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C ONSTRUCTION STATO NATIONALE ET PROCESSUS DE PERIPHERISATION ETHNO RELIGIEUSE

1) M ONDES ASHKENAZE ET SEFARADE : LE FOSSE DE L ’ INCOMPREHENSION :

Comme nous le soulignions dans l’introduction de ce travail, l’étude du nationalisme juif ne doit pas sous-estimer la résonance de Sion et de la nation mythique dans l’imaginaire juif. Dans la mythologie autant que dans le rituel, la centralité d’Eretz Israel (Terre d’Israël) est sans cesse consacrée, tissant un lien quasiment viscéral entre le Peuple juif et sa Terre d’élection. Eretz Israel est avant tout le point de focalisation des religieux, par son omniprésence dans les prières quotidiennes : la terre d’Israël est alors plus qu’un territoire. Entité spirituelle plus que réalité physique dans la Kabbale, la terre d’Israël incarne la rédemption morale, le renouveau spirituel, mais aussi, pour les sionistes laïques, une renaissance physique. Théâtre d’émotions contrariées, la Eretz Israel est le symbole de l’intériorisation du sentiment d’appartenance à une nation et devient centrale dans la dynamique sioniste, puisqu’elle « constitue la mémoire d’une nation dispersée, non au sens du « droit historique » mais à celui d’un attachement mystique, passionnel et national qui fait le ciment d’un groupe humain »1. Autre trait symptomatique d’une incontestable solidarité

1 Bensoussan (G.), Une histoire intellectuelle…, Op. cit., p. 139.

de groupe, la halouka, qui existait en Terre de Palestine depuis la dispersion des communautés juives à travers le monde, consistait à mettre en œuvre un système de dons émanant des communautés de diaspora et dirigés vers les communautés juives d’Eretz Israel, vivant bien souvent dans un profond dénuement – l’aridité du pays se combinant à une vie économiquement improductive car consacrée à l’étude de la religion. Selon H. Arendt, la pratique de la halouka est une indication de la ferveur nationale qui réside au sein du judaïsme. Il ne s’agit pas d’une forme de mendicité, mais de la preuve, au contraire, de l’existence d’une nation dispersée qui fit des Juifs une sorte de « corps politique »1. L’Exil lui-même devint également une disposition d’esprit

participant de ce souvenir d’appartenance à une communauté dispersée, mais non disparue. 1.1) LE SIONISME POLITIQUE : LA THEORISATION DE LA RUPTURE AVEC L’ORDRE ANCIEN

Véritable rupture dans l’histoire du Peuple juif, l’éclosion de la pensée sioniste se distingua des précédentes formes de militantisme juif par sa dimension fondamentalement politique et laïque. Le principe de laïcité fut très précocement présenté, par T. Herzl, comme central dans la conquête nationale. Cherchant à s’attacher les faveurs du monde rabbinique, mais voyant les résistances qui subsistent encore à la fin du 19ème siècle, T. Herzl suggéra une véritable

révolution culturelle, un Kulturkampf orienté vers la dénonciation des archaïsmes religieux. Mais c’est vraiment après la mort de T. Herzl et avec la domination progressive du sionisme ouvrier que la rupture entre nationalisme et judaïsme atteignit son paroxysme.

1.1.1) LE PROCESSUS DE SECULARISATION DU JUDAÏSME : UNE CRISE DE

CIVILISATION RESOLUE DANS LE PARADIGME DES « LUMIERES JUIVES »(HASKALA) :

Si l’on a souvent une image homogène du nationalisme juif, cristallisée par l’effort de théorisation produit par T. Herzl, en 1896, dans son ouvrage Der Judenstaat2 (L’Etat des Juifs), il

n’en demeure pas moins une complexité réelle, inhérente à toute forme de construction nationale. La nation, matérialisée au sein d’un espace territorial, est bien souvent précédée par un « proto-

1 Arendt (H.), « Zionism reconsidered », Menorah Journal, octobre 1944 (cité par Bensoussan (G.), Une histoire

intellectuelle et politique du sionisme 1860-1940, Paris, Fayard, 2002, p. 275).

2 Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en 1896, T. Herzl eut des difficultés à faire paraître son ouvrage, tant les

maisons d’édition juives de Vienne se dérobèrent devant un écrit fondamentalement opposé à l’idée qu’ils se faisaient du Peuple Juif moderne. Assimilé, économiquement et socialement intégré au sein des nations d’accueil, le Peuple Juif n’avait nullement vocation à gagner une autonomie territoriale qui aurait signifié un retour inéluctable aux temps anciens, empreints d’archaïsmes religieux.

nationalisme » (E. Hobsbawm1), sans pour autant que la filiation soit automatique, spontanée et

immanente. Bien que très contestée2 pour la vision évolutionniste, instrumentaliste et déterministe qu’elle véhicule, la catégorie de « proto-nationalisme » proposée par E. Hobsbawm peut nous être utile dans la compréhension séquentielle d’un mouvement national.

