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C ONSTRUCTION STATO NATIONALE ET PROCESSUS DE PERIPHERISATION ETHNO RELIGIEUSE

2) L’ EXPERIENCE PIONNIERE , CIMENT DE LA NOUVELLE MYTHOLOGIE NATIONALE :

Durant la période mandataire (1918-1948), les dirigeants sionistes issus principalement de la seconde aliyah1 russo-polonaise édifièrent une véritable structure étatique qui, bien que privée

du statut officiel d’Etat, recelait la totalité des attributs traditionnellement dévolus à une entité étatique. Progressivement, tout au long des décennies qui précédèrent la création officielle de l’Etat d’Israël, s’opéra un processus d’étatisation (mamlachtiyout), lequel fut dès lors tendu vers la création d’une véritable structure institutionnelle dotée de toutes les caractéristiques d’un Etat classique. Cette centralisation s’opéra dès lors dans le sens du transfert de l’ensemble des micro- autorités dans l’appareil politico-institutionnel central. Soucieux de stimuler l’immigration des Juifs vers la Terre de Palestine, D. Ben Gourion2 impulsa la création d’un organe spécifique,

l’Agence Juive3, dont il devint président ; il en étoffa progressivement les compétences pour en

faire le principal organe de la Palestine juive. Personnalité marquante de cette période, D. Ben Gourion fit en sorte d’instaurer un véritable culte de l’Etat, à travers la prééminence de son

1 Signifiant « montée », le terme aliya désigne en réalité une vague de migration juive vers Israël. Société

d’immigration par excellence, Israël s’est constitué par la succession de ces différents aliyot (au pluriel), chacune ayant été en général homogène d’un point de vue culturel et sociologique. Outre les grandes périodes d’immigration qui ont suivi la création de l’Etat d’Israël en 1948 et sur lesquelles nous reviendrons plus tard, il convient de noter que le processus de peuplement moderne a débuté dans les années 1881-1882. Cette première vague migratoire fut principalement le fait de juifs originaires de Russie (25 000 personnes). Suivirent ensuite la seconde aliyah (1904-1914) en provenance de Russie et de Pologne (35 000 personnes), la troisième aliyah (1919-1923) également en provenance de Russie et de Pologne (35 000 personnes), la quatrième aliyah (1924- 1931) dite aliyah « bourgeoise », en provenance de Pologne (81 000 personnes) et enfin la cinquième aliyah liée à la montée de l’antisémitisme en Europe avec l’arrivée de 197 000 Juifs allemands entre 1932 et 1938. Si chacune des cinq aliyot, qui émaillèrent la période 1881-1948, fut sociologiquement et idéologiquement connotée, ce fut véritablement la seconde aliyah qui porta création de la norme dominante.

2 Né en 1886, ce Juif polonais émigra en Palestine en 1906 où il combattit pour l’affirmation du mouvement

sioniste socialiste, avant de devenir secrétaire général de la Histadrout (syndicat monopolistique) de 1921 à 1933. Leader incontesté du premier parti travailliste – le Mapaï de 1921 à 1945 –, chef de la Haganah – branche paramilitaire du Mapaï avant la création de l’Etat, c’est à lui qu’incomba la tâche de déclarer l’indépendance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, événement qui le propulsa au poste de premier chef du gouvernement.

3 Créée en 1929 pour collaborer avec l’administration britannique dans la mise en valeur du pays, elle fut

d’abord chargée du recrutement et de l’intégration des immigrants. Véritable exécutif de l’organisation sioniste, elle servait d’interface entre les Britanniques et le Yichouv, mais joua rapidement un rôle plus actif dans l’indépendance. En 1948, ses activités furent définies par la législation israélienne. Représentant les juifs de diaspora, elle continue à jouer un rôle dans le processus d’immigration juive et dans le domaine agricole. L’essentiel de ses fonds provient des dons de diaspora, récoltés par Le Keren Kayemeth lé-Israel (Fonds national Juif) chargé du développement foncier et par le Keren Hayesod (Fonds de construction).

leadership. Cette caractéristique n’est pas sans rappeler ce que B. Badie qualifie de « construction technique », c’est-à-dire une construction étatique accordant une large place au leader charismatique, à l’idéologie (le sionisme-socialiste) ainsi qu’à la mobilisation politique (création d’un parti dominant et tentaculaire – le Mapaï).

