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Dérives du corps monomythique 1.2

1.2.5. Du journaliste de 1978 au photographe de 2002

Illustration 22 : Indépendamment de leurs superpouvoirs, évolution de la taille du corps superhéroïque entre 1978 (Superman), 1997 (Batman & Robin) et 2002 (Spider-Man)

Mais cette évolution était déjà en germe précédemment, si l’on s’en réfère au triptyque ci-dessus. D’une certaine manière Batman Forever (1995) et Batman & Robin (1997) annoncent l’évolution des années 2000 à 2004 : réduction de la masse corporelle, des valeurs et des pouvoirs de

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O’SULLIVAN, John. « The Politics of Everyman, George W. Bush, American — and his melange of

influences », in National Review Online: Conservative commentary on American politics, news and culture. URL :

http://www.nationalreview.com/nrd/article/?q=OTc0MWRiYWQ5YTk1ODhiMjE5NDAxMTQyOWYyODNkN 2E=. Difficultés d’accès constatées au 2 août 2013 (voir aussi lien depuis

Superman à Batman, puis à Robin (lequel est beaucoup plus musclé que dans la bande dessinée), et enfin de Robin à Spider-Man.

La question qu’on peut légitimement se poser est donc : dans la lignée des superhéros, est-ce que Spider-Man n’hérite pas physiquement de Robin, et non pas de Batman ?148 Est-ce que Peter Parker n’hérite pas plutôt des caractéristiques physiques et professionnelles de Jimmy Olsen, collègue de travail de Clark Kent au Daily Planet ? Après tout l’un et l’autre sont bien photographes ; et leurs masses corporelles sont bien identiques (illustration ci-dessus). Il s’agit là d’un des nombreux glissements que l’on peut observer dans le monde superhéroïque depuis les origines.

Tableau 15 : Les professions des monomythes principaux. La personne terrestre du superhéros est indiquée en gras ; le superméchant en rouge.

film\archétype businessman journaliste photographe

Superman 1978 Lex Luthor Clark Kent Jimmy Olsen

Batman 1989 Bruce Wayne Vicki Vale (Kim Basinger)

Spider-Man 2002 Norman Osborn -- Peter Parker

Cette évolution peut bien évidemment s’expliquer par l’importance prise par l’image149 dans le monde moderne, par rapport à la chose écrite des années 1970. Mais elle démontre principalement qu’un archétype ne saurait avoir une place fixe dans l’univers des superhéros, selon la période dans laquelle on place son observation. Le tableau ci-dessus en est une brève illustration. Dès lors, un type de personnage ne peut être cantonné à un seul rôle.

Et ces glissements nous entraînent quelquefois sur des terrains minés150, comme nous le verrons plus tard dans notre chapitre sur le bouc émissaire (cf. point 2.4).

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On retrouve un ersatz de Bruce Wayne dans le monde de Spider-Man : son meilleur ami millionnaire, Harry Osborn. Il y a d’ores et déjà glissement des rôles, et division des référents corporels.

149 Image au sens de photographie, mais aussi l’image au sens figuré : la réputation, la renommée.

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Une analyse jungienne complète des archétypes dans le cinéma superhéroïque dépasse le cadre strict de ce travail. Voir à ce sujet : IACCINO, James F. Jungian reflections within the cinema: A psychological

analysis of sci-fi and fantasy archetypes , Westport, Conn.: Praeger, 1998. Nous utiliserons Jung, par

Illustration 23 : Le photographe promu superhéros : Jimmy Olsen (à gauche) dans Superman Returns (2006), et Peter Parker dans Spider-Man 2 (2004). L’image prend le pas sur l’écrit.

Pour donner d’autres exemples du superhéros en tant que fils, notons que Batman et Iron Man n'échappent à cette régression insidieuse : chez eux l’argent et la technologie ont remplacé le phallus. Il ne s’agit pas de la masculinité du soldat, mais plutôt de celle du geek, ou du nerd, post-adolescent boutonneux, patron de startup, amateur de gadgets, et à bien des égards maître du monde. Car à la défiance initiale vis-à-vis de la technologie et du robot (Robocop, Terminator) succède dans les années 1990 une adaptation technologique rassurante sur le même thème, ce qui explique par exemple que le robot interprété par le même Schwarzenegger soit domestiqué et au service de Sarah Connor dans Terminator 2 (voir aussi le point 1.3.7). Dans l’opus 3 le danger vient du surhomme technologique, homme-machine qui transcende la matière et balaie d’un revers l’humain égaré dans son univers, y compris la silhouette du superhéros.

Notons au passage que l'androïde des années 2000 réinvente, en quelque sorte, la silhouette du superhéros parfait selon le modèle initial de Superman (1978), comme le montre l’illustration ci-dessous (diptyque tiré de la série TV Battlestar Galactica, en 1978 et 2004). C’est ce que fait également le Silver Surfer dans 4: Rise of the Silver Surfer (2007 . De ce point de vue, l’armure de Iron Man apparaît donc comme une tentative de réunir en un seul corps l’homme et le superhéros, qu’il soit de Fer (Iron) ou bien d’acier (Steel), et de lui rendre sa stature initiale par la grâce de la technologie. Comme l’observe Rocco Gangle : « It is the technology of the armor that defeats the Ten Rings [in Iron Man (2008)], and it is technology that subsequently transforms Tony Stark the man into Iron Man the hero.151 »

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GANGLE, Rocco. « The Technological Subversion of Technology: Tony Stark, Heidegger, and the Subject of Resistance», in IRWIN, William et WHITE Mark D. Iron Man and Philosophy: Facing the Stark Reality. Hoboken, N.J.: John Wiley & Sons, Inc., 2010, page 26.

Illustration 24 : Evolution de la forme du corps des méchants Cylons de Battlestar Galatica entre 1978 et 2004.

L’androïde est une métaphore de l’armure, à l’instar de celle d’Achille, l’Homme de Bronze des récits héroïque grecs, comme le met en évidence Annabel Orchard152. L’armure d’Iron man remet également en question l’agentivité de l’homme qui la revêt, et subjectivise le robot à ses dépens, sans pour autant le responsabiliser. Nous reviendrons sur cet aspect des choses plus tard, lorsqu’il sera question de Iron Man (et des drones), qui propose une vision des choses sensiblement différente quelques années plus tard (cf. point 3.3.8).