Pour autant, l’existence d’un éventuel proto-nationalisme ne saurait suffire à la constitution d’une nation, et encore plus d’un nationalisme, entendu comme idéologie politique visant « l’exaltation théorique et pratique de l’idée de nation »3. Pour revenir à l’interrogation

d’A. D. Smith, comment comprendre l’émanation d’une conscience nationale dotée d’un dessein étatique à un moment historique donné ? Il convient de noter l’existence d’une récurrence dans l’éclosion nationale, à savoir l’idée de crise correspondant à l’identification d’un « nous » et d’un « eux » (F. Barth, W. Connor). L’on redécouvre ici toute l’importance qu’il y a à saisir l’objet dans son historicité, dans sa « trajectoire », en tant que Peuple confronté à un environnement global.

1.1.1.a) LA DECOMPOSITION PROGRESSIVE DES COMMUNAUTES JUIVES D’EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE :

Comme le précise très justement G. Delannoi, en regard de l’histoire, la nation n’a jamais été pensée comme système suprême car, note-t-il, « elle est surtout une concession de la pensée aux faits, une résistance de la réalité sociale opposée aux religions, aux politiques, aux réseaux économiques. Les nations se sont forgées par réaction, et ces réactions étaient des innovations partielles ou de simples imitations »4. L’éclosion d’une conscience nationale naît en effet souvent d’une situation de sujétion et d’oppression qui cristallise les velléités nationalistes, lesquelles vont orchestrer un mouvement de résistance contre un tiers pouvoir. Il en ressort que la nation a besoin

1 Hobsbawm (E.), Nations et nationalisme depuis 1780, Paris, Folio Histoire, 1990 (Titre original : Nations and

nationalism since 1780. Programm, myth, reality).

2 Fondée sur l’instrumentalisation de la religion, la théorie développée par E. Hobsbawm met en lumière la

production de « badges religieux » par une bourgeoisie qui tente de persuader les masses de la congruence entre ces badges et l’identité nationale. Les critiques portent notamment sur la distinction claire entre masses aveuglées et bourgeoisie manipulatrice : « l’hypothèse selon laquelle les classes populaires sont attachées à des cadres de socialisation rigides et par nature incapables de s’adapter à un quelconque changement est quelque peu simplificatrice. Les mobilisations spontanées des masses peuvent avoir d’autres motifs qu’une simple perturbation psychologique. » Roger (A.),Les grandes théories…, Op. cit., p. 66.

3 Delannoi (G.), Sociologie de la nation…, Op. cit. , p. 26. 4 Ibid., p. 76.

de circonstances particulières pour surgir comme une idéologie capable de mener les masses à un processus d’autonomisation.

Le dessein national juif émergea ainsi dans un contexte précis, en Europe centrale et orientale, à l’endroit même où les populations juives furent le plus touchées par un profond dénuement psychologique, économique et culturel. L’identité juive entra alors en crise1, subissant les contre-feux de l’assimilation (stimulée par la Haskala2) en Europe occidentale et l’étiolement

de la pratique religieuse. Or, P. A. Taguieff soutient que les situations de dénuement sont propices à l’éclosion de pensées nationalistes, c’est-à-dire « lorsque les demandeurs n’ont plus rien à défendre que l’existence même, réelle ou fictive, du « nous » »3. Cette crise, les sionistes la mirent en scène dans leurs écrits, notamment à travers la figure du Juif cosmopolite déraciné, du vagabond errant entre deux mondes. Le portrait qu’ils dépeignirent ne calquait pas simplement la situation des masses juives d’Europe orientale, reléguées à la marge sociale et urbaine (ghettos ; shtetls), mais bien celle de l’ensemble du Peuple juif. Jacob Klatzin esquissa ainsi le portrait de l’intellectuel juif allemand, en apparence assimilé et pourtant traitait comme un étranger4.

Pour comprendre comment s’effectua cette diffusion de la pensée sioniste, il est sans doute utile de revenir sur la distinction qu’emploie P. A. Taguieff entre « nationalisme des nationalistes » et « nationalisme sociétal »5. Opérée pour la première fois par J. Touchard6, reprise plus tard par R.

