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Gender : femmes et minorités

1.3.9. Les mutants et la figure de l’ennéagramme

Revenons un instant en arrière, pour nous pencher sur le cas des minorités, qui, selon Bukatman, se sont engouffrées dans la brèche ouverte par les revendications des femmes et des homosexuels dans les années 1990. La « tokenization » effective des minorités, c’est-à-dire la présence aux quatre coins de l’écran de représentants des femmes, d’homosexuels des deux sexes, de diverses communautés ethniques (afro-américaine, asiatique), ouvre la voie d’une franchise où chacune de ces tendances est incarnée par un superhéros. C’est l’avènement des X-Men (2000).

252

Batman Begins (2005) et Superman Returns (2006).

253 1989 est la date du premier Batman sur grand écran.

Tableau 23 : Recettes de la franchise X-Men de 2000 à 2011

Franchise X-Men Studio Recettes intérieures 255 Salles Date

X-Men Fox $157.299.717 3,112 14-juil.-2000

X2: X-Men United Fox $214.949.694 3,749 5-févr.-2003

X-Men - The Last Stand Fox $234.362.462 3,714 26-mai-2006

X-Men Origins: Wolverine Fox $179.883.157 4,102 5-janv.-2009

X-Men - First Class Fox $146.408.305 3,692 6-mars-2011

Le succès de la franchise X-Men remet en cause le modèle monomythique (et, par le fait même, la structure narrative) imposé par Superman, Batman ou Spider-Man. Nous nous sommes longtemps demandé comment était organisé le discours narratif de ces cinq films, entre 2000 et 2011256, au-delà de la lecture jungienne que nous en proposons au point 2.3.4 (laquelle ordonne la diégèse autour de cet acteur central qu’est le spectateur). Car il s’agit d’un succès stable, qui ne s’est pas démenti en quelque dix années. La structure narrative des films X-Men nous semble reposer sur une technique de caractérisation des personnages que nous avions rencontrée dans notre activité de scénariste : l’ennéagramme.

Illustration 47 : La figure de l’ennéagramme

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Ces chiffres représentent à chaque rang environ 40% des recettes mondiales.

256 L’épisode consacré à Wolverine constitue une anomalie narrative dans ce groupe, puisque ce dernier texte est monomythique par nature. Certains autres X-Men n’y font qu’une apparition qu’au titre d’adjuvant(s).

Le modèle psychologique de l’ennéagramme, très en vogue depuis une vingtaine d’années dans le domaine de la programmation neurolinguistique, serait l’œuvre de l’ésotéricien arménien Georges Gurdjieff, qui a par ailleurs toujours démenti en être la source (sans pour autant en révéler l’origine). On cite les sept péchés capitaux257 comme l’inspiration première de cette définition des types humains selon leurs passions, mais le mérite de cette taxonomie des comportements humains reviendrait à l’ascète chrétien Évagre le Pontique258, qui usa d’une classification en neuf traits fondamentaux (λογισμοι) bien avant Grégoire Ier. Lepremier de ces défauts était l’amour de soi, et les huit autres : la gourmandise, l’avarice, la paresse (spirituelle, ou acédie), le chagrin, la luxure, la colère, l’envie, et l’orgueil. Ce modèle a été détourné de son axe premier avant la Deuxième Guerre mondiale par Gurdjieff, qui recensa subséquemment chez l’homme neuf types psychologiques distincts : le réformateur, l’assistant, le faiseur, l’individualiste, l’enquêteur, le loyaliste, l’enthousiaste, le challenger, le pacificateur. Son travail, baptisé du nom d’ennéagramme, fut révélé au monde par les Chiliens Oscar Ichazo et Claudio Naranjo, lequel l’importa en Californie dans les années 1970. L’ennéagramme, considéré comme le fondement de la psychologie comportementale, s’est répandu dans un certain nombre de disciplines scientifiques et théologiques. Il a été popularisé pour le cinéma et la littérature par Judith Searle259, avec des applications concrètes dans le domaine de l’écriture scénaristique.

Selon l’Ennéagramme, les types de personnage que l’on retrouve couramment dans le cinéma américain sont les suivants:

Tableau 24 : Les neuf types de l’ennéagramme

1. Critic 4. Aesthete 7. Optimist 2. Lover 5. Analyst 8. Trail-Blazer 3. Achiever 6. Pessimist 9. Connector

257

Le principe moral des sept péchés cardinaux revient au Pape Grégoire Ier, dit le Grand, dans les années 570, et leur vulgarisation au Moyen Age au dominicain Thomas d'Aquin (vers 1250).

