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L’intercommunalité : terrain de luttes permanentes pour la conquête des leaderships politiques des territoires

PREMIERE PARTIE

LES FACTEURS LOCAUX DE CREATION DES EPCI ET LES LOGIQUES DE RECRUTEMENT DU PERSONNEL POLITIQUE INTERCOMMUNAL

B. L’intercommunalité : terrain de luttes permanentes pour la conquête des leaderships politiques des territoires

Dans le département des Alpes-Maritimes, il existe une disparité en termes de couverture intercommunale car à ce jour, une trentaine de communes se trouvent isolées sur les 163 que compte le département. Ce caractère disparate de mise en place des EPCI dépend en partie, comme nous l’avons démontré auparavant, des spécificités propres à chaque territoire, des enjeux de pouvoir territoriaux, du poids de certains élus dans l’espace politique local, des conflits de personnes, des alliances politiques partisanes, des ressources mobilisées par les acteurs en présence. Mais si les élus locaux se saisissent des lois sur l’intercommunalité pour construire des EPCI à fiscalité propre « nouvelle formule » à caractère souvent « défensif » et stratégique en reproduisant les anciennes formules de la coopération intercommunale, ils l’instrumentalisent aussi en vue d’asseoir leur pouvoir ou de consolider leur leadership politique local. Cette quête permanente d’extension du pouvoir local est au cœur de la nouvelle donne intercommunale.

La mise en place des EPCI entraîne un « enchevêtrement des échelons territoriaux »196, complexifiant encore plus la nouvelle donne intercommunale loin du principe annoncé par la loi Chevènement de 1999 de « simplification de la coopération intercommunale ». Ainsi, dans le département des Alpes-Maritimes, toutes les communautés de communes, sans exception, tendent à se construire sur les périmètres des différents cantons. Le tableau n°2 montre bien l’importance d’un décalque de nombreuses communautés de communes sur les cantons dont elles dépendent au Conseil général et ce à 64%. Si certaines communautés de communes se sont bâties sur un seul canton, d’autres au contraire se sont même étendues à deux cantons.

195 RANGEON François, « La loi Chevènement du 12 juillet 1999 : une réforme consensuelle ? », Annuaire des collectivités locales, 2000, pp. 9-23.

196 Le Rapport de la Cour des comptes de 2005 met en évidence cette problématique de l’enchevêtrement des

Tableau n°2 : Les communautés de communes bâties sur des cantons dans le département des A.M *CC Date de mise en place CC bâtie sur un canton CC bâtie sur deux cantons Nombre de communes membres

Arrond. Présidents d’un l’EPCI et conseillers généraux avant les dernières élections de mars 2011 Appartenance politique du président de l’EPCI CC des Coteaux d’Azur 1998 Canton de Carros

3 Nice Emile TORNATORE Conseiller général du canton de Carros, réélu

Gauche/PC CC

Cians Var

1999 Canton de Guillaumes

/ 9 Nice Charles-Ange GINESY Conseiller général du canton de Guillaumes, réélu Droite/UMP CC Vallée de l’Estéron 1999 Canton de Roquesteron

/ 10 Nice Pierre-Guy MORANI Conseiller général du canton de Roquesteron, réélu Droite/UMP CC Monts d’Azur 2000 Canton de Saint-Auban

/ 14 Grasse Michèle OLIVIER Droite/UMP CC Stations

Mercantour 2000

Canton de Saint Etienne de-

Tinée

/ 3 Nice Jean-Marie BOGINI Droite/UMP CC Tinée 2000 Canton de

Saint-Sauveur- sur-Tinée

/ 10 Nice Fernand BLANCHI Conseiller général du canton Saint-Sauveur- sur-Tinée, réélu Droite/UMP CC Pays des Paillons 2001 / -Canton de l’Escarène -Canton de Contes

11 Nice Francis TUJAGUE Conseiller général du canton de Contes, réélu

Gauche/PCF CC Vallée d’Azur 2001 / -Canton de Puget-Théniers -Canton de Villars-sur-Var

16 Nice Robert VELAY Conseiller général du canton de Puget- Théniers, réélu Droite/UMP CC Vésubie Mtour. 2007 / -Canton de Roquebilière -Canton de St- Martin-Vésubie

5 Nice Gérard MANFREDI Conseiller général du canton de Roquebillière, réélu Droite/UMP CC Terres de Siagne 2009 Canton de Saint- Vallier-de-Thiey

/ 6 Grasse Maxime COULLET

Conseiller général de St- Vallier-de-Thiey, réélu

Droite/UMP

* (CC) : signifie Communauté de communes

Garder les contours du canton pour bâtir une intercommunalité, c’est l’assurance de maîtriser le nouveau territoire intercommunal. Mais ce dernier permet aussi au conseiller général qui préside l’EPCI de s’assurer de la fidélité de ses soutiens et d’une partie de ses électeurs qui vivent dans les communes-membres de la structure intercommunale et de ses pairs. Conseiller général du canton sur lequel est bâti son EPCI, il parvient à mobiliser les ressources financières départementales pour ses pairs et ses soutiens dans le cadre de l’allocation de multiples dotations et subventions. L’intercommunalité lui permet de s’inscrire dans la continuité de son rôle de « courtier », de le consolider à travers les dotations et subventions qu’il réinvestit dans les communes-membres de l’EPCI. Au niveau du conseil général, il joue le rôle d’intermédiaire pour ses pairs pour négocier, par exemple, les dotations

de solidarité rurale destinée principalement aux petites communes. D’ailleurs lors d’une élection cantonale, il n’hésite pas à s’approprier de ces aides départementales octroyées aux communes pour en faire un argument de campagne électorale :

