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Situer le « développement » dans une Organisation Mondiale du Commerce à plusieurs vitesses

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Situer le « développement » dans une Organisation Mondiale du Commerce à plusieurs vitesses

ROMANO SALVADOR, Murillo

Abstract

Dans ce mémoire, le fonctionnement de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est appréhendé par une approche interdisciplinaire. En utilisant la sociologie des organisations, les relations internationales, et autres disciplines, on veut comprendre comment cette institution promeut le développement dans le monde tout en assurant sa propre préservation.

Notamment, on cherche à savoir si l'essor des processus de négociation plurilatérale au sein de l'OMC depuis la déclaration de Buenos Aires en 2017 contribue aux urgences du développement économique. Ainsi, en se fondant sur une analyse empirique des pratiques diplomatiques de communication par télégrammes, on aboutit aux résultats suivants : On constate dans les faits l'émergence d'un nouveau système de coopération internationale dans le cadre de l'OMC, entre les voie plurilatérale et multilatérale. Celui-ci se fonde sur une politique de la vitesse entre les pays-Membres. Néanmoins, il est trop tôt pour dire si ce nouveau système sera en mesure de débloquer l'instance de négociation multilatérale de l'Organisation, et à l'avancement du Programme [...]

ROMANO SALVADOR, Murillo. Situer le « développement » dans une Organisation Mondiale du Commerce à plusieurs vitesses. Master : Univ. Genève, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:148429

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Maîtrise de socioéconomie

Situer le

« développement » dans une

Organisation mondiale du commerce à

plusieurs vitesses

Réalisé sous la direction de Prof. Mathilde Bourrier

Murillo Romano Salvador Semestre d’automne, 2020

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... 4

Introduction ... 5

Chapitre 1 : Revue de la littérature ... 10

1.1. Crises à l’OMC et « crise de l’OMC » ... 10

1.1.1. Des organes en crise ... 10

1.1.2. Des principes en crise ... 12

1.1.3. Un système en crise ... 16

1.2. La politique du développement à l’OMC ... 19

1.2.1. Le développement dans l’organisation internationale ... 19

1.2.2. Le cycle « pour le développement » de Doha ... 22

1.2.3. Le spectre de Doha et les « nouvelles thématiques » ... 26

Chapitre 2 : Cadre théorique ... 29

2.1. Sociologie des organisations et OMC ... 29

2.1.1. Revue des idées en sociologie des organisations ... 29

2.1.2. Sociologie des organisations internationales ... 35

2.1.3. Dysfonctionnement et pathologie dans l’organisation internationale ... 40

2.2. Constructivisme et changement dans l’organisation internationale ... 44

2.2.1. La pensée constructiviste dans un monde changeant ... 44

2.2.2. Le courant des pratiques en relations internationales ... 48

2.2.3. Le changement dans les organisations internationales ... 51

Chapitre 3 : Méthode de recherche ... 57

3.1. Terrain et réflexivité ... 57

3.2. Éléments de recherche empirique ... 62

3.2.1. Les télégrammes ... 62

3.2.2. Les enregistrements ... 66

Chapitre 4 : Analyse ... 68

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2

4.1. Présentation et rappel de la problématique ... 68

4.2. Éclairer l’obscurité à l’OMC : l’émergence informelle du plurilatéralisme ... 70

4.3. Resituer la notion de « développement » au sein d’une l’OMC divisée ... 77

4.4. Plurilatéraux, multilatéraux, et stratégies de sortie de crise ... 83

Conclusion ... 90

Bibliographie ... 91

Annexes ... 99

A. Organigramme de l’OMC ... 99

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1 : Du GATT à l’OMC – un aperçu des changements-clé _____________________ 21 Figure 2 : Système rationnel – l’OMC et ses règles ________________________________ 32 Figure 3 : Système naturel – l’OMC et sa préservation _____________________________ 33 Figure 4 : Système ouvert – l’OMC et son environnement ___________________________ 35 Figure 5 : Les groupes de négociation pour l’agriculture dans l’OMC _________________ 39 Figure 6 : La globalisation sous l’angle de la modernité réflexive ____________________ 46 Figure 7 : Les pratiques organisationnelles et leur double-structuration _______________ 49 Figure 8 : Ébauche de typologie du changement dans l’organisation internationale ______ 53 Figure 9 : Typologie du changement dans l’organisation internationale _______________ 54 Figure 10 : « Politique de la vitesse » dans une OMC à cercles concentriques __________ 76 Figure 11 : Groupes « anti- » et « pro- » plurilatéralisme et le « développement » _______ 83 Figure 12 : Schématisation (non-exhaustive) des interactions entre multilatéralisme et

plurilatéralisme dans l’OMC à travers les pratiques _______________________________ 86 Figure 13 : L’OMC à la conquête de son environnement ? __________________________ 87 Tableau 1 : Sources de dysfonctionnement dans les organisations internationales________ 40 Tableau 2 : Déclarations conjointes de Buenos Aires, 2017__________________________ 70

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INDEX DES ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS

ACP Groupe des pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ACPr Accord commercial préférentiel

CEPALC Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes CNUCED Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement ECOSOC Conseil économique et social des Nations unies

GATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce IHEID Institut de hautes études internationales et du développement NPF Clause de la nation la plus favorisée

OA Organe d’appel

OEPC Organe d’examen des politiques commerciales OMC Organisation mondiale du commerce

OMD Objectifs du Millénaire pour le développement ONU Organisation des Nations unies

ORD Organe de règlement des différends OWINFS Our World is not for Sale

PDD Programme de Doha pour le développement PMA Pays moins avancé

Quad Groupe des États-Unis, de l’Europe, du Japon et du Canada.

RCEP Partenariat régional économique global SMC Système multilatéral commercial TPP Accord de partenariat transpacifique UE Union européenne

UNIGE Université de Genève

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RÉSUMÉ

Dans ce mémoire, le fonctionnement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est appréhendé par une approche interdisciplinaire. En utilisant la sociologie des organisations, les relations internationales, et autres disciplines, on veut comprendre comment cette institution promeut le développement dans le monde tout en assurant sa propre préservation. Notamment, on cherche à savoir si l’essor des processus de négociation plurilatérale au sein de l’OMC depuis la déclaration de Buenos Aires en 2017 contribue aux urgences du développement économique. Ainsi, en se fondant sur une analyse empirique des pratiques diplomatiques de communication par télégrammes, on aboutit aux résultats suivants :

On constate dans les faits l’émergence d’un nouveau système de coopération internationale dans le cadre de l’OMC, entre les voie plurilatérale et multilatérale. Celui-ci se fonde sur une politique de la vitesse entre les pays-Membres. Néanmoins, il est trop tôt pour dire si ce nouveau système sera en mesure de débloquer l’instance de négociation multilatérale de l’Organisation, et à l’avancement du Programme de Doha pour le développement, qui concentre la majorité des intérêts économiques des pays les plus démunis de la planète. Tandis que rien n’indique que l’OMC est en « danger de mort » comme l’on pourrait entendre, de nombreux défis doivent encore être relevés par les acteurs du développement économique.