258

Evagrius Ponticus (Εὐάγριος ὁ Ποντικός - 346-399).

259

SEARLE, Judith. The Literary Enneagram: Characters from the Inside Out. Portland, Or.: Metamorphous Press, 2001. Voir les sites http://www.enneagramme.com, pour l’ennéagramme en général, et

Pour illustrer l’un de ces types, voyons l’exemple littéraire donné par Judith Searle elle-même :

Hamlet as Enneagram Six:

Hamlet is one of the most complex of all literary characters, so to account for his contradictory qualities would be an acid test of any system that claims to classify human temperaments.

In Enneagram terms, Hamlet is a Six (The Pessimist), preoccupied with worst-case scenarios, mistrustful, continually testing the loyalties of friends and family, often immobilized by his fears. The "To be or not to be" soliloquy, a distinctively Six interior monologue, illustrates the type's fundamental anxiety and contradictions. Hamlet's character arc--beginning with a fearful inability to act, moving through rash and counterproductive actions to a final calm acceptance of his destiny--is predicted by the inner lines of the Enneagram diagram. 260

Chaque type peut-être assisté d’un sous-type qui le complète261 , à la manière d’un signe astral et de son ascendant. On peut ainsi avoir dans un film un protagoniste de type amant pessimiste, ou bien par exemple un découvreur critique. L’ennéagramme trouve donc son application dans n’importe quel discours narratif.

Illustration 48 : Documents marketing de X-Men The Last Stand (2009) et First Class (2011) : neuf personnages de part et d’autre de la ligne.

260 SEARLE, Judith. «The Write Way, Character Development ». Blog Page One Lit, 2003. Dernier accès le 3 août 2013. URL : http://www.pageonelit.com/WriteWay/JSearle.html.

261

Les types 8, 9 et 1 se réfèrent à l’instinctuel ; les points 2, 3 et 4 à l’émotionnel ; et les profils 5, 6 et 7 au mental. Ces trois pôles correspondent aux trois types de la psychanalyste néo-freudienne Karen Horney, également à la mode pour la construction d’un personnage de cinéma : agressif, replié sur soi, conciliant.

En quoi l’ennéagramme concerne-t-il les superhéros américains ? La réponse est simple : l’ennéagramme est utilisé au premier chef dans les films superhéroïques polymythiques tels les

X-Men, qui, rappelons-le, est la seule franchise avec des superhéros multiples à concurrencer

commercialement les films monomythiques. Le coup de génie de ces films est d’utiliser en parallèle un éventail complet des neuf types, faisant neuf protagonistes distincts d’une brochette, hétéroclite par définition, de neuf superhéros. Ceux-ci deviennent forcément plus complémentaires qu’antagonistes.

En dehors de l’univers superhéroïque des films chorals (ensemble films), comme Crash ou

Magnolia, font également usage de ce modèle. L’ennéagramme est aussi utilisé dans les séries TV

comme Heroes. Cette tendance se remarque également dans la série Lost (excepté la première saison, qui suit jusqu’à onze personnages distincts) et quelques autres. Notons à ce propos qu’il existe bien sûr d’autres typologies psychologiques en vogue à un moment ou à un autre à Hollywood. C’est par exemple le cas des types de Myers-Briggs262, basés sur une approche jungienne de la personne. Mais l’ennéagramme s’est largement imposé aujourd’hui en Californie, qu’il s’agisse de la télévision ou du cinéma.

Illustration 49 : Heroes - Neuf héros ordinaires pour sauver la pom-pom girl.

Les neuf types de l’ennéagramme sont les mêmes que ceux que l’on rencontre évidemment dans toute société humaine. Par conséquent n’importe quel spectateur peut et doit trouver dans les

262 Le MBTI or Myers-Briggs Type Indicator date de 1943. Le test compte sur 4 critères de base, mutuellement exclusifs, pour évaluer un individu : Extraverti/Introverti, raiSonné/iNtuitif, pensanT/ressentant (F pour Feeling), jugeant/percevant. Le bilan se présente sous la forme de 4 majuscules issues de ces mots. Par exemple Superman est vraisemblablement un type ISTJ. Au final, et avec les différentes combinatoires des sous-types associés, le MBTI recense 16 types d’individu (4 fois 4).

neuf personnages distincts, dont les péripéties lui sont relatées, un type qui lui corresponde. Il n’est donc plus question pour lui d’entrer dans la cote mal taillée d’un superhéros que nous appellerons universel : unique, homme, blanc, hétérosexuel, chrétien, WASP263, ni d’adhérer à des vertus idéalisés qui ne renverront pas à ses 11% de conception du monde. Il peut donc s’identifier, inconsciemment, avec l’un des neuf héros qu’on lui propose à l’écran. Les X-Men apparaissent donc à première vue comme l’antithèse de Superman.

