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S ECTION 2) L E PROCESSUS DE « P ERIPHERISATION » 2 DES COMMUNAUTES SEFARADES :

3,4 Bet Shemesh 3,78 Raat 5,85 Herzliya 3,

Arad 2,95 Shifram 4,45 Nesher 2,94

Afoula 3,42 Nes Tziona 3,4

Dimona 3,45 Kfar Saba 3,29

Yavne 4,05 Kiryat Ono 3

Yehoud 3,5 Kiryat Ata 3,21

Carmiel 3,16 Kiryat

Bialik 2,98

Tibériade 3,41 Kiryat Yam 2,97

Lod 3,71 Kiryat

Motzkin 2,93

Migdal

HaEmek 3,28 Petach Tikwa 3,17

Nahariya 2,95 Rishon

LeTzion

3,38

Nazareth Ilit 2,94 Rehovot 3,21

Netivot 4,03 Ramat Gan 2,56

Kiryat Gat 3,35 Ranana 3,44

Kiryat Malakhi 3,94 Holon 3,1 Kiryat Shmona 3,37 Netanya 3,1 Rosh Hayain 3,55 Ramle 3,81 Akko 3,44 Or Akiva 3,44 Beit Shean 3,91 Yeroham 3,66 Mitzpe Ramon 3,4 Rehassim 4,3 Sderot 3,36 Safed 3,43 Shlomi 4,1 Moyenne de personnes par foyer 3,4 Moyenne de personnes par foyer 4,8 Moyenne de personnes par foyer 3

1 Bureau central des statistiques, ministère de l’Intérieur d’Israël.

L’homogénéité culturelle, socio-économique et religieuse des populations1, l’absence de

leadership politique local, entraînèrent une stagnation, voire une régression de celles-ci, en termes d’intégration et de socialisation. Des recoupements furent d’ailleurs opérés entre actes délictueux et origine ethnique, traduisant bien la sur-représentation des populations séfarades, et notamment maghrébines, dans certains secteurs comme la délinquance, les accidents de la route2, la

prostitution. Ces statistiques, pour certaines alarmantes, sont symptomatiques des difficultés d’intégration rencontrées par ce groupe à son arrivée, mais aussi, plus implicitement, d’une volonté de niveler les villes en développement par le bas – la tendance des autorités publiques ayant consisté à sélectionner, par exemple, les immigrants en fonction de leur capacité à suivre des cours d’hébreu accélérés. Ceux qui en étaient incapables étaient orientés vers ces nouvelles localités, tandis qu’aux autres était réservé un traitement « préférentiel ». De tout ceci, nous tirons par conséquent la conclusion qu’ethnicité séfarade, opportunités économiques négatives et concentration résidentielle se renforcèrent et continuent à se renforcer3 les unes les autres, non pas

simplement comme des symboles de distribution des ressources à l’intérieur de la société, mais aussi en terme de qualité de vie pour les générations à venir4.

1.2.2) LES THEORIES SOCIOLOGIQUES DE L’ETHNICITE CONFRONTEES AU TEST EMPIRIQUE :

Deux modèles principaux5 se disputent, depuis les années 70, le monopole de l’explication

sociologique quant à l’origine, et de manière consécutive, à la résolution des écarts ethniques en Israël. Le problème majeur que posent ces schémas explicatifs émane du fait qu’ils sont simultanément le siège d’enjeux idéologiques quant à la perception de la société israélienne, à sa capacité et à sa volonté d’intégrer les populations migrantes.

1 R. M. Kramer va même jusqu’à comparer ces communautés locales aux ghettos noirs-américains. Ibid., p. 49. 2 Voir Richter (E.), « Potential year life lost from motor vehicle crashes in Israel : an epidemiological analysis »,

International Journal of Epidemiology, vol. 8, n°4, 1979, pp. 383-8.

3 Voir notamment l’article faisant la recension des études de D. Ben-Simon, qui explique que les interventions

gouvernementales ont contribué à renforcer les disparités entre les différents territoires, pénalisant notamment toute la région du Néguev. « The Negev as a symbol », Jerusalem Post, 4 avril 2002.

