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Station balnéaire : un développement rapide et sommaire

III. Stations d’altitude et balnéaires : un développement différencié

2. Station balnéaire : un développement rapide et sommaire

La conception des stations balnéaires est un héritage européen187. Le site doit être

distant de l’embouchure pour favoriser les vagues et la salinité de l’eau, la plage doit être sablonneuse et plate, exsangue de marécage (la démographie confirme la salubrité des lieux), posséder des reliefs modérés pour une promenade, et jouir d’une bonne exposition aux vents. Les critères énoncés sont assez simples expliquant que la majorité des stations balnéaires connaissent un développement spontané même s’il existe des exemples de développement

186 Brochier A., Au Tam Dao, flore et faune, cascade d’Argent, valeur sanitaire, Hanoi : Imprimerie

indépendante, 1906, p.20

187 « A partir XVIIIème siècle la figure de la plage salubre constitue désormais un volumineux chapitre de la

topographie médicale qui se constitue en Occident. Il la faut propre et nette, Elle doit être distante de toute embouchure afin que demeurent assurées l’ampleur des vagues et la salinité de l’eau. La bonne plage sera sablonneuse et plate, de manière à faciliter le trajet de la voiture de bain. Les falaises et les dunes qui bordent le rivage autoriseront la marche et l’équitation. Il faut rajouter aussi la qualité de l’air et du sol, un sol calcaire avec une absence de marécage et de forêt, les falaises abritent la station des vents du nord et assurent le monopole des bénéfiques brises marines qui chassent les brumes et les brouillards » [Corbin A., Le territoire du vide : l'Occident et le désir du rivage (1750-1840), Paris : Flammarion, 1990, p.85]

82 voulu et encadré par l’Etat. Dans un premier temps, nous analyserons les étapes de la construction des stations étatiques, puis dans un second temps nous apporterons des éléments expliquant le développement spontané de ce type de station.

Contrairement aux stations d’altitude, peu de stations balnéaires ont été créées par la volonté de l’état, nous en comptons seulement trois : le Cap Saint-Jacques [voir chapitre 1], Sam Son et Kep. Dans le cas des stations d’état, les autorités tentent de s’appuyer sur des critères rationnels justifiant ainsi le plus scientifiquement possible l’investissement financier qu’elles s’apprêtent à réaliser. Nous nous intéresserons aux étapes de l’évaluation du site, à savoir la constitution d’une commission, la sélection du site et l’estimation de sa viabilité, d’après l’exemple de Sam Son seul sanatorium balnéaire et de Kep, la station balnéaire du Cambodge. Puis dans un second temps nous évoquerons la simplicité les aménagements entrepris.

L’accessibilité des littoraux, leur relative bonne connaissance, la présence de foyers de peuplement et la faible différence climatique entre les plaines et les littoraux conduisent les autorités à ne pas engager de mission d’exploration particulière et ne pas envoyer d’agent temporaire, servant de cobaye à l’acclimatation. En revanche, la profusion des sites oblige les autorités à constituer des commissions de sélection. Ces commissions inspectent sur place les différentes possibilités et recueillent les témoignages des populations coloniales y séjournant. Leur composition est variable, mais compte toujours des médecins. La commission de Sam Son, regroupe principalement des militaires et des médecins, tandis que celle de Kep composée en 1912, rassemble des administrateurs locaux : directeur local de santé de Phnom Penh, le docteur Pannetier de Kampot. Pour Sam Son, la commission reconnaît des sites allant du Nord de la baie d’Along, en passant par Port-Bayard, Do Son, jusqu’à Thanh Hoa (Sam Son) au sud de la côte d’Annam. Concernant Kep la localisation générale de la station a été déterminée par Ernest Outrey, Résident supérieur du Cambodge, la commission est donc chargée de définir l’emplacement précis aux abords de Kep, à proximité de la route en construction reliant Kampot à Gianthanh.

Les arguments retenus pour le choix du site sont pour certains semblables aux stations d’altitude : accessibilité, superficie, exposition aux vents, salubrité, présence de sources d’eau potable, qualité du panorama et beauté du parcours, la seule variante étant la qualité de la plage.

