• Aucun résultat trouvé

Les services touristiques : reflet de l’évolution des politiques touristiques

I. Des politiques touristiques au service de la colonisation

3. Les services touristiques : reflet de l’évolution des politiques touristiques

publics ou privés chargés d’accueillir, de transporter, d’informer les touristes, dont l’inaction, l’action et les remaniements reflètent les évolutions des politiques touristiques indochinoises et la longue émancipation de l’activité vers le privé.

Les premiers organismes sont étatiques mis en place par l’arrêté du 27 juillet 1923260

conformément au souhait de la circulaire d’Albert Sarraut. Divisés en trois catégories ils ont pour fonction de collecter les informations touristiques, de surveiller et de conseiller les projets d’organisation touristique. En premier lieu nous avons l’Office central du tourisme relevant de la direction des Services économiques261. Basé à Saigon, il centralise les

informations touristiques de toutes sortes, notamment photographiques, afin de préparer les guides, tracts et brochures de propagande sur l’Indochine, qu’il transmet aux organismes métropolitains, tels que l’Office national du tourisme262, le Touring Club de France, les

syndicats d’initiative. A côté de l’Office en charge de la centralisation des informations, les

260 ANOM, FOM 253 1923.7.27, arrêté création du Comité central du tourisme

261 Le 15 avril 1924, la direction de Services économiques se transforme une direction des Affaires économiques,

mais maintient dans les attributions du 2ème bureau de la nouvelle direction l’étude des questions intéressant le tourisme.

262 L’Office du tourisme est créé en 1910 et transformé en 1919 en office national du tourisme, puis en 1935 en

commissariat général au tourisme relevant du ministère des travaux publics. Il est assisté, d’une part, d’un Comité consultatif du tourisme, d’autre part, du centre national d’expansion du tourisme, du thermalisme et du climatisme. L’office a pour mission de centraliser, pour l’organiser partout où il est nécessaire, la propagande touristique au profit de la France métropolitaine et de la France d’Outre Mer. L’office national de tourisme possède divers « Bureaux de port » en France à Marseille, au Havre, à Bordeaux, à Calais à Boulogne, et à Cherbourg mais aussi à l’étranger, notamment en Angleterre, en Amérique, lui permettant d’effectuer une publicité intensive auprès des touristes étrangers.

113 autorités créent un organe consultatif le Comité central du tourisme, présidé par le Gouverneur, secondé par les chefs des services intéressés (directeur des finances, inspecteur général des Travaux publics, chef du Service central d’architecture, directeur des Services économiques et chefs des administrations locales) ainsi que par le directeur de l’Ecole Française d’Extrême-Orient (EFEO), les représentants des syndicats d’initiative et organes privés de tourisme, de la presse, de l’industrie hôtelière et des compagnies de navigation. Son rôle est de donner son avis sur les programmes de création d’hôtels subventionnés par l’Etat, les mesures générales à adopter pour inventorier et préserver les sites et beautés naturelles de la colonie, et sur l’organisation de circuits touristiques. Ces deux organismes sont secondés par les Comités régionaux de tourisme créés en théorie dans les différents territoires de l’Union ou dans les centres touristiques. Ils rassemblent les chefs de services locaux (travaux publics, forêts), un délégué de l’EFEO et des représentants de la presse et des syndicats d’initiative ou autres organismes privés du tourisme local. L’arrêté prévoit aussi la création d’un Comité du tourisme au Langbian chargé exclusivement de la station, en complément du Comité régional de l’Annam. Les comités régionaux de tourisme ont vu leur action complétée au Cambodge et en Annam par la création d’organismes locaux de tourisme : au Cambodge, c’est l’Office local du tourisme (arrêté du 29 avril 1925), rattaché au Musée économique, en Annam les autorités créent le Bureau de tourisme (arrêté du 6 août 1925) dépendant directement du Résident supérieur. Au Laos, il faut attendre 1936 pour qu’un arrêté du 20 août décide la création d’un comité central permanent du tourisme et des foires expositions263.

