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L’Age Arc-en-ciel (2000-2013), explosion de couleurs

Variations chromatiques des superhéros 2.2

2.2.6. L’Age Arc-en-ciel (2000-2013), explosion de couleurs

Le nouveau siècle commence avec un film, X-Men, qui introduit pour la première fois au cinéma les polymythes, ou films avec plusieurs superhéros. Comme le premier Spider-Man, les X-Men sont transhumains. Il s’agit d’une évolution qui rompt nettement avec les deux époques qui ont précédé. Les X-Men sont, par ordre d’importance : Wolverine, Storm, Iceman, Mystique, Marie, Jubilee, Cyclops, Shadowcat et Pyro. A part les personnages de Logan, Mystique et Storm, peu de gens les connaissent tous, et ils connaissent encore moins leurs noms à la ville : John Logan, Ororo Munroe, Bobby Drake, Raven Darkholme, Rogue, Jubilation Lee, Scott Summers, Kitty Pryde et John Allerdyce. De manière fort curieuse ces nouveaux superhéros ne sont pas faits pour être reconnus. D’ailleurs, depuis leur naissance sur papier en 1963, les configurations de superhéros à l’intérieur des X-Men ont énormément varié. En cela les X-Men s’opposent radicalement au modèle de superhéros unique, et au culte de la personnalité qui lui est implicite. Les X-Men sont un groupe de superhéros plus ordinaires, qui brillent par leur différence. D’ailleurs on les appelle plus volontiers « mutants » que superhéros.

Les X-Men ne portent pas d’uniformes, comme initialement les Fantastic Four. Ipso facto aucune couleur ne les regroupe. Ils s’habillent distinctement les uns des autres, car ils sont intrinsèquement différents les uns des autres, de par leur peau, leur chevelure, leur sexe, leur préférence sexuelle, voire leur handicap, etc. Nous avons affaire à une équipe composée de gens qui se définissent par ce qui les oppose les uns aux autres et au commun des mortels, à commencer par leurs pouvoirs, du plus anodin comme la télékinésie, au moins habituel, comme l’aptitude à se métamorphoser en n’importe quelle forme de vie sur terre. La palette des couleurs superhéroïques s’enrichit donc de nombreuses teintes et nuances grâce à la franchise X-Men. Nous assistons à la sortie de ce premier film à une explosion de couleurs, le plus souvent secondaires et tertiaires, très loin du modèle de

Superman (1978).

Comme le souligne Guillaume Marche, « l’arc‑en‑ciel est, aux Etats‑Unis, un symbole à présent très répandu et quasi universellement connu de la communauté homosexuelle. 310 » Marche s’interroge à juste titre sur la pertinence identitaire d’une telle représentation et son utilisation politique (ce qui dépasse le cadre de notre travail), mais dénonce aussi implicitement la

310 MARCHE, Guillaume. « L’arc-en-ciel et le mouvement gai et lesbien », Transatlantica [En ligne], 1 | 2005. Dernier accès le 3 août 2013. URL : http://transatlantica.revues.org/321.

marchandisation outrancière d’un tel symbole. Sur le plan chromatique, l’arc-en-ciel est en fait un cortège de plusieurs couleurs, « dans l’ordre où elles apparaissent dans le spectre lumineux [qui] n’est, en effet, qu’une assez lointaine évocation du phénomène de réfraction de la lumière blanche. L’agrégation des personnes homosexuelles sous une même bannière portant ce motif accomplit‑ elle une déformation et une simplification aussi considérables de l’identité de celles et ceux qu’il représente ? En d’autres termes, le motif de l’arc‑en‑ciel peut‑il être considéré, par métonymie, comme l’illustration voire le symptôme d’une dynamique réductrice qui serait à l’œuvre dans la représentation collective de l’identité subjective des gais (sic) et des lesbiennes dans l’espace public ? 311 » Pour ce qui nous concerne, cette distinction n’est évidemment pas suffisante. Nous devons étendre la portée de l’arc-en-ciel superhéroïque au-delà de la seule étiquette « homosexuelle ». Les

X-Men, dont on doit bien admettre l’opportunisme mercantile, voient le jour au cinéma parce que

la voie leur a logiquement été préparée par le féminisme, et le militantisme des diverses minorités des années 1990, tous facteurs que nous avons observés au chapitre précédent. Il s’agit d’un écho lointain des années 1960, car leur naissance a reflété le combat pour les droits civiques qui se jouait à l’intérieur de la société américaine à cette époque-là. Ces mutants sont clairement des militants, qui, en 2000, luttent pour se faire reconnaître par la société et le gouvernement américains, à l’intérieur du récit. Ils vont ouvrir la voie à de nombreux autres films superhéroïques.

Le premier X-Men est un immense succès populaire, pour la Fox, qui ne se sent nullement menacée par la seule autre production superhéroïque sortie en 2000 : un troisième film de la franchise The

Crow312. Le noir, qui a porté chance au premier épisode de The Matrix, n’est manifestement plus à

la mode. Ce qui signifie que X-Men (2000) a été véritablement le film qui a relancé le genre à l’aube du siècle nouveau. Marvel avait mis simultanément en chantier les X-Men, et Spider-Man. L’explosion de couleurs à laquelle les X-Men donnent lieu est donc, on le notera, antérieure aux événements du 11 Septembre. Il ressort clairement que la figure de l’éclatement dans le cinéma superhéroïque précède l’effondrement des Tours Jumelles. Les événements du 11 Septembre 2001 bousculent les plans de Sony pour Spider-Man, qui ne sort finalement qu’en 2002313.

