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S ECTION 2) L E PROCESSUS DE « P ERIPHERISATION » 2 DES COMMUNAUTES SEFARADES :

2) « E STABLISHMENT » SIONISTE SOCIALISTE ET ALIENATION POLITIQUE DES SEFARADES :

Même s’il existe une réalité religieuse et culturelle – nous y reviendrons plus tard – dans la distinction opérée entre séfarades et ashkénazes, les classifications sociologiques, élaborées dans le contexte israélien, aidèrent grandement à favoriser la création puis la reconnaissance de sous-groupes à l’intérieur de l’ensemble juif. Les travaux scientifiques font état de trois groupes : les Américains-Européens (la plupart ashkénazes) ; les Africains-Asiatiques (les séfarades) et, enfin, les Sabras, c’est-à-dire les personnes nées en Israël et qui représentent, naturellement, une part de plus en plus importante de la population totale. Depuis les années 90, un quatrième groupe tend à être identifié sous l’appellation « issus de l’ex-URSS », distingué ainsi du reste des ashkénazes. En réalité, ces catégories sociologiques sont pour le moins imparfaites, tant ces groupes se construisent eux-mêmes autour d’une multiplicité de vécus historiques et de patrimoines culturels différents.

Malgré l’identification de trois ou quatre groupes distincts, la notion de « communautés » désigne toujours les communautés séfarades, dites « Edot HaMizrah »1 (communautés d’Orient), Mizrahim (Orientaux) ou encore Sfaradim (séfarades). Comme le souligne C. Klein, faire mention de la « minorité arabe » (miout aravit), pour qualifier les populations arabes d’Israël, et des « communautés orientales », faisant référence aux immigrants des années 55-67, tend par conséquent à dessiner plusieurs cercles, différents du point de vue de leur degré d’intégration et de centralité. En effet, les Arabes constitueraient un premier cercle, le plus extérieur par rapport au centre de la société, tandis que les communautés orientales – au pluriel, sans doute par opposition

1 L’utilisation du terme « edot » semble pour autant mal venue, tant celui-ci fait référence à la dimension

politique du Peuple Juif. Dans les écrits bibliques, le Peuple d’Israël était ainsi qualifié de « edah », lui donnant par ce biais-là un fondement à la fois religieux et politique. La Edah était par conséquent symbole d’unité, tandis que l’usage contemporain insiste au contraire sur l’aspect de dissension et de conflit entre les différentes branches du Peuple Juif.

à la communauté ashkénaze de base et de référence –, dessineraient un second cercle, intermédiaire1.

Mécanisme d’exclusion symbolique et psychologique, cette assignation identitaire fut très vite doublée, non pas d’une politique systématique et manifeste, mais d’une série d’attitudes adoptées par les autorités publiques et relayées dans toutes les sphères de la société, consistant à stigmatiser des populations séfarades considérées avec l’œil de l’ethnocentrisme sioniste. L’étatisation progressive et relative, l’arrivée de vagues migratoires successives et l’ethnicisation de la spatialisation du territoire sont autant de facteurs qui conduisirent à l’émergence d’une distinction marquée entre le centre et la périphérie, menant, selon S. N. Eisenstadt et L. Roniger, à l’instauration de relations entre les deux niveaux sur la base d’un modèle clientéliste2.

Comparable au Mezzogiorno, que L. Graziano3 considère en « grande désagrégation sociale », il

va s’agir d’établir des réseaux d’échanges, sur la base de la réalité communautaire locale et d’aider, par suite, les régions encore sous-développées à rattraper ce qu’il est convenu d’interpréter, dans une perspective développementaliste, comme un « retard ». Sans revenir sur une abondante littérature, il convient de noter que la capacité explicative de ces théories du « développement politique » fut largement infirmée par des cas empiriques où, loin de n’être qu’une étape du développement, le clientélisme conserva toute sa place dans l’organisation sociétale moderne. Le concept de « patrimonialisme » permit notamment de décrire des sociétés variées, autrement que sur la base d’une conception transitionnelle et modernisatrice, en admettant que certaines sociétés ne se développeraient pas dans une direction similaire à celle empruntée par les sociétés dites avancées. On consentait à déceler ainsi une logique interne à leur développement. Dans cette appréhension du processus de développement, la voie patrimonialiste n’est plus conçue comme temporaire mais structurelle, dépendant des composantes traditionnelles et historiques de ces sociétés4. La modernisation n’est ainsi plus entendue comme présentant des

1 Klein (C.), La démocratie d’Israël, Paris, Seuil, 1997, p. 54.

2 Eisenstadt (S.N.)/Roniger (L.), Patrons, clients and friends. Interpersonal relations and the structure of trust in

society, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 197.