En 1927, les dysfonctionnements pointés par la circulaire conduisent au remaniement de ces services. Ce remaniement s’impose d’autant plus que la direction des Affaires économiques, en charge du tourisme, est démantelée (1927.9.22 arrêté). Le Gouverneur général crée un emploi de chef de la propagande (l’arrêté du 1927.10.25) et transforme l’Office central du tourisme (3 avril 1928) en un service de la propagande et du tourisme. Le service est divisé en deux parties l’Office indochinois du tourisme et le Bureau de la propagande. L’Office est chargé de la gestion touristique du territoire (inventaires et préservation des sites et des beautés naturelles, parcs nationaux et réserves de chasse ; aménagement des voies ayant un intérêt touristique ; organisation, amélioration des moyens de transports, industrie hôtelière, circuits touristiques) et des relations avec les comités locaux de tourisme, les syndicats d’initiative, les bureaux et agences de voyages. Le Bureau de la propagande est dédié à la communication. Il est chargé de réunir et de diffuser, à travers

114 différents supports et médias (tracts, affiches, foires, expositions, presses) les renseignements et documents sur l’Indochine, ses richesses, son développement, sa vie ethnographique, sociale, économique, administrative. Le Bureau doit entretenir des relations avec l’Agence économique, les autorités consulaires et les agences de voyage. Le 9 mars 1929, le Gouvernement général change l’appellation de service de la propagande et du tourisme au profit de l’Office indochinois du tourisme et de la propagande.

Dans la colonie, il existe aussi des organismes privés comme les syndicats d’initiative ou des agences de voyage. En 1920, Lancelin, directeur des Messageries fluviales, crée le Syndicat d’initiative de la Cochinchine et du Cambodge destiné à faire connaître leurs richesses touristiques. En janvier 1923, Blaquière, secrétaire général du Syndicat d’initiative, fonde à Saigon une agence de voyage : le Bureau de tourisme et une revue touristique (La revue des études indochinoises, du tourisme et de l’automobilisme) en coopération avec l’Automobile Club de la Cochinchine et du Cambodge, la Société des études indochinoises et la Société des Amis d’Angkor. Il organise des voyages et fournit par lettre ou par télégramme tous les renseignements sur les sites, les attractions diverses, les voies et moyens de communication, les horaires, les tarifs de transport, les prix courants d’hôtels et de bungalow et itinéraires.

Parallèlement, le Syndicat d’initiative de Cochinchine crée en 1926, à l’initiative de Bontoux (agent des Messageries maritimes), le Bureau officiel du tourisme en Cochinchine. Dès sa création il est soutenu financièrement par le Gouverneur de Cochinchine et les principaux hôteliers. A partir de 1928 le Bureau, profitant de la volonté du Gouverneur général (circulaire de 1927) de privilégier l’initiative privée en matière d’infrastructures hôtelières et d’organes de communication, obtient une subvention importante du Gouvernement général et devient le Bureau du tourisme en Indochine264. La direction du

Bureau regroupe les représentants des principales sociétés de navigation, d’entreprises hôtelières et de transports automobiles du sud-indochinois. Son rôle est d’informer, de communiquer sur l’offre touristique, de renseigner les touristes et d’organiser des voyages. En 1929, le bureau a organisé 84 voyages, au lieu de 74 en 1928, en faveur de 212 voyageurs au lieu de 172 en 1928. Ces voyages organisés sont généralement commandés par les compagnies maritimes sur demande de croisiéristes désirant visiter l’Indochine. Le bureau

115 s’occupe ainsi d’un groupe de vingt touristes embarqués sur le Resolute et d’un autre de quinze sur le Criswel.