« Tout au long de mon mandat de conseiller général, je n’ai oublié aucune commune du canton de Saint-Vallier-de-Thiey. J’ai toujours défendu les dossiers de nos communes car elles ont besoin de moyens financiers du conseil général pour avancer dans leurs projets. Je continuerai à travailler dans ce sens si les électeurs me renouvellent leur confiance. Nous avons une belle intercommunalité qui mérite l’attention de tout le monde. Nous devons la faire vivre et exister sur ce territoire ».197 Dans ses propos, le maire de Saint-Cézaire, conseiller général et initiateur de la communauté de communes de Terres de Siagne se présente comme le candidat sortant capable de défendre les intérêts de son canton, donc ceux des communes-membres de l’EPCI. Il fait ainsi le lien entre son mandat de conseiller général et son rôle de conseiller communautaire. Pour lui, c’est son mandat de conseiller général qui lui a permis de mobiliser les ressources financières pour les communes de la CC de Terres de Siagne. Le leadership politique sur un territoire passerait donc par la capacité de l’élu à distribuer des subventions acquises dans l’exercice d’un autre mandat local.

L’enchevêtrement des territoires cantonaux et intercommunaux a pour conséquence dans la majorité des cas, l’enchevêtrement des mandats de président d’un EPCI et de conseiller général. Ce cumul des fonctions de président d’EPCI et de conseiller général permet d’accéder à des ressources personnelles en termes d’indemnités et autres subventions, réinvesties ensuite sur le territoire intercommunal. Ces ressources cumulées permettent d’asseoir et de consolider le leadership politique local des détenteurs de ces mandats. Le leadership politique se construit donc sur des enjeux de consolidation du pouvoir local existant.

Décalquer les EPCI à fiscalité propre sur le ou les cantons en adaptant les lois relatives à l’intercommunalité au contexte local est une pratique qui offre aux élus locaux dominants, élus détenteurs de mandats électifs locaux ou nationaux, une nouvelle ressource pour conforter leur pouvoir et élargir ainsi leur champ d’autorité. Comme le montre le précédent tableau n°2, sept communautés de communes se sont bâties sur un seul canton. Les structures intercommunales s’affranchissent très rarement du cadre cantonal qui perdure. Elles consolident de cette façon les leaders politiques locaux car la majorité d’entre eux sont à la fois conseillers généraux et présidents des communautés de communes qu’ils ont contribué à mettre en place. Ils profitent de plus de la non-application de la loi sur le cumul des mandats électifs sur les fonctions exécutives intercommunales.

En s’appropriant des lois successives sur l’intercommunalité sur la base des anciennes pratiques de coopération pour créer des communautés intégrées, les élus locaux réussissent à conforter leur pouvoir mayoral et cantonal. En effet, « pour certains, l’intercommunalité doit être un outil entre les mains des élus locaux en vue de renforcer les capacités d’action des communes ».198 Des élus à la fois maires et conseillers généraux, soucieux avant tout de ne

197

Extrait des propos de Maxime Coullet, maire de Saint-Cézaire et conseiller général du canton de Saint- Vallier-de-Thiey, réunion publique lors des élections cantonales de mars 2011. Rappelons que Maxime Coullet a été battu par le maire de Saint-Vallier-de-Thiey, Jean-Marc Délia, élu comme maire en 2008.

pas perdre leur influence sur la commune, base de leur pouvoir, vont susciter la mise en place des EPCI à fiscalité propre. Le fait de mettre en place des intercommunalités bâties sur le canton ou sur des regroupements pluricantonaux, surtout, dans les zones rurales ou faiblement urbanisées, permet aux conseillers généraux de renforcer leur emprise sur des territoires, mais aussi de faire contrepoids à l’expansion des communautés voisines. Sur les 10 présidents des 10 communautés de communes existant au 1er janvier 2010 (en ajoutant la communauté de communes des Coteaux d’Azur), 8 sont des conseillers généraux. L’intercommunalité devient ainsi un moyen pour contrer les velléités « expansionnistes »199 d’une autre intercommunalité. Mais aussi, comme les anciens districts ou les anciennes communautés de villes, les EPCI à fiscalité propre d’aujourd’hui sont des outils de conquête politique d’espaces territoriaux plus vastes.

Les regroupements politiques sont aussi un facteur d’institutionnalisation de l’intercommunalité dans le département des Alpes-Maritimes, car ce sont souvent des élus, dotés d’une forte légitimité, qui initient une structure intercommunale. Cette dernière offre une ressource politique supplémentaire à des groupes d’élus dominants pour étendre leur pouvoir au-delà des frontières de leurs communes. Calquer l’intercommunalité sur un ou deux cantons regroupés obéit à une stratégie de contrôle tant du territoire que du marché électoral, le canton constituant une circonscription d’élection des conseillers généraux. Si ces pratiques de mise en place des EPCI à fiscalité propre permettent à ces derniers de limiter l’émergence de rivaux sur des territoires qu’ils veulent contrôler, elles génèrent une intercommunalité maralpine qui s’institutionnalise sur des conflits récurrents et des « effets d’aubaine ».

C. L’émergence locale de l’EPCI à fiscalité propre entre conflits et « effets

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