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U N PROJET CONTRE SOCIETAL CONSTRUIT AUTOUR DE LA SYNTHESE D ’ IDENTITES JUIVES MARGINALISEES :

II) U N PHENOMENE REPOSANT SUR L ’ ARTICULATION , PROJET CONTRE SOCIETAL ; PARTI D ’ INTEGRATION ; ET CLIENTELISME DE PARTI :

1) U N PROJET CONTRE SOCIETAL CONSTRUIT AUTOUR DE LA SYNTHESE D ’ IDENTITES JUIVES MARGINALISEES :

Concept discuté s’il en est, la « culture » est pourtant au cœur de la problématique séfarade. En apparence restaurer dans sa pureté originelle, l’identité produite par le parti Shas illustre parfaitement le débat théorique que nous choisissons de trancher en faveur de l’optique constructiviste. En effet, nous consentons à voir dans le travail de définition identitaire opéré par les dirigeants du parti, une construction empruntant à différentes sources identitaires, dans une perspective de mobilisation militante.

1.1) LES THESES SUBSTANTIALISTES : LA CULTURE REIFIEE :

Sous l’appellation générique de « substantialiste », nous placerons les définitions émanant, tant des courants dits culturalistes qu’historiques, lesquels ont comme point commun d’abstraire la culture des rapports inter-individuels et, donc, de gommer l’acteur du travail de production et de reproduction d’une culture donnée. La culture des substantialistes part d’un présupposé, d’une définition de la culture comme creuset de connaissances rejetant par conséquent la dimension évolutive des identités au gré du changement social et de la succession des générations. S’inspirant des recherches de E. B. Tylor1, L. W. Pye et S. Verba2 s’enferment par exemple dans

une conception énumérative de la culture qui se résume alors à une somme de croyances, un secteur de connaissances mais qui n’explique en rien les ressorts de celle-ci, le processus de construction qui a été le sien, le rôle des institutions et des acteurs systémiques qui contribuent à asseoir sa légitimité et sa consistance. Ce prisme théorique s’avère rapidement insuffisant pour éclairer ce qui est aujourd’hui la culture séfarade dans le contexte israélien car, loin de représenter un fonds immuable de valeurs ancestrales, la séfaradité3 est directement liée à l’expérience migratoire et à l’insertion au sein de la société israélienne.

L’exemple des deuxièmes et troisièmes générations issues des migrations séfarades des années 50-60 démontre bien les limites de théories qui font des cultures et des identités des entités figées et immanentes. Par leur diversité, les trajectoires individuelles mettent à bas toute tentation

1 Tylor (E.B.), Primitive culture, Boston, 1871.

2 Voir l’ouvrage fondamental des auteurs, Political culture and political development, Princeton, Princeton

University Press, 1965.

3 Néologisme signifiant l’identité séfarade, résultant d’un contact prolongé aux sociétés arabo-musulmanes,

(re)découvert par la confrontation à des sociétés d’immigration (Israël ; France : Canada…) à la suite du processus de décolonisation.

d’explication déterministe des identités. « L’opération du récit identitaire, nous dit Denis-Constant Martin, consiste à tirer de ce réservoir, quelques éléments seulement, à les isoler des autres et à leur donner une signification neuve, de sorte qu’ils ne puissent plus servir à unir mais au contraire manifestent la singularité »1.

1.2)L’HERITAGE SEMIOTIQUE : LA CULTURE COMME « STRUCTURE DE COMPREHENSION » ET COMME BASE A LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE :

Directement inspirée de M. Weber, ce courant de pensée ne s’intéresse pas à la culture en tant qu’abstraction mais a, au contraire, le mérite de renouer avec la tradition compréhensive, laquelle cherche à relier les différents champs de l’action humaine les uns aux autres, l’individu étant alors enserré dans une toile de significations. Ni totalement surdéterminé, ni totalement manipulateur, l’individu lit la réalité sociale et donne un sens à son action à la lumière de son héritage culturel.

