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S ECTION 2) L E PROCESSUS DE « P ERIPHERISATION » 2 DES COMMUNAUTES SEFARADES :

1) F RONTIERES INTERIEURES ET INVENTION D ’ UNE « CLASSE ETHNIQUE » SEFARADE :

Les années récentes virent se multiplier les études sur l’expression géographique des conflits ethniques1, insistant sur les relations existant entre la conscientisation ethnique et

l’exclusion spatiale de populations généralement paupérisées. Comme le montrèrent certains auteurs2, l’émergence du nationalisme et les processus de construction stato-nationale

provoquèrent souvent des logiques d’expression ethnique concomitantes, parmi des minorités menacées par une cohésion nationale et territoriale portée par le centre3. Certaines minorités, nous

dit T. Gurr, prennent leur origine ou sont reléguées dans des régions pauvres en ressources et entrent ainsi dans une situation de reproduction et de perpétuation de leurs désavantages économiques. Il s’ensuit une incapacité à affirmer et à exercer une quelconque influence politique, au sein des institutions centrales4.

Ainsi, la frontière symbolise l’affirmation des valeurs nationales dominantes, complexifiant ainsi la définition des périphéries et permettant, de surcroît, l’intégration d’espaces contenus dans la zone centrale mais rétifs au corpus normatif imposé par le centre (quartiers religieux). Zones crépusculaires, d’un point de vue physique et métaphorique, les frontières fournissent en général des mythes et des symboles entrant dans la construction d’une identité nationale contestée, selon des modalités différentes, par des minorités interagissant avec les autorités centrales. Originellement très concentrée sur la côte méditerranéenne et dans la région de Jérusalem, la population israélienne élabora rapidement une vision à la fois mythique et angoissée des frontières internes au territoire. Avant l’indépendance de l’Etat et jusqu’au début des années 50, environ 85% de la population habitent dans les trois villes principales, Jérusalem, Tel Aviv et Haïfa – le désert représentant dans l’imaginaire collectif, certes la solution démographique et probablement aussi messianique mais, pour l’heure, une région inhospitalière et difficilement domptable par l’homme. La construction de l’Etat-nation israélien s’inscrivit donc dans la valorisation de la zone côtière, jusqu’au lac de Tibériade au Nord, où les autorités sionistes

1 Voir notamment : Jackson (P.)/Penrose (J.) Ed., Constructions of race, place and nation, Londres, University

College London Press, 1993 ; Taylor (P.), « The State as a container : territoriality in the modern worldsystem », Progress in human geography, 18 :2, 1994, pp.151-162 ; Watson (S.)/Gibson (K.) Ed., Postmodern cities and spaces, Oxford, Basil Blackwell, 1995.

2 Connor (W.), « The nation and its myth », International Journal of Contemporary Sociology, 33, 1-2, 1992, pp.

48-57 ; Penrose (J.), « « Mon pays ce n’est pas un pays » Full Stop : The concept of nation as a challenge to the nationalist aspirations of the parties Qwebecois », Political Geography, 13, 1994, pp. 161-181.

3 Gurr (T.), Minorities at risk : the global view of ethnopolitical conflict, Arlington, Institute of Peace Press,

1993.

4 Ibid., p. 40.

implantèrent les premiers kibboutzim. Ainsi, conformément à la vision du centre chez S. Rokkan et D. W. Urwin, cette partie du territoire est le siège de la plus large concentration de la population économiquement active, engagée dans un processus de communication de l’information sur de longues distances.