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INTRODUCTION

« Tout comme la modernisation continue (obsessionnelle et imparable) n’est pas un processus menant à la modernité, mais la substance même de la modernité, de même la mondialisation incessante et définitivement

inachevée est l’essence de la nouvelle mondialité de la condition humaine. » (Bauman, 2001, p. 138) Le débat autour de l’avenir de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) bat son plein. De toutes parts, politiciens, diplomates, technocrates, journalistes et universitaires contestent ou réaffirment le bon fonctionnement de cette organisation internationale en charge du système multilatéral commercial (SMC) – et ceci déjà depuis plusieurs décennies. Trop désuète, trop puissante, trop injuste, trop instrumentalisée : entre autres, ce sont les accusations que l’on dirige aujourd’hui à l’Organisation, dans un débat aux lignes de démarcation floues, mobiles, et qui elles-mêmes peuvent faire l’objet d’attaques.

On se souviendra de la « bataille de Seattle » en 1999,1 comme un coup de frein brutal à l’élan d’une jeune Organisation qui se projetait emplie d’espoirs dans les eaux pourtant troubles du nouveau millénaire. En effet, depuis sa création, en 1995, l’OMC a souvent fait les gros titres dans la presse, mais rarement sous une lumière positive. Pire, au cœur de la gouvernance mondiale multilatérale, cette institution est en outre affectée par toutes les failles d’un système qui, à l’heure de 2020, est perçu comme impuissant face aux besoins les plus urgents de la population mondiale. Étrangement, dans ce grand débat, l’OMC apparaît relativement lucide. Ainsi, elle organise conférences et table-rondes abordant la question du

« chemin à prendre » ; et son Directeur-général délivre fréquemment discours et communiqués précisant qu’il est à l’écoute, qu’il est conscient qu’il faut changer, « réformer, » ou ce sera la fin du commerce « basé sur des règles » qu’il s’efforce de garantir.

1 La ville de Seattle aux États-Unis avait été sélectionnée pour accueillir la troisième Conférence Ministérielle de l’OMC en Novembre 1999. Cependant, des manifestations massives ont éclaté, revendiquant les causes des droits du travail, l’économie durable et sociale. La réponse brutale des autorités, mesure drastique d’un Gouverneur qui déclarait l’état d’urgence dès le premier jour de la Conférence, a été critiquée par de nombreux observateurs (Seattle Municipal Archives, 2020). L’évènement s’inscrit ainsi dans la plus longue histoire de contestation civile vis-à-vis de la raison d’être même de l’OMC, victime chronique de crises de légitimité (McMichael, 2000).

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6 Justement, parmi les grandes propositions réformistes, il y en a une qui sera analysée dans ce travail : la voie du plurilatéralisme. De ce fait, dans une « organisation dirigée par ses membres, » où chaque pays dispose d’un droit de véto, l’accord se fait rare. Ainsi, en 2004 le Conseil consultatif au Directeur-général de l’Organisation était « d’avis que des approches plurilatérales possibles pour les négociations à l’OMC devraient être examinées » (Sutherland, et al., 2004, p. 77). Et, en 2017, à l’issue de sa Conférence ministérielle à Buenos Aires, l’OMC inaugurait en son sein quatre nouveaux processus formels de négociation plurilatérale, portant sur quatre « nouvelles thématiques du 21ème siècle » : i. Facilitation des investissements ; ii.

Commerce électronique ; iii. Services ; iv. Micro, petites et moyennes entreprises.

« Trahison, » pour des pays en développement rapidement perçus comme

« récalcitrants » comme l’Inde, ou l’Afrique du Sud, qui voyaient-là un détournement des promesses faites par l’OMC lors de son cycle de Doha « pour le développement » dont les négociations n’avancent pas depuis vingt ans. Mais, pour d’autres pays en développement, comme le Brésil, la Chine ou la Russie, c’était une victoire du « pragmatisme » ou de la promesse de résultats « incrémentaux » dans des « thématiques spécifiques » entre des pays- Membres « intéressés ». Or, cette confrontation entre pays en développement – d’apparence paradoxale, considérant la cohésion historique de ce bloc –, exemplifiée par la scission des BRICS face au plurilatéralisme, sera centrale dans notre analyse.

Le plurilatéralisme, en somme, c’est le multilatéralisme moins un pays-Membre : il s’agit d’un processus de négociation qui n’inclurait pas la totalité de la base de Membres de l’Organisation, ce qui lui vaut d’être parfois qualifié de « plus flexible » que la voie du consensus. D’un, ces approches plurilatérales permettraient aux pays-Membres qui le souhaitent d’avancer sur des sujets particuliers lorsque ceux-ci échouent à susciter le consensus de toute la base. De deux, un soutien formel de la part de l’OMC à leur égard pourrait dissuader ses pays-Membres plus influents d’aller obtenir des résultats par d’autres voies, extérieures à l’instance négociatrice de l’Organisation, comme les accords bilatéraux ou régionaux (Steger, 2007, p. 9).

Bien-sûr, il existe un risque majeur pour ces pays qui, marginalisés (volontairement ou pas) des processus plurilatéraux, n’auront aucunement contribué à l’élaboration de traités qu’ils pourraient pourtant adopter dans l’avenir. C’est une mauvaise solution, en somme, pour beaucoup de pays-Membres en développement, notamment. Mais pour ses champions (Brésil, Chine ou Russie), la voie plurilatérale apparaît comme la seule solution possible à ce jour dans une OMC paralysée. Que doit faire l’OMC, donc ? Doit-elle promouvoir l’échange commercial

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« libre » ou « équitable » ? Doit-elle défendre les impératifs du développement ? Doit-elle lutter contre les externalités négatives de la mondialisation : inégalités économiques, conflits politiques, pauvreté, chômage de masse ? Quoi qu’il en soit : que peut-elle vraiment faire ? N’est-elle pas « paralysée, impuissante, manipulée, » après tout ? Du moins, c’est ce que l’on peut entendre. Donc, examinons l’hypothèse suivante : considérant toutes ses crises, l’OMC est-elle encore aujourd’hui une organisation de la coopération internationale ?