4 Goldsheider (C.), Israel’s change…, Op. cit., p. 119.

5 Pour une présentation des ces différents courants, nous renvoyons le lecteur à : Smooha (S.), « Three

approaches to the sociology of ethnic relations in Israel », The Jerusalem Quarterly, n°40, 1986, pp. 31-61 ; Bernstein (J.)/Antonovsky (A.), « The integration of ethnic groups in Israel », The Jewish Journal of Sociology, vol. 23, 1985, pp. 5-23.

Issue du paradigme structuro-fonctionnaliste, l’approche libérale dite « culturelle », proche des théories américaines de l’ethnicity, est sans conteste la première à avoir été proposée, dotée d’une légitimité d’autant plus grande qu’elle tend à accréditer l’idée d’une société intégratrice et assimilationniste, en capacité de produire de l’égalité. L’étude pionnière de R. Patai1 se concentre ainsi sur le problème du contact entre les cultures et sur la problématique de

l’acculturation. La seconde, apparue dans les années 70, se rapproche du paradigme marxiste et propose une lecture des inégalités ethniques comme reproduction des inégalités de classes, dans le domaine socio-économique2. Nous verrons dans quelle mesure l’invalidation empirique des thèses

évolutionnistes alimente les frustrations mais aussi l’expression politique des revendications socio-économiques séfarades.

1.2.2.a) SECONDE ET TROISIEME GENERATIONS : L’INVALIDATION DES THESES EVOLUTIONNISTES :

Selon l’approche dominante, qualifiée de « libérale »3, les problèmes d’intégration

rencontrés par les immigrants séfarades étaient dus au décalage culturel ou à l’acculturation de ces populations, passant de sociétés traditionnelles et primitives à une société moderne. Ainsi, ils avaient beau être, pour certains, hautement qualifiés, pouvoir s’appuyer sur une structure familiale cohésive, détenir des valeurs de dignité et de responsabilité collective, ils ne disposaient pas des critères de réussite appropriés aux sociétés modernes.

Ceci étant, cette approche développementaliste postulait une intégration des générations futures, par le biais des vecteurs de socialisation privilégiés4. Le mouvement continu d’homogénéisation culturelle et le maillage social opérant dans l’ensemble des sociétés modernes à travers l’appareil institutionnel national, devait permettre de diffuser des modes de vie et de pensée communs, et, de manière concomitante, de dissoudre les identités primaires (familiales, religieuses, locales, ethniques…) des individus. Adaptant l’approche libérale développée par les sociologues américains, il s’agissait d’appréhender la « levantinisation » (R. Patai) séfarade

1 Patai (R.), Israel between East and West, Philadelphie, Jewish Publications Society, 1953.

2 Les principaux auteurs liés à ce courant sont Swirski (S.), Israel : the oriental majority, Londres, Zed Books,

Ltd, 1989 ; Bernstein (J.)/Antonovsky (A.), « The integration of ethnic… », Op. cit. ; Bonacich (E.), « Class approaches of ethnicity and races », The Insurgent Sociologist, 11(2), 1981, pp. 9-23.

3 Outre R. Patai, les principaux auteurs à s’être exprimés dans le cadre de ce courant sont : Ben-David (J.),

« Ethnic differences or social change ? », in Frankenstein (K.) Ed., Between past and future, Jérusalem, The Szold Foundation, 1953, pp. 33-52. Il expliquait que le rattrapage ne faisant aucun doute, la seule question valable était comment aider les immigrants orientaux à changer et à s’adapter au mode de vie israélien ; Eisenstadt (S.N.), The absorption of immigrants, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1954 ; Eisenstadt (S.N.), Israeli society, New York, Basic Books, 1967.

