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Chapitre I : Des élus inégaux face à l’accès aux mandats de délégués intercommunau

Section 2 : La sélectivité socioprofessionnelle comme facteur discriminant dans le choix des délégués de communes

A. Les logiques sociales de la sélection des délégués de communes

Après l’analyse du sexe et de l’âge comme variables déterminantes dans le choix des délégués de communes, nous nous sommes intéressés à la distribution socio-professionnelle de ces derniers. En effet, il apparaît important de se pencher sur les relations entre origine professionnelle et accession au mandat de délégué intercommunal titulaire ou suppléant et voir si l’origine socioprofessionnelle influe sur le recrutement des candidats et quelles catégories alors se voient privilégier au détriment d’autres.

Voilà pourquoi, nous avons étudié la répartition des élus communautaires par catégories socioprofessionnelles dans les EPCI suivants : Monts d’Azur, Terres de Siagne, PAP, CASA, CARF et CUNCA. Ils représentent 284 titulaires et 128 suppléants, soit 412 conseillers. Deux cent soixante-seize élus ont répondu au questionnaire (annexe n°3) envoyé dans toutes les mairies concernées, soit 67% des élus. La recherche sur le terrain montre que dans les communautés de communes, la collecte des données s’avère très difficile d’où notre choix de nous limiter à deux communautés de communes, à l’est du département et plus accessibles compte tenu des liens existants entre Grasse et son arrière-pays.

En effet, les questionnaires n’étaient pas complètement remplis et la profession manquait souvent. Il fallait alors téléphoner dans les différents secrétariats de mairie et se confronter souvent à un refus de nous communiquer les professions. Aucun site internet des mairies ne s’intéressant à ce critère, les recherches se sont avérées fastidieuses. Nous sommes parvenus toutefois à obtenir un nombre satisfaisant de réponses. Nous tenons à rappeler que peu d’ouvrages se consacrent à l’étude des conseillers municipaux, encore moins à celle des conseillers communautaires, alors que les recherches sur les maires foisonnent.

La nomenclature adoptée est celle de l’Insee lors de ses recensements. Comme pour Jean- Paul Brunet « le codage socioprofessionnel nous a souvent plongés dans d’interminables hésitations que nous avons fini par lever après informations auprès des correspondants de chaque ville et en laissant une part non négligeable au bon sens ».332

Tableau n°14 : La répartition par catégories socioprofessionnelles des élus communautaires Catégories socioprofessionnelles Conseillers communautaires titulaires (I) Conseillers communautaires suppléants (II) Total

(I) et (II) Soit %

Agriculteurs exploitants 1 élu, soit 0,5% 1 élu, soit 1,1% 2 0,7%

Artisans, commerçants et chefs d’entreprise

24 élus, soit 12,8% 14 élus, soit 15,9% 38 13,8%

Cadres et professions intellectuelles supérieures

63 élus, soit 33,5% 27 élus, soit 30,7% 90 32,6%

Professions intermédiaires 16 élus, soit 8,5% 9 élus, soit 10,3% 25 9,1%

Employés 13 élus, soit 6,9% 11 élus, soit 12,5% 24 8,7%

Ouvriers Pas d’élu, soit 0% Pas d’élu, soit 0% 0 0%

Retraités 67 élus, soit 35,6% 22 élus, soit 25% 89 32,2%

Sans activité professionnelle 4 élus, soit 2,2% 4 élus, soit 4,5% 8 2,9%

Total 284 élus 128 élus

La première remarque que nous tirons du tableau ci-dessus met en évidence un certain fossé entre « cadres et professions intellectuelles supérieures » et « ouvriers, agriculteurs et sans profession », soit 29 points d’écart.