Le mot-clé est organisation, dans son sens premier : « l’action d’organiser, de structurer, d’arranger, d’aménager » (Larousse, 2020). Quant à coopération, c’est un mot que nous devons cerner de près. D’un côté, la coopération est à distinguer de l’intégration, par exemple, qui, elle, désigne un processus de recentrage stratégique des intérêts individuels vers une autorité centrale, qui serait elle-même dotée d’une instance de décision opérant au nom de l’ensemble de ses membres. D’ailleurs, la coopération peut exister sans l’intégration – elle peut même surgir dans une situation de conflit (Cox, 1969b, pp. 296-297). Ainsi, nous adopterons cette définition fonctionnaliste de la coopération : la coopération internationale vise à prévenir les impulsions agressives des États-nations tout en soumettant à la concurrence leurs systèmes politiques (p. 303).

L’organisation internationale est, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, un élément central dans la promotion du développement à travers le monde. La création de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) en est emblématique. Aussi, la relation entre l’OMC et l’impératif du développement économique est ancienne et compliquée. Cette histoire sera pleinement exposée lors du Chapitre 1. Ce que nous cherchons à déterminer, compte-tenu de ces éléments, c’est si l’instance de coopération qu’incarnerait l’OMC aujourd’hui favorise, ou pas, le développement économique mondial.

Plus spécifiquement, nous aborderons notre problématique sous l’angle du « tournant » plurilatéral de cette organisation.

En effet, la création de quatre processus de négociation plurilatérale au sein de l’OMC en 2017 est assez paradoxale. D’une part, l’initiative relative à la facilitation des investissements, par exemple, est portée par des pays-Membres en développement de l’Organisation (Brésil, Chine, Russie, notamment). D’autre part, ces négociations plurilatérales touchent à des thématiques – comme l’investissement – contre lesquelles se sont battus le bloc développementaliste de l’OMC pendant les vingt dernières années. De ce fait, des pays- Membres en développement comme l’Inde refusent de s’engager dans des processus

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8 plurilatéraux avant d’avoir achevé le Programme de Doha pour le développement de l’institution, qui incarnerait les principaux intérêts des pays les plus démunis de la planète.

Comment faire sens de cette contradiction entre les pays-Membres en développement de l’OMC ? Les initiatives plurilatérales portées par des pays en développement sont-elles vraiment « pour le développement », comme pût l’être l’agenda du cycle de Doha ? S’agit-il là d’une nouvelle configuration des intérêts nationaux au sein de l’OMC, articulant ainsi l’émergence d’alliances inédites ? C’est autour de ce questionnement que se fondera notre problématique, qui est donc la suivante :

→ L’essor des négociations plurilatérales dans une OMC en crise : vers un nouveau système de coopération pour le développement économique mondial ?

Afin d’y répondre, nous examinerons tout d’abord quelques éléments de contexte.

Quelles crises traversent l’OMC aujourd’hui ? Comment ces crises sont-elles appréhendées par la littérature académique ? Et comment appréhender la politique du développement à l’OMC ? Quels sont ses caractéristiques principales, et comment les ‘nouvelles thématiques’

plurilatérales s’insèrent-elles dans ce contexte ? Ces questions seront abordées dans le Chapitre 1. En outre, ce chapitre explorera une grande diversité de disciplines en sciences sociales (les relations internationales, l’économie, l’histoire et la sociologie) afin d’y trouver tous les éléments nécessaires au déploiement de notre réflexion. Par exemple, il sera important pour notre analyse de mieux comprendre l’histoire du développement à l’OMC. De même, nous devons expliquer ce qu’on entend par « agenda de Doha » et comment cette question s’insère dans les débats de cette institution.

Ensuite, nous introduirons les outils théoriques qui seront utilisés dans ce travail. Ceci constituera le Chapitre 2. Encore une fois, plusieurs disciplines de science sociale seront mobilisées. Tout d’abord, il y a la sociologie des organisations : comment concevoir une organisation internationale sous l’angle de cette approche ? Si les crises de l’OMC menacent la raison d’être de l’Organisation, alors la sociologie des organisations pourraient nous fournir des pistes nécessaires à comprendre ses stratégies de résilience. Nous toucherons aussi au courant constructiviste, tant dans la sociologie que dans les relations internationales : où situer les pratiques des agents individuels, comme les diplomates, dans le contexte plus large de la structure de l’OMC ? Comment concevoir le changement organisationnel sous l’angle des pratiques quotidiennes des individus qui composent l’OMC ? En outre, grâce à ce chapitre, notre réflexion s’inscrira dans un plus large mouvement de réflexion existant sur les aspects

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9 sociologiques et institutionnels des relations internationales, et de la pensée critique sur le développement économique.

L’adage d’Emmanuel Kant postule que « la théorie est absurde sans la pratique et la pratique est aveugle sans la théorie ». Ainsi, le Chapitre 3 discutera de comment nos résultats se fondent sur des pratiques diplomatiques empiriquement observables, tout en les inscrivant dans un contexte organisationnel et politique plus large. Donc, ce chapitre explorera l’école des pratiques en relations internationales, en se fondant notamment sur les travaux de Vincent Pouliot, Frédéric Mérand, et autres collaborateurs. Il sera également intéressant, dans le cadre de ce chapitre, de développer un exercice de réflexivité sur mon propre rôle au cours de cette recherche. Celui-ci sera important afin de justifier mon intérêt pour la problématique générale, ainsi que pour le terrain et la méthodologie employée. Avec ces éléments, nous pourrons passer à l’analyse.

Le Chapitre 4 puisera de tous les sections précédentes afin de construire une analyse à même de répondre à la problématique. Ainsi, nous utiliserons les méthodes de recherche exposées afin de décrire l’émergence informelle de la négociation plurilatérale dans le sein de l’OMC, et ceci avant même les déclarations publiques de Buenos Aires en 2017. En outre, une plus claire image des pratiques diplomatiques construisant et reconstruisant l’OMC chaque jour, nous viserons à situer la place de l’action « pour le développement » dans le champ organisationnel. Ce-faisant, l’analyse sera en mesure de déterminer la contribution du plurilatéralisme pour l’avancement des intérêts des pays-Membres en développement de l’OMC. À terme, notre réflexion dévoilera les mécanismes sous-jacents de résilience perpétuant l’existence de l’OMC aujourd’hui, ainsi que les implications qu’ils portent pour l’impératif du développement.