Définie comme variable intermédiaire par B. Badie et M-C. Smouts2, la culture en vient à

donner un sens au rapport entre pratiques mobilisatrices et production identitaire. Elle en vient à désigner le code par lequel les acteurs se comprennent dans le jeu social, et, en même temps, la signification particulière que revêtent l’action et les institutions sociales dans chaque collectivité. On perçoit de suite la nécessité qui s’impose alors en termes de contextualisation. Il reste que cette culture politique, partagée par l’ensemble des acteurs politiques, est également soumise à des tensions émanant des sous-cultures présentes au sein de l’espace sociétal. Dans le cas israélien, la culture politique identifiée sous les traits du clientélisme institutionnel est un cadre d’action surdéterminant que pénètrent des forces politiques mues par des appartenances identitaires diverses. Ainsi, structurant les règles du jeu politique, la culture politique sert de vecteur à des revendications particularistes, idéologiques, identitaires et/ou communautaires. Loin de n’être qu’une simple substance dont découlerait une somme de comportements politiques, la culture devient dès lors un formidable élément entrant dans une stratégie politique s’affirmant et s’amplifiant « à mesure que s’expriment autant les différences de culture que les effets d’aggravation du sous-développement et les frustrations issues de celui-ci »3. Se dessine dès lors

le chaînon indispensable pour saisir culture et identité dans une problématique commune. B.

1 Martin (D-C.), Cartes d’identité, Comment dit-on « nous » en politique ?, Paris, Presses de la Fondation

Nationale des Sciences Politiques, 1994, p. 27.

2 Badie (B.)/Smouts (M-C.), Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, Paris, Presses de

Sciences Po et Dalloz, 1999, pp. 25-6.

3 Ibid., p. 38.

Badie et M-C. Smouts repèrent deux façons dont intervient la culture dans la production identitaire ; d’une part ils reconnaissent volontiers que la mobilisation identitaire ne réussit que si les emprunts culturels et leur agencement font l’objet d’une reconnaissance et d’une légitimité de la part de l’individu. La variable culturelle joue d’autre part un rôle intermédiaire en donnant différents sens à l’identité. On peut ainsi expliquer qu’au sein d’un même territoire, d’un même Etat, les identités s’expriment à travers différents modes d’incarnation.

Dans le cas israélien, ces remarques revêtent une portée heuristique particulièrement intéressante puisque s’affrontent différentes conceptions de la nation, de l’Etat et de l’objet politique tant les attributs de judéité sont sujets à interprétations. Nous l’aurons donc compris : nous ne défendrons nullement l’idée d’une culture politique coupée des autres segments sociaux, mais l’image d’un système où ceux-ci interagiraient, produisant des relations à plusieurs sens (compris à la fois comme significations et comme directions).

Ce faisant, parler de « culture politique » signifie admettre l’existence de codes communs, lesquels peuvent cependant être utilisés, tordus, critiqués, voire niés tout en fixant les cadres du jeu politique. La politique étant un théâtre d’expressions humaines, individuelles ou collectives, il convient de ne pas pécher par naïveté et voir qu’indépendamment des discours tendant à rejeter le système, ces discours restent fondamentalement inscrits dans celui-ci. La culture politique n’est donc pas nécessairement homogène ni l’objet d’affiliations automatiques. Elle est le siège de tout un jeu d’expérimentations, d’interprétations voire d’instrumentalisations dont le but demeure la pénétration du système et la lutte pour la légitimité politique. Bien que contestant celle-ci, les partis haredi (particulièrement Shas) dont il sera question au cours de cette étude, demeurent pétris de, et ancrés dans, cette culture politique.

Shas – parti qui porte explicitement un projet de société allant à l’encontre des principes originels de l’Israël moderne – pose cependant un défi majeur, en ce qu’il se fond dans le jeu des institutions politiques et sociales tout en leur octroyant une reconnaissance très limitée. Comment s’opère alors le lien entre la culture politique – entendu au sens d’ensemble de règles du jeu politique – et l’identité construite comme étiquette partisane ? Comment l’établissement de frontières (boundaries, au sens de F. Barth1 ) identitaires marquées et, en apparence, hermétiques

peuvent-elles se concilier si aisément avec une appropriation aussi aisée du dispositif

1 Si l’auteur s’attache aux frontières entre groupes ethniques, il nous semble que les propositions avancées dans

cette étude reprennent des logiques à l’œuvre dans la construction d’une identité séfarade haredi en Israël. Opposée à l’identité ashkénaze, considérée comme out, celle-ci reprend l’idée majeure de F. Barth : proposer une conception dynamique de l’identité – identité qui en vient à se construire dans l’interaction entre les différents groupes sociaux. Voir Poutignat (P.)/Streiff-Fenart (J.), Théories de l’ethnicité suivi de Barth (F.), Les groupes ethniques et leurs frontières, Paris, PUF Le Sociologue, 1995.

institutionnel ? Nous aurons l’occasion d’avancer une réponse à ces questions mais suggérons pour le moment quelques idées sur la notion – centrale dans cette étude – d’identité.

