-1.

Toutefois, les membres dirigeants des EPCI ne le mettent pas en application, car contrairement à un grand nombre de communes, aucun EPCI à fiscalité propre dans le département ne détient un journal d’information communautaire dans lequel les élus communautaires d’opposition pourraient s’exprimer. Or la mise en œuvre de ce droit n’exige pas que les conseillers minoritaires appartiennent à un groupe, et elle pourrait être le fait d’un délégué agissant comme seul représentant d’une tendance politique minoritaire. Mais, le

247 FLIGSTE N., « Social Skills and Institutional Theory », American Behavioral Scientist, 40, 1997, pp. 397-

président et les vice-présidents d’un commun accord, se contentent seulement de publier régulièrement dans le journal local, en l’occurrence Nice-Matin, les réalisations communautaires248. Si cette pratique vise à occulter volontairement l’instance intercommunale, elle participe aussi à la stratégie d’évitement de sa politisation. Publier un journal communautaire impliquerait alors d’accorder, comme l’exige la loi une tribune d’expression à l’opposition communautaire. En occultant ce droit d’expression, les dirigeants des EPCI s’approprient de l’institué, en l’occurrence le règlement intérieur des communes pour en faire un instrument de pouvoir.

C’est ainsi que les élus communautaires issus des oppositions municipales des communes membres qui siègent au sein des organes délibérants communautaires des EPCI à fiscalité propre parmi lesquels on peut citer la communauté de communes de Terres de Siagne (CCTS) et la communauté d’agglomération Sophia-Antipolis (CASA), n’ont pas d’expression qui leur est réservé dans les supports d’information. Leurs règlements intérieurs249 ne mentionnent pas la place des élus communautaires minoritaires.

Une autre particularité du règlement intérieur des EPCI à fiscalité propre par rapport à celui des communes dont ils sont pourtant issus tient à la place importante qu’occupe le bureau communautaire par rapport au conseil communautaire. Le bureau communautaire, composé des maires des communes-membres des EPCI, affirme son pouvoir dans la prise de décision et le rôle politique qui lui incombe dans la direction des affaires intercommunales. Le règlement intérieur de l’EPCI précise surtout le rôle joué par le président de l’exécutif intercommunal au sein de cette instance politique. Il institutionnalise de nouveaux rôles politiques qui engendrent une nouvelle hiérarchie de positions de pouvoir au sein de l’instance intercommunale. Toute convocation de réunion est faite par le président, que ce soit la séance du conseil communautaire (c’est l’assemblée délibérante de l’EPCI où siègent tous les conseillers communautaires qui votent les délibérations) ou la réunion du bureau communautaire (ne participent à cette réunion que les membres de l’exécutif intercommunal). Contrairement donc à la commune, nous avons deux organes délibératifs, le conseil communautaire et le bureau au sein de l’EPCI à fiscalité propre. Importé de la commune, le règlement intérieur dans sa formulation se présente ainsi comme un dispositif de redistribution du pouvoir décisionnel entre les différentes instances intercommunales. S’il y a une continuité par rapport à l’usage des dispositifs importés de la commune, on notera cependant une rupture dans l’organisation des instances de prise de décision. Dans les communes, une seule instance, en l’occurrence le conseil municipal, délibère. Dans les EPCI à fiscalité propre, ce sont le conseil communautaire et le bureau qui prennent les décisions. L’institué, à travers les règlements intérieurs, dispositifs plus ou moins stabilisés d’une institution existante, à savoir la commune, constitue un moyen de contrôle, de régulation des rapports entre élus au sein de la structure intercommunale.

248 Dans le quotidien local Nice-Matin, les réalisations communautaires dans le domaine par exemple de la

construction de logements dans les communes-membres, de la mise en place de tris sélectifs à l’échelle intercommunale ou encore de diverses manifestations culturelles, sportives et économiques (la semaine de l’emploi de la CASA, de PAP…) sont fréquemment publiées.

249 Nous nous sommes penchés sur le contenu des règlements intérieurs de la communauté de communes des

Terres de Siagne (CCTS) et de la communauté d’agglomération Sophia-Antipolis (CASA). A part la communauté urbaine Nice Côte d’Azur (CUNCA), les autres EPCI à fiscalité propre auxquels nous nous sommes intéressés tels que la communauté d’agglomération Pôle Azur Provence, la communauté d’agglomération de la Riviera Française (CARF) n’ont pas accordé de sièges aux élus d’opposition municipale.

Cependant la dépendance des élus à l’égard des formes instituées comme les règlements intérieurs ne permet pas de saisir à elle toute seule l’institutionnalisation du jeu politique intercommunal. Il convient aussi de s’intéresser à ce qui relève de l’instituant c’est- à-dire « le processus par lequel un groupe tend à s’organiser »250, notamment avec la mise en place des chartes politiques intercommunales.

B. Les chartes : instruments d’autocontraintes des conduites des conseillers

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