Si ce mouvement d’étatisation, entamé dès les années 20 en Terre de Palestine, fut progressif et établit un dialogue partiel avec les communautés de l’ancien Yichouv, il tendit à mettre au pas ces dernières, excluant particulièrement leurs membres séfarades de la construction stato-nationale. De plus, en fondant la nation sur la conquête physique du territoire, les élites sionistes tendirent à créer une mythologie nationale qui eut pour effet pervers de supplanter l’idéal égalitariste. Elles contribuèrent ainsi à mettre en place les instruments institutionnels et idéologiques qui rendirent possible la domination de la « classe nationale » sioniste sur la classe ethno-religieuse, cette dernière n’ayant pas participé à la libération du territoire.

2.1)ANCIEN ET NOUVEAU YICHOUV : LA RENCONTRE DES ANCIENS ET DES MODERNES ? :

La distinction basique entre ancien et nouveau Yichouv est par certains côtés largement abusive, tant les catégories en présence sont loin de constituer des blocs démographiques, sociologiques et idéologiques uniformes. Traversés l’un et l’autre par des clivages internes, ils purent conclure des alliances stratégiques transversales, dans le but de neutraliser des éléments concurrentiels au sein de leur bloc respectif. De plus, les choses ne furent pas aussi caricaturales qu’il y parut, puisque la rupture idéologique ne data pas de l’arrivée des premiers sionistes mais sembla plutôt être déclenchée par l’arrivée de la seconde aliya, qui concerna les principaux dirigeants sionistes-socialistes du futur Etat.

Sous l’effet de la première migration sioniste, l’ancien Yichouv sembla donc se recomposer et organiser simultanément la défense d’une émancipation locale acquise sous la Sublime Porte. Simultanément, il semble que le processus de domination mis en œuvre par le sionisme socialisme tendit à mettre au pas les anciennes communautés locales, sommées d’embrasser le modèle idéologique ouvriériste.

2.1.1) UNE ETATISATION PARTIELLE : LA SURVIE DES COMMUNAUTES LOCALES :

Habituées à fonctionner de manière autonome, conformément à la tradition politique juive (classic Jewish Polity selon D. J. Elazar) et à la législation ottomane puis mandataire britannique,

les anciennes communautés n’entendirent effectivement pas tout sacrifier à l’aventure sioniste. L’empire ottoman s’étendant sur un vaste territoire, les communautés composant cet ensemble jouissaient en effet d’un droit enviable d’auto-organisation incarné par la loi du milet. Il est ainsi intéressant de voir que l’apprentissage des mécanismes politiques locaux fut facilité par des lois impériales qui admettaient une autonomie relative des communautés locales. Illustrant bien cela, les takanot, adoptées par les communautés locales, étaient « des réparations ou plus justement des établissements répondant aux exigences de l’heure. Il exist(ait) donc un gouvernement juif jusqu’à un certain point autonome et admis par l’autorité turque »1. Cette volonté de préserver une relative

indépendance par rapport aux autorités se doublait également du souci de préserver un mode de vie fondamentalement différent de celui prôné par l’idéologie sioniste-socialiste.

Nous retrouvons ici un des éléments soulignés par B. Badie dans sa théorie de construction d’un centre, lorsqu’il écrit que celle-ci « ne peut réellement s’opérer sans le concours et la réutilisation des structures traditionnelles héritées du passé. Il est dangereux, nous dit-il, d’assimiler le centre à la modernité et la périphérie à la tradition »2. L’auteur voit à cela deux

facteurs explicatifs. D’une part, il semble que si le processus de centralisation politique correspond à la construction d’une autorité centrale, il est avant tout un effort tenté pour réorganiser les secteurs périphériques. D’autre part, B. Badie rappelle que ces transformations ne sauraient s’opérer ex nihilo et seraient bien davantage une combinaison étroite entre tradition et modernité. Le centre politique reste ainsi une notion précaire et floue qui ne suscite pas, de manière naturelle, l’adhésion de tous les pans de la société. Nous nous trouvons en quelque sorte dans une situation où se juxtaposent une conception « moderne » de l’organisation sociale et politique et un système dit « galactique »3 dans lequel l’ordre politique naît d’un conglomérat

d’entités communautaires. Par suite, le modèle de structuration prôné par l’idéologie moderniste est l’objet de ré-appropriations par les populations autochtones.