Girardet7, elle définit deux types de nationalisme : tandis que le premier est celui des nationalistes

professionnels et des « convaincus actifs », le second relève davantage d’un sentiment diffus,

1 La cohésion sociale qui avait subsisté jusqu’au 18ème siècle s’effrita parallèlement à la disparition de structures

para-nationales comme le Conseil des Quatre Pays en 1764 (structure de représentation des Juifs de Pologne) et la différenciation entre Juifs d’Europe de l’Ouest où les Juifs acquirent le statut de citoyens et Juifs d’Europe de l’Est où ils restèrent des étrangers.

2 Terme hébreu signifiant « Lumière » et pendant juif du courant philosophique des Lumières.

3 Taguieff (P.A.), « Le nationalisme des nationalistes », in Delannoi (G.)/Taguieff (P.A.), Théorie des

nationalismes… Op. cit., p. 52.

4 Ce genre de critiques se retrouvent au début du 20ème siècle, juste avant la Première Guerre mondiale. Citons

notamment l’article de Moritz Goldstein, « Le Parnasse juif allemand », paru en 1913 en Allemagne, qui prétendait que le règne des juifs s’était installé partout en Europe, dans les domaines de la musique, de la littérature, du théâtre, en dépit d’une très forte réticence, voire d’un profond dénigrement de la part des non-juifs.

5 Taguieff (P.A.), « Le nationalisme des nationalistes », in Delannoi (G.)/Taguieff (P.A.), Théorie des

nationalismes…, Op. cit., p. 49.

6 Touchard (J.), Tendances politiques dans la vie française depuis 1789, Paris, Hachette, 1960, p. 135.

7 Girardet (R.), « Autour de l’idéologie nationaliste : perspectives de recherche », Revue Française de Science

Politique, vol. 15, n°3, juin 1965.

répandu au sein du groupe concerné à un degré plus ou moins fort. Selon P. A. Taguieff, ces deux types de nationalisme – doctrinal et sociétal – correspondent respectivement à une offre et une demande idéologiques. L’appel à la crise permet de rendre les deux congruents : « la congruence semble mécaniquement émerger lorsque, dans une situation de crise ou d’anomie, toutes les valeurs et les normes sont ébranlées au point de ne laisser en place, comme mis à nu, que l’attachement national ou le sentiment d’identité nationale »1. Or, on constate que le sionisme ne prit réellement de l’ampleur qu’à partir du moment où se produisit une adhésion au sein des masses juives. Ce phénomène tend dès lors à remettre en question les théories marxistes qui consistent à voir dans la production nationaliste un processus unilatéral. Dans ce modèle théorique, la dynamique interactionnelle entre élite et masses n’est pas prévue, le nationalisme étant appréhendé comme un bloc monolithique, aux mécanismes simples et indifférenciés.

Tout en conservant une optique marxiste, la thèse de M. Hroch2 semble plus stimulante en

ce qu’elle ne décrit pas le nationalisme comme « un instrument actionné par la bourgeoisie contre le prolétariat, ni comme une arme utilisée par le prolétariat contre la bourgeoisie, (mais comme) un moyen utilisé par la bourgeoisie contre la classe possédante allogène (… ) »3. Complexifiant le

modèle marxiste classique, M. Hroch fait dès lors de la production nationaliste un processus diffusionniste interactif impliquant l’ensemble des classes sociales4.

Après la publication de L’Etat des Juifs, T. Herzl s’empressa d’ailleurs de créer des associations d’étudiants chargées de diffuser la nouvelle pensée politique juive. Il va s’agir à ce stade-là de créer des mythes, dans leur double fonction d’explication-justification5, de stimuler un

début de conscience nationale à partir du registre symbolique. Les nationalistes recomposent alors une mythologie juive devant entrer en adéquation avec leur vision politique de la nation. Comme

1 Taguieff (P.A.), « Le nationalisme des… » …, Op. cit., p. 51.

2 Voir Hroch (M.), Social preconditions of national revival in Europe. A comparative analysis of the social

composition of patriotic groups among the smaller European nations, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.

3 Roger (A.), Les grandes théories…, Op. cit., p. 57.

4 La diffusion d’une langue commune, l’hébreu, est primordiale pour comprendre la pénétration de l’idéologie

sioniste au sein du monde juif. La multiplication des journaux contribue à cimenter la conscience nationale en lui donnant une formulation commune à travers l’Europe. De plus, comme dans tout nationalisme, l’émotion suscitée par le projet sioniste facilite la mobilisation des jeunes qui, sans doute plus que les adultes imprégnés par la condition diasporique, aspirent à un avenir serein.

