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III) Q UESTIONS DE RECHERCHE ET CHOIX EPISTEMOLOGIQUES :

4) O PTION METHODOLOGIQUE : L ’ APPORT DU FAISCEAU DE METHODES :

Le choix des méthodes d’investigation est une question cruciale dans la conduite d’une recherche. Tout comme nous n’emploierions pas un tournevis à la place d’un marteau, le chercheur doit concevoir ou, plus modestement, choisir son outillage en fonction de son objet d’analyse et, plus précisément, de la problématique qu’il entend éclairer. Cette question se pose avec d’autant plus de vigueur lorsque le chercheur se confronte à une culture, à une société et à un système politique qui ne lui sont pas familiers. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la réflexion autour des méthodes a été majoritairement investie par les anthropologues du politique.

Dès le début de notre recherche, nous avons été conduits à nous interroger sur la faisabilité de celle-ci, considérant les spécificités de l’objet d’étude choisi. Notre distance idéologique et théologique à l’objet, le fait d’être femme dans un univers où la femme ne côtoie pas les cercles de représentation publique, se contentant d’exister comme pièce fondamentale de la sphère familiale, n’était-ce pas là des critères empêchant la conduite d’une telle entreprise ? Ne risquait- on pas de se voir opposer un refus catégorique à toute sollicitation pour entretien ? Ces questions qui nous interrogèrent au début de l’étude se sont rapidement effacées pour laisser place à un appareil méthodologique conçu par rapport à toutes ces contraintes pointées.

Les premiers contacts, sans parler encore d’entretiens, furent obtenus par recommandation. Grâce à nos origines séfarades, à notre nom typiquement israélien3, et grâce également à la curiosité des

dirigeants rencontrés, qui étaient souvent étonnés de voir qu’une étudiante française pouvait trouver un intérêt à mener une recherche sur leur parti, nous ne rencontrâmes que peu de difficultés à nous faire reconnaître comme interlocutrice légitime. Le fait de procéder par recommandation nous permettait, en outre, de passer par le « rituel de présentation » dont parlent M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot, rite qui consiste à rassurer les personnes sollicitées pour

1 Aron (R.), Les étapes de la Pensée…, Op. cit., p. 507.

2 Ibid., p. 507.

3 C’est au cours de cette recherche que nous avons appris la signification de notre nom, à savoir le sceptre des

rois d’Israël. (Sharvit, en hébreu, signifie en effet « sceptre »).

entretiens quant à la « personnalité sociale des individus avec lesquels elles entrent en relation. Le rituel de présentation situe le nouveau venu dans les réseaux de relations déjà connus et élimine cette nouveauté toujours quelque peu inquiétante dans l’inconnu qui ne vous a pas été présenté »1,

à plus forte raison dans un milieu où l’étranger est objet de méfiance. Certains interlocuteurs ont cependant refusé d’entrer dans une relation de face-à-face avec une femme « célibataire » (ravaka), tandis que d’autres, bien qu’ayant accepté la procédure d’entretiens, s’en tinrent à des propos orientés, traitant essentiellement de matières jugées féminines. C’est ainsi que la plupart des dirigeants politiques et religieux du mouvement nous incitèrent plutôt à participer aux activités féminines du parti et à nous entretenir avec les militantes. Si cette tendance nous découragea au début, elle nous sembla rapidement riche d’enseignement quant aux conceptions du monde et de l’ordre social véhiculées au sein de ce groupe. Là où nous ne voyions alors que source tarie d’informations se situait la réalité d’un mouvement, animé par une répartition sexuée des tâches à l’intérieur de la société, tout comme à l’intérieur du parti.

Les spécificités de cet objet nous ont conduit à nous interroger sur des questions d’ordre épistémologique et, plus particulièrement, sur l’effort régulièrement souligné par certains sociologues qui consiste à faire, parallèlement à la recherche à proprement parler, une sociologie de la pratique sociologique. Le positionnement du chercheur, sa façon d’appréhender l’objet et les relations aux interviewés ont toujours avoir avec le parcours de celui-ci. Et ce n’est pas faire offense aux impératifs sociologiques de neutralité épistémologique que de reconnaître que l’origine culturelle et sociale du chercheur, sans aller jusqu’à prétendre qu’elle biaise toujours son approche de l’objet, comporte certaines implications dont il convient d’avoir conscience. Nous rejoignons ici le souci constant de P. Bourdieu qui, dans la Misère du Monde, s’efforce de situer le chercheur par rapport à son objet – l’entretien ménageant un espace de rencontre ponctuel entre deux habitus, deux expériences sociales et, dans notre cas, nationales, religieuses et linguistiques.

Ainsi, nous dûmes prendre un certain nombre de précautions quant à nos comportements vestimentaires et gestuels, de manière à mener à bien la recherche sans heurter les sensibilités des personnes rencontrées. Nous dûmes notamment faire un apprentissage accéléré des règles de présentation de soi, requises dans un tel contexte. En effet, comme le souligne B. Lahire, le corps n’est rien moins qu’une « surface d’inscriptions d’indicateurs de (la) position sociale »2. Ce corps,

nous l’avons donc adapté aux canons vestimentaires et gestuels du groupe étudié, si bien que nous

1 Pinçon (M.)/Pinçon-Charlot (M.), Voyage en grande bourgeoisie, Paris, PUF, 1998, p. 22.

2 Lahire (B.), « Variations autour des effets de légitimité dans les enquêtes sociologiques », Critique Sociale,

n°8-9, juin 1996, n°spécial sur « Les usages sociaux de l’entretien sociologique », p. 93.

avons rapidement adopté une tenue composée d’une jupe longue et large, d’un tee-shirt ample à manches longues. Le fichu ou le foulard n’était pas de mise, dans la mesure où l’enquêtrice n’étant pas mariée n’avait pas à se couvrir la tête. Cependant, l’absence de kissouï harosh (couverture des cheveux) était une indication qui n’était pas à notre avantage, le célibat étant perçu comme étrange au-delà d’un certain âge1 et, de toute façon, peu recommandable. Un

homme marié, tel que c’était le cas des interviewés rencontrés, n’est pas censé passer du temps et converser avec une jeune femme célibataire.