Traditionnellement, les notions de centre et de périphéries sont définies dans leur rapport au territoire et au développement politique. Dans une acception étroite, le centre est un emplacement (location) privilégié au sein d’un territoire où les détenteurs de ressources (resources-holders) militaires, administratives, économiques et culturelles se rencontrent, le plus fréquemment, dans des arènes, pour délibérer, négocier et prendre des décisions1. Il semble opportun de se reporter ici à la définition du processus de construction d’un centre que propose B. Badie lorsqu’il note qu’il « se ramène à l’établissement d’institutions ou de valeurs destinées à assurer l’organisation globale d’une société indépendante, délimitée par un cadre territorial précis, et jusque-là caractérisée par une très forte atomisation du pouvoir et une très faible coordination entre ses diverses composantes »2. Véritable noyau d’où procède le schéma stato-national global,

le centre est également le centre de gravité communicationnel de l’Etat. Spatialement déterminé, le centre est en outre le lieu où convergent les individus participant aux cérémonies rituelles qui contribuent à l’affirmation identitaire. Selon S. Rokkan et D. W. Urwin, le processus de centralisation enserre, par conséquent, trois dimensions : contrôle politique, domination économique et standardisation culturelle.

Les institutions sionistes, mues par un idéal de peuplement et de conquête du territoire, mais également confrontées à l’afflux massif3 des immigrants venus des pays du Maghreb et du

Moyen orient, engagèrent, dans un second temps, des politiques publiques pour favoriser le peuplement des régions inhabitées. Tandis que, durant l’ère pré-étatique, le peuplement était

1 Rokkan (S.)/Urwin (D.W.), The politics of territorial identity, London, Sage Publications, 1982, p. 5. 2 Badie (B.), Le développement politique…, Op. cit., p. 112.

3 A partir de 1948 et jusque dans les années 70, la majorité des immigrants étaient originaires des pays arabes

et/ou musulmans. En l’espace de seulement trois ans (1948-1951), ces vagues migratoires, déclenchées par la détérioration des conditions de vie au sein des sociétés d’accueil, mais aussi par le rapatriement des rescapés de la Shoah, contribuèrent à faire doubler la population israélienne totale, celle-ci passant de 650 000 à 1 350 000. Sur la seule séquence 1955-1957, plus de 165 000 immigrants arrivèrent tandis qu’entre 1961 et 1964, la moitié de l’immigration, soit 115 000 personnes, provint des pays nord-africains. Voir Arian (A.), The second Republic. politics in Israel, Chatham, Chatham House Publishers, 1998, pp. 27-28 ; Voir également Kirschenbaum (A.), « Migration and urbanization : patterns of population redistribution and urban growth », in Goldsheider (C.) Ed., Population and social change in Israel, Brown University of Studies in Population and development, Westview Press, 1992, pp. 65-88 ; Sur les migrations issues du Maghreb, voir Lasry (J-C.)/Tapia (C.), Les Juifs du Maghreb. Diasporas contemporaines, Paris, Ed. L’Harmattan, 1989.

d’ordre essentiellement idéologique, les années 50-60 dessinèrent un mouvement d’implantation hautement pragmatique1, qui fut souvent le fait de populations n’ayant eu aucun choix quant à leur destination finale. Les villes en développement ou nouvelles villes, apparues dans les années 50- 60, relèvent en grande partie de ces régions-frontières, localisées aux marges géographiques, politiques, socioéconomiques et culturelles de la société, jouant ainsi un « rôle central dans la construction des identités nationales, ethniques et étatiques »2. Les populations séfarades israéliennes, arrivées en grande partie au cours des décennies 50 et 603, furent ainsi conduites à

peupler ces régions jusqu’alors en friches, formant dès lors ce que T. Gurr qualifie de « communal groups », c’est-à-dire une minorité faisant l’expérience d’une discrimination économique et politique et concevant l’action politique comme un relais aux intérêts collectifs4.

Comme le note O. Yiftachel, la frontière ainsi repoussée, revêtit des caractéristiques à la fois positives et négatives ; elle fut « vendue » comme positive mais fut également vécue comme affreusement discriminante5, transformant cette frontière6 en une périphérie, qui se matérialisa

dans le chapelet de villes en développement, mais aussi, dans l’ensemble des quartiers (parvar, en hébreu) paupérisés et ethniquement homogènes des grands centres urbains7. La dynamique

d’exclusion et de ségrégation qui anima la politique de distribution spatiale, semble perdurer encore aujourd’hui, se manifestant par une reproduction évidente des inégalités ethniques.

