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Gender : femmes et minorités

1.3.5. Femme de, fille de, sœur de…

Comme le montre Catwoman (2004), Il n’y a pas eu d’évolution véritable dans les portraits de superhéroïnes protagonistes depuis les années 1980232. Certaines d’entre elles fonctionneraient vraisemblablement de manière satisfaisante dans un système matriarcal. Mais derrière chaque superhéroïne de notre corpus se trouvent un ou plusieurs référents mâles. Par exemple, le matriarcat entraperçu dans Sheena (1984) n’est que relatif. Sheena est recueillie par une sorcière (et non pas une reine) qui est rapidement envoyée en prison pour meurtre. Un fil narratif parallèle l’associe à un joueur de football (toujours la métaphore du quarterback) placé sous la protection d’un roi africain. Nous sommes loin du royaume des Amazones, et la plastique irréprochable de Tanya Roberts ne favorise pas la contemplation muette. Cette constatation vaut également pour les films polymythiques qui comprennent des superhéroïnes protagonistes comme les X-Men (2000), les Fantastic 4 ou bien encore Watchmen dans les années 2000. Ainsi le personnage de Jean Grey233, soi-disant la plus puissante des X-Men, ne brille certainement pas par l’interprétation chromo-onomastique de son patronyme234. Elle n’existe initialement que dans l’ombre de Cyclops. A la fin de X-Men - The Last Stand (2006), elle meurt, après avoir causé chaos et désolation (voir le point 2.5.7). Ororo Munroe/Storm a le pouvoir de contrôler le temps. Elle n’est donc qu’une toile de fond aux aventures des X-Men. Sue Storm des Fantastic Four (2005) porte le patronyme de son frère et se distingue ironiquement par l’affliction première de toute superhéroïne depuis l’origine : elle est invisible235. Dans Watchmen, Laurie Jupiter/Silk Spectre II ne possède aucun superpouvoir et vit dans l’ombre du Docteur Manhattan, un surhomme qui représente à lui seul la superpuissance atomique américaine. Quand l’utopique Manhattan quitte la terre236, elle se lie au destin du plus réaliste Dan Dreiberg/Nite Owl II. Elle passe symboliquement de la lumière nucléaire

232 Voire depuis 1975 si l’on veut bien admettre que Supervixens est un film avec superhéroïne.

233

Strange Girl/Phoenix dans la bande dessinée.

234

Grey signifie « gris » en anglais.

235 Elle dispose donc d’un de ces « wimpy powers » décrits par Bukatman, op.cit.

à la nuit mercurienne, et retrouve un semblant de normalité.

Nous avons donc affaire à des modèles où la superhéroïne est la fille de quelqu’un de plus influent (ci-dessus), la femme ou la petite-amie de quelqu’un de plus influent (Hancock, My Super

Ex-Girlfriend), la sœur de quelqu’un de plus influent (ci-dessus).

Illustration 41 : Valerie Perrine, femme-trophée, fait la couverture de Playboy en 1981, pour la promotion Superman, après avoir fréquenté les pages centrales du magazine en tant que modèle nu

en 1972 et 1975.

Symboliquement elle se place dans l’ombre du patronyme ou du nom de l’époux. Son costume n’attire pas la lumière des spotlights. Elle ne joue implicitement qu’un second rôle dans la construction narrative, même si le superhéros semble foncièrement favorable à son émancipation. C’est le cas par exemple, de Eve Teschmacher (interprétée par Valerie Perrine) dans Superman (1978). S’est-on jamais demandé pourquoi la belle égérie de Lex Luthor choisit de trahir ce dernier pour libérer Superman ? La raison (de surface) qui est généralement retenue est que cette blonde archétypale est conquise par le sex appeal du héros. Cette hypothèse est par trop simpliste, notamment en raison du fait que Mademoiselle Teschmacher n’est pas du tout stupide. Ne pourrions-nous pas postuler, plus élégamment, que c’est parce que le superhéros peut lui donner les moyens de devenir autre chose qu’une femme-objet ?

Cette hypothèse se trouve renforcée par les lectures de Lorelei (illustration ci-dessous), sa remplaçante, adepte des grands philosophes, dans Superman III (1983), qui représente les aspirations contrariées de la femme-objet. « How can he say that Pure Categories have no objective meaning in Transcendental Logic? What about Synthetic Unity? », déclame-t-elle le plus sérieusement du monde, avant d’être interrompue par l’arrivée du malfrat qui l’entretient, et à qui elle cache ses lectures émancipées. Cette réplique produit un effet comique inévitable, mais elle doit être prise au premier degré. Superman ne peut pour autant être considéré comme un féministe ou un champion de la parité. Mais, au contraire des icônes de l’Administration Reagan, il

est attentif aux doléances de Lois Lane, Eve Teschmacher ou Lorelei.

Illustration 42 : La blonde Lorelei (Pamela Stephenson), égérie de Ross Webster dans Superman III, lit Immanuel Kant en cachette.

En cela, il apparait comme le précurseur de la nouvelle masculinité des années 1990, telle que l’évoque Lorna Jowett à propos de Buffy the Vampire Slayer (1997–2003) :

In simple terms old masculinity is macho, violent, strong and monstrous, while new masculinity is ‘feminized,’ passive, emotional, weak and human. Many male characters on Buffy display both at once, a kind of split personality.237

.

Ce que nous postulons donc ici, c’est que la nouvelle masculinité de Superman n’a pas grand-chose à voir avec la vieille masculinité, pure et dure, des années Reagan (qui arriveront chronologiquement plus tard). Alors, au fond, le corps de Superman est-il si dur que cela ? En tout cas, il ne procède pas de la même logique que les hard bodies de Susan Jeffords. Au-delà des apparences, Superman est, en soi, l’amorce d’un corps plus mou, hypothèse que nous avons avancée plus tôt (voir à ce sujet notre point 1.2.5). C’est un grand romantique, volontiers adepte de l’amour courtois, étant tout à la fois chevalier et destrier (ses pouvoirs). La vieille masculinité est, en fait, représentée par le superméchant en 1978.

La silhouette de la femme-objet stéréotypique ne semble pas devoir évoluer, en surface, même si elle se raréfie dans l’univers superhéroïque des années 2000. Elle procède d’un éternel féminin

237 JOWETT, Lorna. Sex and the Slayer: A Gender Studies Primer for the Buffy Fan. Middletown, Conn.: Wesleyan University Press, 2005, page 95.

résolument sexiste. Cette femme accompagne l’homme, mais ne peut cheminer en tête.

Tableau 19 : La femme-trophée constitue une tentation (et une alliée) pour le superhéros des années 1980.

Sur la scène culturelle américaine elle est la majorette, cette autre icône populaire des années 50 aux années 70 qui n’a d’yeux que pour le quarterback. Elle est donc plus volontiers spectatrice des exploits des surhommes que surfemme elle-même. Le plus souvent elle a valeur de trophée, comme une James Bond girl : elle est encore et toujours une femme-objet. Il est donc normal, dans ces conditions, que cette femme-trophée, lassée de jouer les accessoires auprès du superméchant, adresse un appel au secours, et presse implicitement le héros de la sauver de son sort. La décennie qui suit introduit en effet d’autres modèles de femme.