3 Graziano (L.), « Patron-client relationships in Southern Italy », European Journal of Political Research, 1,

1973, p. 8. J-L. Briquet souligne également cette réalité italienne lorsqu’il explique qu’après la seconde guerre mondiale, « le développement de l’intervention de l’Etat (…) a abouti à un modèle « particulariste-clientélaire » de gestion des politiques publiques, à savoir un modèle basé sur l’allocation sélective des prestations en fonction des intérêts de clientèle des acteurs politiques et des réseaux partisans localisés. », in « Les pratiques politiques « officieuses ». Clientélisme et dualisme politique en Corse et en Italie du Sud », Genèses, 20, septembre 1995, p. 81.

4 Eisenstadt (S.N.), « Varieties of political development : the theoretical challenge », in Eisenstadt (S.N.)/Rokkan

(S.), Building States and nations, t 1, Beverly Hills, Sae Publications, 1973, pp. 44-5.

caractéristiques symboliques, systémiques ou structurelles universelles, mais comme contextuellement déterminée par des attributs propres à la culture politique et à la construction historique de l’Etat. Les analystes des sociétés africaines ont ainsi pu monter que le clientélisme, contrairement aux maux terribles dont on l’affublait, participe d’une certaine manière à une consolidation démocratique, à travers la matrice plus générale de la « politique du ventre »1 et

permet d’agréger des communautés réfractaires à l’assimilation des valeurs dominantes au jeu politique.

Le processus de construction stato-nationale israélien, à travers la survivance de logiques communautaires, et la marginalisation politique et économique de ces derniers conduisant à amplifier la solidarité de ce groupe fortement hétérogène, aboutirent à l’établissement et à l’affirmation d’un traitement patrimonialiste de ces populations. Tout se passa en effet comme si leur insertion fut conditionnée, non par une représentation politique qu’ils maîtrisaient, mais par leur capacité à se mettre sous la protection des autorités centrales.

2.1) L’ALIENATION POLITIQUE DES SEFARADES DANS LE PRISME DU « PARTI DOMINANT » ISRAELIEN :

La domination incontestée des travaillistes au sein du jeune Etat israélien2, se manifesta très rapidement par l’accaparement de l’ensemble des ressources publiques, par l’intermédiaire d’institutions historiquement liées au Mapaï. Le système politique qui émana de cette omnipotence des travaillistes déboucha sur une vision paternaliste du pouvoir, caractérisée par la nécessité de consolider le noyau politique ashkénaze et, par conséquent, de priver les minorités ethniques d’une participation effective. En perte de repères et de codes opérants, la première génération séfarade accepta de se plier à un système qui lui semblait raisonnable et finalement avantageux.

1 Voir notamment les travaux de Banégas (R.), La démocratie « à pas de caméléon ». Transition et consolidation

démocratique au Bénin, thèse de doctorat, Institut d’Etudes Politiques de Paris, janvier 1998 ; « « Bouffer l’argent ». Politique du ventre, démocratie et clientélisme au Bénin », in Briquet (J-L.)/Sawiki (F.), Le clientélisme politique…, Op. cit., pp. 75-109.

2 Grinberg (L.L.), « The crisis of statehood. A weak state and strong institutions in Israel », Journal of

Theoretical Politics, vol. 5, n°1, 1993, pp. 89-107.

2.1.1) LE MAPAÏ, UNE VOCATION A INCARNER LA SOCIETE :

Soucieux d’opérer une centralisation de l’appareil répressif, politique et productif, D. Ben Gourion construisit rapidement un organe de parti ayant vocation à englober, non seulement l’ensemble des forces de gauche, mais aussi la totalité des segments de la société. C’est ainsi qu’en 1930 fut créé, de la fusion entre Ahdout Hahavodah et HaPoel HaTzaïr, le Mapaï1, véritable parti-société censé représenter l’ensemble du Yichouv, en fournissant l’orientation politique globale. Il est possible de lire ici une influence marxiste dans cette conception du politique et de la représentation politique, car, si les partis politiques – réputés briser l’harmonie dans la symbolique marxiste – ne furent pas interdits, la création d’un parti dominant témoigna de cette volonté de guider l’ensemble de la société vers ce qu’il est convenu d’appeler un messianisme national.