S’ensuivit une centralisation limitée des institutions, préservant ou entretenant ainsi la survie des anciennes communautés autonomes. On trouve probablement chez A. Dieckhoff la meilleure explication donnée à cet « insuccès relatif du statisme », en Israël. L’auteur formule deux raisons à cela : « la première tient au processus de construction nationale lui-même conduit

1 Nahon (G.), La Terre Sainte …, Op. cit., p. 45.

2 Badie (B.), Le développement politique…, Op. cit., p. 114.

3 Expression utilisée par B. Badie et M-C. Smouts en référence au modèle indien, dans Le retournement du

monde…, Op. cit., p. 31.

par les partis politiques (et, principalement les formations ouvrières) qui géraient des « services publics » (logement, santé, écoles, centres culturels) s’adressant à un segment déterminé de la population (les « travailleurs » ; les « bourgeois », les « religieux »). Ces fragments d’Etat formaient les centres de pouvoir qui résistèrent à leur intégration pure et simple dans l’appareil de l’Etat et parvinrent à conserver certaines fonctions autonomes après sa création. La seconde raison, plus profonde, tient à la persistance dans le sionisme (y compris dans sa version socialiste …) d’une ardente aspiration à la vie communautaire où l’homme est totalement immergé dans le social, le politique n’existant plus comme instance séparée de la domination. Cette nostalgie de la fraternité communautaire, où la vie sociale va de soi, devait naturellement entretenir certaines réticences à l’égard de la primauté absolue du fait étatique exalté par Ben Gourion »1. Cette longue citation est exemplaire, en ce qu’elle mêle à la fois des explications théoriques qui reprennent les idées de B. Badie, mais révèle également une réflexion empirique majeure qui cherche une explication au sein de l’identité et de la culture juives. Ces développements nous serviront notamment à mieux appréhender plus tard la construction d’un modèle de relations entre autorités nationales et locales, à la fois centralisé et respectueux des droits des localités.

2.1.2) STRATEGIES D’ADAPTATION A LA NORME SIONISTE : UN KULTURKAMPF A

RELATIVISER :

Longtemps alimentée par les récits des pionniers, l’historiographie sioniste a souvent péché par jugement de valeurs en opposant abusivement le vieux Yichouv d’avant 1880, vivant d’aumône, conservateur et homogène, au nouveau Yichouv, incarnant le double processus de sécularisation-modernisation. Vecteur idéologique de premier rang, l’historiographie officielle eut pour objet d’accentuer la différence d’état d’esprit entre un univers juif « arriéré », rythmé par la religion (ancien Yichouv) et un univers juif amenant la réforme par la diffusion de l’idée nationale. Certes, les pionniers s’installèrent dans le but de réformer une identité juive caractérisée par la pauvreté, la passivité et le quiétisme. Ils associèrent ces attributs, au phénomène de ghettoïsation de la vie juive européenne, mais également à la situation de dénuement dans laquelle ils trouvèrent les Juifs de Palestine2. Pourtant, cette césure opérée entre ces deux périodes fut sans

doute moins nette qu’il n’y parut, tant chacune comportait à la fois des éléments de tradition et de modernité.

1 Dieckhoff (A.), L’invention…, Op. cit., p. 122.

2 Avineri (S.), The making of modern Zionism : the intellectual origins of the Jewish state, New York, Basic

Books, 1981, p. 12.

Loin d’être homogène, la communauté de Palestine était alors le théâtre de divisions et subdivisions, nées d’expériences diasporiques diverses. Entre ashkénazes et séfarades, le désintérêt et la mésentente furent très vite affichés. Outre les divergences liturgiques, les deux communautés n’entretenaient pas le même rapport à la modernité. Ainsi, lorsque les mécènes occidentaux installèrent, avant 1880, de nouvelles écoles en Palestine, les ashkénazes se révélèrent rétifs à l’introduction de matières profanes dans l’enseignement. Inspirées des méthodes occidentales, ces nouveaux lieux d’éducation furent exclusivement fréquentés par des séfarades, davantage réceptifs à un enseignement ouvert.

A l’intérieur de chacune des composantes du judaïsme de Terre Sainte, les relations n’étaient pas non plus toujours harmonieuses. La communauté ashkénaze était par exemple clivée en deux courants opposés, les hassidim et les mitnagddim (les « opposants », de l’hébreu « negued », « contre »), opposition sur laquelle nous reviendrons plus tard. La remarque consistant à dénoncer l’idée d’une homogénéité de l’ancienne communauté juive vaut également à l’intérieur du groupe séfarade, tiraillé par les velléités autonomistes des Yéménites et des nouveaux immigrants venus du Maroc vis-à-vis de l’ancienne communauté séfarade.