Mais les attentats contre le World Trade Center ont tout de même favorisé l’éclosion de très nombreux projets de films superhéroïques, lesquels prendront deux ou trois années pour voir le

311 MARCHE, Guillaume. « L’arc-en-ciel et le mouvement gai et lesbien », Transatlantica [En ligne], 1 | 2005. Dernier accès le 3 août 2013. URL : http://transatlantica.revues.org/321.

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The Crow - Salvation (2000).

313 Le studio s’inquiétait de la réaction du public à la vue d’un homme-araignée se balançant entre des gratte-ciels, et notamment entre les Twin Towers, dans l’un des éléments promotionnels du film.

jour. A partir de 2004 il y a effectivement pléthore de superhéros à l’écran, tant il y a de producteurs et de productions sur un marché dont on désespérait, que ce soit à la fin des années 1980, avec

Superman IV, ou à la fin des années 1990, avec Batman & Robin.

Illustration 64 : Le 11 Septembre a favorisé le bourgeonnement de nombreuses productions superhéroïques, provoqué sur les écrans un véritable déferlement de couleurs. Malgré tout, pour

The Incredibles, les Fantastic Four, et le quatuor de Hellboy II, le recours à l'uniforme (entier à

gauche, appartenance par la ceinture, à droite), permet de circonscrire les pouvoirs de tous, tout en respectant les spécificités de chacun. Les couleurs sont au service d’une équipe, elle -même aux

ordres d’un pouvoir (inconnu) en place.

Il y a donc dispersion du spectre lumineux et explosion de couleurs sur grand écran, pour reprendre la métaphore initiale. Côté majors, Warner Bros relance dans l’arène deux poids lourds, Superman et Batman, pour contrer l’effet Spider-Man de Sony. Ce qui signifie que l’arc-en-ciel va se trouver concurrencé par un retour du blanc des années 1980, avec Superman Returns (2006), et du noir des années 1990 avec Batman Begins (2005). Face à eux, la concurrence fourbit ses armes, tant bien que mal, chez Fox (franchise X-Men), Paramount (Iron Man), ou Universal avec des franchises mineures (Hulk). Les superhéros s’engagent, en quelque sorte, dans un effort de guerre qui génèrerait des recettes substantielles. L’effet commercial 11 Septembre paraît donc indéniable, de par le nombre croissant de films à l’écran, et de par l’éclatement des couleurs qu’il implique. On doit attendre 2005 pour voir les deux vieux monomythes, poids lourds passablement daltoniens, s’ébrouer à nouveau. On va donc assister ensuite à une bataille rangée entre trois types de films, et trois tendances, qui correspondent à nos trois classifications de couleurs, comme l’illustre le tableau qui suit (la liste des films n’est pas limitative). Quant à la couleur de la première colonne, le bleu-rouge, il va nous falloir la redéfinir complètement au point 2.2.9. Car le bleu de Spider-Man (2002) ou celui de Superman Returns (2006) sont bien différents du bleu de Superman (1978).

Tableau 30 : Quelques exemples de superhéros selon trois variations chromatiques

bleu-rouge noir multicolore

Spider-Man The Crow X-Men

Une question se pose toutefois : pourquoi une concurrence massive à partir de 2004-2005 et pas avant ? Simplement, d’une part, parce que certains studios sont trop occupés à produire autre chose. Newline, par exemple, a mis en chantier les trois épisodes du Lord of the Rings et se voit engagé sur des budgets astronomiques jusqu’en 2003. Mais aussi parce que, après le relatif insuccès des deux derniers Batman (Batman Forever en 1995 et Batman & Robin en 1997), le genre superhéroïque n’offre pas la promesse d’un investissement sécurisé, et que tous les studios sont devenus frileux pour tout projet nécessitant des mises de fond de plusieurs dizaines, voire de centaines de millions de dollars. Spider-Man a redonné de l’espoir à tous en 2002, et chacun va chercher ensuite à lui emboîter le pas. Mais un Superman ne se met pas en chantier aussi facilement qu’un film comme The Punisher (2004), par exemple. Il faut plusieurs années pour fabriquer un monomythe comme Batman, contre environ une année pour un film, tourné en studio, de la franchise Blade. Ces délais sont censés tenir compte de facteurs multiples, notamment en ce qui concerne la vingtaine de réécritures du scénario, la difficulté de recruter des acteurs de la liste A314, et enfin la simple tâche de lever les fonds nécessaires à une telle superproduction.

Nous avons donc, après 2004-2005, pléthore de films superhéroïques : la plupart positifs, la plupart offrant après le 11 Septembre 2001 une grande variété de couleurs, et d’éclat très divers. La tendance naturelle des films du vingt-et-unième siècle est celle des mutants multicolores (X-Men ou Spiderman). Mais il y a aussi réaction des monomythes traditionnels (Superman ou Batman), aidés par des constructions familiales (Famille Parr ou Hellboy) qui cherchent à refocaliser la lumière, sans toutefois y parvenir. Ces films ne sont jamais franchement tout blancs, jamais tout noirs. Clairement, les contrastes lumineux saisissants des deux décennies qui ont précédé sont relégués à l’oubli. Le panorama offre désormais mesure, teintes et nuances. Simplement, comme on l’a vu au point 2.2.2, le genre superhéroïque est-il véritablement favorisé par la nuance ? Nous ne le croyons pas. La nuance dilue la couleur, tout comme le message d’ordre moral que peut véhiculer un texte superhéroïque. Dès lors la confusion, de l’émission du message à sa réception par le public, est possible.