Et dans une conclusion, nous ferons la synthèse de tout le travail. Plus spécifiquement, nous affirmerons que tandis que l’OMC est aujourd’hui plus résiliente que l’on croit, il n’est pas pour autant possible de dire qu’elle promeut le développement économique, ou que l’essor des plurilatéraux dans le sein de l’institution fait avancer l’agenda de Doha pour le développement. En effet, nous postulerons le contraire : l’essor des pratiques de négociation plurilatérale dans le cadre de l’OMC renforce la capacité de l’institution à gérer ses contradictions internes, mais rien n’indique que ces pratiques contribuent au développement économique des pays-Membres les plus démunis.

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CHAPITRE 1 : REVUE DE LA LITTÉRATURE

1.1. Crises à l’OMC et « crise de l’OMC »

S’il est aujourd’hui communément admis que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est en crise, il n’est pas pour autant à définir précisément de quoi parle-t-on lorsqu’on prononce le mot ‘crise’ au Centre William Rappard (CWR), à Genève, siège de l’OMC.

Comment caractériser la crise de l’OMC dont on entend tant parler ? Si « l’OMC est à la croisée des chemins, » affirme son Directeur général Roberto Azevêdo (2013 à 2020), c’est « parce que cette Organisation est trop importante pour avoir la vie facile » (OMC, 2020). Le monde est complexe, dit-on, et cela vaut aussi pour l’organisation internationale en charge du système commercial de ce monde.

Ce que l’on peut dire avec certitude, dans tous les cas, c’est que « la crise » affligeant l’OMC est multiple, complexe, « trop complexe pour s’expliquer par une seule cause, » écrit Franck Petiteville (2013, p. 349). Ainsi, il conviendra ici d’identifier les crises composant

« la crise », terme générique dont il faut se débarrasser. Il s’agira donc ci-dessous de brièvement passer en revue les crises affectant l’OMC que l’on peut croiser à travers la littérature.

1.1.1. Des organes en crise

Considérons tout d’abord les diverses crises observées dans les principaux Organes de l’OMC – là où jurisprudence et diplomatie se rencontrent pour maintenir d’une pièce l’ordre commercial multilatéral basé sur des règles. Si les éléments de littérature mentionnés dans cette section ne feront pas forcément l’objet de la réflexion de l’auteur, il demeure inévitable d’en faire l’inventaire dans la mesure où on est ici au cœur du dysfonctionnement de l’OMC, du point de vue institutionnel et procédural. Un organigramme (cf. Annexe A) appuie la lecture.

L’Organe de règlement des différends

L’Organe de règlement des différends (ORD), souvent considéré comme le

« joyau » de l’Organisation (OMC, 2019), incarne la branche juridique de cette dernière. En somme, l’ORD a pour fonction d’instituer un panel indépendant exerçant le pouvoir de faire respecter les « règles du jeu » établies par l’instance de négociation de l’OMC (McDougall, 2018, p. 873). Du fait de son importance, la crise de l’ORD figure sans doute parmi l’un des champs d’étude les plus profonds et techniques que l’on peut trouver dans la littérature, mêlant une variété de disciplines comme les relations internationales, le droit, ou l’économie.

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11 En outre, on distingue une tension entre ceux prônant un fonctionnement « légaliste » au sein de l’ORD, où les règles l’emportent sur le poids économique des pays-Membres concernés par les procédures, et ceux revendiquant une approche « anti-légaliste » davantage fondée sur la diplomatie et la politique (Hudec, 1980 ; de Mesquita, 2019, pp. 166-167).

Considérant la complexité du sujet, l’auteur ne se propose pas de développer davantage la crise de l’ORD. Néanmoins, en vue de son importance relative, il convient d’énoncer quelques exemples de critiques faites à l’Organe en question, qui peuvent éclairer notre compréhension de la problématique générale.

Burgos (2011) dénonce les difficultés rencontrées par les pays-Membres en développement de l’Organisation à se servir de l’ORD, d’une part en termes de coûts nécessaires pour mener à bien une procédure visant un pays-Membre plus riche en capital de toutes sortes, et d’autre part en termes de compromis que doivent fournir ces pays lorsqu’ils s’engagent dans un tel bras de fer diplomatique. Graham (2020) remarque que des pays- Membres puissants, comme les États-Unis, accusent l’ORD d’avoir trop souvent interprété les textes des différents accords de l’OMC – crainte redoublée par l’inquiétude que les décisions de cet Organe puissent créer des précédents juridiques, devenant ainsi une source importante de distorsion des règles du jeu. Ce dernier fait référence au processus dit de judiciarisation de l’OMC, sur lequel écrit Jean-Marc Siroën (2007a) :

« À terme, les règles de l’OMC risquent de se définir non par la négociation et le consensus, mais par le pouvoir d’interprétation des juges.

On assisterait alors au paradoxe d’une Organisation en principe conduite par les États membres, mais qui verrait son droit évoluer au gré de la jurisprudence de l’Organe d’appel » (p. 13).

Mariella Pandolfi et Philip Rousseau (2011) expliquent plus en détail :

« L’OMC est bel est bien conduite par ses membres (member-driven), mais jusqu’à ce que les règles soient établies. Après, les membres, en principe, s’adaptent et sont régulièrement évalués en fonction de cette adaptation. […]. Le danger est évidemment que l’OMC devienne un mécanisme décisionnel omnipotent où des questions cruciales sont réglées par l’entremise des mécanismes juridiques en place » (pp. 275-277).

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12 L’Organe d’appel

L’Organe d’appel (OA) de l’OMC est en crise depuis Décembre 2019, date d’expiration du mandat de deux des trois membres restants de l’Organe, qui en temps normal en disposerait de sept. En effet, les États-Unis ont bloqué la nomination de nouveaux membres à l’OA, provoquant sa paralysie (Hoekman & Mavroidis, 2019). Ainsi, la situation de crise se manifeste dans la mesure où l’OA ne peut plus remplir sa fonction, soit celle de « confirmer, modifier ou infirmer les constatations et les conclusions juridiques du groupe spécial » de l’ORD susmentionné, selon le paragraphe 13 de l’Article 17 du Mémorandum d’Accord sur le règlement des différends, établi lors du cycle d’Uruguay (OMC, 2018, p. 246).