Finalement, le seul dénominateur commun de ces communautés était de vivre majoritairement des subventions reçues de la « diaspora ». Exclusivement centrées sur l’étude, ces communautés subsistaient en effet grâce au système de la halouka, fondé sur les dons venus des communautés juives de l’étranger. Comme le note G. Bensoussan, il n’entrait dans ce système « ni sentiment de honte ni sentiment d’indignité, puisqu’il (était) entendu que le devoir des Juifs de l’étranger (était) de contribuer à la survie de ceux d’Eretz Israel, leurs « ambassadeurs » dans le pays des aïeux »1. Cet état d’esprit prompt à l’assistanat figura comme l’un des points les plus

critiqués par les pionniers sionistes et s’avéra particulièrement difficile à réformer. Dans l’Etat d’Israël contemporain, on verra en outre qu’il n’a, d’une certaine manière pas complètement disparu puisque, refusant le travail manuel et le service militaire2 pour se consacrer à l’étude de la

Torah, les communautés haredi vivent bien souvent au crochet de l’Etat et de ses organismes sociaux. Cependant, s’il est vrai que la halouka profitait à une majorité d’individus au sein du Yichouv, certains, soucieux de se libérer de leurs chaînes (en parfaite communion avec les mots d’ordre du mouvement de la Haskala), rejetèrent ce système. Aussi, la rencontre entre ces maskilim du Yichouv et les sionistes qui arrivèrent dans les années 1880 se traduisit par une

1 Bensoussan (G.), Une histoire intellectuelle…, Op. cit., p. 161.

2 Le travail manuel, et particulièrement le travail agricole est en effet réputé distraire l’homme et favoriser les

risques de transgression des commandements religieux.

association tant souhaitée que nécessaire face à l’hostilité croissante des religieux1. Il serait par

conséquent plus exact de parler d’une recomposition de l’ancien Yichouv, provoquée par l’arrivée d’éléments étrangers. Ces derniers attirèrent à eux certains Juifs issus de l’ancienne communauté, en suscitant l’adhésion à la cause moderniste et nationale qu’ils entendaient porter. Le virage se produisit lors de la seconde aliya, lorsque celle-ci imposa une norme commune traduite dans l’étatisation progressive de l’Ancien Yichouv.

2.1.3)DEUXIEME ALIYA ET ETATISATION DE LA NORME SIONISTE :

La première aliyah ne fut donc pas la plus symptomatique de ce bouleversement des mentalités juives. En effet, tous les historiens du sionisme s’entendent sur le fait que, hormis le Bilu, les immigrants des années 1880-1904 étaient pour la plupart dépourvus d’idéologie nationale. En quête de conditions de vie plus agréables que celles offertes par une Europe en prise aux déchaînements antisémites, cette première vague migratoire eut finalement du mal à enclencher un changement culturel par rapport à la « vie d’avant ». Imprégnés pour certains par une éducation religieuse, ils tentèrent dans un premier temps de gagner les faveurs des orthodoxes. Ces derniers virent dans cette cause sioniste défendue par des Juifs issus de milieux traditionnels un moyen de ramener les « brebis égarées » sur le chemin de la croyance et de la foi. Mais cette position de compromis s’étiola parallèlement à la laïcisation du mouvement sioniste, particulièrement manifeste avec l’arrivée de la seconde aliyah.

Malgré les limites de l’entreprise, la première aliyah eut le mérite d’avoir préparé le terrain, en jetant les bases d’un cadre national, en inaugurant notamment un système éducatif fondé sur l’hébreu et sur les matières profanes. Ce dernier point fut la cause du regain d’hostilité entre ancien et nouveau Yichouv, anticipant également les questions majeures auxquelles l’Etat d’Israël se heurta plus tard, n’apportant qu’une réponse relativement ambiguë.

En dépit du nombre réduit d’individus qu’elle concerna, la seconde aliyah eut des conséquences bien plus immenses sur la suite de l’implantation juive en Terre de Palestine.

1 Sur cette thématique, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Kaniel (K.), Continuité et changement. Ancien

Yichouv et nouveau Yichouv durant la première et la seconde alyiah (hébreu), Jérusalem, Yad Itzhak Ben Zvi, 1981.