4 Goldsheider (G.), Israel’s changing society…, Op. cit., p. 35.

comme un traditionalisme constitué de comportements folkloriques, incompatible avec la modernité qui prévaut en Israël. Fondant leur argumentaire sur l’absence d’identité séfarade exclusive, les sociologues développementalistes soutenaient que les origines ethniques étaient secondaires et ne déterminaient pas les attitudes et le processus de mobilité sociale. Force est pourtant de constater que la prophétie libérale ne s’est pas réalisée.

Ainsi, récemment, le Contrôleur de l’Etat, Eliezer Goldberg, rendait un rapport accablant qui établissait un constat dramatique de la situation dans les villes en développement, soulignant la persistance du fossé entre les villes en développement du sud et la moyenne nationale, dans presque tous les indicateurs. Pointant l’action des gouvernements successifs, E.Goldberg attribuait cet échec patent à un « gel conceptuel », responsable de l’absence actuelle de développement et d’espoir dans ces localités1.

Ce faisant, le fossé créé par la pratique politique des années 50-70 ne s’est pas résorbé2,

des études successives ayant démontré le retard toujours prégnant des nouvelles générations séfarades, en termes purement économiques3, mais aussi en matière de scolarisation, où les études divergent quant à l’évolution des inégalités ethniques. Certains témoignent d’une constance voire d’une aggravation du fossé ethnique, suggérant par-là que le fossé ne s’est pas réduit avec la scolarisation de la seconde génération4 et qu’il a des conséquences directes sur le niveau de

revenus des individus. Selon les statistiques officielles de 20015, la durée de la scolarisation varie

très clairement en fonction de l’origine ethnique des individus. Alors que 59,3 % des individus nés en Israël d’un père originaire d’Amérique ou d’Europe ont un cursus scolaire et universitaire au moins égal à 13 années (28,1 % entre 13 et 15 années et 31,8 % au-delà de 16 années), ils ne sont que 33 % des individus nés en Israël d’un père originaire d’Afrique ou d’Asie à afficher une telle durée d’études. Le rapport s’inverse pour la durée 11-12 années d’études, avec 51,9 % de l’ensemble des séfarades et 33,4 % des ashkénazes. L’écart se creuse encore plus lorsqu’il s’agit

1 Jerusalem Post, 4 mai 2000.

2 Voir Bernstein (J.)/Antonovsky (A.), « The integration of ethnic groups in Israel », The Jewish Journal of

Sociology, vol. 23, 1981, pp. 5-23.

3 Cohen (Y.)/Haberfeld (Y.), « Second Generation Jewish immigrants in Israel… » , Op. cit., pp. 507-523.

4 Yuchtman-Yaar (E.), « Différences dans les modèles ethniques de niveau socioéconomique en Israël : un

aspect négligé de l’inégalité structurelle » (Yazmout partit kemasloul leniout sozio-kalkalit : hibat nossaf al haribout haadati beYisrael), Megamot, vol. 29, n°4, septembre 1986. Adler (C.), « The Israeli school as a selective institution », in Eisenstadt (S.N.)/Bar-Yossef (R.)/Adler (C.), Integration and development in Israel, Jerusalem, Israel Universities Press, 1970, pp. 287-301.

5 Voir les tableaux en annexes, pp. 597-598.

de séfarades nés à l’étranger : ils ne sont que 7,3 % à étudier plus de 16 années, 12,1 % à se situer entre 13 et 15 années d’études, 30,3 % entre 11 et 12 années, et surtout 38 % entre 0 et 8 années. En terme de scolarité universitaire, les chiffres de l’année 2001 font apparaître un écart toujours net entre populations séfarades et populations ashkénazes. Dans la cohorte des 20-29 ans nés en Israël, 14 % de ceux dont le père est né en Europe-Amérique étudient à l’université contre 6,4 % de ceux dont le père est né en Afrique-Asie et 12 % dont le père est lui-même né en Israël. Pour les éléments de cette cohorte nés en Afrique-Asie, essentiellement les Ethiopiens arrivés au cours des années 80 et 901, seulement 4,5 % étudient à l’université. Si nous observons maintenan le