L’Organe d’examen des politiques commerciales

L’Organe d’examen des politiques commerciales (OEPC) a pour objectif l’amélioration de la transparence entre les pays-Membres de l’OMC, à travers l’évaluation par les pairs de leurs politiques commerciales respectives, tel qu’institué par l’Annexe 3 de l’Accord de Marrakech en 1994. S’il est aujourd’hui considéré comme l’Organe le plus fonctionnel de l’OMC, Kende (2018) identifie tout de même des contradictions fondamentales au sein de l’OEPC. En effet, suggère l’auteur, qu’il existe une tension entre le mandat faible d’exigence de transparence de l’OEPC et le mandat fort de résolution de litiges de l’ORD. En effet, si l’OEPC se réclame d’une entreprise de fond visant à arrondir les bords du commerce mondial, il existe toutefois une démarcation difficile à tracer entre l’exigence de notifications de la part des pays-Membres au nom de la transparence d’une part, et la création de nouveaux coûts administratifs injustes pour les pays-Membres en développement, d’autre part. De même, le retour du protectionnisme ces dernières années constitue un défi de taille pour l’OEPC d’une Organisation dont le mot-maître est celui du libre-échange (Kende, 2018, p. 285).

1.1.2. Des principes en crise

Nous allons maintenant élaborer quelques éléments utiles à l’analyse, concernant l’OMC dans son ensemble mais émanant particulièrement de son instance de négociation. De fait, la littérature concernant l’instance de négociation de l’Organisation revêt un intérêt particulier pour ce travail de recherche, dans la mesure où l’on s’intéresse à l’apparition (ou, plutôt, réapparition) des processus plurilatéraux au sein de l’OMC depuis 2017. Ainsi, les éléments détaillés ci-dessous seront davantage explorés plus tard dans l’analyse. Il s’agira ici de passer en revue la littérature concernant le Principe du consensus et la Clause de la nation la plus favorisée, afin d’ identifier un point de départ à la réflexion qui est la nôtre.

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13 Le Principe du consensus

« Pour l’instant, l’OMC demeure une organisation conduite par ses membres et fidèle au Principe du consensus, » affiche la page-web institutionnelle À qui appartient l’OMC ? Si l’on reviendra plus tard au « pour l’instant », il importe tout de suite de signaler que ledit Principe du consensus est une règle d’or de l’instance de négociation de l’OMC depuis sa fondation lors du cycle d’Uruguay, et c’est une règle héritée de son prédécesseur : l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT).2 En somme, chaque pays dispose d’un droit de véto et les accords sur les « règles du jeu » sont établis par consensus. Selon la nature de la décision, une majorité à trois quarts peut aussi être admise, mais alors cette dernière n’affectera que les pays-Membres qui l’acceptent.3

« Rien n’est accepté jusqu’à ce que tout soit accepté » est un adage connu des participants aux négociations de l’OMC, écrit Wolfe (2009). Mais, plus encore qu’un simple dicton, l’expression provient d’une conception profonde de ce que doit être l’Organisation, souligne ce dernier. Selon cette perspective, présente dans la littérature et caractéristique de la position de pays-Membres comme l’Inde ou l’Afrique du Sud,4 le Principe du consensus constitue l’aboutissement de la trajectoire historique d’un « système commercial basé sur des règles » perçu comme légitime. Ainsi, s’il demeure une flexibilité – nécessaire – au niveau de l’implémentation des règles par ses pays-Membres, précise l’auteur, l’OMC consiste en un

« acquis communautaire, […], aux obligations cumulatives, auxquelles l’on se conforme simultanément » (Wolfe, 2009, p. 843).

Néanmoins, les critiques faites au Principe du consensus sont nombreuses dans la littérature. De fait, en tant que protocole décisionnel, on imagine sans doute qu’une fine compréhension du Principe – tel qu’il est pratiqué – devrait mettre en lumière les plus profondes contradictions à l’œuvre dans l’instance de négociation de l’OMC. Passons donc en revue quelques-unes des principaux reproches faites à ce système, bien qu’une analyse plus exhaustive en soit faite plus tard, dans la mesure où il interagit significativement avec les approches dites plurilatérales qui font l’objet de ce travail. De ce fait, écrit Petiteville (2013) :

2 En réalité, l’article XXV de l’accord du GATT prévoit la possibilité de vote par majorité dans les cas où le consensus est impossible à atteindre. Néanmoins, la culture de l’institution appelle à ne jamais faire ressort au vote, et à cultiver le consensus autant que possible (Steger, 2007, p. 5).

3 Comprendre l’OMC : l’Organisation. À qui appartient l’OMC ?

Disponible ici : https ://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/org1_f.htm [Dernier accès le 23 octobre 2020].

4 Les positions respectives des pays sur ces thématiques seront explorées dans le détail lors de l’étude de cas, postérieurement dans l’analyse.

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« Le fait que les États en négociation soient si nombreux, qu’ils défendent des intérêts si hétérogènes et que les procédures de décision soient si contraignantes – puisqu’il est nécessaire d’emporter l’adhésion de chacun d’entre eux – expliquerait aisément les difficultés de la négociation à l’OMC… Et le consensus est une règle instrumentale de légitimation collective des décisions prises à l’OMC » (pp. 349-350).

Selon Siroën (2007b), le Principe du consensus occulte des asymétries fondamentales.

Par exemple, il existe des pays-Membres à trop petits marchés, dits passagers clandestins, dans les négociations. Pour ceux-ci, le droit de véto constitue un outil précieux pour influencer les discussions, obtenir des concessions, ou bien échanger contre des soutiens dans d’autres thématiques – à l’intérieur ou à l’extérieur de l’OMC. Dès lors, le Principe de consensus contribuerait au maintien d’une économie des intérêts dépassant le cadre même de l’Organisation, mêlant multilatéralisme et bilatéralisme, dans la mesure où les exigences de chaque pays-Membre « sont très ciblées sur des thèmes et sur des pays » (Siroën, 2007b, pp.

13-14). En effet, dans un ouvrage collectif, Aileen Kwa (2003) donne voix à des négociateurs anonymes de pays-Membres en développement à l’OMC : ceux-ci se lamentent sur les pressions politiques exercées par d’autres Membres plus puissants dans les capitales respectives des pays moins aisés, afin d’influencer en amont leurs positions à Genève (pp. 13-14).

Le principal exemple d’une telle instrumentalisation du Principe du consensus, indique Caporal et al. (2019), se retrouve dans le constat que l’OMC ne peut aller au-delà du mandat établi par le Programme de Doha pour le développement (PDD)5 tant que cet agenda n’est pas effectivement achevé. Ce point de contention, soutenu généralement au sein de l’OMC par les pays en développement, s’oppose à la réticence des pays-Membres plus riches à investir davantage de temps et capital politique dans un PDD qui, depuis le Cycle de Doha en 2001, n’a pas produit de résultats (Caporal, Reinsch, Waddoups, & de Montaigu, 2019, pp. 14-15). Or, ce blocage au consensus dans l’instance de négociation de l’OMC est un des principaux facteurs contribuant à la popularité récente des processus plurilatéraux. Ainsi, sa compréhension fine sera capitale dans le cadre de ce travail, et les éléments susmentionnés seront explorés plus exhaustivement dans les sections qui suivent. Pour l’instant, il suffit de noter que la tension liée à l’échec du PDD articule aujourd’hui une part significative des désaccords caractérisant le dysfonctionnement de l’instance de négociation de l’OMC.

