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Le statut du français et de l’arabe dans la formation d’architecture :

L’entretien, second outil d’analyse des besoins

1. Présentation générale du contenu des entretiens et leur passation :

2.2. Analyse des entretiens des enseignants d’architecture :

2.2.1. Le statut du français et de l’arabe dans la formation d’architecture :

Le poids de l’histoire et l’accès à la documentation

Connaissant les articles officiels stipulant l'enseignement des filières scientifiques et techniques en français, après une scolarisation de douze années en langue arabe, les enseignants d’architecture témoignent qu'on ne peut rien face à ces décisions qui, en quelque sorte, sont justifiées particulièrement en architecture par le fait que « l'Algérie a toujours calqué ses programmes d'enseignement supérieur sur ceux de la France// le programme français englobe certainement les pré-requis/ pour la formation d'un architecte/ et ce n'est pas une tare de le suivre à mon avis// les ajustements restent à l'initiative de l'enseignant pour adapter les généralités aux particularités du pays// Je pense que les premiers qui ont eu les jalons de l'enseignement de l'architecture en Algérie/ étaient des enseignants français qui ont su adapter le programme aux particularités du pays en matière d'analyse de cas/ de l’habitat par exemple// » (E05-Constantine). C’est ce qui explique que la formation d'architecture soit aussi dispensée en français malgré les difficultés rencontrées auprès des étudiants.

Ajoutons à cela, que si l’architecture est favorisée pour être dispensée en langue française, selon (E11-EPAU), c’est tout simplement parce que « après l'Indépendance, les premiers enseignants en architecture étaient les architectes français, il y a eu des Belges et des Roumains à ma connaissance/ les architectes algériens ont été formés dans les années 70 et ont pris la relève//».

Dans les réponses des enseignants, nous pouvons constater que le vécu colonial et l'Indépendance ont été cités plusieurs fois. (E06-Constantine) témoigne que « l'utilisation de

187 la langue française reste prépondérante dans divers domaines en entreprise, bien évidemment cela ne peut être dissocié de l'histoire de la colonisation// ». Un autre (E03-Sétif) ajoute « je pense qu'à l'instar de beaucoup d'autres disciplines notamment scientifiques qui étaient enseignées en français à l'Indépendance / l'architecture a continué à l’être car les enseignants avaient presque tous une formation francophone //les supports/ livres et revues sont en majorité en français aussi// ».

Enfin, selon (E11-EPAU) de l’EPAU « nous considérons le français comme le seul véhicule que nous partageons avec la moitié de la profession mondiale// c'est-à-dire pour former des étudiants qui peuvent travailler avec les différents pays européens et étrangers// car le français en plus de son aspect facilitateur de la documentation en architecture/permet aussi/ l'ouverture vers le monde qui nous entoure/ cela n’empêche pas que d’autres langues soient utilisées// ».

Le rôle du français dans la formation en architecture :

Même si, selon (E07-Constantine), « la langue de l'architecture est universelle/ c’est l'expression graphique qui domine// », autrement dit « c'est l'art de s'exprimer par des dessins » (E10-Sétif). Il n’en demeure pas moins que le verbal est tout aussi important « pour vous expliquer que nous apprenons l’architecture avec tous nos sens/ et sensations//ainsi le langage est aussi important dans ce domaine// » explique une autre enseignante (E08-Epau).

Pour expliquer le rôle du français dans la formation en architecture, l’enseignant ajoute, « même en architecture et plus précisément dans le module d'atelier ce n'est pas seulement le verbe qui compte/ mais c'est un mélange de tout : images/ dessins/ parler// mais s’ils ne comprennent pas les consignes / les étudiants ne pourront pas faire leurs exercices// ». Ainsi « le français leur est indispensable non seulement pour présenter leurs travaux de recherche/ mais aussi pour assimiler le contenu de leurs cours » (E03- EPAU).

Selon (E10-Constantine) « il faut préciser qu'en architecture/ l'étudiant quand il s'exprime ce n'est pas gratuitement// parce qu’il doit d'abord comprendre/ appliquer l'exercice qui est donné par l'enseignant et l'enseignante/ et donc traduire par la suite les données graphiquement// ».

Les étudiants ont donc besoin d’acquérir la langue française pour une meilleure poursuite des études. Pour appuyer cette idée, nous mentionnons le témoignage de (E14- EPAU) qui relate sa propre expérience sur le terrain, en disant que « quand les étudiants sont complètement perdus parce qu'on leur demande d'imaginer/ de réfléchir// ils ne savent pas/

188 parce qu'ils ne connaissent pas ses dimensions//ils ne savent pas déjà la traduire verbalement est en plus d'une manière conceptuelle// tout cela est dû à leur faible niveau en langue/ le français est alors primordial en architecture//» .