C’est à la convergence de deux courants – le constructivisme et la théorie de la structuration – que nous tenterons de saisir les rapports complexes que l’individu entretient avec son identité. En effet, objet d’interminables discussions entre théoriciens de l’identité, nous appréhenderons celle-ci dans son étroite interaction avec l’acteur et la structure.

La réintroduction, semble-t-il salutaire, de l’influence des représentations et des constructions subjectives auxquelles se livre inévitablement l’acteur social, a atténué ce qui était devenu un véritable diktat objectiviste imposé par des courants tels que le structuralisme et le fonctionnalisme. Le courant de la structuration, incarné par A. Giddens est donc revenu sur ce que défendait cette tradition sociologique, à savoir la primauté du social sur l’individu. En matière de production identitaire, deux notions – construction et routinisation – guideront notre analyse. La première implique une mise en récit, sans laquelle l’individu se trouve dans l’incapacité de se l’approprier, tandis que la seconde s’interroge sur les conditions indispensables à l’intériorisation et à la reproduction de la norme à travers le marquage des corps et la structuration de la quotidienneté.

Il serait cependant risqué d’en déduire une vision substantialiste de l’identité – celle-ci demeurant incapable d’expliquer les crispations que l’on peut constater dans différents contextes nationaux. Soutenant l’idée selon laquelle il existait une corrélation négative entre le processus de modernisation et les revendications identitaires, des sociologues tels que P. Van Den Berghe ne pouvaient éviter de s’interroger sur ces phénomènes contemporains d’éclosions et de réaffirmations identitaires. Dans la lignée de l’hégémonie fonctionnaliste, ils défendaient la thèse selon laquelle l’appartenance à une caste ou à un groupe ethnique devenait incompatible avec l’imposition de normes universelles comme structurants institutionnels. Ils ne faisaient qu’abonder dans le sens d’un T. Parsons qui, en 1966, écrivait que les normes universalistes de la société étaient appliquées de plus en plus largement alors que les solidarités particularistes, telles que celles basées sur l’ethnicité, décroissaient. Pour autant, en 1975 dans un essai intitulé L’universalisation de l’ethnicité, N. Glazer écrivait : « Il y a une perte d’identités traditionnelles et primordiales à cause des effets de la modernisation. Ceci signifie : urbanisation, nouvelles occupations, éducation de masse transmettant une information générale et abstraite, mass media présentant une culture générale et universelle. (…) Cependant, (…) dans une société de masse, s’exprime le besoin d’une sorte d’identité – plus réduite que celle véhiculée par l’Etat, plus large que la famille, quelque chose de plus fin que les allégeances parentélaires ». Il revient notamment

à N. Glazer et D. Moynihan1 d’avoir affiné cette inflexion de la conception ethnique, montrant

comment le contenu culturel de chaque groupe ethnique aux Etats Unis semble être devenu similaire à celui des autres mais que, simultanément, la signification émotionnelle de l’attachement au groupe ethnique semble perdurer. Si l’identité ethnique persiste dans le contexte israélien, c’est précisément parce que toute identité est sans cesse re-construite à partir d’éléments culturels qui, combinés les uns aux autres, font sens dans un contexte social et politique donné.

1.2.1) L’ETHNO-RELIGIOSITE SEFARADE DANS LA SOCIETE ISRAELIENNE :

Si l’art de la production identitaire consiste, pour les agents identitaires, à faire apparaître celle-ci comme naturelle, comme la réaffirmation ou le retour à une tradition réputée préexistante, nous insistons sur le fait que l’ethno-religiosité séfarade est une pure construction dépourvue de précédents dans l’Histoire des communautés juives séfarades. Synthèse de diverses cultures juives – ashkénazes et séfarades, et, au sein du courant séfarade, marocaines, algériennes, yéménites, turques, géorgiennes…– le discours identitaire produit et véhiculé par Shas est innovant en ce qu’il emprunte des éléments émanant de ces divers creusets culturels, pour faire éclore un nouveau référentiel que s’approprient les populations séfarades, celles-ci reconnaissant l’identité produite comme un héritage commun au monde séfarade. Or, il convient de voir que la catégorie même désignant le groupe culturel « séfarade » n’a de réalité culturelle que récente, à savoir depuis les migrations séfarades des années 50-60, c’est-à-dire, paradoxalement, depuis que ce qui constituait le dénominateur commun aux communautés séfarades (la localisation dans des sociétés arabes) a disparu.