niveau scolaire détenu par les Israéliens de plus de 15 ans, nous nous apercevons que le groupe des Israéliens nés d’un père d’origine africaine ou asiatique se ventile comme suit : 17,5 % ont un niveau universitaire (moyenne nationale : 26,3 %) ; 13,3 % ont un niveau post-secondaire (moyenne nationale : 14,9 %) ; 27,8 % ont fini au secondaire (général) (moyenne nationale : 24,9 %) ; 32,2 % ont une qualification professionnelle (de type CAP-BEP – moyenne nationale : 18,4 %) ; 2,5% ont étudié en yeshiva (moyenne nationale : 2,8 %), 6,2 % ont le niveau collège ou primaire (moyenne nationale : 10,2 %) ; et 0,4 % ne sont jamais allés à l’école (moyenne nationale : 2,5 %). Chez les Israéliens dont le père est né en Europe ou en Amérique, les chiffres sont les suivants : 37,9 % ont un niveau universitaire ; 17,8 % ont un niveau post-secondaire ; 22,7 ont arrêté au secondaire ; 14,6 % ont une qualification professionnelle ; 4,1 % ont étudié en yeshiva ; et 2,7 % ont un niveau collège ou primaire. Bien que nés en Israël, les éléments de ces deux groupes semblent fortement déterminés dans leur niveau de scolarisation et dans leur choix d’orientation par le milieu d’où ils viennent, les ashkénazes observant d’une part, un cursus général et, d’autre part, un cursus plus long que celui des séfarades. Les séfarades s’orientent de manière préférentielle vers les études courtes et les formations professionnelles. Les écarts se creusent encore plus lorsque l’on observe les parts respectives des personnes nées à l’étranger. Lorsqu’ils sont nés en Afrique ou en Asie, les individus entrent difficilement à l’université ou en formation post-secondaire (9,5 % et 9%) et arrêtent souvent leurs études au secondaire (19,6 % ont un cursus général et 20,2 % ont une formation professionnelle) alors qu’une part importante n’ont qu’un niveau d’études très minimal, 26,4 % ayant un niveau collège ou primaire.

De ces statistiques, nous tirons la conclusion selon laquelle si le fossé perdure entre ashkénazes et séfarades, le fait qu’il soit plus marqué chez les séfarades nés hors d’Israël rassure quelque peu sur la capacité du système scolaire israélien à favoriser la promotion sociale ou, tout au moins, l’élévation du niveau d’éducation de ces populations. Il reste que les inégalités semblent

1 La majorité des Juifs éthiopiens, soit 44 200 personnes, a émigré après 1989, tandis que 16 300 immigrants

avaient émigré dans les années 80. Enfin, depuis les migrations falashas, 25 000 sont nés en Israël.

se reproduire au niveau des choix d’orientation car, si le nombre de séfarades nés en Israël et arrêtant leur cursus au niveau « collège-primaire » est plus bas que la moyenne nationale, celui relatif à l’orientation professionnelle semble révéler une expression nouvelle de ces inégalités.

Fortement remise en question par la persistance des inégalités inter-ethniques, l’approche libérale est néanmoins restée monopoliste jusqu’à la fin des années 70, donnant une assise scientifique irréfutable à « l’establishment » sioniste. Devant l’aggravation des indicateurs socio- économiques et culturels, devant l’affirmation plus grande de grilles de lecture issues de l’anthropologie, le courant sociologique dominant consentit à reconnaître que pouvaient perdurer certains spécificités ethniques. Face à ces questions laissées en friche par le courant libéral, une hypothèse – structurale – alternative, faisant montre de moins d’optimisme, disposait que l’accès aux ressources n’était pas facilement et volontairement partagé. Par suite, même s’il ne s’agissait pas nécessairement d’une politique discriminatoire active et délibérée, l’accaparement des postes à responsabilités dans les domaines économique et politique et la diffusion latente de conceptions stéréotypées (la violence et les mentalités primitives des Marocains)1 devaient nécessairement

mener à la reproduction des inégalités et du fossé inter-ethniques. Dans ce schéma scientifique, l’ethnicité n’est pas beaucoup plus reconnue comme, intrinsèquement, porteuse de sens. Elle n’est que la forme déguisée d’une conscience de classe qui a du mal à s’exprimer en tant que telle. Nous retrouvons alors ici une vision expliquant la superposition d’inégalités sociales et ethniques, légitimant la qualification de « classe séfarade ».