La langue française pour décrire et convaincre :

Nous avons constaté que dans le cas du module d'atelier, il est demandé aux étudiants de présenter leurs projets dans une forme parlée mais aussi dans une forme écrite. Donc « on exige la langue non seulement dans son mode parlé/ et on l’exige dans son exposé// c'est-à-dire ce qu'on fait dans des séances de travaux pratiques autour d'un thème sur lequel on va discuter// » (E04-Sétif). Ainsi, « quoi qu'il en soit, même si le dessin détient 60 % de la maîtrise de ce métier et 40 % reviennent à la langue//et la langue française// la langue est définie dans ce domaine en tant qu'expression verbale qui est utilisée pour décrire et convaincre//» (E09-EPAU). Ainsi, le rôle de cette dernière est bien primordial et défini.

Le témoignage de (E09-Setif) insiste sur la même idée selon laquelle « en architecture malgré que le dessin représente 80 % de la formation, il doit être toujours accompagné d'un discours// un discours peut-être un point positif/ un poids supplémentaire/ ou un point négatif// ça dépend de l'argumentation de l'étudiant et comment/ comment il défend sa création// ». Ainsi, le discours en français et sa maîtrise se présente soit comme un plus, soit il gâche et dévalorise tout le travail réalisé. Sur ce dernier point, (E04-Constantine) ajoute : « c'est vrai que l'architecte s’exprime avec des moyens graphiques/des dessins/ croquis perspectifs et maquettes// mais il a besoin également du verbe pour argumenter ses choix/expliquer certains aspects de son projet// il l’utilise aussi pour décrire des rapports/des délits/ des correspondances administratives ou encore des descriptifs// ces descriptifs qui peuvent accompagner une esquisse lors d'un concours// ».

En nous appuyant sur ces témoignages, nous pouvons déduire que la langue, vecteur d’expression, représente une part essentielle de la formation d’'architecture, car c’est un outil indispensable pour que l’architecte puisse présenter son œuvre, argumenter ses choix et convaincre de la qualité de sa construction. C'est pour cela que sa maîtrise du français est obligatoire et même indispensable pour que l'étudiant puisse avoir de bonnes notes lors de la présentation de ces projets dans le module d’atelier. En d'autres termes, selon les témoignages de (E07-EPAU) « la langue est impérative/ parce que le projet étant fait/ il ne suffit pas// il y a une manière de se défendre/ il y a une manière de développer des idées/ c’est seulement le parler qui peut l’aider à le faire//».

189 Ainsi pour l'ensemble de ces enseignants, la langue française se présente comme une langue indispensable à l'architecture. C'est une langue qui a été imposée par référence à notre histoire coloniale, mais aussi par le fait que les enseignants coopérants français étaient les premiers à avoir assuré la formation des architectes en Algérie. Sans bien sûr oublier la documentation qui est davantage disponible en langue française que dans une autre langue, que ce soit pour l'architecture ou bien tous les domaines scientifiques et techniques en Algérie. Cette langue est nécessaire pour la documentation dans le domaine mais aussi pour présenter et défendre des projets d’architecture sous forme orale et écrite. D’ailleurs, la présentation verbale représente 30% à 40% de la note globale attribuée par les enseignants pour chaque travail réalisé.

La langue arabe : solution médiane ou obstacle pour une meilleure formation ? En réponse aux questions : « Peut-on restreindre les besoins des étudiants en faisant recours à la langue arabe ? et « Est-ce que l’arabe peut être un outil et moyen de remédiation ? », (E02-Sétif) témoigne : « je ne sais pas si la question de la langue arabe a été posée auparavant// peut-être faudra-t-il poser la question à des enseignants qui ont plus d'années d'expérience dans l'enseignement que moi// mais à mon avis/ il me semble que si lorsque j'étais étudiant entre 1992 et 1997/ certains enseignants /même d'atelier faisaient un effort de traduire les cours en langue arabe/ disant qu'on leur demandaient de le faire/ mais cela n'a pas duré// actuellement/ rien ne nous oblige à enseigner en arabe// des efforts sont tous de même déployés par les enseignants pour plus de compréhension par les étudiants// ». Sur ce témoignage, (E13-EPAU) ajoute que « la question a été déjà posée/ et nos confrères syriens nous ont fortement dissuadé de suivre leur exemple et de perdre nos acquis linguistiques// les étudiants eux-mêmes ont toujours préféré l'enseignement en français ou simultanément en français et arabe/ car ils ont bien compris leur intérêt /// après les années 80/ les cours arabisés ont été finalement francisés à la demande des étudiants// ». Ceci dit, ce premier avis et cette demande ne sont pas partagés avec la génération actuelle, car comme nous l’avons montré dans la partie d’analyse des besoins par le biais du questionnaire, les étudiants de la génération actuelle demandent plus de cours traduits simultanément en arabe et ont recours à cette pratique.