Quant aux villes religieuses, si elles ne relèvent pas de la catégorie des « villes en développement » (encore que certaines villes en développement soient à présent des espaces

1 Matras (J.), « Israel’s new frontier : the urban periphery », in Curtis (M.)/Chertoff (M.S.), Israel : social

structure and change, New Brunswick, Transaction Books, Rutgers University, 1973, p. 5.

2 Yiftachel (O.)/Meir (A.), Ethnic frontiers and peripheries. Landscape of development and inequality in Israel,

Oxford, Westview Press, 1998, p. 3.

3 Voir les tableaux en annexes, pp. 594-6.

4 Gurr (T.), Minorities at risk…, Op. cit., p. 6.

5 Yiftachel (O.), « Frontiers, peripheries… », Op. cit., p. 8.

6 O. Yiftachel montre que la constitution des frontières comporte deux séquences principales. Tandis que la

première concerne les frontières extérieures, sources d’intégrité territoriale et de reconnaissance internationale, la seconde phase provoque l’érection de frontières dites « internes ». Cette seconde phase correspond généralement à une réalité nationale – la non-correspondance de l’Etat et de l’ethnicité –, la frontière étant là pour rappeler le noyau de normes et de valeurs sur lesquelles repose la société. Elle définit le concept de « frontière interne » comme une région à l’intérieur d’un Etat où une minorité ethnique constitue une majorité et où l’Etat tente d’étendre son contrôle au territoire et aux habitants. Yiftachel (O.), « The internal frontier : territorial control and ethnic relations in Israel », in Yiftachel (O.)/ Meir (A.), Ibid., pp. 41-4.

7 Gonen (A.), « The Changing Ethnic Geography of Israeli Cities », in Weingrod (A.), Ed., Studies in Israeli

ethnicity. After the ingathering, New York, Gordon and Breach Science Publishers, 1985, pp. 25-37.

soumis au mode de vie religieux), elles partagent avec ces dernières des caractéristiques économiques et sociales qui justifient une assimilation aux périphéries israéliennes. Selon l’institut d’Assurance Nationale, en décembre 2001, Bné Brak et Jérusalem étaient les deux villes les plus pauvres d’Israël. A Bné Brak – ville créée par les haredim1 dans la banlieue est de Tel

Aviv – le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté (kav hahoni) s’élevait à 37,9% de la population en 2000 (contre 35,2 % en 1999 et 26,7 % en 1997), tandis qu’à Jérusalem (sans tenir compte de Jérusalem-Est), le taux était de 27,1%. Entre 1999 et 2000, les pourcentages ont augmenté respectivement de 7,9% et 5,4%, les communautés haredi, arabes, ainsi que les nouveaux immigrants ayant été comparativement plus touchés par la dégradation des relations israélo-palestiniennes que le reste de la population2.

Comme l’écrivait semi-ironiquement A. Gonen en introduction de son ouvrage, « dis moi ton adresse et il est probable que je sois capable de te dire des choses à ton propos, pas seulement à propos de ta famille et de ton statut social mais, quelquefois même à propos de ton mode de vie préféré »3. En effet, la carte résidentielle israélienne reflète en réalité une myriade de relations

sociales, d’intérêts économiques, d’habitudes culturelles et d’idéologies politiques, car l’Etat d’Israël mit en œuvre une politique de différenciation spatiale qui, d’ethnique devint socioéconomique, cristallisant ainsi les revendications collectives fondées sur un label ethnique.

1.1) UNE POLITIQUE VOLONTARISTE D’ETHNICISATION SPATIALE :

Qualifiées ainsi pour signifier leur caractère récent mais également encore sous- développé, les villes en développement échappèrent cependant à toute définition exclusive, probablement en raison de l’absence de consensus sur le rôle qu’elles devaient tenir dans l’architecture générale de l’Etat et dans la société israélienne4. On peut seulement dégager

quelques critères objectifs, qui tendent à donner un début de réponse quant à la signification exacte de ce mouvement. Selon E. Cohen, elles se situent toutes dans des zones sous-développées, elles sont majoritairement peuplées de populations ayant immigré après l’indépendance et sont, en

1 Bné Brak fut créée en 1924 par un groupe hassidique originaire de Pologne, mené par le Rav Abraham Karlitz. 2 Jerusalem Post, 11 décembre 2001.