5 Une revue détaillée du cycle de Doha et de son PDD est développée dans une section suivante.

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15 Les Clauses de la nation la plus favorisée et de traitement national

La Clause de la nation la plus favorisée (NPF) et la Clause de traitement national sont garantes de ce que l’on peut appeler la concurrence loyale dans le commerce international.

D’une part, la NPF postule qu’un pays-Membre ne peut pas accorder de faveur spéciale à un autre sans la garantir également à l’ensemble de ses partenaires commerciaux. D’autre part, la Clause de traitement national stipule qu’un pays-Membre doit considérer de manière égale ses produits de fabrication nationale avec ceux d’importation, une fois que ces derniers ont été admis dans le marché intérieur.6 Évidemment, leur mise en pratique est bien plus compliquée, mais elle ne fera pas l’objet de cette analyse. En revanche, il importe ici de passer en revue la littérature sur la manière dont ces Clauses interagissent avec les diverses crises auxquelles fait face l’OMC aujourd’hui.

Tout d’abord, soulignons qu’un effort de recherche important a été mené sur la question de l’intégration commerciale régionale, ainsi que sur les effets positifs ou néfastes de celle-ci sur l’intégration multilatérale (OMC, 2011, p. 166). Cela est important dès lors que s’il existe un défi majeur pour la NPF, il s’incarne bien dans les Accords commerciaux préférentiels (ACPr) que négocient les États à l’extérieur de l’OMC. Il est juste d’affirmer que cette préférence des pays d’une région à faire bloc – soit-il commercial ou pas – n’est pas nouvelle et précède l’existence même de l’Organisation. Les exemples abondent, du Marché unique Européen à l’Accord de libre-échange nord-américain (remplacé par l’Accord Canada–États- Unis–Mexique en juillet 2020).

En bref, le débat animant la littérature sur le lien entre la NPF et les ACPr vise à déterminer si la formation d’un bloc commercial entre deux nations peut s’avérer défavorable aux tiers, exclus du groupe. C’est un sujet complexe qui ne fera pas l’objet de ce travail, mais il apparaît qu’il est difficile de tirer une quelconque règle générale sur la question : le cas-par- cas prime (Freund & Ornelas, 2009 ; Winters, 2011).

Ce qui nous concerne, en revanche, serait plutôt de déterminer si la prolifération de de ces accords plurilatéraux régionaux, les ACPr, crée des implications stratégiques majeures pour l’OMC elle-même. Ainsi, il serait intéressant d’explorer dans quelle mesure l’OMC est en concurrence avec son propre environnement, comme l’indiquent Hoekman & Mavroidis (2015) : tandis que l’Organisation prévoit des mesures à appliquer pour mener des négociations

6 Comprendre l’OMC : Les principes qui inspirent le système commercial.

Disponible ici : https ://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact2_f.htm [Dernier accès le 23 octobre 2020].

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16 plurilatérales en son sein, celles-ci peuvent entrer en concurrence avec les nombreuses négociations plurilatérales existant dans le cadre des ACPr du monde.

D’une part, il est probable que le blocage existant dans l’instance de négociation de l’OMC ait poussé des pays à aller négocier ailleurs. En effet, Pandolfi et Rousseau (2011) constatent que « le recours accru des pays développés à des ententes bilatérales [ou plurilatérales], plus rapides et plus flexibles, peut également être une stratégie politique visant à contrecarrer un poids institutionnel » (p. 271). D’autre part, l’existence même d’une alternative, comme les ACPr, réduit naturellement l’intérêt des États à négocier sur une base multilatérale (Hoekman & Mavroidis, 2015, p. 320). Une idée force explorée dans ce travail soutient que la promotion des processus de négociation plurilatérale par l’OMC pourrait freiner la tendance des pays à faire recours à des ACPr à l’extérieur de l’institution. En plus, ces nouvelles thématiques plurilatérales seraient incorporées dans le champ et la portée (le

« mandat ») de l’Organisation.

1.1.3. Un système en crise

Si jusqu’à présent la réflexion s’est avant tout concentrée sur l’OMC et ses crises, il est temps maintenant d’élargir son point de vue afin de mieux comprendre comment les dysfonctionnements manifestes dans cette Organisation sont également symptomatiques de crises plus larges, plus complexes, communément rassemblées sous le terme de crise du multilatéralisme. Évidemment, encapsuler une partie significative des changements structurels affectant aujourd’hui le monde en un seul mot n’aiderait pas nos efforts. Ainsi, il s’agira tout d’abord de passer en revue quelques éléments de réflexion sur la crise du multilatéralisme, présents dans la littérature. Puis, on évaluera les manières dont ce phénomène affecte l’OMC, à l’aide d’exemples présents dans la littérature récente.

Le multilatéralisme

La notion d’un multilatéralisme en crise, en soi, n’est pas nouvelle. Celle-ci peut être retrouvée, par exemple, en 1988, au sein d’un recueil d’articles intitulé The U.N. Under Attack, qui proposait un agenda de réforme à l’Organisation des Nations unies (ONU), alors sous croissante pression américaine (Harrod & Schriver, 1988). En outre, écrit Cox (1992), le multilatéralisme se doit d’être conçu comme une construction historique, économique et politique, issue d’un contexte spécifique qui est celui du capitalisme de marché. Enfin, poursuit- il, le multilatéralisme en pratique anime un processus dialectique :

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« Le multilatéralisme peut être examiné de deux points de vue : l’un, comme l’institutionnalisation et la régulation de l’ordre établi ; l’autre, comme le locus des interactions visant à transformer l’ordre établi. Le multilatéralisme, c’est ces deux choses, mais chacune des deux trouve sa base dans une part différente de la structure générale du multilatéralisme, et chacune des deux poursuit une stratégie unique.7 » (p. 163)

La capacité de distinguer ces deux principes à l’œuvre dans le multilatéralisme – institutionnalisation et transformation – nous permet de mieux saisir le processus dialectique de sa crise. En outre, une telle distinction s’aligne aisément avec une interprétation de l’histoire comme en propose Polanyi dans La Grande Transformation (1983) : l’avènement du multilatéralisme comme mécanisme de régulation du capitalisme mondial implique l’instauration d’un double mouvement. Il écrit : « le marché s’est continuellement étendu, mais ce mouvement a rencontré un contre-mouvement contrôlant cette expansion dans des directions déterminées » (Polanyi, 1983, p. 179). Comprendre la crise du multilatéralisme sous le prisme de l’OMC revient ainsi à comprendre la place de l’OMC dans ce « double mouvement », et la mesure en laquelle l’Organisation y cristallise d’une part un principe d’institutionnalisation, et d’autre part un principe de transformation. Ces éléments seront davantage élaborés dans le Chapitre 2. Ici, satisfaisons-nous de passer en revue quelques exemples courants dans la littérature avant d’introduire la section suivante.