En conséquence, l’identité produite par l’organisation partisane étudiée est une identité à deux termes – séfarade et haredi –, se nouant autour de codes culturels empruntés, réinventés et agencés de manière à créer une identité reconnue car inscrite dans un contexte spatial et temporel, reproduite grâce à l’action de cadres d’interaction. Loin de naître ex nihilo, cette identité ethno- religieuse fait siennes les règles du jeu systémique, réintroduisant, par conséquent, des éléments propres à la culture politique israélienne, eux-mêmes réinterprétés à travers le prisme ethno- religieux dessiné.

A partir de cette signalétique théorique, tentons d’en apprendre davantage sur l’identité partisane construite, affirmée et reproduite par le parti Shas. Pour ce faire, il est un des marqueurs identitaires à ne pas négliger : l’étiquette du parti, véritable label, doit instantanément « parler »

1 Voir notamment Glazer (N.)/Moynihan (D.), Ethnicity: theory and experience, Cambridge, Harvard University

Press, 1975.

aux électeurs potentiels. Aussi, analyser et expliquer la construction de l’acronyme Shas nous apprend beaucoup sur la traduction politique des valeurs véhiculées par le parti.

1.2.2) LE NOM DU PARTI COMME REDUIT DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE :

Nous le savons, le choix d’un nom et d’une bannière est un enjeu majeur pour toute organisation partisane, car de lui dépend la représentation première que les électeurs se feront d’elle. Le nom est, par conséquent, étiquette, condensé de valeurs, du projet, des principes d’action – en un mot de l’identité que véhicule le parti. La double signification que revêt le mot « Shas » nous informe d’emblée du caractère ambigu et de la nature complexe de ce parti.

Le sens premier de Shas est contenu dans l’acronyme formé à partir des termes hébreux Shomreï HaTora Sfaradim (ShHaS) – l’expression signifiant « les Gardiens Séfarades de la Torah ». La première chose qui frappe est l’affichage clair d’une identité partisane qui prend ses racines dans deux sources principales : la première est religieuse avec une place centrale (au sens propre comme au sens figuré) accordée à la Torah ; la seconde est ethnique, évoquée à travers la mention « séfarade ».

Nous écrivons « parti » alors même que le second élément qui frappe est précisément l’absence manifeste de toute référence à une quelconque organisation partisane, voire à un quelconque objet politique. En outre, aucune référence n’est faite à la nation israélienne ou aux fondements démocratiques du régime. L’absence de signifiants tels que « parti », « union », « démocratique », est un renseignement non négligeable quant à la substance du projet organisationnel. Ce silence des mots semble en effet sous-entendre que Shas n’évolue pas à proprement parler sur le même niveau que les autres mouvements politiques. Il se situe d’emblée dans un univers parallèle, voire à un niveau supérieur, contraint de pénétrer la sphère politique pour atteindre les objectifs issus de la convergence ethno-religieuse. Rétifs à la terminologie propre aux organisations partisane, les dirigeants et les militants de Shas parlent d’ailleurs de « mouvement » (tnouha) et non de parti (miflaga) afin de s’octroyer un supplément de pureté. Accusé de tous les maux et notamment de cliver un Peuple – Am Israel – qui, selon eux, doit au contraire être uni autour de la Torah, la figure du parti en vient à situer Shas sur un autre plan et sur une autre échelle temporelle. Symbole de divisions actuelles, le parti est en effet appelé, dans le discours de Shas, à être dépassé par une organisation totalitaire qui unifiera le Peuple d’Israël dès l’arrivée du Messie (Machiah). Typique des partis anti-système ou protestataires, cette rhétorique du « mouvement » se retrouve dans la communication de nombreux partis extrémistes. Du nom « Shas » transparaît donc déjà une stratégie oppositionnelle, laquelle est immédiatement

renforcée par la notion de « garde » qui évoque des sentiments tels que le danger, la veille et la méfiance à l’égard de ce qui est étranger au groupe (out).