1.2.2.b) LE TRAVAIL DE SUBJECTIVATION DES INEGALITES ETHNIQUESPAR UN DISCOURS PARTISAN ANCRE DANS LA PRIORITE SOCIALE :

Cette démonstration objective du creusement des inégalités se double d’un sentiment évident de frustration et de colère vis-à-vis d’un Etat supposé ne rien faire. L’un de nos interlocuteurs, militant et élu de Shas à Or Yehouda nous dit ainsi : « L’Etat d’Israël devrait avoir honte…il ne met aucun moyen en faveur des familles nécessiteuses…des couches faibles (chrarot halachot)…je fais de la politique depuis quinze ans et je vois des familles que personne ne regarde…ça se passe autour de nous, tout près…un exemple, un homme est venu me voir il y a une semaine parce que la banque lui a refusé un prêt…cet argent, il en a besoin, pour faire vivre sa famille…c’est tous les jours…ça nous fait mal. Nous, nous pensons que tout le monde doit avoir une chance…je reçois des lettres de détresse…comment je peux leur dire que je ne peux pas

1 Voir le témoignage de H. Dahan-Kalev, « You’re so pretty – You dont’t look Moroccan », Israel Studies, vol.

6, n°1, printemps 2001.

les aider »1. Dans ce témoignage, le plus surprenant vient sans doute du fait que cet élu de Shas

nous livre un discours très critique, protestataire, à l’opposé de ce que nous pourrions attendre d’un homme installé au pouvoir local et dont le parti siège au gouvernement, prouvant à nouveau l’absence de solidarité gouvernementale et, surtout, la volonté de Shas de se différencier des partis symbolisant « l’establishment ». On retrouve d’ailleurs ce même genre de propos dans les discours des députés, avec néanmoins plus de retenue. Yitzhak Vaknin explique ainsi dans Yom LéYom, l’hebdomadaire du parti Shas : « Je ne veux pas attaquer le gouvernement parce que je fais partie de cette coalition mais (…) il y a des dizaines de familles qui n’ont pas accès aux départements sociaux en Israël parce qu’elles ont honte. Ceci est de notre responsabilité et je dis à Yossi Katz (député travailliste) de venir voir un shabbat combien de familles viennent à mon bureau, familles qui ont le courage d’en faire la démarche, combien de familles évacuent leur maison parce qu’elles ne peuvent pas payer l’hypothèque…nous avons l’obligation de dresser un ordre de priorités (seder hadifouyot) dans de nombreux domaines »2. Shas entend, par

conséquent, incarner une rupture présentée en premier lieu comme sociale, à l’image de cette déclaration du député, David Azoulai, disant que « le temps est venu de comprendre les murmures du cœur du peuple. C’est plus important qu’un casino3 »4.

Cette priorité accordée au social se matérialise notamment dans la défense de la cellule familiale, de première importance chez les Juifs religieux mais aussi séfarades. Trait commun aux villes en développement et aux quartiers religieux, la taille des familles est, comme nous l’écrivions précédemment, généralement élevée – les modes de vie traditionaliste et haredi se caractérisant par une primauté accordée à la cellule familiale, et par suite, à la procréation.

