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Avatar, stade ultime de la couleur du superhéros ?

Variations chromatiques des superhéros 2.2

2.2.12. Avatar, stade ultime de la couleur du superhéros ?

Fort du succès des Terminator, James Cameron paraissait tout indiqué pour prendre, un jour ou l’autre, les rênes d’une production superhéroïque. La légende hollywoodienne veut que le premier

X-Men lui ait été offert sur un plateau d’argent, mais qu’il l’ait refusé poliment. C’était de Spider-Man dont il rêvait depuis longtemps, comme il l’a dévoilé lors d’une interview à MTV en 2009 :

I've sort of made it pretty clear that Spider-Man was the guy I liked when I was a kid and I wasn't too interested in the others. (…) I feel there are too many superhero movies

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The Happening (2008) évoque aussi ces préoccupations et partage avec le film de del Toro cette

dichotomie ville-champs que l’on pourrait aussi comparer à une distanciation culturel-naturel.

327 HASSLER-FOREST, Dan H. Capitalist Superheroes : Caped Crusaders in the Neoliberal Age, Ropley: Zero Books, 2012, page 201.

right now. I think Hollywood's in a bit of a rut. They've done the good ones and they're starting to get down to the second and third tier of superheroes — the guys that would not be asked to speak at the annual superhero dinner.328

Trop de superhéros gâtent un bouillon déjà passablement insipide à la fin de la période Batman (1997). Ces propos apportent clairement de l’eau à notre moulin. Cameron ne fut pas retenu par Sony en 2001 à cause d’un imbroglio juridique. Mais, comme il le raconte dans sa biographie329, il était l’auteur d’un traitement (ou script) de 45 pages, qui servit initialement de base au premier

Spider-Man de Sam Raimi330. Ecarté du projet, Cameron n’avait peut-être pas dit son dernier mot. Nous avions posé dans la partie consacrée au corpus qu’Avatar (2009) était un film superhéroïque, qui possède les caractéristiques de base d’un film monomythique. Allons plus loin : Avatar rend au superhéros moderne sa lumière perdue. La fin des années 2000 a vu un feu d’artifices de couleurs, avec des teintes de plus en plus nuancées, comme nous venons de le montrer. Nous avons longuement pensé, sans pouvoir le démontrer, que le point d’orgue de cette explosion de nuances était la peau des Na’vis dans Avatar (2009).

Illustration 68 : Projet de costume pour Superman Lives (1998 – film jamais réalisé en raison de contraintes budgétaires), qui devait être dirigé par Tim Burton. Superman serait-il resté un superhéros dans un tel accoutrement ? Les couleurs sont similaires à celle d’Avatar (2009), mais il

faut bien se rendre à l’évidence : dans ce dernier, les superhéros ne sont plus américains.

328 MARSHALL, Rick. « James Cameron Says 'There Are Too Many Superhero Movies Right Now' », MTV.COM, 15 décembre 2009. Dernier accès le 3 août 2013. URL : http://splashpage.mtv.com/2009/12/15/james-cameron-says-there-are-too-many-superhero-movies-right-now/.

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KEEGAN, Rebecca. Avatar, The futurist : The Life and Films of James Cameron. New York: Crown Archetype, 2009.

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Ce traitement mettait l’accent sur les thèmes de prédilection de Cameron, et notamment l‘opposition homme-machine. Le script fut copieusement remanié par Sam Raimi et son scénariste David Koepp, qui préfèrèrent imposer le superméchant Green Goblin plutôt que le Docteur Octopus choisi par Cameron.

Un article de l’Express331 nous a mis sur la piste d’un projet de Steve Johnson pour Tim Burton en 1997, dans le cadre d’un film intitulé Superman Lives, qui n’a jamais vu le jour (diptyque ci-dessus, à gauche). Il s’agit en fait d’un exosquelette métallique qui rappelle les teintes de Tron (1982). Mais, convenons-en, l’effet visuel est comparable à celui d’Avatar (image de droite).

Il est difficilement envisageable de voir dans cette dernière couleur la manifestation d‘une conscience écologique naissante, car l’écologie est une préoccupation volontiers européenne, peu ancrée dans l’inconscient collectif américain332. Le film de James Cameron indique l’avenir des films hollywoodiens, soit, donc, celui de la 3D. Il réalise en 2009 ce que Coppola et son gang de mauvais garçons (Lucas, Spielberg, Scorsese, Schrader, Bogdanovich, etc.) pressentait à la fin des années 1970, à savoir qu’il ne serait plus nécessaire un jour de diriger des acteurs dans les films du vingt-et-unième siècle, et qu’on pourrait les remplacer par des êtres virtuels en CGI, ou bien encore de faire renaître de leurs cendres, par ce biais, des acteurs défunts. On se doit d’applaudir la prouesse technologique, et admettre que cette capacité, inégalée jusqu’ici, à réaliser des films en 3D est bien américaine. Mais pour en revenir à notre propos, quelle est donc la signification des couleurs d’Avatar ?