3 Gonen (A.), Between city and suburb, Avebury Aldershot, 1995, p. IX.

4 Aronoff (M.J.), « Development Towns in Israel », in Curtis (M.)/Chertoff (M.S.), Israel : social structure

and…, Op. cit., p. 28.

outre, de petite taille (intermediate-sized towns) et font l’objet de plans et de programmes gouvernementaux plus ou moins formels.

Tableau 1 : Liste des Villes en Développement par région, nombre d’habitants et date d’établissement (chiffres 2001)1

Nombre d’habitants Région Nord

Date d’établis- sement Nombre d’habi- tants Région Sud Date d’établis- sement Nombre d’habi-tants Moins de 5 000 Rerassim Shlomi 1959 1960 5 786 3 031 Mitzpe Ramon 1964 4 793 5 000 - 15 000 Hazor Yoqneam Ilit 1951 1953 9 302 9 506 Yeroham 1959 9 005 15 000- 25 000 Migdal Hemek Maalot Qiryat Shmona Safed Or Akiva Bet Shean 1954 1962 1953 Vatik* 1953(1) 1955 23 528 15 586 20 920 24 278 15 238 15 584 Ofakim Arad Qiryat Malari Sderot Netivot Yehoud 1957 1965 1958 1958 1960 1950(1) 22 960 23 368 19 302 18 871 19 530 20 620 25 000- 50 000 Karmiel Afula Akko Naharyia Nazeret Ilit Tibériade 1969 1940 Vatik* 1941 1963 Vatik* 39 839 37 786 44 868 42 803 43 728 38 386 Dimona Eilat Qiryat Gat Bet Shemesh Or Yehouda Rosh Hayain Yavne 1958 1952 1958 1953 1955(1) 1954(1) 1953 34 010 39 908 47 364 38 491 26 304 33 376 31 073 50 000- 100 000 Ashkelon Lod (1) Ramle (1) 1913 Vatik* Vatik* 96 192 63 348 61 184 Plus de 100 000 Ashdod Beer Sheva 1959 Vatik* 165 924 168 898

Légende : * : la catégorie « Vatik » indique les villes édifiées à la fin du 19ème siècle.

(1) : villes qui ont perdu leur statut de « villes en développement » dans les années 602.

1 Bureau central des statistiques, ministère de l’Intérieur d’Israël.

2 Voir Kellerman (A.), Society and settlement. Jewish land of Israel in the twenthieth century, Albany, State

University of New York Press, 1993.

1.1.1) UNE TERRITORIALISATION NON CONCERTEE :

Trois types de motivations, largement imbriquées les unes dans les autres, poussèrent les autorités sionistes à hâter le peuplement des régions périphériques. La première tint dans la priorité étatique de sécurité et de défense et fut définie comme un prérequis par les autorités sionistes bien avant l’indépendance de l’Etat. Cette « stratégie de présence », comme la qualifie A. Dieckhoff1, était destinée « à replacer la stratégie territoriale d’Israël dans le cadre plus général

des rapports politiques entretenus par l’Etat hébreu » avec la population arabe palestinienne et, plus largement, avec les Etats voisins. Se situant par définition à proximité des frontières nationales – aussi bien au Nord qu’au Sud –, ces régions périphériques durent en effet servir de tampon ou d’avant-garde, face à des Etats arabes réputés menacer l’intégrité physique de l’Etat hébreu2. Le second objectif, purement démographique, consista à répartir la population de

manière plus homogène, sur l’ensemble du territoire3. En effet, après 1948, huit plans furent mis

en œuvre pour délester les zones côtières du territoire4. Enfin, le troisième ressort, d’ordre

économique, provint de l’idée selon laquelle il fallait trouver de nouveaux débouchés à la croissance. En effet, les nouveaux immigrants furent, dans un premier temps, orientés vers les moshavim5 de préférence aux kibboutzim, pour des raisons idéologiques6. Progressivement, il

apparut cependant avec netteté que l’activité agricole devenait de plus en plus coûteuse et épuisait

1 Dieckhoff (A.), Les espaces d’Israël…, Op. cit., p. 84.

2 Le Ministère de la Défense fut en ce sens très impliqué dans la création et le développement de ces localités,

particulièrement dans le cas de Saint Jean d’Acre (Akko), Nazareth Illith et Mizpe Ramon.

