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Le réseau secondaire des stations

I. Des circuits pas toujours touristiques

5. Le réseau secondaire des stations

En complément des grands axes de communication, il existe également des axes secondaires exclusivement touristiques pour lesquels les autorités consacrent un budget important : les dessertes des stations. L’enjeu de ce réseau secondaire est primordial et conditionne le développement de celles-ci [voir chapitre 2]. Elles doivent être accessibles rapidement pour permettre au père de rejoindre sa famille durant le week-end. Les stations balnéaires sont en général faciles d’accès. Nous délaisserons leur étude au profit de celles des

149 stations d’altitude. Nous évoquerons d’abord la place des voies ferrées, puis la mise en place des dessertes routières.

A cette époque, la desserte idéale pour une station touristique est la voie ferrée. Elle fait partie intégrante des archétypes d’une station. Elle assure le développement de la station en permettant le déplacement rapide, à moindre coût, des personnes et des marchandises, et symbolise sa modernité.

La seule station à en être équipée est Dalat. L’initiative en est revenue, une fois encore, à Paul Doumer qui voit là le moyen de développement le plus sûr, et l’intègre donc à son programme d’aménagement : « Quand le chemin de fer du Lang-Bian sera construit, la station sanitaire ne sera distante de Saigon que de 350 à 400 kilomètres suivant le tracé définitivement adopté, soit un trajet d’une dizaine d’heures. En dehors de la garnison et des services qui seront établis au Lang-Bian d’une façon permanente, les colons et les fonctionnaires pourront aisément aller s’y reposer, y envoyer leurs familles et y faire instruire leurs enfants »339. Mais ce choix ne fait pas l’unanimité : le Résident de France à Phan Rang

s’y oppose, précisant que ce projet lui semble prématuré et trop coûteux. Il appuie son propos sur l’exemple indien qui fait autorité en la matière, précisant que, des Hill’s stations, Darjiling est la seule station importante qui soit desservie par voie ferrée, et que les autres, accessibles en voiture légère, ne voient pas pour autant leur fréquentation en pâtir. La construction débute, quoiqu’il en soit, en 1918, pour s’achever en 1932 ; elle emprunte le tracé de la première voie d’accès par Tour Cham. Les quarante premiers kilomètres s’effectuent dans une région peu accidentée, au-delà de Krong Pha et ce, jusqu’à l’arrivée sur le plateau du Langbian, où le trajet présente des dénivellations importantes obligeant l’utilisation de crémaillère340. En plus, Dalat est équipée de deux routes. La première, la route du Nord,

permet de rejoindre en trois heures (150 kilomètres) la route mandarine au niveau de Tour Cham via Pha Rang. La seconde, la route du Sud, achevée en 1928, passe par Djiring et rejoint la route mandarine à Phan Thiet en huit heures (360 kilomètres).

Au Tam Dao aussi la construction d’une voie ferrée est envisagée. En 1906, Ducamp administrateur de la Compagnie française immobilière propriétaire du Grand hôtel métropole à Hanoi, tente de faire accepter par l’administration la construction d’un funiculaire et d’un hôtel au Tam Dao. Ce double projet, funiculaire et hôtel, montre les liens existant entre

339 Doumer P., Situation de l'Indo-Chine (1897-1901), Hanoi : F.-H. Schneider, 1902, p.113

340 Ligne Saigon-Dalat, départ de Saigon tous les lundis, mercredis et vendredis à 21 h, arrivée à Dalat à 8h45 ;

150 transport et hébergement et rappelle la situation du bungalow d’Angkor géré par les Messageries fluviales. Le Gouvernement général octroie un crédit de 8 000 francs pour participer à l’étude du funiculaire. Le contrat, passé entre Ducamp et l’administration le 8 décembre 1906341, prévoit la construction et l’exploitation du funiculaire et d’un hôtel de

quarante chambres. Cependant, les réticences du Résident supérieur du Tonkin à apporter sa contribution financière auront raison du projet, alors même que l’étude concluait à sa faisabilité et soulignait que son entretien serait moins onéreux que celui d’une route342.

L’importance de la station détermine les sommes investies, Tam Dao n’est pas appelée à jouer le même rôle que Dalat et ne bénéfice donc pas de l’aménagement coûteux d’une voie ferrée.

Cependant, si Dalat est la seule station a être desservie par la voie ferrée, les plus importantes possèdent une desserte routière qui les relie au réseau ferroviaire, afin de favoriser leur développement. Le Tam Dao est situé à 24 kilomètres de la gare de Vinh-Yen et Cha Pa à 34 kilomètres de Lao Kay. Pour parfaire leur accessibilité, les autorités établissent une connexion entre les services ferroviaire et routier. Ainsi à partir de 1925, le touriste, désirant se rendre à Cha Pa, prend le train de 21 heures à Hanoi pour parcourir les 196 kilomètres jusqu’à Lao Kay. Il arrive le lendemain au matin et, en deux heures de voiture, se rend à Cha Pa. Au retour, il quitte Cha Pa le soir à 17 heures pour arriver à Lao Kay avant 19 heures, dîner à l’hôtel et reprendre le train de nuit à 20 heures.

La desserte ne comprend, en général, pas de gîte sauf pour Dalat (l’auberge de Djiring) ; les bungalows d’étape se situent principalement aux embranchements au niveau du réseau principal. Les routes d’accès sont des enjeux majeurs tant au niveau technique que financier. L’étude de leurs tracés s’attache à trouver l’itinéraire le moins en pente : au Tam Dao, on compte jusqu’à 16% de dénivelé tandis qu’au Bockor aucune pente ne dépasse les 10%. Une fois le tracé défini, le Service des travaux publics débute l’empierrement, l’adoucissement des rampes trop raides, l’élargissement de la chaussée notamment dans les tournants, la construction des murs de soutien en pierre pour prévenir le ruissellement et les glissements de terrain. Malgré tout, l’entretien reste problématique en raison des conditions météorologiques et du relief. Outre ces contraintes techniques, les dessertes doivent jouir de

341 ANOM, GGI 5 983, 1906.7.9, GGI à Ducamp, aménagement du sanatorium d’altitude du Tam Dao 342 ANOM, GGI 5 983, 1907.8.27, Ducamp à GGI, aménagement du sanatorium d’altitude du Tam Dao

151 beaux paysages et posséder des points de vue pour les admirer. Par exemple, la desserte du Bockor possède un panorama réputé au site Popokvil (à 920 mètres)343.

Il existe une ambiguïté entre mobilité touristique et mobilité intérieure. S’il est vrai que la première dépend de la seconde, il est plus rare que la seconde dépende des financements de la première. L’étude de l’accessibilité touristique nous contraint à évoquer l’accessibilité du territoire dans son ensemble car, dans le cas de l’Indochine, les autorités locales (Gouvernement général) ont volontairement confondu les deux afin de bénéficier de financements supplémentaires pour compléter le programme d’aménagement défini par Paul Doumer. Après avoir analysé, dans une première partie, l’accessibilité technique intérieure de l’Indochine - c'est-à-dire la construction des routes et des voies ferrées et leurs liaisons physiques -, nous évoquerons, dans une seconde partie, l’accessibilité touristique telle qu’elle est vécue par les touristes de l’époque qui se déplaçaient majoritairement en bateau, en train et en voiture.