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L’Age des Lumières (1978-1989), couleurs primaires et blanc originel

Variations chromatiques des superhéros 2.2

2.2.4. L’Age des Lumières (1978-1989), couleurs primaires et blanc originel

Tableau 28 : Les films de l’Age des Lumières

15 Superman WB $134,218,018 12/15/1978 19 Superman II WB $108,185,706 6/19/1981 28 Superman III WB $59,950,623 6/17/1983 43 Flash Gordon Uni. $27,107,960 12/5/1980 49 Hero at Large MGM $15,934,737 2/8/1980 50 Superman IV - The Quest for Peace WB $15,681,020 7/24/1987 52 Supergirl TriS $14,296,438 11/21/1984 60 Sheena Col. $5,778,353 8/17/1984

A analyser le tableau ci-dessus, on se rend compte que la dizaine de films de superhéros de 1978 à 1987 ont au moins un point commun : la lumière, dont l’éclat et le brillant sont présents jusque

292 Ces médailles se réfèrent essentiellement à la qualité du papier utilisé pour imprimer les comics, et sur les améliorations techniques de l’impression pour réaliser cette tâche. Mais on peut étendre cet argument à leur rayonnement. On peut aussi considérer, implicitement, que, les coûts associés étant

automatiquement répercutés sur le prix d’achat par le consommateur, la hausse des ventes en même temps que celle de la qualité du papier est également preuve d’un rayonnement croissant (ou fluctuant).

dans les titres des films mineurs autres que ceux de la franchise Superman/Supergirl (aux couleurs identiques) : Flash Gordon et Sheena. Pour cette raison il nous semble juste de nommer cette première décennie des superhéros au cinéma « l’âge des lumières ». Le superhéros est lumière et rayonnement. Les films de la première époque sont effectivement marqués par la présence d’une lumière intense. Tous les superhéros y opèrent généralement de jour, et à visage découvert. Superman joue le rôle de leader de ce groupe informel. Le bleu de son costume représente la raison ; sa cape rouge, la passion. Tout entier, il résume l’équilibre parfait entre l’un et l’autre. La lumière est le dénominateur commun entre Superman et Flash Gordon, dont le nom à lui seul évoque un éclair lumineux ; mais également avec Supergirl, ou Sheena, laquelle tire son nom de la brillance293 ; ou encore avec le Justicier Solitaire (Lone Ranger)294, qui erre de jour dans les plaines du Far West, et qui est le seul du lot à porter un masque, si minimaliste qu’il soit. Cette première époque regroupe donc des superhéros qui agissent en plein jour, dans un milieu ouvert qui n’est pas seulement celui de la ville. Le Ranger réside dans les grandes plaines, que l’on qualifie très souvent d’open range, en anglais, ou « territoire ouvert », si l’on veut bien admettre cette traduction très libre. Il est donc question d’espace dans la majorité de ces pemiers récits : espaces de l’Ouest américain, ou espace intersidéral. Cette époque est donc celle de l’ouverture autant que de la lumière (ou des lumières si l’on s’en réfère aux multiples soleils des voyages intersidéraux de Flash Gordon). Cette première période représente un zénith, qui est exploité essentiellement par une maison de production : Warner Bros, détenteur des droits de Superman par le truchement de DC Comics. Cette franchise est finalement mise en sommeil en 1987, après l’accueil mitigé d’un quatrième opus, pour renaître en 2006 et 2013.

Il est une couleur qui a une importance essentielle dans le mythe de Superman. Cette couleur est le blanc ; un blanc brillant comme un miroir (voir également notre point 2.3.5), que l’on rencontre essentiellement dans la Forteresse de Solitude, laquelle est située de manière commode au nord, dans l’Arctique, au sommet du globe, comme si le superhéros dominait implicitement le monde du

vulgum pecus. Comme une boussole, elle indique la direction à suivre. Espace fermé, intime, du

superhéros, cette forteresse est néanmoins grand ouverte au regard du spectateur.