Une thématique majeure relevant de la crise du multilatéralisme concerne la question de la légitimité des organisations internationales. Selon Hooghe et al. (2019), on retrouve ici la perception selon laquelle le système de gouvernance multilatéral a échoué à subvenir aux besoins des électeurs de pays développés. Ainsi, tandis que l’institutionnalisation d’une gouvernance mondiale a favorisé la réduction des coûts de transaction commerciaux et des asymétries d’information entre États, tout en imposant des « règles du jeu sur des relations qui jadis furent déterminés par le pouvoir, » celle-ci a également rendu ce système de gouvernance susceptible à être transformé par la politique nationale : les citoyens des pays-Membres s’expriment ainsi sur le devenir de l’OMC (Hooghe, Lenz, & Marks, 2019, p. 733). En outre, en étudiant les effets de la perception civile de la légitimité des organisations internationales, les sociologues Tallberg et Zürm (2019), remarquent l’impact significatif que l’élection du

7 Toutes les italiques présentes dans ce travail sont ajoutées par l’auteur.

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18 Président des États-Unis, Donald Trump, a eu sur l’intégrité du régime commercial multilatéral maintenu par l’OMC (p. 582).

Au-delà des États-Unis, s’il existe aujourd’hui un autre pays-Membre fréquemment associé à l’état dysfonctionnel de l’OMC, il s’agit sans doute de la Chine. En bref, l’accession de la Chine dans l’Organisation en 2001 était motivée, d’une part, du côté Chinois, par une volonté de marquer une nouvelle phase dans la stratégie d’ouverture du pays à l’égard de la mondialisation des échanges (Li, He, & Wu, 2020). D’autre part, du côté des États-Unis, l’accession chinoise annonçait une décennie de croissance économique et libéralisation politique pour la Chine et le début de la fin pour son Parti Communiste (Halverson, 2004).

Évidemment, ce n’est pas ce qu’on constate aujourd’hui à travers la littérature, qui tend à considérer la Chine comme un « preneur de règles » (à l’opposé d’un « édicteur de règles » comme les États-Unis) pragmatique, une force conservatrice dans l’OMC qui chercherait à tirer avantage du statu quo (Weinhardt & ten Brink, 2020). Le fait que la Chine incarne aujourd’hui un « éléphant tranquille » (Cai, 2011, p. 207) au sein de l’OMC constitue un contre-mouvement surprenant dans le processus d’expansion de l’Organisation dans la régulation mondiale du commerce. Plus largement, Petiteville (2013) écrit :

« L’inclusion des puissances émergentes dans le ‘club’ a contribué à un rééquilibrage Nord-Sud à l’OMC, mais a aussi rendu le leadership de la négociation beaucoup plus hétérogène et clivé qu’à l’époque du GATT, accroissant d’autant les risques de paralysie de la négociation » (p. 359).

En ce qui concerne le domaine des relations internationales, les idées élaborées ci- dessus trouvent écho dans son école constructiviste. Émanant des travaux de Wendt (1992), le constructivisme dans les relations internationales s’insère entre réalistes et libéraux pour défendre l’idée que l’état actuel de la gouvernance mondiale doit être conçu comme partie intégrante de l’environnement socialement construit dans lequel opèrent les États. Sous cet angle, les « règles du jeu » établies par l’OMC incarnent une « compréhension commune constitutive des identités et intérêts » de ses acteurs (Finnemore, 1996 ; cité dans : Checkel, 1997, p. 473). À la lumière de ces éléments, il s’agira dans la section qui suit d’explorer ce que dit la littérature sur le caractère normatif de l’Organisation du point de vue de ses pays- Membres, tout en examinant les contributions constructivistes au processus formel de réforme de l’OMC – réponse institutionnelle aux transformations contemporaines susmentionnées.

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1.2. La politique du développement à l’OMC

Nous allons maintenant examiner la politique du développement dans le cadre de l’OMC, en procédant du général au spécifique. Si la problématique du développement nous intéresse ici, c’est parce que nous essayons de comprendre si celui-ci a contribué, dans la longue histoire du GATT, puis de l’OMC, à un changement dans les « valeurs, les modèles de comportement et les conceptions de l’action » qui, selon Crozier, peut conduire à « la découverte et la cristallisation de règles du jeu nouvelles » – ou le changement de l’Organisation. (Crozier, 1967, p. 59).

En outre, avec l’avènement des processus plurilatéraux et des ‘nouveaux thèmes’ de négociation au sein de l’OMC en 2017, certains pays en développement accusent l’OMC d’avoir trahi les promesses qu’elle avait promulgées lors du cycle de Doha, au début du millénaire. Or, c’est au centre de cette nouvelle confrontation entre plurilatéralisme, ‘nouveaux thèmes,’ et développement que nous bâtirons notre analyse, dans le Chapitre 4. Commençons donc, en partant de l’histoire longue du développement dans l’Organisation.

1.2.1. Le développement dans l’organisation internationale Selon Gérard Curzon, le secrétariat du GATT doit confronter le problème de la relation entre le commerce et le développement dès les années 1950 (Curzon, 1969, p. 251). Mais, sans doute, c’est tout l’ordre international qui a dû faire face à cette problématique dans la période d’après Seconde guerre mondiale, à commencer par l’ONU. De fait, en 1955, la Conférence de Bandung accroît la base de pays-Membres de l’ONU, notamment en faveur de pays en développement qui, trouvant une certaine cohésion dans des thématiques-clés comme « la décolonisation, l’aide économique et technique, et le désarmement » sont dès cette période à même « d’utiliser les organisations internationales comme instruments de pression pour accomplir leurs objectifs » (Cox, 1969b, p. 296).

Simultanément, le Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC) publiait en 1955 une analyse détaillée de la croissance mondiale post-guerre. Entre autres, le rapport déplorait « l’insatisfaisante distribution des gains du commerce » dans un monde où la prospérité relative des pays riches n’a que « marginalement » profité aux pays pauvres (ECOSOC, 1955, p. 86). Ainsi, la bataille des idées était lancée : il n’y avait plus de doute que le système commercial international ne servait pas toujours les intérêts des pays les plus pauvres et qu’il fallait faire quelque chose.