5 G. Balandier relève en effet deux fonctions principales : l’une vise à expliquer l’ordre existant en termes

historiques, tandis que l’autre consiste à justifier cet ordre, en lui donnant un base morale, en le présentant comme un système fondé en droit. In Anthropologie politique…, Op. cit., p. 139.

le note J. A. Armstrong, « sur une longue période de temps, le pouvoir légitimant des structures mythiques individuelles tend à être renforcé par la fusion avec d’autres mythes dans un mythomoteur définissant l’identité en relation avec une construction politique spécifique »1.

Outre les efforts de diffusion, les premiers sionistes s’appuyèrent sur l’angoisse collective qui se produisit lors des pogromes de 1880-1881 en Russie. Ce tragique épisode provoqua la réaction d’une partie de la jeunesse juive qui, persuadée que le ghetto n’était plus un rempart contre l’antisémitisme, s’émancipa de la tutelle des rabbins. Conscients qu’une grave menace pesait sur le Peuple juif, certains maskilim tels que Lilienblum et Smolenskin affinèrent leur perception d’une nation juive unie par une même langue, sans que la dimension politique ne soit encore clairement affirmée. Cette ère proto-nationaliste surprend cependant par la richesse des productions théoriques et littéraires qu’elle engendra. On trouve même une réflexion nationale dans certains milieux religieux, plus ouverts sur le monde moderne. Ce fut notamment le cas des rabbins Yehouda Haï Alkalaï* et Zvi Hirsch Kalisher, précurseurs du mouvement sioniste- religieux2. S’illustrant alors par la passerelle qu’ils tentèrent de dresser entre Torah et modernité,

concluant à la nécessité d’ériger une nation juive souveraine, ils représentèrent « l’une des premières tentatives pour penser religieusement la restauration nationale des Juifs, en Eretz Israel, et nulle part ailleurs »3.

Ayant intériorisé la menace que représentait alors l’assimilation, ils pensaient qu’en intégrant les principes des Lumières, le principe national en particulier, ils pourraient hâter la venue du Messie en terre d’Israël. De ce foisonnement doctrinal émergèrent des organisations, philanthropiques et/ou romantiques, mettant en actes la définition nationale de l’identité juive : les Amants de Sion (Hovevei Zion), le Bilu, la Société Hibbat Zion, commencèrent à s’implanter dans l’Ancien Yichouv, en Terre de Palestine, dès les années 1880.

Si la thématique de la décadence ne semble pas être employée de manière explicite par les leaders nationalistes juifs, ceux-ci développent une pensée fondée sur la crise, sur une situation de déclin culturel et physique de la civilisation juive. Evidente après la première guerre mondiale, la menace qui pesait sur les Juifs en tant que Peuple contribua à légitimer le mouvement sioniste. En

1 Armstrong (J.A.), Nations before nationalism, Chapel Hill, The University of North California Press, 1982, p.

9.

2 Voir Hertzberg (A.), « Jewish fundamentalism », in Kaplan (L.) Ed., Fundamentalism in comparative

perspective, University of Massachussets Press, 1992, pp. 152-158.

3 Bensoussan (G.), Une histoire intellectuelle…, Op. cit., p. 32.

effet, on note un bouleversement des attitudes à l’égard de l’idéologie nationale dès cette période, en dépit d’oppositions persistantes de la part des plus radicaux. L’exemple le plus frappant fut sans doute celui des Juifs ultra-orthodoxes, qui passèrent d’une attitude farouchement hostile au sionisme politique à une acceptation tacite, voire enthousiaste, de la construction d’un Etat.

Cependant, cette situation de crise ne saurait expliquer l’intégralité du processus de conscientisation nationale. Facteur déclencheur sans aucun doute, la crise n’a de sens que si un travail de formulation théorique et de légitimation est mis en place par des idéologues nationalistes. Comme le souligne G. Bensoussan, « le fait national juif n’est pas né des violences antisémites même si celles-ci ont contribué à le structurer. Sa spécificité fut de placer le politique au poste de commande, en assurant le passage d’une identité subie à une identité assumée »1. Pour

ce faire, les précurseurs du sionisme politique puisèrent au cœur du système paradigmatique des Lumières, les valeurs permettant de revendiquer une rénovation séculière de l’identité juive. Entendues comme cause partielle, les Lumières devinrent un élément de réponse et de réaction face à ce dépérissement de l’identité juive.

