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Le spectre de Doha et les « nouvelles thématiques »

Chapitre 1 : Revue de la littérature

1.2. La politique du développement à l’OMC

1.2.3. Le spectre de Doha et les « nouvelles thématiques »

suite de notre travail. Premièrement, l’avènement du PDD réitère l’importance de l’épineuse question du développement parmi les priorités du SCM. Plus que simple arène où s’entrechoquent des rapports de force, ce dernier doit être perçu selon certains comme un bien commun mondial dont l’OMC est la garante. Deuxièmement, le Cycle de Doha témoigne des modifications significatives dans la composition de la base des pays-Membres subies par l’OMC depuis sa création. L’accession de la Chine dans l’Organisation n’est pas négligeable, et élevait à 142 (aujourd’hui 164) le nombre de pays-Membres constituant l’Organisation.

Troisièmement, l’échec du Cycle de Doha représente avant tout l’échec de l’OMC à satisfaire sa Règle du consensus. Il n’y a plus de consensus possible, tant les conflits d’intérêts sont nombreux et les États-membres récalcitrants à trouver un compromis qui satisfait tous les pays membres.

27 Mais comment saisir la notion ambivalente de développement dans le contexte actuel de crise à l’OMC ? Pour ce faire, nous n’avons pas besoin d’appréhender le « développement » comme un concept-chimère : en effet, il n’existe pas de définition pour les « pays en développement » à l’OMC, car c’est au pays-Membres eux-mêmes de revendiquer ce statut, ou pas, tandis que la liste des « pays les moins avancés » (PMA) est empruntée à l’ONU.9 Aujourd’hui, et depuis une décennie déjà, une impulsion réformiste hante l’Organisation, et l’impératif du développement recouvre une partie significative des propositions des pays-Membres. En effet, dans une OMC post-Doha, explique un conseiller politique d’une délégation nationale d’un pays développé, « le développement est dans l’ossature même des négociations » (Pandolfi & Rousseau, 2011, p. 264).

Dans un contexte de crise, voire de menace existentielle, l’OMC doit plus que jamais

« développer de nouvelles structures et modèles institutionnels » (Steger, 2007, pp. 4-5) lui permettant d’aller de l’avant, de corriger ses contradictions internes, et de marquer enfin positivement les esprits vingt ans après le début d’un « nouveau millénaire » qui la réjouissait tant il y a vingt ans. Dans un tel contexte réformiste, le développement demeure au cœur des discussions. En effet, l’Organisation ne saurait résoudre les problèmes caractérisant sa structure sans une solution institutionnelle à l’épineuse question du « manque structurel de congruence temporelle découlant des inégalités entre Membres » (Pandolfi & Rousseau, 2011, p. 272).

En effet, les vingt dernières années ne peuvent pas être perçues comme un succès, du point de vue organisationnel. Marc Abélès parle de l’émergence du « dissensus » au sein de l’OMC (2011, p. 127). Ainsi, le modèle de prise de décision par consensus a fait l’objet d’une contestation intensifiée. L’option multilatérale est contestée : les quatre Déclarations conjointes de Buenos Aires introduisent quatre ‘nouveaux thèmes’ à négocier plurilatéralement dans l’OMC. Semblables aux « questions de Singapour » que portait l’UE, et que nous avons évoquées précédemment, ces quatre ‘nouveaux thèmes’ discutés dans le cadre de l’Organisation touchent à la facilitation des investissements, le commerce électronique, les services, et les micros, petites et moyennes entreprises.

Si l’on admet le constat de Jae Chung (2011, p. 184) que « sur le plan formel, l’OMC ressemble à une démocratie qui craindrait par-dessus tout la contestation ouverte, » alors les

9 Voir Quels sont les pays en développement à l’OMC ? : « Il n’existe pas de définition des pays

‘développés’ et des pays ‘en développement’ à l’OMC. Les Membres annoncent eux-mêmes qu’ils font partie des pays ‘développés’ ou ‘en développement.’ Cependant, les autres Membres peuvent contester la décision, prise par un Membre, de recourir aux dispositions prévues en faveur des pays en ‘développement’. » https ://www.wto.org/french/tratop_f/devel_f/d1who_f.htm

28 avantages immédiats du plurilatéralisme déviennent clairs. Dans un processus plurilatéral, la contestation ouverte peut être ignorée plus aisément que dans un processus multilatéral où chaque pays dispose d’un droit de véto et donc d’une garantie de représentativité dans les discussions en cours, ainsi que dans la direction que prend l’Organisation. Ainsi, des pays-Membres en développement comme l’Inde ou l’Afrique du Sud n’ont pas hésité à critiquer le

« tournant plurilatéral » de l’OMC, sur de telles bases.

Selon Curzon, la pression pour l’addition de nouveaux thèmes peut être une conséquence technique de l’activité normale d’une organisation internationale ; lorsqu’émerge une nouvelle thématique qui bénéficierait d’une solution internationale ; ou bien en tant qu’exigence de ses membres, « en particulier lorsque la composition de la base des membres change substantiellement en une période de temps » (Curzon, 1969, p. 248). L’addition de

‘nouvelles thématiques’ ouvertes à la discussion suit une telle logique, et c’est ce que l’on retrouve dans les discours dominants : le commerce électronique est une question de notre siècle, et l’OMC doit donc se l’approprier. Seulement, au cours de ces mouvements, et ceci sera davantage approfondi dans l’analyse, l’on risque de laisser pour compte l’agenda de Doha pour le développement.

Quoi qu’il en soit, tous ces éléments seront repris et approfondis lors de l’analyse, au Chapitre 4. Maintenant, il est temps de passer au prochain chapitre de notre travail, qui tâchera d’introduire les éléments de réflexion qui structureront notre approche théorique. D’un côté, on emploiera la sociologie des organisations internationales, champs de pensée croissant au cours de la dernière décennie. D’un autre, nous reprendrons certaines leçons spécifiques de la discipline des relations internationales. C’est, après tout, le courant principal de sciences sociales abordant sérieusement la question de l’organisation internationale. Somme toute, ces deux disciplines – sociologie et relations internationales – se lient entre elles, et parfois se confondent, dans la notion de constructivisme. C’est donc sur une note constructiviste que nous achèverons l’exploration théorique qui suit, et notamment sur les notions de pratiques et de changement dans les organisations internationales.

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