190 Concernant la majorité des enseignants, la question de dispenser l’architecture uniquement en langue arabe n'a pas beaucoup été débattue, car selon eux, elle n’aurait apporté aucun bon résultat. Si déjà « les enseignants ne maîtrisent pas l’arabe// la bibliographie est en langue française ou anglaise // quel service pouvons nous rendre à l'étudiant en lui refusant l'apprentissage de la langue française/ ou bien même anglaisa/ en le poussant à l’apprentissage en arabe ? » (E11-Constantine). Surtout que « pour l’arabe/ ils n'auront rien à en bénéficier d'autant plus qu'en Algérie il n'existe pas de documentation en cette langue// » (E10-Sétif).

Précisons que même les enseignants qui pouvaient très bien construire un texte en langue arabe et avaient les compétences pour le faire, en arrivant à l’étape de l’explication et la démonstration, ne parvenaient pas s’en tenir à parler uniquement par le biais de cette langue, ce la semble quasiment impossible pour eux. Nous appuyions cela par le témoignage de (E05-Constantine) selon laquelle « on devait toujours trouver des mots français d'attirance pour expliquer nos cours// et ainsi c'est devenu la langue maternelle qu'on utilise finalement car l'arabe classique n'a jamais été pratiqué// nous parlons à la maison avec nos proches avec les dialectes et non avec l’arabe classique / mais le français on le pratique même à la maison

très couramment// ainsi c’est difficile de dispenser un cours et l’expliquer en arabe classique ». Sur ce point (E08-Sétif) ajoute que « toute la bibliographie/ tout le bagage reçu

est disponible en langue française ou anglaise// les langues qui sont pratiquées dans les pays arabophones/ sont soi le français ou bien l’anglais/ mais à aucun moment ce n'est l’arabe// On n’a jamais retrouvé un enseignement exclusivement en langue arabe// Je pense que c'est plus simple de fonctionner en français qu’en arabe/ parce ce que les gens sont formés en français/ les personnes qui enseignent voudraient mieux transmettre un savoir dans la langue dans laquelle il a été formé// ».

A partir des témoignages fournis par les enseignants, nous retenons qu’ils accordent une place importante à l’apprentissage des langues plus particulièrement la langue française pour une meilleure formation en architecture, vu que c’est la langue de leur formation et de la documentation dans le domaine d’architecture.

191 2.2.2. Les difficultés et besoins des étudiants en architecture :

Nous développons dans la partie ci-dessous, les questions de la seconde partie des entretiens qui portent sur la perception des enseignants sur le niveau de leurs étudiants et les difficultés et causes des lacunes de ces derniers.

Avis des enseignants sur le parcours scolaire des étudiants et sur leur niveau en langue française :

Les avis des enseignants des trois départements sur l’enseignement/apprentissage des langues étrangères, en l’occurrence le français, que les étudiants ont reçu durant leur cursus scolaire, s’avèrent convergents : ils critiquent cet enseignement sur le fait qu’il n’est pas fondé sur la préparation des étudiants pour leur avenir professionnel ou universitaire.

(E11-Constantine) déclare que « Si je ne parle que du français/ je ne pense que c’est un NON enseignement », car « il y a neuf ans d’enseignement du français qui n’ont pas permis aux étudiants l’assimilation de la langue française// je me pose alors maintes questions// est-ce un problème dû au fait qu’ils étaient mal enseignés ?/ cet enseignement a-t-il été rejeté ?/ ou bien tout simplement non valorisé ?// en tout cas quelle que soit la réponse le résultat est décevant// et les étudiants souffrent et nous mêmes pour transmettre notre savoir// » (E07-EPAU).

Du même avis, (E04-Sétif) témoigne sur l’échec de l’enseignement/ apprentissage de la langue française, en disant « qu’il ne date pas d’aujourd’hui//’il faut dire aussi que l'échec de l'étudiant ne revient pas seulement à la langue française qui est lésée par rapport à tout un système// ». De même, selon (E11-Constantine) « la langue française, ce n'est qu'un prétexte/ d'autant plus que les étudiants qui arrivent ils nous disent que depuis très longtemps ils n'ont rien fait en français du primaire jusqu'au lycée// l'enseignant de français ne vient pas// l'enseignant de français s'exprime en arabe/ l’enseignant de français ne fait pas son travail…/ l'enseignant de français vient deux fois sur cinq/ donc tout le temps absent// ».

Ainsi, selon l’avis des enseignants, le cursus scolaire suivi par les étudiants en français, ne les a tout simplement pas préparés aux études universitaires et encore moins aux communications quotidiennes en langue française.