1.1.1.b) UN UNIVERS CONCEPTUEL IMPREGNE D’UNE IDEOLOGIE MODERNISTE :

Résolument moderne, inspirée des Lumières Juives, l’idéologie sioniste contribua à rompre avec les allégeances traditionnelles, tenues pour responsables du regain antisémite. En se frottant à la sécularisation du monde, la Haskala permit ainsi aux Juifs de penser l’organisation sociale, non plus en termes communautaires et religieux, mais en termes nationaux2. Elle fut dès

lors la condition sine qua non et la cause indirecte au développement du nationalisme juif. La condition sine qua non car, avec cette ouverture sur la modernité et sur une vision laïque et séculière des sociétés, les précurseurs du nationalisme se donnèrent les moyens d’adopter une idéologie foncièrement liée à la modernisation du politique. Moses Mendelssohn3, auteur central

de ce courant, s’occupa de recréer une estime de soi au sein du Peuple juif de diaspora en extrayant ce dernier du ghetto, anticipant déjà sur l’évolution intégrationniste voire assimilationniste qui suivra. En accélérant le processus d’assimilation en Europe occidentale, cette « science du judaïsme » fut involontairement à l’origine de ce souhait profond, consistant à lutter

1 Bensoussan (G.), Une histoire intellectuelle…, Op. cit., p. 135.

2 Ibid., p. 19.

3 Pour une description de la vie et de l’œuvre de cet intellectuel juif, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de D.

Sorkin, Moïse Mendelssohn, Un penseur juif à l’ère des Lumières, Paris, Albin Michel, 1996.

contre une assimilation qui ne générait nullement un processus d’égalité des droits. En réaction à cette dépréciation structurelle de l’identité juive, l’édification d’une nation sonnait dès lors comme un nouveau messianisme. L’on doit alors souligner toute l’ambiguïté d’un mouvement qui produisit, d’un côté, une attitude hostile à la tradition, particulièrement dans sa forme religieuse, et de l’autre, une reviviscence de l’hébreu, ainsi qu’une ré-appropriation de l’idée messianique et de l’histoire juive. Se dessinait déjà toute l’ambivalence d’un nationalisme puis d’un Etat, en apparence séculiers mais dans lesquels la religion demeurait omniprésente.

Comme tout proto-nationalisme, il ne s’agissait pour l’heure que d’un mouvement gouverné par une minorité d’individus, des « patriotes »1. Si ces thèses connurent un certain succès, l’intelligentsia juive – les maskilim – était encore largement coupée de la base traditionnelle et religieuse car sa volonté d’établir une troisième voie entre assimilation et tradition restait, d’une part mal diffusée, et suscitait, d’autre part, peu d’engouement. Souhaitant rompre avec la condition dégradante de diaspora, et notamment avec le judaïsme rendu responsable du « défaitisme historique (…), « le sionisme aspirait à transformer le destin juif, à « normaliser » la condition juive au moyen de l’étatisation et de l’enracinement national, à créer une culture qui récuserait les langues diasporiques pour promouvoir une culture hébraïque mondaine et non plus religieuse »2.

Dominé progressivement par sa tendance ouvriériste, le mouvement sioniste imagina une restauration de la grandeur nationale par un retour au travail manuel, devenant à la fois le ressort et l’emblème de la Rédemption séculière.

1.1.2) UN MODE DE VIE ANCRE DANS LES REALITES TERRESTRES :

Objet de privation durant les siècles d’Exil, la terre et sa mise en valeur devinrent ainsi le symbole même de la revanche historique du Peuple juif, confirmant en outre la rupture par rapport à ses années de privation et de passivité économique. Une fois arrivés à la tête de l’Organisation Sioniste Mondiale, les sionistes-socialistes, emmenés par D. Ben Gourion, doublèrent cet

1 Le terme est emprunté à M. Hroch, à qui l’on doit une analyse fine du processus de « conscientisation »

nationale. D’inspiration marxiste, la théorie étudie le « travail de transsubstantiation » qui met en scène une élite – les « patriotes » – dont l’objectif est de rendre congruentes composantes objectives et représentations subjectives de la nation.

2 Trigano (S.), « La mémoire du peuple disparu », PARDES « La Mémoire Séfarade », n° 28, 2000, p. 34.

empressement d’une dimension collectiviste, qui innova et réintroduisit simultanément des éléments de la tradition juive.

Imprégnée du discours marxiste sur la lutte des classes, l’idéologie sioniste socialiste se fonda en effet sur des principes, voire sur des mythes collectivistes qui s’appuyèrent à la fois sur