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Spider-Man (2002) : le superhéros en tant que jeune homme

Dérives du corps monomythique 1.2

1.2.4. Spider-Man (2002) : le superhéros en tant que jeune homme

A partir de 2000, on constate en effet une évolution notable qui pervertit ce modèle initial. D'une certaine manière, on pourrait se croire revenu en arrière par rapport aux principes fondateurs décrits ci-dessus. A côté du Urkörper idéal l'on voit apparaître le corps d’adolescent malingre de Peter Parker/Spider-Man, le grand gagnant du vingt-et-unième siècle avec 2,5 milliards de dollars de recettes sur trois films, qui, de fait, ne parviendrait pas à remplir les costumes des deux premiers superhéros tant sa silhouette est frêle. Ces variations des corps ne sont pas anodines. Elles sont également un indicateur de taille en ce qui concerne l'importance des superhéros dans la culture populaire. Sur ce simple plan il y a décroissance, et donc une certaine forme de déclin.

Le nouveau siècle propulse en effet sur le devant de la scène un adolescent transhumain boutonneux. Les manifestations de cette immaturité commencent par une évolution métaphorique de la symbolique du bras tendu. Ce bras, précédemment inerte autant que rigide, se dynamise et devient jaillissement. Iron Man éjecte de la lumière de son corps ; Wolverine sort des griffes de ses deux bras ; Spider-Man, surnommé le webslinger (ou lanceur de toiles), découvre à son grand étonnement que son corps peut expulser une substance blanche collante. L’analogie n’échappera pas au lecteur perspicace. Clairement nous ne sommes plus dans le même registre. De l'homme mûr d'avant 2000 nous sommes passés, implicitement, à un Spider-Man, affreux jojo masturbateur, qui manque singulièrement d’aura pour servir d’exemple à sa communauté. Laquelle communauté n'est d'ailleurs pas dupe. A la fin de Spider-Man 2 (2004), lorsque l'Homme-Araignée s'effondre après avoir sauvé in extremis les passagers d'un métro aérien, les gens qu'il a sauvés se précipitent à son secours, lui retirent son masque pour l'aider à respirer, puis s'exclament, médusés : « Mais ce n'est qu'un gosse !143 »

Les X-Men fonctionnent sur ce modèle, dont l’intérêt, selon Dick Tomasovic, réside dans « la conjugaison de questions identitaires, psychologiques et sociales. Le corps des personnages est

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CROSS, Gary S. Men to Boys: The Making of Modern Immaturity, New York; Chichester: Columbia University Press, 2010, page 23. C’est le même constat que l’on retrouve chez d’autres auteurs, comme GARCIA, Guy. The Decline of Men: How the American Male Is Getting Axed, Giving Up, and Flipping Off His

Future, New York: Harper Perennial, 2009. Garcia stigmatise « ces hommes qui prétendent être des

adolescents ».

toujours soumis à une double problématique, celle du bouleversement psychologique (la crise de la puberté) et celle de l’organisation sociale (comment vivre en société la différence)144 ». Analysant les thèmes paranoïaques des deux premiers X-Men, il commente : « Ces deux fictions pour public adolescent abordent, comme dans d'innombrables films produits chaque fois que l'Amérique s'est sentie menacée, le thème de la peur de sa propre identité, et font précisément du corps l'endroit du doute et de la menace du surgissement de l’altérité.145 »

Illustration 20 : Le bras et son prolongement sont censés être le siège traditionnel de la masculinité du superhéros, et non pas une source d’étonnement. De gauche à droite : Iron Man (2008), X-Men

Origins: Wolverine (2009), Spider-Man (2002).

