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Gender : femmes et minorités

1.3.4. Arrêt sur images : Catwoman (2004)

Les critiques et commentaires négatifs ne manquent pas en ce qui concerne Catwoman (2004), un film du Français Pitof réunissant une belle distribution composée de Halle Berry, Sharon Stone, Lambert Wilson et Benjamin Bratt. Nous allons nous concentrer sur une séquence majeure de ce texte pour tenter de comprendre la raison de l’échec du film, qui pourrait être dû à une confusion des genres. Car comme l’expose ce qui suit, la formule exploitée par Catwoman (2004) n’est pas, fondamentalement, celle d’un film de superhéros.

La séquence dont nous souhaitons parler se situe à la minute 6226. L’exposition des personnages et situations est encore en cours. Les enjeux du film n’ont pas encore été révélés. Patience Phillips (future Catwoman) est convoquée dans le bureau du Directeur de la firme de cosmétique dans laquelle elle officie en tant que graphiste. Un travelling la voit passer brièvement devant un poster représentant Laurel Hedare (Sharon Stone), égérie de la société, dans une parodie de tableau de Andy Warhol (image 1). Ce premier plan est intéressant, car il met en évidence deux silhouettes

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WEBER, Max. « Structures of Power and Stratification ». in Essential Weber: A Reader. Sam Whimster (Dir.). Routledge, 2003, cité par FARGHALY, Nadine. « Patriarchy Strikes Back: Power and Perception in Buffy The Vampire Slayer ». Mémoire de Master’s, Bowling Green State University, 2009, page 6.

distinctes de femme, au-delà de leur différence d’âge. L’une (Stone) apparaît comme un monument de sophistication, et de culture. La deuxième (Berry) est à l’opposé. Sa chevelure de sauvageonne et son chemisier bohème arborant un motif forestier la situent du côté de la nature. Patience Philipps prend congé de l’amie qui l’accompagnait et s’apprête à frapper à la porte du bureau de George Hedare (Wilson).

Illustration 39 : Arrêt sur quelques images de Catwoman (2004)

A l’intérieur se trouvent Hedare et son épouse Laurel (image 2). Un court échange antagoniste les oppose. La caméra balaie le bureau en un panoramique très serré, allant du mari situé à l’arrière-plan, jusqu’à sa femme, au premier plan à droite. Dans le même mouvement, la focalisation passe donc à l’épouse, et le mari assis sur son bureau n’est plus qu’une image floue. Ce plan renforce l’impression du paragraphe précédent : Laurel Hedare est bien le personnage important du film, et l’opposante à venir de Catwoman, comme cela sera confirmé plus tard. Le bureau n’a été que très partiellement révélé, et les deux personnages qui occupent le champ ont des proportions d’adultes par rapport à leur environnement.

Patience frappe, et entre dans ce bureau, qui apparaît dès lors comme gigantesque. Elle-même a donc une stature d’enfant dans ce contexte (image 3). Elle fait trente pas pour aller s’asseoir sur une chaise face à son directeur, lequel vérifie que sa femme a le dos tourné avant de fixer Patience, d’un regard qu’il débarrasse au préalable, volontairement, de toute concupiscence :

Patience : Hi, Mr. Hedare. Did you still want to see me, or --

Hedare : Sit. I’m not pleased. This is not even close to what I wanted. I can’t imagine what on earth you were thinking.

Patience : I’m so sorry.

Hedare (lui désigne un point sur sa maquette de travail, image 4): I mean, look at this red. It’s all wrong. I wanted it darker.

Patience : I specifically heard you say – Hedare : I know what I said.

Patience : OK, maybe I misunderstood you. Hedare : Clearly.

Patience: I know I can fix it. If you give me a chance, I know I can fix it.

Hedare : I do not reward incompetence. I have no idea why I expected your art to show better taste than your wardrobe. Oh, and… do try to get a manicure, will you ?

Laurel : Oh, for God’s sake, George. Let her fix it. She’s good and you know it. Hedare : Whatever. By tomorrow night. Midnight !

Patience : Right. Thank you.

Laurel a le dos tourné, le visage perdu dans le paysage de gratte-ciels en arrière-plan. Les proportions du plan décrit précédemment sont donc inversées. Hedare, en contre-champ, est au premier plan, et son épouse au fond du cadre, mais également au centre de l’image. A gauche, à mi-profondeur, se trouve Patience, troisième pointe d’un triangle qui prend des allures de plus en plus œdipiennes, la tête baissée comme une adolescente prise en faute. Symboliquement, elle s’insère dans l’espace entre le mari et la femme, dont la silhouette garde toute la précision et le détail, malgré la profondeur de champ. Mais Patience n’est pas encore au centre du débat dans la largeur de l’image. Nous comprenons alors que nous ne sommes pas dans un discours narratif superhéroïque traditionnel. Il y a dans Catwoman (2004) trop d’enjeux intimes pour que ce film emporte l’adhésion d’un public de masse. Débarrassé de son étiquette de film de superhéros, ce texte serait un de ces chick flicks (films de filles) qui font fureur outre Atlantique. Les superpouvoirs227 de Catwoman font bien pâle figure face à ceux de Superman ou Spider-Man, et pourraient être gommés sans que cela nuise intrinsèquement à l’intrigue. Par ailleurs, le film se déroule bien à New-York, mais dans une fabrique de cosmétiques, et l’arme du crime est un produit de beauté, dont la reine cache les effets ravageurs à long terme. Nous sommes dans un univers de femmes, alors que généralement le film superhéroïque se déroule dans un environnement sexuellement plus neutre. Le roi indifférent, objet d’un désir incestueux, est un simple accessoire, Tartuffe moderne qui rabaisse la jeune femme par une rafale de remarques désobligeantes sur son travail et son apparence pour ne pas voir ses attraits métonymiques. « Cachez ce rouge vif que je ne saurais voir ! » dit-il implicitement en la rabrouant. Nous sommes dans le domaine du fantasme. Il y a de fortes chances que Hedare ait raison, qu’il ait bien demandé un rouge plus sombre, semblable à celui du portrait warholien dans le couloir et symbole de maturité, et que Patience ait donc mal entendu. Ce rouge plus jeune, qu’elle met en avant, est la projection de son désir pour le père. Dans ce contexte, c’est la marâtre qui prime. Et Blanche-Neige, puisqu’il pourrait s’agir d’elle en dépit de