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Le nom Sheena peut être associé à « sheen », qui signifie « éclat, radiance ».

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Le justicier solitaire dans le film éponyme The Legend of the Lone Ranger (1981) : une mission (celle de se venger), un masque, mais pas de superpouvoir, sinon le pouvoir de sa légende. Cette légende partage quelques traits avec celle de Zorro, comme le masque ou la présence aux côtés du justicier d’un acolyte mutique (ici l’Indien Tonto, contre Bernardo pour Zorro), ou encore la sublimation de la mission initiale, qui permet au Lone Ranger de sauver la vie du Président Grant, à l’instar de celle, politique, de Zorro, qui l’invitait à sauver la Californie du joug de l’envahisseur espagnol.

Illustration 57 : Le blanc spirituel de la forteresse de solitude dans Superman (1978)

La Forteresse de Solitude est cette shining city upon a hill qu’évoquait le Puritain John Winthrop en 1630295, qui rappelle dans son esprit la citation gravée à la base de la Statue de la Liberté, mais aussi sur les murs du Jefferson Memorial, et du Lincoln Memorial :

Give me your tired, your poor,

Your huddled masses yearning to breathe free, The wretched refuse of your teeming shore. Send these, the homeless, tempest-tost, to me, I lift my lamp beside the golden door! 296

Il s’agit donc d’une image omniprésente dans la culture américaine. La Forteresse de Solitude est comparable à un phare dans la tempête, un aimant qui attire à soi les immigrants à la recherche du rêve américain, pour reprendre les paroles de Ronald Reagan dans un discours prononcé en 1989, à la veille de son départ de la Maison Blanche :

And how stands the city on this winter night? More prosperous, more secure, and happier than it was 8 years ago. But more than that: After 200 years, two centuries, she still stands strong and true on the granite ridge, and her glow has held steady no matter

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A rapprocher du Sermon sur la Montagne, dans lequel Jésus dit : « Vous êtes la lumière du monde : une ville située sur une montagne ne peut être cachée. » (Matthieu 5:14)

296 Une plaque de bronze à la base de Lady Liberty porte ce poème d'Emma Lazarus, intitulé « The New Colossus » (1883). LAZARUS, Emma. The New Colossus, [1883]. Réédition sous le titre : « The New

Colossus (Statue of Liberty Poem) » (avec une adaptation de SHAFER, Susan). Benchmark Education

what storm. And she's still a beacon, still a magnet for all who must have freedom, for all the pilgrims from all the lost places who are hurtling through the darkness, toward home.

Cette lumière blanche est également synonyme de pureté de vue, car au fond Superman est droit et sans tache. Il est un être de lumière qui représente par sa silhouette les contours du rêve américain. Et si l’on additionne les trois couleurs que nous venons d’évoquer, le bleu, le blanc et le rouge, nous obtenons immanquablement les couleurs de base du drapeau US. La présence d’une couleur froide (le bleu, associé à la retenue) alliée à une couleur chaude (le rouge, associé au plaisir) constitue un modèle d’équilibre. Nous évoquerons à nouveau ces couleurs, dans notre lecture freudienne du mythe, au point 2.5.8 :

Un corps diffusant est dit parfaitement blanc lorsqu'il diffuse également dans toutes les directions et sans absorption toutes les radiations visibles qu'il reçoit. L'adjectif blanc a donc un sens bien différent selon qu'il s'applique à une lumière ou à une matière. Un corps est parfaitement noir lorsqu'il absorbe intégralement toutes les radiations. Quand un « corps noir » est assez chaud, il est la source d'un rayonnement visible.297

Enfin, comme l’explique l’extrait d’article encyclopédique sur la colorimétrie ci-dessus, le blanc rend toute la lumière qu’il reçoit. A l’opposé, le noir absorbe toute la lumière, sans jamais la restituer.