Toujours en réponse aux interrogations de la partie 2 de notre canevas d'entretien, les enseignants témoignent que le niveau des étudiants en langue française ne correspond pas à leur niveau dans les matières techniques et scientifiques. Ces étudiants qui ont prouvé, par

192 leurs notes au baccalauréat, leurs capacités en matière de dessin et de calcul, leur niveau en langue française est vraiment qualifié de « médiocre » (E06-Sétif).

Sur l'ensemble des témoignages apportés, nous avons sélectionné celui de (E03-Constantine) qui résume ce que pensent les enseignants sur le niveau des étudiants « ce qui est grave et ce que j'ai pu constater/ c’est qu’on dirait que les étudiants n'ont jamais fait de français// ». De même « en 25 ans d'expérience/ ils ont toujours un bon niveau en architecture cependant le niveau en langue française est à désirer ». (E12-EPAU) ajoute que « chaque année les étudiants se présentent avec des niveaux de plus en plus bas/ et de plus en plus contrastés// le niveau un dicte sa loi ». Alors « ces étudiants qui sont tirés par le bas alors qu'ils devraient être au top/ car ils ont de très bonnes moyennes/ ils ont été sélectionnés en fonction de leur niveau mais hélas cette masse d'étudiants ne maîtrise surtout pas et certainement pas le français// » (E15-EPAU). Ceci dit, selon (E07-Sétif) « il faut préciser que les étudiants qui ont des difficultés en langue, on ne peut pas dire qu'ils sont nuls en dessin// ».

Concernant leur niveau en français général, l’enseignant (E11-EPAU) déclare que « bien avant / de parler de cours d'architecture// quand on essaie de discuter avec eux/ durant les premiers cours : pourquoi vous avez choisi de faire architecture ? pourquoi vous avez choisi les écoles préparatoires ? ils ne comprennent rien /vraiment // à ce moment-là /on se trouve dans un état de choc// on se dit/ mais s’ils ne comprennent pas un discours quotidien/ des questions simples/ comment peuvent ils comprendre des discours d'architecture// dans ce cas/ vraiment le niveau/ le niveau des étudiants correspond vraiment à un niveau du primaire// et le déblocage ce n'est pas seulement parler un peu en arabe mais plutôt parler carrément en arabe//» .(E08-Constantine) ajoute « Dans le département d'architecture de Constantine c'est une réalité avérée/ c'est vraiment étonnant très étonnant// mais je ne sais pas on revient en arrière/ ça se dégrade/ on s'éloigne de plus en plus de la langue des étudiants// Ils ont de plus en plus de difficultés avec la langue française/ et pas seulement français même en langue arabe// quand on leur demande de s'exprimer en cours, sans recours au dialecte et non à l'arabe classique/ sans recours à la langue de la rue pas à la langue académique// ».

Sur ce dernier point, (E11-EPAU) nous relate son expérience en classe en disant : « pas plus loin que jeudi passé// en atelier je vous assure qu'on a parlé avec les étudiants pendant deux heures// À la fin de la séance il y a un étudiant qui arrive et dit je n'ai rien compris/ je n'ai rien compris// alors ce bonhomme qu'est-ce qu’il fait dans une grande école ? sachant que des étudiants qui ne font pas d'efforts pour apprendre cette langue/ à la fin de

193 l'année ils seront incapable de développer un sujet et un projet architectural// ». De même selon (E06-Constantine) : « Ce niveau bas élémentaire/ constitue un handicap// la langue devient un handicap pour l'enseignement/ et si les étudiants ne la maîtrisent pas// on n’évolue pas // pas parce qu’il ne peut transmettre un savoir/ mais parce qu’il est incapable d'utiliser la langue de ce savoir/ et si le public en face ne comprend pas ce qu'il dit pour lui c'est un échec aussi //». Dans le même sens (E03-Sétif) ajoute que « même pour l’étudiant/ je crois que les étudiants sont un peu pris au piège/ et bien même nous on est un peu pris en piège // vraiment la langue c’est vraiment un vrai handicap//».

Face au niveau constaté, quelques enseignants ne généralisent pas la situation et disent que cela varie d’un étudiant à un autre, d’un groupe à autre et d’une institution à l’autre. Selon (E14-EPAU) « les étudiants qui viennent des villes intérieures ce sont eux qui ont plus de difficultés à maîtriser la langue française// ceux qui viennent d’Alger ont un certain niveau// je dirais même un niveau moyen en cette langue// ils se débrouillent bien ».

Ainsi, selon l’ensemble des témoignages cités ci-dessus, l’échec des étudiants serait dû à leur le faible niveau en langue française, outil d’apprentissage, et non à leur faible niveau en matières techniques. Et par peur que ce niveau faible en langue se répercute sur leur niveau en matières fondamentales, les enseignants nous ont énuméré par ordre de priorité et d’urgence les besoins de leurs étudiants. Nous développons cela dans les lignes qui suivent.

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