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L’intégration des stations au projet d’aménagement territorial

I. Des stations : une composante de la colonisation

5. L’intégration des stations au projet d’aménagement territorial

La localisation des stations a été pensée par rapport à leur intégration au territoire. Différentes échelles sont prises en compte, l’échelle régionale (la péninsule indochinoise dans son ensemble) et l’échelle « coloniale » (l’Union Indochinoise).

A l’échelle régionale, des projets sont rejetés en raison de leur situation en dehors de l’espace colonial, tandis que d’autres sont privilégiés pour la facilité de leur accès. Ainsi le projet mis en avant par Paul Doumer, d’édifier à Mongtzé la capitale d’été du Tonkin, est rejeté, après plusieurs années de réflexion, en raison de sa localisation en terre chinoise, alors qu’il rassemblait des avantages évidents : une altitude variant de 1 500 à 2 000 mètres, une salubrité parfaite, des larges vallées peuplées et cultivées et un accès par voie ferrée. Les Français craignent que les autorités chinoises posent trop de conditions à l’obtention d’une concession importante et qu’elles interdisent d’y faire soigner des soldats. De plus, les sommes qui seraient dépensées pour la création du sanatorium yunnanais profiteraient à la Chine153. Une autre facette de cette intégration régionale est la volonté d’intégrer certaines

stations d’altitude au marché touristique de repos. Ainsi le projet de la station d’altitude du

64 Bockor est soutenu en raison de sa proximité avec le port de Ream, escale maritime entre Bangkok et Saigon et de la possibilité d’attirer par ce biais une clientèle siamoise.

A l’échelle « coloniale » l’implantation de stations est conditionnée par la possibilité d’être reliée aux voies de communication. De l’accessibilité dépend la pérennité de la station car sans touriste il n’y a pas de station touristique [voir chapitre 4]. En Indochine ce réseau est dominé par la création de voies ferrées. Son tracé favorise, tout d’abord le Tonkin (ligne Haiphong-Hanoi-Yunnan), le nord de l’Annam (ligne Hanoi-Vinh) et la Cochinchine (ligne de Mytho-Saigon-Phan Thiet). La liaison entre les deux (Vinh à Phan Thiet) traversant le centre de l’Annam, n’est réalisée qu’en 1936. Le Cambodge et le Laos sont, eux, seulement desservis par la route. La connexion à un réseau de communication en général et, ferré en particulier, est vitale pour le développement d’une station et définit les sites retenus et à écarter.

Différents exemples peuvent illustrer notre propos. Lorsque Paul Doumer entreprend ses recherches, il découvre l’existence du Tran Nhin, vaste plateau laotien, haut de 1 000 à 1 500 mètres. Les qualités du site sont attestées par l’administration locale qui y est établie depuis dix ans et par les études menées en 1900 par Tournier, Résident supérieur au Laos. Son climat est excellent, considéré comme quasi « européen ». Le plateau est spacieux, sa fertilité est bonne, son alimentation en eau abondante. En 1902 Paul Doumer déclare que : « le plateau du Tran Ninh est donc, presque tout entier, une immense station sanitaire»154.

L’endroit est idéal, mais difficilement accessible. Il faut trois semaines à un mois de voyage pour y parvenir. Paul Doumer envisage la construction d’une voie ferrée reliant le plateau à la gare de Vinh, mais le coût des travaux a raison du projet. Autre exemple Ta Ho Ti155, au nord ouest de Lao Kay, malgré un site parfait spacieux, boisé, tempéré, fertile, est refusé en raison des difficultés d’accès : les pentes sont trop importantes et le site est trop éloigné du réseau général. Dans la haute région du Tonkin un autre site, Taffin, signalé par le colonel Pennequin, commandant des troisième et quatrième territoires militaires du Tonkin, au nord- est de Lao Kay est refusé pour les mêmes raisons, il faut compter de trois semaines à deux mois pour l’atteindre. D’après Paul Doumer, l’éloignement de Hanoi et de la voie ferrée projetée, ainsi que des difficultés d’accès, écartent totalement les projets compris dans la haute région tonkinoise : « il ne faut pas songer, quant à présent, à créer un établissement

154 Doumer P., Situation de l'Indo-Chine (1897-1901), Hanoi : F.-H. Schneider, 1902 p.114

155 ANOM, GGI 24 743, 1898.2.25, rapport du lieutenant Privery sur les conditions d’installation d’un

65 dans des régions semblables, qu’on peut considérer comme inabordables »156. En 1901 dans

le centre Annam, la mission Debay repère trois plateaux pouvant servir de station climatique pour les populations de Huê et de Tourane. Le plateau de l’A Ta Ouat possède de belles vallées, bien peuplées, sans marécage et de longues croupes couvertes de forêts de pins. Mais ce plateau, situé pourtant idéalement à 1 500 mètres, est trop accidenté et la région est trop éloignée de Huê et de Tourane (120 et 140 kilomètres). Cette solution est donc écartée au profit de deux autres plateaux : l’un à une quarantaine de kilomètres au Sud Ouest de Tourane, l’autre à une centaine de kilomètres de Huê, ayant une altitude moyenne de 1 400 mètres et semblant réunir les conditions nécessaires à l’installation d’une station de montagne. La mission relève les caractéristiques géographiques et géologiques des deux plateaux et en dresse les plans.

D’autres stations ont su s’affranchir de cette contrainte, grâce à un développement exclusivement local, c’est le cas de Mau Son à coté de Lang Son. D’autres ont su compenser la faiblesse de leurs caractéristiques topographiques et climatiques, par la valorisation de leur accessibilité et de la proximité des voies de communication, c’est le cas du Tam Dao et du Bavi. La station du Tam Dao, située à 1000 mètres, possède un terrain relativement exigu, mais se trouve à quatre heures de la gare de Vinh Yen, desservie par la ligne Haiphong- Hanoi-Yunnanfu. Cette station concurrence directement Do Son pourtant plus proche mais dont l’accès est difficile durant la saison touristique.

Cette partie nous a permis de montrer que les stations ont contribué, dans une certaine mesure, à la réussite de la colonisation française. Conçues comme des instruments de prise de possession du territoire, elles ont en partie rempli leurs objectifs. Leur implantation témoigne d’une nouvelle lecture du territoire, valorisant des caractéristiques géo-climatiques originales, mais aussi démographiques, humaines et territoriales. Cependant il ne faut pas omettre de considérer le contexte historique et la personnalité des protagonistes qui orientent l’interprétation de ces facteurs.