3 Voir l’étude de A. S. Shachar « Israel’s Development Towns : evaluation of national urbanization policy »,

Journal of American Institute of Planners, 37, novembre 1971, pp. 362-72.

4 Kirschenbaum (A.), « The impact of new towns in rural regions on population redistribution in Israel », Rural

Sociology, 47, 1982, pp. 692-704.

5 Comme le montre E. Cohen, le rôle joué par la ville dans l’idéologie sioniste de peuplement était minime, la

régénérescence de l’identité juive nécessitait, nous le disions précédemment, la valorisation de la terre et des ressources naturelles. Voir Cohen (E.), The city in Zionist Ideology, Jerusalem, The Institute of Urban and Regional Studies, Hebrew University, 1970. Sur l’implantation des séfarades dans les moshavim, voir également Baldwin (E.), Differentiation and cooperation in an Israeli veteran moshav, Manchester, Manchester University Press, 1971.

6 Il convient en effet de souligner que l’ethos universaliste et égalitariste qui était au fondement même des

kibboutzim tendait à entrer en collision avec des valeurs traditionalistes, où la hiérarchie, l’autorité et le particularisme l’emportaient sur les autres principes. La structure du moshav semblait beaucoup plus adaptée, notamment parce qu’elle demeurait basée sur la cellule familiale. De plus, de facture collectiviste, elle présentait des affinités évidentes avec un mode de vie fondé sur l’entraide communautaire. Voir les études de : Hareven (S.), Voisins ou partenaires ? Les relations entre les Villes en Développement et les kibboutzim (en hébreu), Jérusalem, Fondation Van Leer, 1981; Fovin (A.) Ed., Kibboutz members and Development Towns’ residents. Relations, images and willingness to cooperate, Tel Aviv, Sapir Center, Tel Aviv University, 1985 ; Schmelz (U.O.)/Dellapergola (S.)/Avner (U.), Ethnic differences among Israeli Jews : a new look, Jérusalem, The Hartman Institute of Contemporary Jewry, 1991, p. 28.

progressivement les ressources en eau. En outre, parachutés dans des villages, ainsi coupés de leur communauté initiale, ils furent peu nombreux à résister à la tentation de migrer vers les centres urbains1. Les villes en développement2 représentèrent donc l’alternative à ce problème, tout en

satisfaisant aux priorités démographiques et sécuritaires de l’Etat. Elles servirent en effet d’intermédiaires entre les petites implantations rurales et les grandes villes.

Malgré les efforts des autorités gouvernementales, les villes en développement pâtirent cependant de l’absence d’intégration gouvernementale puisque, comme le souligne M. J. Aronoff, l’absence d’autorité de planification centralisée, de législation spécifique et de ligne claire quant à l’autorité responsable, menèrent à une situation dans laquelle de multiples ministères et agences pouvaient et, de fait prenaient, des initiatives. Illustration parfaite de ce que nous développerons plus tard, le cas des villes en développement révèle le manque de concertation et de coordination entre les différents ministères et entre le gouvernement et les multiples institutions héritées de l’ère pré-étatique3.

En 2000, le Contrôleur de l’Etat, Eliezer Goldberg, souligna à nouveau l’absence d’autorité administrative identifiée, chaque ministère se livrant à une mise en œuvre des politiques publiques, au gré de son bon-vouloir, sans grande concertation avec ses homologues. Ainsi, la stagnation, voire la régression de certaines villes fut, non pas attribuée à une faiblesse des fonds affectés au développement du sud, mais bien à une absence d’harmonie entre les différents acteurs – départements ministériels ou agences publiques et semi-publiques –, et au manque d’évaluation des politiques publiques4.