Une fois le modèle conflictuel mis en place dans le cadre d’un système partisan, le Mapaï fut transformé en un parti dominant, s’identifiant, conformément à la définition de M. Duverger, à une époque ; avec ses doctrines, ses idées, ses méthodes, son style et lorsque ceux-ci coïncident, avec cette époque. Associé aux conquêtes militaires et territoriales et à l’idéologie collectiviste encore prégnante, le Mapaï assit sa domination sur l’influence plus que sur la force, entretenue simultanément par la production d’une mythologie nationale, majoritairement sioniste-socialiste2.

Cette identification forte entre Mapaï et Etat en gestation se réalisa par la constitution d’un tissu associatif chargé de porter l’idéal sioniste-socialiste. Ainsi, plus qu’une simple organisation partisane composée de militants et de sympathisants, le Mapaï se confondit petit à petit avec la société civile du Yichouv, devenant alors une sorte de parti total. Les chiffres3 tendent à démontrer

cette pénétration quasi-complète de l’organisation ouvrière au sein de la société civile, les autres courants idéologiques perdant progressivement de nombreux militants. Droite révisionniste et sionisme religieux apparurent par conséquent en retrait, laissant le champ libre à une gauche qui n’eut de cesse de se poser en rassembleur de la nation. Le prix à payer fut un abandon relatif de la dimension ouvriériste de son idéologie (cf. section 1), se présentant avant tout comme un pragmatisme politique.

1 Le nom du parti travailliste est un acronyme signifiant Parti des Travailleurs (Mifléget HaPoalim).

2 Duverger (M.), Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1967. 3 Voir Bensoussan (G.), Une histoire intellectuelle…, Op. cit., p. 597.

Sans nul doute inspirée d’une vision marxiste de l’organisation sociale mais également mue par une volonté propre aux nationalismes en marche, la tentative initiée par les sionistes- socialistes, visant à réconcilier société civile et Etat, fut une revanche sur le modèle européen de l’Etat classique1. Pourtant, fort d’une conception hautement weberienne2 de l’Etat, imprégné en

cela de la centralité sécuritaire dans la construction de l’Etat-nation israélien, D. Ben Gourion transforma progressivement le Mapaï en organisation politique coercitive, recrutant une grande partie de ses dirigeants dans l’armée embryonnaire du Yichouv et fondant sa stratégie à l’égard des immigrants séfarades sur une conception profondément paternaliste du rapport à ces populations « attardées ».

2.1.2) MAPAI ET MIGRATIONS SEFARADES : UN MODELE PATERNALISTE D’INTEGRATION SOCIETALE :

Comme le rappelle S. N. Eisenstadt, l’objectif premier des élites centrales en prise aux revendications périphériques consiste à maintenir leur monopole des activités et des ressources politiques centrales, de limiter tout accès indépendant de la périphérie à de telles ressources, de minimiser le contact et la participation politiques directs de la périphérie au centre, et de maintenir dans le même temps une interprétation structurelle minimale de la périphérie3. Le patrimonialisme

fut dès lors un vecteur employé pour contrôler et limiter l’expression collective des masses séfarades, redessinant une stratégie classique d’atomisation des périphéries sociales et ethniques.

2.1.2.a) UN MODELE PATERNALISTE FONDE SUR LA PRISE EN CHARGE MATERIELLE DES PERIPHERIES :

L’établissement de l’Etat et l’afflux massif d’immigrants séfarades provoquèrent des transformations de la structure politique, mais aussi de l’interprétation collective de la réalité. C’est ainsi que s’affirma une tendance double. D’un côté, les cadres universalistes furent inventés pour fonder le mécanisme de distribution des ressources. D’un autre côté, les arrangements

1 Dans la sociologie classique, la création d’un Etat suppose, en effet, la séparation claire entre, d’un côté, la

société, par essence complexe et plus ou moins soumise à des clivages sociaux, religieux et politiques et, de l’autre côté, l’Etat, garant de l’unité nationale. Résultat de la division du travail au sein des sociétés modernes chez E. Durkheim, de leur rationalisation pour M. Weber ou pour J. Freund, instrument créé par la classe dirigeante pour asseoir sa domination chez K. Marx, l’Etat est souvent perçu comme un agent de déconnexion et de différenciation entre société civile et appareil bureaucratique et institutionnel. Dans la sociologie classique, les auteurs principaux s’entendent tous sur cet état de fait, même si certains y voient matière à critique.

2 Présupposant le contrôle de l’espace territorial, l’autonomisation politique passe avant tout par l’éradication des

agents de coercition privés ou périphériques et par l’édiction de normes juridiques générales et impersonnelles visant à régir l’ordre social.

