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Un développement variable, fonction du statut légué par son créateur

II. Des stations : l’expression d’une projection personnelle

2. Un développement variable, fonction du statut légué par son créateur

Du contexte dans lequel les stations émergent dépend parfois leur statut qui conditionne le rythme et l’importance de leur développement. Nous pouvons distinguer des différences notables, si les stations se développent sous l’autorité civile, voire l’initiative privée, ou sous l’autorité militaire.

Sous l’autorité civile, les stations dépendent soit des administrations locales (Résidence et Gouvernement de Cochinchine) soit de l’administration générale (Gouvernement général), leur rattachement est conforme à l’ampleur du projet. Ainsi Dalat, station la plus importante de l’Indochine, est sous l’autorité du Gouvernement général et possède ses propres structures internes de décision. En novembre 1901, les autorités créent la province du Haut Donnai, dotée d’une résidence à Djiring, et du centre administratif de Dalat. D’autres stations sont gérées par les Résidences supérieures, même si le Gouvernement général a été impliqué à certaines étapes de leur édification, c’est le cas du Bockor ou du Tam Dao. Leur développement est ensuite laissé à l’initiative privée, encadrée par l’administration locale, avec plus ou moins de réussite. Dans le cas du Tam Dao, le succès est immédiat, tandis

162 Voir Demay A., « Cha Pa, le tourisme créateur de lieux urbains », communication 3e congrès du Réseau Asie

- IMASIE, Paris, 26-27/09/2007

163 ANOM, GGI 24 743, 1898.8.15, projet de création d’une station sanitaire à Mau Son rédigé par l’ancien

71 que pour le Bockor l’initiative privée est absente. La station, à peine inaugurée en 1925, végète et se dégrade, preuve que l’équipement d’un lieu ne suffit pas à le rendre touristique encore faut-il qu’il soit fréquenté et qu’il rencontre sa clientèle. Puis nous avons des stations dont le développement, soutenu par les autorités locales, est initié par l’initiative privée ou par des associations (comme les scouts), c’est le cas de Bana en Annam, et de l’immense majorité des stations balnéaires, hormis Sam Son, Cap Saint-Jacques et Kep. Le retrait progressif de l’administration dans la construction des stations est le résultat de la mise en pratique de l’application du décret du 2 mars 1910 qui délègue aux services locaux l’équipement des stations, à savoir l’exécution de routes d’accès, de travaux d’amélioration, de lotissement et la concession gratuite des terrains : Article 38 « Mais il serait fort désirable que les administrations locales continuassent comme par le passé et avec une plus grand activité encore, à prendre toutes les mesures indispensables en vue d’améliorer la situation sanitaire de nos possessions et d’organiser sur place des stations de santé, où le rétablissement des affections endémiques pourrait être obtenu sans le retour en Europe, les familles devraient y trouver commodément et économiquement les installations nécessaires pour les villégiatures pendant la mauvaise saison. Cette préoccupation constitue un devoir essentiel pour les services locaux. » 164. Tant que la station ne bénéficie pas du statut de sanatorium, assimilable

à un hôpital, le budget général n’est pas impliqué. Dans les faits, certaines stations ont reçu un financement du budget général comme Dalat ou Bockor pour leurs équipements hôteliers. Cette remarque permet de comprendre les réticences des autorités civiles à doter les stations du statut de sanatorium.

Les plus grandes stations comme Dalat et Cha Pa, connaissent une gestion mixte des autorités militaires et civiles. Dalat est largement dominée par les autorités civiles, malgré la présence de casernements, tandis que Cha Pa est dominée par les autorités militaires qui y installent un sanatorium, deux villas pour officiers, dont la villa Mangin. C’est d’ailleurs le seul sanatorium d’altitude de toute l’Indochine. A Dalat le projet s’est transformé en hôpital et au Bockor il n’a jamais abouti. Dans les années 1930, les autorités militaires construisent, grâce à l’action des légionnaires, des centres d’estivage au Mont Bavi ou à Khan Khay au Laos (Tran Nhin). Sur le Mont Bavi, l’administration provinciale avait fait élever depuis 1902, des habitations à 500 mètres d’altitude environ. En 1930 sous l’impulsion des légionnaires, la station se développe. En 1937 Taupin, dans son guide, nous indique la

72 présence d’un hôtel de 25 chambres, l’hôtel du Mont Bavi. Les autorités militaires sont aussi à l’origine du développement de stations balnéaires comme en 1904 à Sam Son où un sanatorium est construit puis abandonné, ou sur l’île au Buisson dans la baie d’Along (près de Hon Gay) où est édifié un sanatorium balnéaire, sorte d’hôtel ouvert en été et réservé aux membres de la coopérative militaire165. Elles participent aussi à l’édification de la station du

Cap Saint-Jacques avec le soutien de l’administration civile.

De façon générale, notons que les civils abandonnent rapidement la notion de sanatorium, contrairement aux militaires. Les civils considèrent que la création d’un sanatorium est insuffisante et souhaitent étendre le projet à l’édification d’une ville d’été. En effet, le sanatorium leur paraît comme un endroit trop exigu, à vocation trop élitiste et dont la gestion est compliquée par la nécessité de présenter des certificats médicaux pour y accéder. Ce point de vue est repris dans le bulletin rédigé par le docteur le Dantec : « on entend habituellement par sanatorium un établissement réunissant, par la salubrité de son emplacement et ses conditions diverses d’installation, toutes les qualités requises pour favoriser le retour à la santé des convalescents. De telles installations sont de la plus haute utilité et en particulier dans les colonies. Mais elles ne correspondent pas précisément au but plus large que nous poursuivons actuellement. Nous nous préoccupons ici, non seulement des malades mais aussi des gens sains et biens portants, et notre but est de leur permettre de conserver le plus longtemps possible la santé (…), c’est donc une ville d’été que nous voulons trouver et c’est en ce sens que nous comprendrons ici le terme de sanatorium» 166. Le pas est

franchi, le sanatorium dans une acception plus large peut donc être compris comme une station villégiature voire touristique. L’ouverture progressive des stations aux biens portants, grâce à la démédicalisation de la convalescence au profit du repos touristique, mais aussi une démilitarisation de certaines stations comme Cha Pa et au Cap Saint-Jacques, favorisent leur développement. Elles deviennent des lieux de vie, de repos et de jeu touristique ce qui permet d’étendre leur fréquentation à une partie plus large de la population. D’ailleurs l’administration civile n’accordera plus le statut de sanatorium. En 1913 à Kep, le contrôle financier refuse le paiement du bail de l’immeuble Dupuy devant devenir un sanatorium.

L’implantation des stations dépend d’une lecture personnelle des contraintes de colonisation (privilégier la population coloniale dans son ensemble ou seulement les militaires

165 Norès G., Itinéraires automobiles en Indochine, 3 tomes, Hanoi : Imprimerie d’Extrême-Orient, 1930, p.52 166 ANOM, GGI 5 982 rapport sur l’établissement d’un sanatorium à Cha Pa, 1909-12.

73 en charge de sa défense) et des caractéristiques géo-climatiques. Cette lecture est subjective, d’elle dépend l’avenir du site et à terme de la station.