La deuxième remarque est celle liée à la place consistante qu’occupent les retraités qui représentent plus d’un tiers des élus communautaires. Ils sont âgés en moyenne de 65 ans contre plus de 50 ans pour les conseillers communautaires qui sont en activité. Si la disponibilité des retraités est un avantage pour l’implication dans la vie municipale, elle est aussi un atout considérable dans la compétition pour l’accès au mandat de délégué intercommunal dont l’exercice est ressenti par ailleurs comme de plus en plus lourd à assumer et de moins en moins compatible avec une activité professionnelle normale. Les propos suivants traduisent ce sentiment :

« Aujourd’hui, le développement de structures intercommunales avec le transfert de plus en plus important des compétences communales qui va avec, demande aux délégués de communes plus d’investissement que par le passé. Etre à la fois conseiller municipal et délégué de communes implique un emploi de temps chargé car il faut assister très souvent à de nombreuses réunions le même jour. Vous savez, ça prend quand même du temps de faire tout ce travail ! »333

333 Extrait de l’entretien réalisé avec M. Thierry Gueguen, maire de Séranon, conseiller communautaire, vice-

Cette réflexion recueillie lors de nos entretiens illustre bien cette mise en avant de la variable « temps » que nous avons voulu vérifier sur le terrain, pour les communes les plus petites :

Tableau n°15 : La répartition par catégories socioprofessionnelles des élus communautaires dans les communautés de communes des Monts d’Azur et de Terres de Siagne

Catégories socioprofessionnelles CC Monts d’Azur CC Terres de Siagne

Agriculteurs exploitants 0% 0%

Artisans, commerçants et chefs d’entreprise 8,3% 4% Cadres et professions intellectuelles supérieures 8,3% 40% Professions intermédiaires 0% 16% Employés 12,5% 4% Ouvriers 0% 0% Retraités 54,2% 36%

Sans activité professionnelle 16,7% 0%

Total 100% 100%

Ce tableau confirme les propos de Thierry Gueguen. En effet, dans le Haut-Pays grassois, les retraités représentent un pourcentage important. Ils correspondent à un habitat où la population est vieillissante et où l’on enregistre un retour de citadins à leur village d’origine dans la vie politique duquel ils s’impliquent. Dans le Moyen-Pays, les retraités représentent toujours un pourcentage important mais ce sont déjà les cadres et les professions intellectuelles supérieures qui prédominent.

Etre retraité implique que l’élu dispose de temps à consacrer à l’action politique locale.334 En effet, le temps disponible pour exercer leur mandat représente l’une des préoccupations essentielles des élus locaux. Selon un sondage effectué en 2010, plus d’un tiers d’élus locaux considèrent le manque de temps comme l’une de leurs principales difficultés335. La force de la ressource « temps disponible » trouve ainsi toute son importance chez les retraités. Cette force dépend-elle des électeurs qui attendent de leurs élus un investissement dans l’action politique locale ? Dépend-elle d’une stratégie des élus pour écarter les concurrents les plus jeunes ?

En théorie, le statut336 de l’élu local aménage les conditions matérielles de l’exercice du mandat, c’est-à-dire, donner le temps et les moyens nécessaires à la fonction d’élu et incite toutes les catégories professionnelles à se porter candidates aux fonctions électives. Mais ce principe est loin de se traduire dans la réalité, car toutes les catégories socioprofessionnelles

334 DE COURSON Jacques, Les élus locaux, Editions d’Organisation, 2000, 240 p. 335 La gazette des communes, des départements et des régions, 4 octobre 2010.

n’accèdent pas facilement aux fonctions électives. Et l’intercommunalité participe à renforcer cette difficile accession aux mandats électifs locaux d’une grande partie de la population.

Nous allons voir maintenant à travers le tableau qui suit les différences de répartition entre les populations locales de Nice et de Grasse et celles de leurs conseils municipaux et communautaires.

Tableau n°16 : La répartition par catégories socioprofessionnelles des populations de Nice et de Grasse et celle de leurs conseils municipaux et communautaires

Catégories

socioprofessionnelles Ville de Nice Ville de Grasse

Pop. locale CM CC Pop. locale CM CC Agriculteurs exploitants 0,1% 0% 0% 0,2% 0% 0%

Artisans, commerçants et chefs d’entreprise 3,6% 10,15% 14,7% 4,37% 18,6% 33,34% Cadres et professions intellectuelles supérieures 7,7% 49,2% 51,2% 8,69% 39,53% 44,44% Professions intermédiaires 12,7% 14,50% 17,1% 14,22% 18,6% 0% Employés 18% 4,35% 7,3% 18,71% 4,7% 0% Ouvriers 9,3% 0% 0% 13,15% 0% 0% Retraités 29% 10,15% 2,4% 22,26% 16,27% 22,22%

Sans activité professionnelle 19,6% 11,65% 7,3% 18,40% 2,3% 0%

Total 100% 100% 100% 100% 100% 100%

Source pour les populations de Nice et de Grasse : recensement de l’Insee de 2008

L’activité agricole dans les Alpes-Maritimes représente une activité qui ne cesse de baisser. De plus, la population vieillissante de cette catégorie, le temps consacré à leur activité bien supérieur à la moyenne nationale, la difficulté du mandat intercommunal face à des problématiques toujours plus complexes n’encouragent pas ces citoyens à entrer dans la vie politique locale, qu’elle soit municipale ou intercommunale.