3 Eisenstadt (S.N.), « Varieties of political… »…Op. cit., p. 59.

consociatifs initiaux devinrent plus féodaux et indubitablement clientélistes. Tout se passa comme si l’ambiguïté du clientélisme se trouva révélée par cette « logique du contournement d’une rationalité étatique qui échouait à s’imposer dans certaines parties du territoire »1. Nous

retrouvons ici l’une des explications alternatives, permettant de comprendre la survivance d’un phénomène clientélaire dans des sociétés modernes. Elle consiste alors à appréhender celui-ci comme un comportement qui vient en complément de conduites légales et rationnelles ou, pour reprendre le concept développé par C. Landé, comme un addendum2.

Y. Peled écrit à ce propos que « (…) jusqu’en 1973, environ 50 % des électeurs orientaux votaient pour le parti travailliste, dans ses manifestations variées. Cela reflète à la fois leur désir de s’identifier à la force politique dominante dans la société, et le bastion virtuel que le mouvement travailliste avait, à travers ses institutions sociales et économiques, en matière d’opportunités d’emploi et de fourniture de services sociaux aux immigrants »3. La cause de cette

affiliation provint essentiellement d’une implantation “fléchée” par les partis, dans le sens où une grande partie des Séfarades furent “placés” dans des moshavim, eux-mêmes affiliés à un parti – Mapaï, Likoud voire Mizrahi. Assignés à telle ou telle fédération de villages – relevant elle-même d’un parti donné – les moshavim ne laissèrent guère le choix aux nouveaux arrivants, en matière de positionnement politique. La plupart étant encore acquis à la cause du parti dominant, le Mapaï bénéficia d’une adhésion massive et inconditionnelle des Orientaux d’Israël.

S. Avineri explique ainsi que la réaction initiale de « l’establishment » politique israélien à l’immigration massive fut de considérer les immigrants comme des pions, introduits dans un complexe jeu politique. Réduits à de simples objets passifs voués à être manipulés4, les habitants

des villes nouvelles avaient d’autant plus de mal à réagir qu’ils n’avaient pas l’expérience d’un modèle de participation démocratique. L’analyse rejoint ici ce que souligne T. Gurr, lorsqu’il explique que les différences culturelles jouent parfois un rôle en maintenant ou en renforçant les disparités initiales, citant l’exemple de groupes dont les valeurs et les croyances, ou tout

1 Briquet (J-L.), « La politique clientélaire. Clientélisme et processus politiques », in Briquet (J-L.)/Sawicki (F.)

Le clientélisme politique…, Op. cit., p. 14.

2 Landé (C.H.), « Introduction. The dyadic bases of clientelism », in Schmidt (S.) Ed., Friends, followers and

factions, Berkeley, University of California Press, 1977.

3 Peled (Y.), « Towards a redefinition… »…Op. cit., p. 714 ; voir également Shalev (M.), « The political

economy of Labor-party dominance and decline in Israel », in Pempel (T.J.), Uncommon democracies, Ithaca, NY Cornell University Press, 1990.

4 Voir Gottschalk (S.), « Citizen participation in the development of New Towns : a cross national view », Social

Service Review, 45, juin 1971, pp. 194-204.

simplement l’expérience historique, découragent de participer au système politique et économique du groupe dominant1.

Ainsi, qu’il s’agisse de l’emploi, du logement ou de l’éducation, tous les domaines étaient sujets à tractations, les rétributions afférentes étant octroyées par la structure de pouvoir existante, sur la base d’un rapport patron-client, au terme duquel l’immigrant était censé se montrer reconnaissant lors des élections. Cette relation s’opérait conformément à l’adage marseillais « service rendu vaut voix », que Philippe Sanmarco, qui fut l’un des dauphins de Gaston Defferre, synthétisa parfaitement2.

Centraux dans le processus d’intégration des nouveaux immigrants, les partis politiques instituèrent une forme de patronage qui devint rapidement la norme, transformant les organisations partisanes – de gauche puis de droite, à partir de 1977 – en de véritables machines politiques, destinées à établir des relations fortement pragmatiques et dépourvues d’engagement idéologique vis-à-vis des électeurs. On retrouve ici l’un des traits communément évoqués dans le cas des bosses américains, à savoir leur aversion pour les réformes votées à la faveur de nouvelles orientations idéologiques3.