1 Weintraub (D.)/Lissak (M.)/Azmon (Y.), Moshava, kibbutz and moshav : patterns of Jewish rural settlement

and development in Palestine, New York, Ithaca Cornell University Press, 1969 ; Weintraub (D.)/Lissak (M.), « The absorption of North African immigrants in agricultural settlements in Israel », The Jewish Journal of Sociology, vol. 3, 1961, pp. 29-55.

2 Sur les villes en développement, voir les ouvrages génériques : Spiegel (E.), New Towns in Israel,

Stuttgart/Berne, Karl Kramer Verlag, 1966 ; Berler (A.), New Towns in Israel, Jerusalem, Israel University Press, 1970 et, plus récemment, Kellerman (A.), Society and settlement : Jewish land of Israel in the twentieth century, New York, State University of New York Press, 1993.

3 Voir également la vaste étude menée par E. Torgovnik, The politics of urban planning policy, Jérusalem,

University Press of America and the Jerusalem Center for Public Affairs, 1990. Il tente de restituer la teneur des conflits multiples qui surgissent des politiques de planification urbaine, entre ministères, autorités locales, agences et structures de décision urbaine. Voir notamment le chapitre 1 « The political and organizational framework of planning » ; voir aussi l’article de R. Kark, « Planification, logement et politique territoriale 1948- 1952 : la formation des concepts et des cadres gouvernementaux », Medina, Memchal véYerassim Beïnléoumim, vol. 45, 1991.

4 Le Contrôleur pointe notamment l’exemple du Ministère de l’industrie et du commerce. Ayant injecté des

millions de shekels pour favoriser l’implantation d’entreprises comme Intel (compagnie informatique) à Kiryat

1.1.2) UNE LOGIQUE D’ASSIGNATION A RESIDENCE DIFFERENCIEE :

La majorité des habitants des villes en développement fut et reste1 donc issue des pays d’Afrique

du Nord et du Moyen Orient qui, après un passage quasi-obligatoire dans un des nombreux camps de transit (ma’abarot), fut parachutée dans ces localités, créées à son intention. En effet, la politique de répartition démographique devint, avec l’arrivée des vagues migratoires séfarades, bien plus contrôlable par le gouvernement puisque ces populations, dotées d’un capital social et économique faible, se rendaient d’emblée fortement dépendantes des autorités d’accueil2.

1.1.2.a) DES ESPACES D’HABITATION RAREMENT CHOISIS :

Les entretiens réalisés avec des militants de Shas, résidant à Ganei Tikwa – ancien ma’abara situé dans la grande banlieue de Tel Aviv – et à Or Yehouda – ancienne ville en développement située au sud-est de Tel Aviv –, révèlent tous un choix guidé mais généralement nié. Le premier, actuellement conseiller municipal de Shas à Ganei Tikwa, nous explique qu’à leur grand soulagement, ses parents purent échapper à une migration forcée vers le sud parce que des membres de leur famille résidaient dans la banlieue de Tel Aviv. Ses parents semblent avoir très vite pris conscience du fait que résider dans le sud du pays aurait signifié s’exclure automatiquement de la société.

« Je suis arrivé avec ma famille de Tunisie en 1961, j’avais huit ou neuf ans…à notre arrivée, le Gouvernement a voulu nous envoyer à Dimona…c’est dans le sud, très pauvre…mon père a refusé parce que pour lui, nous partions dans une ville où il n’y avait rien à faire, pas d’avenir pour nous. Il disait que ce serait difficile de s’intégrer dans la société là-bas…nous sommes restés deux jours à l’aéroport de Lod avant qu’on nous autorise à aller à Ganei Tikwa, parce que ma grand-mère vivait déjà ici…mes grands-parents avaient immigré en 1956…au bout

Gat, le Ministère n’a finalement mené aucun effort d’évaluation pour savoir quelles étaient les retombées