Beaucoup plus idéologique1 que la première, elle engendra une génération de dirigeants sionistes

dont le rôle fut déterminant dans la création de l’Etat d’Israël. La véritable rupture s’opéra à cette époque, entre un vieux Yichouv recomposé sous l’effet des migrations des années 1880 et une immigration idéologique, nationale et surtout anticléricale. Dénonçant l’obscurantisme et la passivité des religieux à l’égard de l’autorité ottomane, ces jeunes pionniers s’attirèrent les foudres des haredim, mais aussi des immigrants issus de la première aliyah. Concernant ces derniers, l’opposition ne se situa pas uniquement sur le plan idéologique ou culturel, mais également autour de la question sociale, les enfants des pionniers de 1880 refusant de répondre au mot d’ordre de ces nouveaux pionniers (la « conquête du travail » ou Kibbouch HaHavodah), entendant réserver le travail aux Juifs.

S’ouvrit alors un véritable Kulturkampf, symbolisé par l’apparition d’un clivage géographique, entre Jérusalem (siège de l’ancien Yichouv) et Jaffa, incarnation de l’idéologie nationale. La stigmatisation et le mépris mutuels atteignant des sommets, la rupture entre les deux groupes fut quasiment totale. Il est en outre intéressant de voir à quel point cette histoire du peuplement juif en Terre de Palestine préfigura les clivages qui émergèrent au lendemain de l’établissement de l’Etat d’Israël : haredim (ultra-orthodoxes) contre hilonim (laïques) sous l’arbitrage des massortim (traditionalistes).

Autre catégorie fortement touchée par cette nouvelle hiérarchie sociale, les séfarades dont la place fut inexistante dans l’historiographie sioniste. Y. Nini2 montre comment, dès le début du

sionisme, l’intégration des séfarades au sein du Yichouv fut sans cesse freinée par les dirigeants sionistes ashkénazes. Recevant une éducation et une formation sommaires, ils n’eurent comme seul horizon d’être exploités, particulièrement dans les implantations agricoles. Ces travailleurs séfarades, particulièrement les Yéménites (Teymanim) furent, par conséquent, victimes de discrimination, essentiellement au motif de leur absence de conscience socialiste3. « Différents

1 Selon les statistiques de l’époque, 58% des pionniers qui arrivèrent dans les années 1904-1908 étaient affiliés à

un parti politique avant leur immigration. Une fois installés en Palestine, 20% continuèrent à adhérer au Poalei Zion (sioniste de gauche) tandis que 24% adhérèrent au HaPoel Hatzaïr (Le Jeune ouvrier, l’autre parti de gauche fondé en 1905).

2 Nini (Y.), Cela a-t-il existé ou était-ce un rêve ? Les Yéménites de Kinneret, l’affaire de leur installation et de

leur départ, 1912-1930 (hébreu), Tel Aviv, Am Oved, 1996, cité par Greilsammer (I.), La nouvelle histoire…, Op. cit., p. 91.

3 Y. Nini soulignait notamment que la diapsora yéménite avait été parmi les plus ferventes, imprégnée d’utopie

messianique, ceci expliquant le décalage de cette migration yéménite, dans le contexte idéologique socialisant qui régnait durant l’ère pré-étatique. Nini (Y.), « La mémoire collective des Juifs du Yémen », PARDES, n°28, 2000, p. 91.

d’un point de vue culturel, religieux, familial, les institutions du Yichouv ne leur faisaient pas confiance pour s’organiser, occuper la terre et profiter des ressources en eau et en argent »1. Y. Nini voit dans ce processus d’exclusion l’une des explications du problème de la discrimination ethnique en Israël. Portant en germe les clivages qui structurèrent l’espace social et politique israélien, l’histoire de ce peuplement introduisit également des éléments de conditionnement extérieurs, relatifs à la situation géopolitique de la région. Plus qu’ailleurs, les contraintes liées à la situation politique et militaire de la région, eurent un rôle central dans la succession des étapes qui permirent l’émergence de l’Etat d’Israël. Il est évident que les conflits qui jalonnèrent la construction et l’institutionnalisation de l’Etat marquèrent de leur sceau la nature même de la nation, dotant celle-ci d’une mythologie fortement liée à eux.

2.2)LE TRIOMPHE DU MYTHE NATIONAL SUR LE MYTHE COLLECTIVISTE : LA SACRALISATION DE LA NATION ISRAELIENNE ET L’INSTAURATION D’UN SYSTEME D’EXCLUSION :

Au regard de ce qui précède, la centralisation du pouvoir en Israël frappe par son radicalisme2. Le refus apparent de transiger sur les principes érigés par les pourvoyeurs du sens

étatique se heurta cependant à une contradiction, née de la territorialisation du mouvement. En effet, si les précurseurs sionistes-socialistes ancrèrent leur réflexion dans le paradigme marxiste et entendirent dès lors instaurer une société collectiviste et égalitaire, la configuration géographique