Le tableau ci-dessous recense les neuf identités doubles des protagonistes264 de la franchise X-Men (2000-2011). On constatera que les noms ne sont pas forcément très connus du grand public, à part ceux de Wolverine et Storm (interprétés respectivement par Hugh Jackman et Halle Berry). Ce qui prouve que les X-Men imposent, plus que des superhéros à l’ancienne, un groupe de superhéros moindres : des héros (mutants) ordinaires, singuliers par leur diversité, tant physique, ethnique, sexuelle (genre strict et préférences), religieuse, ou bien de classe d’âge ou de sous-culture, etc.

Tableau 25 : Les X-Men (2000) et les neuf types

Logan-Wolverine (3) Ororo Munroe-Storm (2) Bobby Drake-Iceman (9) Raven Darkholme-Mystique (8) Rogue-Marie (6) Jubilation Lee-Jubilee (7) Jean Grey/Phoenix (1) Kitty Pryde-Shadowcat (5) Scott Summers / Cyclops (4)

Ramzi Fawaz parle de « mutanité » à leur sujet, et non plus d’humanité :

By expanding the racial, geographic, and gender makeup of the mutant species to include characters and identities previously ignored by the series, the new X-Men articulated mutation to the radical critiques of identity promulgated by the cultures of women’s and gay liberation.265

263 « White Anglo-Saxon Protestant ».

264

On notera que les deux entités supérieures que sont Charles Xavier et Eric Lensherr/Magneto ne sont pas prises en compte ici (voir chapitre sur la psyché des superhéros). Les superhéros adversaires de ce premier groupe n’ont qu’une seule identité déclarée : celle de leur superentité (voir chapitre sur les dilemmes intérieurs du superhéros).

265

FAWAZ, Ramzi. « ’ Where No X-Man Has Gone Before!’ Mutant Superheroes and the Cultural Politics of Popular Fantasy in Postwar America », American Literature, Volume 83, Number 2, Duke University Press , June 2011, page 363.

Notre propos n’est pas d’entrer dans les arcanes de ce modèle psychologique (et recette à succès) qu’est l’ennéagramme, mais nous avons tout de même attribué à chacun des personnages ci-dessus son type ennéagraphique, entre parenthèses à la suite de son nom. Ce sont des notions que l’on retrouve sur de nombreux forums en ligne consacrés à ce modèle et aux X-Men. Nous constatons que ce modèle, et par le fait même son acceptation dans les salles obscures, contribue à notre thème central.

On trouve deux autres types similaires de héros multiples, sur petit écran : Les 4400 et Heroes. Le second a beaucoup fait avancer notre raisonnement.

1.3.10. Cheerleader contre Quarterback : la guerre froide du XXI

ème

siècle

Heroes266est une série télévisuelle unique en son genre pour deux autres raisons : la destruction de la ville, New-York, n’est pas provoquée par le méchant, mais par la dispersion de multiples pouvoirs en de multiples individus ; la série vante les mérites de la femme, ou de la jeune fille, qu’est la majorette, laquelle a un air de parenté avec les superhéroïnes de par son uniforme (cf. illustration page 151). Le slogan de Heroes dit : « Save the cheerleader, save the world ! ». Comment interpréter ces observations pour un genre qui laisse généralement à la femme des rôles secondaires, voire subalternes ? A l’intérieur des divers univers superhéroïques, nous avons vu que la femme est généralement plus crédible comme acolyte qu’en tant que superhéroïne. Pourquoi alors Heroes substitue-t-il la pom-pom girl au quarterback en lieu et place du héros, dans une curieuse redirection des courants du vingtième siècle ? Dans le décor connu d’un stade de football américain Heroes oppose la majorette au quarterback. Cela revient-il, idéologiquement, à opposer la pensée unique à la pensée diversifiée dans un monde moderne qui n’a que faire de stéréotypes ? Ou bien encore à opposer le masculin et le féminin ?