En 1931, la confusion régnant entre le Bureau du tourisme en Indochine (privé) et l’Office indochinois du tourisme et de la propagande (public) oblige à certains remaniements. Les autorités décident que le terme de bureau sera alloué à l’organisme officiel et celui d’office à l’organisme privé. Ainsi le 28 avril 1931 l’Office indochinois du tourisme et de la propagande (public) devient le Bureau du tourisme et de la propagande, rattaché au service de la législation et d’administration, tandis que le Bureau du Tourisme en Indochine devient l’Office du tourisme indochinois (privé). L’organisme officiel garde sa fonction de centralisation de l’information265, tandis que l’office privé soutenu par le Gouverneur remplit

quant à lui une fonction de renseignement logistique et informatif.

Cependant quatre ans plus tard, ces structures sont encore une fois modifiées. Témoignant de la privatisation de l’activité l’Office du tourisme indochinois et le Bureau sont rassemblés pour former, à Saigon, un Office central du tourisme de l’Indochine, le 6 janvier 1935266. Ce nouvel Office rassemble les fonctions de communication du Bureau et de

renseignement de l’Office. Il a comme attribution de diriger le mouvement touristique en Indochine, d’organiser la propagande, d’établir des circuits, des prix et horaires en relation avec les syndicats d’initiative, les bureaux et agences de voyage, les groupements touristiques métropolitains ou étrangers, les hôtels et les entreprises de transports publics ou privés. L’Office est présidé par Brunet, agent général des Chargeurs réunis et compte parmi les membres de son conseil d’administration l’inspecteur de la banque de l’Indochine, le directeur de la Maison Diethelm, le délégué du TCF à Saigon, le président de l’Automobile Club du Sud Indochine et le délégué du directeur des finances à Saigon. Le Conseil est majoritairement dominé par des personnalités appartenant au sud de l’Indochine, ce qui provoque les critiques justifiées267 de l’Union des syndicats touristiques du Nord Indochine qui demande la création

d’un comité spécial afin de développer le Nord. L’Office est secondé par un Bureau du tourisme installé à Saigon, chargé de faire respecter les droits des touristes et de recueillir leurs plaintes. Cette dernière structure, l’Office central du tourisme de l’Indochine, est une réussite malgré les baisses de moyens financiers. Il correspond avec les agences de voyage et

265 ANOM, FOM 594, 1931.4.28, arrêté 266 ANV1, RST 75 217, 1935.1.6, arrêté

267 ANV1, RST 75 215-2, PV, 1938.4.20, assemblée générale de l’Union des syndicats touristiques du nord

116 les consulats français du monde entier, approvisionne en tracts, brochures, cartes, affiches de multiples structures touristiques, participe à de nombreuses foires et expositions [voir chapitre 6]. Ce succès permet de pérenniser la structure. En 1946 elle est toujours présente, comme en témoigne un arrêté de renouvellement de son conseil d’administration (1946.1.7)268. Pourtant

dès 1936, l’Office est concurrencé par l’ouverture d’une agence Cook à Saigon, qui reçoit une subvention annuelle 10 000 piastres. Cette subvention est très mal perçue, considérée comme la volonté du Gouvernement de se décharger de la besogne touristique sur une agence mondiale telle que Cook. L’Office central s’inquiète que cette firme ne cherche qu’à défendre ses intérêts et ne délaisse le tourisme intérieur des populations locales [voir chapitre 7].

Le retour sur les mutations des services publics et privés de communication du tourisme permet d’un point de vue pratique de clarifier la chronologie de ces différents organismes, mais aussi de souligner leurs évolutions témoignant des changements de l’activité. Au début des années 1920, les organismes étatiques servaient à la collecte de l’information et jouaient un rôle de consultant peu écouté. A la fin de la période ils constituent de véritables agences de communication semi-publiques, ayant des correspondants dans le monde entier. Concernant les organismes privés, ils arrivent à se constituer en agence de voyage à partir de la fin des années 1920 ce qui correspond à l’achèvement de la phase d’aménagement et au début de la phase de propagande. En 1936 l’implantation de l’agence Cook témoigne de l’essor de la destination indochinoise.