la couleur228 de peau de l’actrice Halle Berry, est la représentante de toutes les adolescentes de la terre. Ce parallèle est d’ailleurs renforcé par le fait que Patience, petite-fille, doit mourir, tout comme Blanche-Neige, afin de devenir Catwoman (donc une « femme », comme son nom l’indique), et trouver l’amour auprès d’un officier de police (Bratt) mi-prince charmant, mi-chasseur. Il est question ici de chrysalide et de papillon, thème qui n’a pas grand-chose à voir avec ceux des superhéros, dont l’ambition première est de sauver le monde.

Quand Hedare recommande sèchement à Patience d’aller chez une manucure, elle cache ses ongles de petite fille. Dans le plan suivant, Patience, au premier plan, détourne le regard, et Laurel se retourne pour lui faire face. La focalisation est maintenant sur la jeune femme, et plus sur la femme mûre. Nous devinons que l’enjeu du film se situe entre ces deux femmes, dont l’une est reléguée au second plan, alors que la plus jeune va subir une transformation physique qui la précipite sur le devant de la scène. Nous sommes dans l’univers des Frères Grimm et non dans celui de Superman. La référence de Hedare à « minuit », l’heure fatidique des contes de fées, le confirme. Enfin, l’image publicitaire de Laurel est un miroir métaphorique grâce auquel la marâtre sait qu’elle n’est plus, ni la plus belle, ni la plus jeune, comme elle le déclare à son mari. Au-delà de cette séquence, le reste du film confirme le parallèle avec Blanche-Neige, et principalement le fait que Laurel poursuive Catwoman pour la détruire, comme le faisait la marâtre. Une piste s’impose : l’insuccès de

Catwoman (2004) provient vraisemblablement d’une erreur de marketing.

Ce phénomène illustre, si cela était nécessaire, la difficulté d’imposer une superhéroïne au cinéma. Dans le cas de Catwoman (2004) le réalisateur Jean-Christophe Comar (dit Pitof) porte une part supplémentaire de responsabilités dans l’échec du film, parce qu’il cède à la facilité en exploitant le statut de sex symbol de ses deux actrices plutôt que de les utiliser à contre-emploi. En multipliant les poses suggestives et équivoques (illustration ci-dessous), les travellings circulaires autour de gorges et de ventres dénudés, et les plongées dans les décolletés de Halle Berry et Sharon Stone, il décrédibilise un propos initial qui aurait pu être cohérent en 2004. C’est d’autant plus regrettable qu’une grande professionnelle, Theresa Rebeck229, est l’auteur de l’histoire elle-même, et que cette histoire n’évite aucun des clichés et poncifs du patriarcat, même quand la petite fille que nous venons de décrire dans cette scène meurt, pour se réincarner dans la superhéroïne Catwoman.

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Voir également notre chapitre sur les couleurs superhéroïques et l’inversion du noir et du blanc après 2001, dans la partie 2.2.

229 Theresa Rebeck est dramaturge et écrivain. Elle est l’auteur de très nombreuses pièces de théâtre, et de scénarios pour le cinéma et la télévision.

Illustration 40 : Catwoman (2004) - valse-hésitation entre un univers de conte de fées et un déballage de sex shop.

Il aurait été possible d’obtenir un meilleur résultat en éliminant totalement du récit le personnage interprété pas Lambert Wilson, de placer Sharon Stone à la tête de la société Hedare Beauty, tout en la vêtant d’un tailleur plus chaste. Il aurait fallu également faire de la directrice de conscience de Patience Phillips/Catwoman autre chose qu’une sorcière230 (sans pour autant qu’elle devienne Mère Teresa). Enfin, en baptisant le personnage du policier interprété par Peter Bratt du nom de Tom Lone, qui renvoie onomastiquement l’image d’un tomcat solitaire, l’auteur de l’histoire s’assure que Catwoman reste une femme frêle séduite par un matou romantique investi de l’autorité. Sharon Smith estime que les femmes sont prêtes à apparaître sous un jour bien meilleur :

Women just want a chance to be heroes; a chance to be shown as humanly (not just femininely) frail; and a chance to see men in some of the ungainly situations in which women have so commonly been shown.231

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C’est également le cas dans Sheena (1984).

231

SMITH, Sharon. « The Image of Women in Film: Some Suggestions for Future Research » In: THORNHAM, Sue (Dir.). Feminist Film Theory: A Reader. Edinburgh: Edinburgh University Press, 1999, page 18.

Quelquefois, c’est le cas. The Incredibles (2004) fonctionne sur des prémices selon lesquelles la femme (et les enfants) vient au secours d’un superhéros en détresse. Le chef de famille, Bob Parr, est enlevé par le superméchant Syndrome, et c’est sa famille toute entière qui lui vient en aide. On voit la limite de cette concession : ce n’est pas la femme seule qui sauve le monde, mais bien la famille nucléaire au grand complet.