Or, tout comme les séfarades des villes en développement, les haredim font également partie des catégories à revenu modeste, en raison d’un choix de vie basé sur l’étude non rémunératrice de la Torah, pour les hommes, et d’un travail féminin essentiellement cantonné au foyer. Cumulant les caractéristiques identitaires des haredim et des traditionalistes, Shas s’érige donc en défenseur de leur cause, essayant simultanément de créer une synergie et une solidarité entre ces deux groupes. C’est ainsi que le parti séfarade et haredi est à la pointe du combat social, réclamant régulièrement une augmentation des prestations sociales, notamment en faveur des

1 Entretien réalisé le 15 février 2000, à Or Yehouda. 2 Yom LéYom, 2 décembre 1999, p. 8.

3 Il fait ici allusion à l’éventualité d’un casino dans le Néguev, alors que jusque-là ce genre d’établissement était

interdit en Israël.

4 Yom LéYom, 28 octobre 1999.

familles nombreuses. En juillet 2000, Shas, à travers la Commission parlementaire du Travail et des Affaires Sociales dont il assurait la présidence, décida de présenter une proposition de loi assurant des allocations plus élevées aux familles nombreuses (5 enfants et plus). Tandis que les députés travaillistes contestèrent une mesure qu’ils qualifiaient de « vol d’argent public au grand jour » (Ophir Pines-Paz), l’un des députés de Shas rétorquait que « ceux qui sont nés avec une cuillère d’argent dans la bouche ne pouvaient pas savoir ce que le besoin signifiait ». Prolongeant cette réponse, David Tal, président de la Commission, dit qu’« ils (les députés travaillistes) manquaient de sensibilité sociale et de compréhension sociétale dans l’inexplicable indifférence dont ils faisaient preuve »1. Ces échanges sont de facture courante, Shas faisant de la thématique

des familles nombreuses l’un de ses points favoris d’intervention législative et de chantage coalitionnel, pendant que la gauche, et plus généralement les partis laïques2, combattent la fin des

privilèges accordés aux haredim. En décembre 1999 comme en décembre 2001, le parti alla même jusqu’à mettre en balance son maintien dans la coalition et l’aide gouvernementale aux populations les plus démunies3, Elie Suissa – alors ministre des Infrastructures – se demandant,

dans l’hebdomadaire de Shas, « que se passe-t-il pour le malade de Naharyia et pour le chômeur de Dimona ? »4. Une semaine après, le dirigeant renchérit dans le même hebdomadaire, disant

qu’un tel budget allait créer deux sociétés séparées, chose intolérable pour ce que Itzhakh Cohen – ministre des Affaires Religieuses et député de Shas – appelle un « parti social » (miflaga ravertit)5, nommé plus fréquemment « mouvement social » (tnoua raverti)1. Relayé par David

1 Jerusalem Post, 19 juillet 2000.

2 Certains partis, comme le Meretz ou Shinouï ont une position radicale en la matière. Le Shinouï (changement),

dont le très médiatique leader est Yossef Tommy Lapid, a adopté dès son origine une plate-forme résolument anti-haredi. En décembre 1999, l’un de ses députés – Abraham Poraz – ayant même avancé que le temps était venu de réduire les allocations familiales accordées aux familles nombreuses, afin de les inciter à avoir moins d’enfants. Cette déclaration ne manqua pas de faire vivement réagir les cercles haredi, directement touchés par une telle proposition. Quant au Meretz, on se rappelle le combat incessant contre les intérêts haredi de Shulamit Aloni durant les années 80, lorsqu’elle occupait le poste de ministre de l’Education.

3 Fin 1999, Elie Yishaï – successeur d’Arieh Deri à la tête de Shas – réclama, avec Agoudat Yisrael, une

réduction de 40 % sur les transports pour les familles nombreuses. Il appuya sa demande de cette déclaration : « Les gens doivent faire ce qui leur semble juste. Ainsi, je ferai ce qu’y est juste pour les pauvres. Le système de protection sociale s’effondre pendant que Barak court à travers le monde. Le ministre des Finances n’a pas le temps d’écouter les difficiles problèmes qui existent en Israël. » Jerusalem Post, 11 novembre 1999.

4 Yom LéYom, 12 août 1999, p. 2. Dans un article intitulé « Budget anti-social », les leaders du parti contestaient