Un tel texte semble consacrer l’inexorable déclin du superhéros au travers de ce que nous avons qualifié plus tôt d’une thématique de l’éclatement. Ce point nous parait d’autant plus intéressant, dans le cas de la série Heroes, que la mission numéro un de Sylar, un méchant exceptionnellement réussi dont le vrai nom est Gabriel Gray267, est de regrouper en son seul sein et en sa seule personne la totalité des superpouvoirs qu’il rencontre ainsi égaillés sur la planète entière. Gabriel

266

Tout au moins dans sa première saison. Les saisons suivantes sont qualitativement moins intéressantes.

267

Onomastiquement, Sylar est donc représenté par la couleur grise. Son prénom, Gabriel (ג ַּבְ רִיאֵל, soit Gavri'el), n’est pas sans rappeler le vrai nom de Superman : Kal-El. Il y a un lien symbolique entre l’un et l’autre.

Gray/Sylar est le patient zéro du Professeur Chandra Suresh, responsable scientifique du programme de mutants de la série. Il a été recruté, avant le début de la série. En cela il prédate tous les autres mutants. Son nom complet : Gabriel Gray, n’est pas sans rappeler par l’allitération de ses initiales (/g/) d’autres noms de superhéros à la ville, tels Peter Parker (/p/), ou Clark Kent (/k/). Par ailleurs, Sylar est horloger, gardien symbolique du temps et de la continuité historique. Sa spécialité est la montre. Le terme anglais « watch » est à entendre ici dans une acception étendue (au verbe « to watch »). Métaphoriquement, Gabriel Gray/Sylar est à la fois celui qui observe et qui veille. Il n’est pas très éloigné, onomastiquement, des Watchmen d’Alan Moore. Pour les raisons évoquées ci-dessus il est, d’une certaine manière, l’archétype (restauré) du monomythe.

Illustration 50 : Slogan de la série Heroes : « Save the cheerleader, save the world! »

Curieusement, et de manière tout à fait paradoxale, n’avons-nous pas affaire à un superméchant qui veut ré-agréger ce qui est éparpillé ? Sylar ne cherche-t-il pas avant tout à reconstruire un corps superhéroïque unique ? Alors pourquoi est-il qualifié de superméchant ? L’ensemble de ces éléments et questions sont-ils opposables ou applicables aux superhéros de cinéma ? S’agit-il d’un phénomène isolé ou bien d’une tendance avérée, d’un mème solide sur lequel fonder une interprétation ? Heroes apporte, selon nous, des réponses fondamentales à ces questions.

Cette série est importante dans notre raisonnement268, car elle est pour nous le lieu symptomatique de toutes les tensions du discours narratif superhéroïque au vingt-et-unième siècle. Deux modèles de protagoniste s’y affrontent : celui, unique, du monomythe, à celui des ennéagonistes (si l’on nous autorise ce néologisme), soit donc neuf protagonistes pour un seul récit, tel que mis en avant par la franchise X-Men. Il s’agit d’une opposition au sens le plus strict, et la bataille fait rage, comme on peut le voir, par exemple, dans X-Men - The Last Stand (2006), film dans lequel Jean-Grey/Phoenix (Famke Janssen) affronte jusqu’à la mort la troupe emmenée par Wolverine, mutant dont le corps a la forme exacte de celui de Superman.

Nous avons donc assisté depuis 1978 à une prise du pouvoir par les femmes dans le monde superhéroïque. La femme s’y impose non pas par ses superpouvoirs, dans le locus de l’imaginaire, mais par un pragmatisme solidement ancré dans le réel. Plus elle perd ses superpouvoirs, plus elle gagne en force et en puissance. C’est elle qui mène la danse, à l’instar de Mary Embrey dans

Hancock (2008), choisissant de taire son pouvoir et sa vraie nature face au surhomme éponyme qui

choit et déchoit. C’est la femme qui rebâtit le foyer superhéroïque autour de notions plus terre à terre, comme Heidi Parr dans The Incredibles (2004), balayant toute nostalgie d’un monde disparu pour donner un avenir à ses enfants, sauver son époux et reconstruire son couple. Dans les années 2010, les exemples de ces filles et femmes qui prennent les armes aux côtés d’un héros défaillant ne manquent pas. Le spectre va de la Hit Girl de Kick Ass (2010), une fillette qui balaie tous les clichés du gender en tuant à qui mieux mieux sous le regard attendri d’un père affaibli (Nicolas Cage, dont le costume ressemble à celui de Batman) qui lui a tout appris, à Pepper Potts dans Iron