83 Ainsi la commission à la recherche d’un emplacement pour un sanatorium militaire au Tonkin procède par élimination. Do Son est écartée, le site est jugé trop petit, les constructions sont nombreuses et occupent tout le rivage, ne laissant comme possibilité d’extension que la construction d’une deuxième ligne. Par ailleurs la commission estime que le site n’est pas salubre, en raison des marécages qui l’entourent et des risques de paludisme qu’ils représentent. Port-Bayard est exclue en raison des apparitions périodiques de la peste. Seule Sam Son à quinze kilomètres de Thanh Hoa est retenue. La commission est séduite par l’existence d’une belle plage, bien exposée à la brise, notamment l’été, et son accessibilité par le chemin de fer de Hanoi, terminus à Vinh188. De plus le parcours de Nan-Dinh à Vinh

découvre de beaux paysages (baie d’Along terrestre) agrémentant le voyage. Toutefois les membres de la commission hésitent sur l’emplacement du sanatorium. Les médecins préfèrent les hauteurs favorisant la ventilation, tandis que les officiers affectionnent le bord de mer qu’ils considèrent comme plus gai. Cette remarque souligne encore une fois l’ambiguïté de la création d’un sanatorium, considéré par les médecins comme un établissement pour le repos médical et par les officiers comme un lieu de divertissement.

Concernant Kep, la commission se réunit le 13 avril 1912189 pour étudier quatre

emplacements. Le premier emplacement est refusé, pourvu d’une source, il est insuffisamment ventilé, et ne donne pas directement accès à la mer. Le deuxième emplacement Phnom-Daung, une île, est rejeté en raison de son insalubrité, de la présence de palétuviers, de l’absence d’eau potable, de la difficulté d’accès à l’île qui obligerait à construire un pont ou à mettre en place un bac et de son exposition au vent. Les membres de la commission redoutent que les vents de la mousson ne chassent, sur le site, les miasmes des marais. Le troisième emplacement, la « baie des palourdes », est rejeté en raison de son insalubrité : présence de rizières et de palétuviers, et de la qualité de la plage, caillouteuse, avec des bandes de sables étroites et insuffisamment profondes pour les baigneurs. Par ailleurs le site est éloigné de sept kilomètres par rapport à la route de Gianthanh. Ils retiennent le quatrième emplacement « la plage de la pagode annamite », à coté de la concession Dupuis. Elle possède deux terre-pleins, l’un situé sur un terrain concédé à Dupuy, l’autre sur un terrain appartenant à Apavou. C’est un plateau dénudé, assez étendu, anciennement cultivé et où il reste quelques caféiers. Sa plage est petite (600 mètres), mais exposée à une ventilation constante, et possédant de l’eau douce en abondance. Le site jouit d’un beau panorama

188 ANV1, Fonds de la direction locale de la santé du Tonkin 587, 1903.9.16, général de division Coronnat à

commandant supérieur des Troupes de l’Indochine.

84 donnant sur les îles et îlots du golfe (Phu-quoc, l’île du Pic, les Pirates, etc.). Le site présente aussi l’avantage d’être proche de Kep-Douane déjà relié par la route à Kampot. Afin de mettre en valeur le paysage, la commission demande que la route reliant Kep-Plage à Kep-Douane soit construite en corniche afin que l’esthétique du paysage soit mise en valeur. Le site est partiellement occupé par la concession Dupuy, qui l’a obtenue en concession provisoire en 1910. Il y a construit une maison et a mis en valeur les terrains lui permettant en 1912 d’adresser une demande de concession définitive.

Concernant la viabilité des sites, deux façons de faire sont requises. Pour Sam Son l’enjeu médical du sanatorium conduit le ministre à prescrire, à titre d’essai, l’envoi de 25 à 30 convalescents accompagnés d’un médecin, chargé d’effectuer des observations médicales et climatologiques afin de déterminer la valeur sanitaire de la station.

A Kep, la commission évalue les conditions sanitaires d’après l’expérience du docteur Pannetier qui a assuré, pendant six ans, le service médical de Kampot et d’après les relevés de température qu’elle a elle-même effectués durant son séjour du 3 au 20 février 1912. Ces relevés indiquent des températures semblables à celle de Phnom Penh, mais agrémentées d’une brise constante190. Le docteur Pannetier précise qu’aucune étude rationnelle n’a été

entreprise, mais grâce à l’observation de l’état de santé des colons habitant la région, il peut donner un avis favorable au projet. Pour appuyer son propos, il livre plusieurs exemples : celui du colon Canavy qui habite la région depuis treize ans, sans jamais l’avoir quittée plus d’une semaine, du douanier Casile qui a séjourné plus de quatre ans consécutifs au poste de Kep et a toujours conservé un état de santé florissant, et de son successeur Aubert qui est là depuis un an. Le docteur Pannetier cite aussi l’exemple de sa mère qu’il a fait venir de France et qui a habité Kep pendant deux ans. Il reconnaît cependant qu’il y a à Kep, comme dans toutes les régions forestières, du paludisme, mais qu’il recule au fur et à mesure que les terrains sont mis en culture. Il explique ainsi que le colon Canavy a souffert de paludisme durant les deux premières années, mais depuis les travaux du défrichement, entrepris il y a onze ans, il s’est toujours bien porté. Il précise que le paludisme est l’unique maladie qui se trouve dans la région : choléra, peste, dysenterie y sont inconnus. Cependant son témoignage est remis en cause par le colon Dupuy, arguant que Kep jouit auprès des indigènes d’une réputation détestable et qu’il a lui-même perdu, durant la construction de son immeuble en trois mois, un maçon, un charpentier et trois peintres. Il ajoute que Kep a été par deux fois

190 ANC, RSC 5051, 1917.2. 5, note du Service du cadastre, au sujet de l’avant projet de plan d’alignement et de

85 touchée par des épidémies de peste, et que huit jours avant l’arrivée de la commission, un Chinois est mort du choléra. Ces observations contrastent avec la vision idyllique du docteur Pannetier et témoignent du manque de sérieux de la commission.