Si l’ancrage religieux était d’ores et déjà évident par la centralité affichée de la Torah, celui-ci est accentué par le second sens que comporte le terme Shas. Ce dernier revêt en effet une signification religieuse puisque le terme désigne traditionnellement l’ensemble des ordres qui composent le Talmud de Babylone. La référence à celui-ci, bien que reconnu comme l’autorité suprême par les séfarades et par les ashkénazes, réaffirme le rapport étroit entretenu par le judaïsme séfarade avec l’héritage irako-babylonien. Vu sous cet angle, « Shas » est un acronyme issu de deux termes hébreux : Chicha Sdarim – littéralement les Six Ordres (du Talmud). Le terme était utilisé comme substitut par les censeurs chrétiens du Moyen Age, notamment sur les terres séfarades de l’Espagne Inquisitoriale. Opposés au terme « Talmud », ils lui substituèrent le terme de « Guemara » et en quelques occasions celui de « Shas ».

Cette parenthèse historico-théologique permet de montrer comment, par le jeu de la double signification, les leaders du mouvement parviennent à afficher leur appartenance à un certain groupe : les haredim séfarades. A la convergence de l’innovation et de la tradition, l’identité « séfaradiste » est en effet créée à partir d’héritages juifs multiséculaires. L’innovation se situe moins dans la création d’attributs identitaires que dans l’agencement des attributs préexistants. Il en découle une sédimentation de plusieurs couches dont certaines issues des traditions séfarades – car la séfaradité n’est bien évidemment pas homogène, celle-ci résultant d’apports civilisationnels et diasporiques différents – de l’éducation ultra orthodoxe ashkénaze – les leaders du mouvement Shas étant issus des yeshivot1 ashkénazes – et d’une socialisation

secondaire voire, pour les plus jeunes, primaires inscrite dans le contexte israélien.

L’identité créée est donc faussement ou insuffisamment réductible au seul référent séfarade, celui-ci n’ayant d’ailleurs émergé que tardivement, alors même que le dénominateur commun des communautés séfarades (la localisation au sein de sociétés arabes) disparaissait. S’interrogeant sur les migrations pieds-noires en Israël comme en France, S. Trigano explique que « la gamme identitaire sur laquelle ils jouaient leur partition y était en effet très large, conjuguant de multiples allégeances en même temps, ce qui les dispensait d’une définition d’eux-mêmes, par principe, limitative. Or, avec le départ, ils se retrouvaient pieds-noirs parmi les pieds-noirs,

1 Le terme désigne les centres d’études talmudiques qui étaient originellement des institutions éducatives, mais

aussi des tribunaux rabbiniques et des centres de diffusion des responsa (terme latin désignant les réponses écrites concernant des problèmes de loi et d’érudition juives apportées par des experts du Talmud) rabbiniques. Aujourd’hui elles se cantonnent pour l’essentiel à la mission d’enseignement religieux, même si elles revêtent souvent, dans le contexte israélien, une fonction évidente de socialisation politique.

déplacés en métropole, immigrés parmi les Israéliens, étrangers parmi les nord-américains, séfarades parmi les ashkénazes. (…) Le phénomène le plus fort à cet égard semble bien avoir été la dénomination elle-même de « séfarade », jusqu’alors perdue dans l’oubli et qu’en règle générale ils ignoraient totalement avant qu’elle ne leur revienne massivement des suites de leur rencontre avec d’autres Juifs, les ashkénazes. Ils se pensaient juifs uniquement, et voici qu’ils se retrouvaient restrictivement, limitativement « séfarades » au sein d’un Peuple juif plus grand qu’eux (…). Il fallut ainsi réintégrer cette dimension devenue désormais centrale (…) »1. Les

implications psychologiques d’un tel déracinement et de cette expérience traumatisante de transplantation2 conduisirent à l’éclosion d’une identité séfarade à partir de laquelle les

populations immigrées firent l’apprentissage des codes nécessaires à l’insertion au sein des nouveaux pays d’accueil. Sorte de prisme servant à l’interprétation de la nouvelle situation politique et sociale, la séfaradité se construisit dans l’acte migratoire, paradoxalement dans une période historique où les Juifs des pays maghrébins se trouvaient en voie d’assimilation. Forcés de