Man 3. La fidèle secrétaire, et quelquefois flamme de l’homme d’affaires, fait passer de vie à trépas

le méchant du film, alors que Tony Stark se contente de piloter à distance une escouade de robots volants. Hors superhéroïtude, Maya (Jessica Chastain) en fait de même dans Zero Dark Thirty (2012), mais les robots qu’elle utilise sont en fait des NAVY Seals de chair et de sang, qu’elle téléguide jusqu’à Ben Laden. En quelque sorte, elle devient une superhéroïne, comme le démontre Serge Tisseron dans Cerveau & Psycho269.

La cheerleader contrôle le quarterback. On pourrait dire, d’une certaine manière, que c’est la

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Dans ses deux premières saison uniquement. Les saisons suivantes ont graduellement perdu en acuité et en qualité intrinsèque, en même temps que la série perdait le superméchant Sylar, évoqué plus haut. Ce dernier apparaît dans la dernière saison, le cerveau lavé : il n’est que l’ombre de lui-même, après avoir subi la bagatelle de huit opérations. Il est donc devenu un homme neuf. Voir l’évocation de

l’ennéagramme dans les pages qui suivent.

269 TISSERON, Serge, « Zero Dark Thirty , le monstre, l’héroïne et l’Amérique », in Cerveau & Psycho n°57, mai-juin 2013, pages 12-16.

majorette qui est désormais garante des projections fantasmatiques du rêve américain quand le

quarterback ne parvient plus à assurer la victoire de son équipe et à faire fantasmer les foules

globales270. Mais pour tous ces exemples, nous restons encore dans des références strictement patriarcales. L’enjeu, comme on l’entrevoit grâce au slogan de la première saison de Heroes (2006), devient alors : « save the cheerleader, save the world! ». Oui, la femme est clairement l’avenir du

superhomo americanus, à la télévision comme au cinéma. Qu’elle s’appelle Claire Bennet271 dans l’exemple qui précède (c’est à la fois « clair et bien net », aurait pu dire Lacan), Isabelle Tyler dans les 4400 (2004-2007), femme métissée qui grandit trop vite (l’hypermaturation est l’un de ses nombreux pouvoirs), la femme offre plus de possibles qu’un superhéros groggy qui n’en peut mais, après l’effondrement du 11 Septembre 2001. La femme porte l’enfant de Superman Returns (2006), elle éduque John Connor quand son futur père tombe au champ d’honneur. Elle transmet la vie ; elle éduque l’espoir, puis s’éteint comme Lily Moore Tyler272 ou bien Sarah Connor (qui est elle aussi devenue une série TV), ou bien la Fox de Wanted (jouée par Angelina Jolie). La femme prend le relais quand le surhomme décline et faillit. C’est en cela qu’elle lui est opposée.

Cependant, nous ne pouvons pas nous contenter d’une stricte opposition binaire homme-femme, comme le suggère Judith Butler :

If one `is' a woman, that is surely not all one is; the term fails to be exhaustive, not because a pregendered `person' transcends the specific paraphernalia or its gender, but because gender is not always constituted coherently or consistently in different historical contexts, and because gender intersects with racial, class, ethnic, sexual, and regional modalitites of discursively constituted identities. As a result, it becomes impossible to separate out‘gender’ from the political and cultural intersections in which it is invariably produced and maintained.273

L’étiquette « femme » que nous utilisons dans cet argumentaire doit être étendue à d’autre intersections sociales, politiques et culturelles, selon les critères d’une diversité raciale, sexuelle, etc. Elle oppose donc l’éternel masculin, le patriarcat, à ce qui ne l’est pas (et non pas à la seule femme, stricto sensu).

270

A rapprocher du film à succès The Blind Side (2009), dans lequel une ex-majorette (Sandra Bullock, oscarisée) remotive et remet en forme Michael Oher, un quarterback sans domicile fixe. Ce film, qui s’inspire d’un fait réel, a une résonnance particulière dans le cadre de notre travail.

271

Heroes, 2006-2010.

272

Les 4400 (2004).

273 BUTLER, Judith. Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity. New York: Routledge, 1990, page 3.