Il est en cela possible de relever quelques similarités entre le cas des séfarades en Israël et celui des communautés ethniques aux Etats-Unis, particulièrement les communautés italienne et irlandaise, soumises à une forte solidarité de groupe assise sur la religion4. En effet, comme le

montre T. N. Clark, une grande part du clientélisme politique rencontré aux Etats-Unis est ethniquement basée, puisque la plupart des immigrants s’identifient toujours à leur société

1 Gurr (T.), Minorities at risk…, Op. cit., p. 40.

2 Cité par T. N. Clark, il disait : « la clientèle n’est fidèle qu’en souvenir des services, et non pour des raisons

politiques ou idéologiques. Ce clientélisme est profondément populaire. Il répond à une situation locale difficile, caractérisée par l’absence de logements et de travail. Ceux que les élus aident sont des gens dans le besoin. Le clientélisme est une sorte d’aide sociale, efficace et rapide. » in Clark (T.N.)/Ferguson (L.C.), L’argent des villes, Paris, Economica, 1988 , p. 124.

3 Ibid., p. 127. L’auteur poursuit en soulignant que les bosses « ne prennent en considération que les leaders et

les groupes existants, et non pas les problèmes abstraits, et éprouvent une méfiance instinctive à l’égard de concepts comme « l’opinion publique » ou « l’intérêt public ». Ibid., p. 128 ; Banfield (E.C.), Political influence, New York, Free Press, 1961.

4 Inglot (T.)/Pelissero (J.P.), « Ethnic political power in a machine city. Chicago’s poles at Rainbow’s End »,

Urban Affairs Quarterly, vol. 28, n°4, juin 1993, pp. 526-43. Les auteurs montrent notamment pourquoi les Irlandais entrent facilement dans une démarche clientéliste vis-à-vis des sollicitations de leur patron, alors que les individus d’origine polonaise sont davantage rétifs à un modèle de dépendance et de vote guidé.

nationale originelle1. Il s’ensuit une solidarité communautaire, entretenue par une machine dont le

seul objectif reste de se constituer une clientèle de fidèles – les faveurs patronales palliant un défaut d’intégration sociale et de reconnaissance politique.

Apanage du parti dominant jusqu’à la fin des années 70, cette méthode fut employée, globalement de la même façon à l’égard des séfarades et des arabes, instaurant un mode très traditionnel de relations patron-client qui tranchaient cependant avec les caractéristiques des liens clientélaires tissés à l’intérieur du réseau sioniste-socialiste (kibboutz, notamment). Dépourvues de liens idéologiques, ces relations entretenues avec les minorités ethniques passaient par un modèle d’intercession clientéliste, fondé sur une médiatisation assurée par des intermédiaires. Ce fut particulièrement le cas des populations arabes dont les intermédiaires – les cheiks2 – avaient un

accès préférentiel aux administrations publiques et aux partis politiques ; elles renforcèrent ainsi leur pouvoir local, restaurant du même coup la figure classique du notable décrite par J. K. Cambell3. Observé par C. Parizot, le cas des Bédouins du Néguev est également éclairant

puisqu’il traduit, lui aussi, cette volonté affichée par le Mapaï de canaliser le vote bédouin, dès les années 50. Agissant par l’intermédiaire des administrateurs militaires, le parti reproduisit le modèle de coopération des élites tribales prévalant sous le Mandat britannique4. L’image du

bureaucrate, qui se cristallisa durant ces années, fut à l’origine du terme déjà évoqué de « protekzia », méthode qui, nous dit L. Roniger, était d’une utilité pour celui qui souhaitait gagner du temps et éviter les longues files d’attente et les fonctionnaires antipathiques5.

Dans le cas israélien, la multiplication des tendances centrifuges, mais aussi l’échec de l’objectif d’incorporation des immigrants, furent deux processus concomitants menant à la

1 Clark (T.N.), « Clientelism, U.S.A. : the dynamics of change », in Roniger (L.)/Günes-Ayata (A.), Democracy,

clientelism and civil society, Londres et Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1994, p. 121.

2 Marx (E.), The bedouin of the Negev, Manchester, Manchester University Press, 1967.

3 Dans son ouvrage précité, Honour, family and patronage, l’auteur décrit le processus d’intercession opéré par

le notable (avocat) entre le berger et ses relations professionnelles, étant entendu qu’en retour, le notable garantit le « bon vote » du berger.

4 Parizot (C.) ,« Encadrement du vote et expression de la société civile dans la ville bédouine de Rahat. Une

analyse technique du scrutin du 17 mai 1999 », papier non publié ; voir également du même auteur « Enjeux tribaux et élections nationales en Israël. Les élections du 29 mai 1996 chez les Bédouins du Néguev », REMMM, n°85-86, pp. 237-258.

5 Roniger (L.), « Images of clientelism and realities of patronage in Israel », in Roniger (L.)/Günes-Ayata (A.),

Democracy, clientelism…, Op. cit., p. 174 ; voir également Nachmias (D.)/Rosenbloom (D.H.), Bureaucratic