Le superhéros des années 2000 découvre donc implicitement un corps qui est singulièrement différent du modèle initial. Sur le simple plan de la masse corporelle la comparaison est éloquente. Le corps de Spider-Man ne représente pour ainsi dire que 75% du corps de Superman, voire moins. On a perdu au passage un quart de substance sur quantité d'autres plans. Ainsi Superman offre une mâle assurance, là où Spider-Man n'est, pour autant que l'on puisse observer, que doute et faiblesse. Il y a bien déclin. On est passé d’un corps dur à un corps mou, pour reprendre la dichotomie de Jeffords. On est aussi passé d’un corps humain à un corps transhumain ou mutant, qui n’est donc plus intègre. Par exemple, Spider-Man est homme, mais avec des capacités d’araignée.

Il faut attendre 2011 et Captain America pour que le superhéros reprenne enfin sa stature originelle. Si l'on doit reconnaître un seul mérite à cette production c'est bien de tenter le retour à des normes physiques plus conformes au modèle des débuts du genre sur grand écran, et d'oublier le corps d'adolescent de Peter Parker pour réinstaller celui, plus massif, de Clark Kent. Ce qui ne

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TOMASOVIC, Dick: « Mutatis Mutandis : les spectacles du corps paranoïde. Renouveau des agents mutagènes à Hollywood », in GUIDO, Laurent (Dir.). Les peurs de Hollywood. Phobies sociales dans le

cinéma fantastique américain. Lausanne (Suisse): Antipodes, 2006, page 253.

sera pas forcément au goût des féministes, Susan Faludi en tête, comme nous le verrons plus tard, page 118 et suivantes.

La transformation physique de Steve Rogers en Captain America, après l’expérience scientifique qui en fait un superhéros (triptyque ci-dessus), pourrait servir de publicité pour la méthode de Charles Atlas146, selon le modèle marketing éprouvé du « avant/après ». La question légitime que l'on peut se poser est celle de savoir si cette parenthèse de dix années est véritablement terminée. Ou non.

Illustration 21 : Captain America (2011) impose une mutation définitive au superhéros moderne, du corps de Steve Rogers à celui du Premier Vengeur masqué. Il ne reprendra jamais sa taille initiale. La

métamorphose paraît tirée d’une publicité Charles Atlas (image de gauche).

La comparaison trouve des résonances sur d'autres plans que les stricts volumes corporels, si l’on veut bien admettre que le produit culturel superhéroïque est le reflet de la société qui l’a produit. Considérons les présidents américains Ronald Reagan (1981-1989) et George W. Bush Junior (2001-2009). L'un est plus grand que nature, une sorte de Superman, avec un visage buriné d'homme de fer baladé dans les westerns des années 1950 ; l'autre offre l’image d’un « Everyman » lors de son élection de 2004, comme le note John O’Sullivan :

All presidencies are shaped powerfully by the president’s personality. But the Bush presidency seems more personal, even impulsive, and less influenced by either party or ideology than most. In which case the quality of Bush’s personality becomes all-important. And just as compassionate conservatism lacks a guiding « governor, » so the

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Charles Atlas (1892-1972) était l’inventeur d’une méthode d’exercice physique, capable de transformer un gringalet en gorille, populaire dans les années 1930. L’itinéraire personnel de Charles Atlas est intimement lié à l’histoire de Superman. Voir à ce sujet : JONES, Gerard. Men of Tomorrow: Geeks, Gangsters, and the

Bush personality seems to lack a similar mechanism of impulse control.147

Le manque de contrôle évoqué dans cette citation rappelle la silhouette gauche de Spider-Man. De Superman à Everyman : le contraste est dès lors flagrant. Le préfixe augmentatif du premier s’est mué en apanage de tous les jours, de tous les hommes. Ne s’agit-il pas, par le fait même, d’une déchéance ? George W. Bush est fils de, avant que d’être père de la nation. Il se lance à l’assaut de l’Irak sous le signe du père, pour terminer le travail que Bush Senior (1989-1993) a commencé, et écarter Saddam Hussein du pouvoir.

De la même manière toute la période superhéroïque de 2001 à 2005 est sous le sceau du fils plutôt que du père : d'une stature moindre ; d'un rayonnement moindre ; un être de doutes plus que de certitudes ; mal à l’aise en société ; un gosse et non plus un homme.