Répétons-le : nous pouvons appliquer aux couleurs de la superhéroïtude américaine le même axiome que celui que nous avons pu utiliser pour le corps superhéroïque : celui de l’éclatement, ce qui est en accord avec nos observations tout au long de ce travail. Cette métaphore nous paraît omniprésente dans le cinéma américain depuis les années 1980. En fait, depuis des années, James Cameron ne cesse de nucléariser le paysage urbain US333, plus sûrement que ne le ferait un terroriste membre d’Al Qaïda, ceci dès le premier Terminator (1984), et de faire sauter à grands coups de fusil d’assaut une certaine image de l’Amérique triomphante qui a toutes les peines du monde à survivre à ses excès dans les derniers Terminator (Terminator 2 - Judgment Day en 1991 et

Terminator 3 - Rise of the Machines en 2003).

James Cameron redéfinit le vert, couleur habituelle de la richesse américaine, dans les années 2008-2009, en la renvoyant, d’une certaine manière, à la nature de Superman (1978). Cameron,

331 RAMONÉ, Christopher. « Le Superman de Tim Burton refait parler de lui », L'EXPRESS, 6 janvier 2012. Dernier accès le 3 août 2013. URL : http://www.lexpress.fr/culture/cinema/superman-lives-de-tim-burton-refait-parler-de-lui_1068897.html.

332 Le fait que George W. Bush n’ait jamais signé les accords de Kyoto n’est pas étranger à ce fait, en dépit d’une conscience écologique réelle aux USA. Rappelons-nous que seul le pétrole compte depuis (cf. partie consacrée à la couleur noire, point 2.2.5 ci-dessus). Notons au passage que le même président avait encouragé les forages en Alaska ou dans le Golfe du Mexique.

pourrait-on dire, procède à une réécriture (ou à une relecture) du Smallville originel plus volontiers inspirée par Howard Zinn que par Francis Fukuyama. Le vert est la richesse spirituelle des avatars, un peuple communiquant avec la nature et combattant face à des hordes militaro-industrielles made in USA qui cherchent à les dépouiller. Les Na’vis sont un peuple primitif, sans doute une métaphore du peuple Irakien, qui a pour seule richesse un minerai dénommé Unobtainium, dont le nom lui-même porte le sens d’une utopie inaccessible334. Les Na’vis, avec leurs corps colorés de la stature d’un superhéros, sont les gentils du film. Depuis les premiers Terminator James Cameron ne cesse de démythifier le héros américain et de mettre en garde contre les excès de sa richesse. Le surhomme de Terminator, c’est la technologie, fer de lance de l’économie américaine dans les années 80.

Mais James Cameron ne dit rien d’autre depuis 1997, date à laquelle il envoyait par le fond le Titanic à grands coups d’iceberg, faisant sombrer corps et biens le rêve américain, comme un paquebot s’enfonçant dans les flots glacés de l’Arctique. La mort de Brock Lovett (Leonardo di Caprio), cet immigrant protagoniste de Titanic parti à la conquête du Nouveau Monde, représente aussi l’échec du rêve américain à la fin du vingtième siècle. C’est la fin de la notion d’opportunity inhérente au système (nous nous expliquerons à ce sujet au point 3.2). Ce Clark Kent-là ne deviendra jamais Superman. Avec Avatar, Cameron tente d’imposer une alternative à un système néolibéral à la dérive, personnifié par le Batman quasi-totalitaire de The Dark Knight (2008). Il prône le retour à un humanisme débarrassé de ses contingences matérielles, comme on le verra plus tard dans ce travail.

2.2.13. Conclusion

L’évolution de la couleur dans l’univers superhéroïque de 1978 à 2012 pointe dans deux directions : d’une part une perte de lumière et d’éclat qui impose le noir et une synthèse soustractive aux costumes des superhéros à partir de Spider-Man (2002) ; d’autre part une explosion de couleurs amorcée par les X-Men dès 2000, indicateur de diversité face aux monolithes de la représentation monomythique. Le thème de l’éclatement est dominant.

Le déclin par rapport aux couleurs fondamentales de 1978 se manifeste essentiellement par le passage de couleurs primaires à des couleurs secondaires, voire tertiaires, qui induisent une perte de lumière des repères initiaux du genre. Cet obscurcissement peut symboliser l’omniprésence du

334 « Obtain », en anglais, signifie « obtenir » , ou bien « accéder à ». « Unobtain » serait donc son antonyme, « ne pas obtenir », si ce mot existait.

pétrole en tant que mème tenace de l’inconscient collectif américain. Une dernière vague de couleurs bigarrées apportée par les films de réalisateurs latins comme Guillermo del Toro contribue à l’enrichissement d’une palette initiale réduite. Enfin, une nouvelle teinte fait son apparition : la couleur sable, symbole du traumatisme, et rappel codifié de l’agresseur du 11 Septembre.

Le thème de l’explosion de couleurs trouve son aboutissement avec les couleurs d’Avatar, nuance ultime d’une palette qui met à mal le rêve américain, et les dérives fascisantes du pouvoir en place à partir de 2005 (voir à ce sujet le point 4.3.5). Certaines considérations développées dans ce chapitre concernent essentiellement la période avant le 11 Septembre. Nous devrons revenir sur la signification de certaines teintes, et notamment sur l’évolution de la dichotomie traditionnelle blanc-noir, au sens de bien-mal, pour ce qui est de l’inconscient superhéroïque au vingt-et-unième siècle, au point 2.5.5.

Les affres existentielles du superhéros