L’absence totale des ouvriers est frappante aussi bien au conseil municipal qu’au conseil communautaire. Nous remarquons là un véritable déficit de représentativité sociale car cette classe sociale n’est pas négligeable au sein d’une ville comme Grasse, première ville industrielle du département. Il semble qu’ils « souffrent d’un double handicap : une position symboliquement dominée (faible capital scolaire, faible réputation de compétence), mais aussi une faible notoriété comme tous les salariés ». 337

Toutefois, si le pourcentage des élus issus des milieux ouvriers est inexistant, celui des employés est relativement plus élevé, mais ne pèse pas de façon importante dans la sélection des délégués intercommunaux. Leurs possibilités d’accéder, une fois élus conseillers municipaux, à l’espace politique intercommunal sont quatre fois moins élevées que celles des professions libérales, les cadres et professions intellectuelles supérieures.

Les chefs d’entreprise sont assez bien représentés. « Depuis les années 1980, des chefs d’entreprise se lancent dans l’aventure municipale en mettant leurs compétences managériales ».338 On peut dire que « là encore, réputation de compétence, notoriété et clientélisme jouent dans le même sens ». 339

Mais l’écrasante majorité des élus des conseils communautaire et municipal sont issus des cadres et professions intellectuelles supérieures, notamment des professions libérales comme les médecins ou les avocats. « C’est toute une culture de la confiance à l’égard des autorités sociales qui prédisposent à leur éligibilité. La transformation de la clientèle professionnelle en clientèle politique n’est qu’un des ressorts de cette alchimie ».340

Les retraités ne représentent pas le même poids que dans les communautés de communes. A Nice, notamment, leur représentation au conseil communautaire reste très faible : 2,4% face au 32,2% de la répartition sur les communautés analysées dans le tableau n°15. On peut avancer quelques explications. D’une part, Christian Estrosi a voulu sans doute accéder à la marie de Nice avec une nouvelle équipe municipale afin de marquer une certaine rupture avec le maire sortant Jacques Peyrat. D’autre part, se faisant accompagner dans cette campagne municipale niçoise, il voulait apparaître comme un homme « nouveau » par rapport à son prédécesseur. Il fallait construire l’image d’un candidat « ouvert ».

Le statut professionnel apparaît ainsi très prédictif dans la sélection des conseillers municipaux pour participer au « 3ème tour » des élections municipales. Nous pouvons mettre en exergue plusieurs constations de cette analyse empirique :

- Le déficit de la représentativité sociale face à la population locale avec des tranches professionnelles complètement absentes.

- La sur-représentation des cadres dans les communautés d’agglomération et la communauté urbaine.

- La sur-représentation des retraités dans les communautés rurales.

- L’étau de la sélectivité qui se resserre dans le passage du conseil municipal au conseil communautaire.

Nous mettons ici en évidence des caractéristiques sociologiques qui dessinent le profil des conseillers communautaires qui contribuent au processus d’institutionnalisation des EPCI. Les distorsions sociologiques se trouvent ainsi renforcées par ce « 3ème tour » des élections municipales. Les élus les mieux dotés sociologiquement et politiquement accèdent plus facilement aux mandats intercommunaux et s’investissent dans le travail politique communautaire plus que certains de leurs pairs du conseil municipal. Si l’origine socioprofessionnelle pèse relativement dans la compétition du « 3ème tour » des municipales

338 LE BART Christian, op. cit., p. 189. 339 Ibidem., p. 190.

pour l’accession aux mandats intercommunaux, nous voulons nous pencher sur la place accordée aux ressources culturelles des candidats dans ce processus de recrutement communautaire.

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