L’aménagement de la station reste rudimentaire par rapport aux stations d’altitude. Dans le cas de Sam Son, solution d’attente envisagée par Gaston Doumergue avant l’édification de stations d’altitude, il est précisé qu’il convient de n’engager que des dépenses exactement nécessaires. Ainsi on aménage sur la plus haute colline de Sam Son, une formation hospitalière comprenant deux pavillons de malades : l’un pour les sous-officiers, l’autre pour les malades ordinaires, totalisant seulement 27 lits. Le 11 juillet 1916, un arrêté classe Kep comme une station sanitaire maritime. Il s’en suit une délivrance de crédit, (arrêté du 8 septembre 1916191) qui autorise l’exécution en régie de travaux pour un montant de

36 500 piastres. Les travaux à entreprendre sont de toutes sortes : construction des bâtiments et des équipements publics, aménagement du massif forestier en vue de son assainissement, création de quinze kilomètres de chemins destinés à constituer des voies d’exploitation et de promenades, installation d’une alimentation en eau potable par la captation de sources et d’évacuation des eaux usées192.

Pour finir nous analyserons les raisons expliquant le désengagement des autorités dans la création des stations balnéaires, ont-elles été victimes de la facilité de leur construction ou du faible abaissement de leurs températures ? Nous verrons que leur édification est plus simple et que la faiblesse du gain climatique leur a permis de s’émanciper rapidement des préceptes médicaux.

La construction de stations balnéaires est plus simple, moins coûteuse, mobilisant moins de moyens techniques, ce qui leur permet de se développer, tout le long de la côte, de façon rapide voire spontanée. Toute agglomération côtière est une potentielle station pour peu qu’elle soit accessible et proche d’un foyer de peuplement colonial, c’est le cas de Nha Trang et Phan Thiet desservies par le chemin de fer de Saigon, de Cua Lo à 17 kilomètres de Vinh desservie par le chemin de fer de Hanoi, de Cua Tung à 40 kilomètres de Quang Tri. Elles se développent rapidement, grâce à l'installation d'hôtels confortables et la construction de villas privées.

191 ANC, RSC 1833, 1916.9.8, arrêté

86 La multiplication des stations balnéaires sur la côte annamitique est favorisée par leur rapide émancipation des préceptes médicaux, les gains thérapeutiques étant trop faibles, libérant leurs localisations et leurs pratiques. Leur implantation n’est plus régie par des conditions géo-climatiques. Les pratiques de jeu et de repos peuvent se développer dans des structures privées comme les hôtels sans les contraintes dues au fonctionnement d’un établissement médical. Précisons que certaines stations, comme Do Son ou Kep, n’ont pas eu besoin d’être démédicalisées, puisque leurs valeurs thérapeutiques n’ont jamais été reconnues, malgré les tentatives des autorités locales d’y établir un sanatorium. Cette retenue des autorités à classer ces établissements en sanatorium s’explique de plusieurs façons. Le classement des stations en sanatorium alourdit les budgets en raison du remboursement des séjours médicaux dans ces établissements et des subventions de fonctionnement qui leur sont versées. Il existe aussi des raisons médicales, les bienfaits thérapeutiques et de la balnéothérapie ne sont pas à la hauteur des attentes. Ainsi le sanatorium de Sam Son est-il fermé en 1907 après seulement deux années de service, pour cause de mauvais résultats. Les autorités mettent en avant que l’état des patients, présentant des paludismes et des affections intestinales, s’aggrave au contact de l'air vif de la plage. Sam Son devient donc une simple station balnéaire de second rang.

Les stations d’altitude et balnéaires connaissent des processus de sélection différents en raison des spécificités géo-climatiques entre le milieu montagnard et littoral. Pour autant il existe des critères de sélection communs : l’accessibilité, la superficie, la salubrité, la présence d’eau potable. Les gains de température, dus à l’altitude, font du milieu montagnard un environnement privilégié pour la construction de stations. Les autorités leur accordent une plus grande attention d’autant que le coût de leur installation est très élevé et laissent de côté les stations balnéaires jugées secondaires.