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20 Dans son discours de fermeture du Second comité de l’Assemblée générale de l’ONU en 1961, Philippe de Seynes, alors Secrétaire-général adjoint aux affaires économiques et sociales, remarquait que « le système de concepts et institutions qui ont servi de cadre pour le développement et la libéralisation du commerce n’est plus entièrement adapté à la situation présente… » (cité dans : Robertson, 1969, p. 267). Peu de temps après, en 1964, la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a lieu à Genève. Son premier Secrétaire général, Raúl Prebisch, était réputé pour son travail à la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), un centre majeur de la pensée critique sur le développement du « Tiers monde » au sein de l’ONU à cette époque.

Forte de cet héritage, la CNUCED n’avait pas seulement pour objectif l’alignement du système commercial international aux nécessités des pays en développement, mais aussi la correction des injustices de longue date qui caractérisaient ce système aux yeux des États les plus pauvres, même si cette institution n’était pas dotée des puissants instruments juridiques dont jouissait le GATT (Robertson, 1969, pp. 270-273).

En effet, William Diebold (1969) constate qu’au moment de la création, plusieurs observateurs redoutaient que la CNUCED se révèlerait incapable d’accomplir son mandat étant donné son ambition. L’expérience ratée de l’Organisation internationale du commerce (OIT), dont les missions énoncées par la Charte de la Havane (en 1948) touchaient une si vaste quantité de thématiques (par exemple : échanges internationaux, pratiques entrepreneuriales, promotion de l’emploi, politiques économiques, investissements privés) que le projet était devenu inacceptable aux yeux des pays les plus riches, avait marqué les esprits du bloc Occidental. De fait, c’est pourquoi le GATT avait été délibérément conçu avec une portée limitée – facteur estimé important dans sa survie à long terme (Diebold, 1969, pp. 287-288).

Néanmoins, estimait le diplomate français Guy de Lacharrière (1964), il faut moins voir le succès de la CNUCED par ce qu’elle a permis de changer dans un système commercial international dominé par les puissances majeures, que « sur ce qu’elle va permettre de réaliser » dans l’avenir (p. 885). Effectivement, nombreux de ses champions espéraient que la CNUCED fournirait une scène de premier plan où des discussions sur les effets du commerce pour le développement pourraient influencer indirectement « d’autres organisations internationales comme le GATT » (Robertson, 1969, p. 260 ; Puri, 2011, p. 59). Chose dite, chose faite : en 1964, le texte du GATT est amendé pour y inclure une Partie IV, intitulée « Commerce et développement » (GATT, 1965). Les pays en développement obtenaient alors une première

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21 concession dans la longue bataille que deviendrait leurs relations avec le SCM basé sur des règles.

Lorsque le GATT devint l’OMC à la suite de l’Accord de Marrakech, la question du développement resta un point épineux au sein de son instance de négociation. D’autant plus que, à l’aune de 1995, le système commercial multilatéral ne ressemblait plus du tout à celui de trente ans auparavant, lorsqu’émergeait la CNUCED sur le plan international, comme décrivent William Dymond et Michael Hart (2000). En effet, si l’OMC hérite sa tradition du consensus du GATT, ainsi que ses Principes de non-discrimination, elle s’en distingue aussi substantiellement. Par exemple, tandis que le GATT soumettait à pays-Membres des prescriptions négatives – ce qu’il ne faut pas faire – autour desquelles ces derniers articulaient leurs politiques commerciales, l’OMC soumet ses pays-Membres à des accords contraignants dont la mise en œuvre est obligatoire. En outre, tandis que le GATT visait à favoriser la libéralisation des échanges par la réduction des tarifs douaniers, l’OMC défend des politiques d’ouverture des marchés – une conception bien plus forte et intrusive (Dymond & Hart, 2000, p. 25). La figure ci-dessous résume ces changements-clé :

Figure 1 : Du GATT à l’OMC – un aperçu des changements-clé

SOURCE : ÉLABORATION À PARTIR DE DYMOND &HART,2000, P.25.

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22 En somme, l’OMC incorpore dans sa structure et ses procédures – et ce, bien plus que le GATT – la fonction de gouvernance. Sans doute, ceci fut perçu comme une opportunité en or par les pays en développement, qui voyaient s’incarner dans l’OMC tous les outils politiques dont ils auraient pourvu la CNUCED si l’histoire s’était passée autrement. Ainsi, faire valoir leurs intérêts au sein de l’Organisation était vu comme crucial. Mais ils n’étaient pas seuls. « Ce n’était pas par coïncidence que l’OMC fut la première institution internationale post-Guerre froide, » écrit Hart (1997, p. 74). En effet, avec la chute simultanée de l’URSS, l’OMC était stratégiquement placée à l’aube d’un nouvel ordre politique, dans lequel des thématiques comme l’économie et le commerce passeraient au premier plan des préoccupations étatiques – autrefois plutôt galvanisés par les questions de paix et sécurité (Hart, 1997, pp. 76-77).

1.2.2. Le cycle « pour le développement » de Doha

C’est dans un tel contexte que le 9 novembre 2001, Mike Moore, alors Directeur général de l’OMC (1999 à 2002), inaugurait la quatrième Conférence ministérielle de l’Organisation à Doha, Qatar, sous le regard exclusif de la royauté locale et des ministres ou délégués issus de 142 pays-Membres. Sans doute, il n’était pas encore évident pour ceux présents que cette journée, des années plus tard, et pour des raisons élaborées dans ce travail, marquerait un tournant décisif dans la fonction normative de l’OMC. En effet, tandis que les mentions bienveillantes à l’égard du développement économique dans le discours du Directeur peut aujourd’hui amuser l’historien qui connait la suite, l’enthousiasme de Moore annonçant l’accession de la Chine comme preuve que le « commerce est une grande force unificatrice pour la paix » (OMC, 2001) peut encore, qui sait, faire gémir le plus haut dignitaire états-unien.

Il devient vite évident, lorsqu’on révise la vaste littérature existante sur l’OMC depuis sa création, que le cycle de Doha a affecté l’histoire de l’Organisation de manière significative.

Qui plus est, la myriade de nouvelles informations, éléments, facteurs de négociation issus de la période alimentent toujours aujourd’hui des discussions, débats, réflexions, voire confrontations entre les innombrables délégués, ambassadeurs, universitaires, journalistes, et autres membres du grand réseau d’acteurs composant l’OMC et son environnement jour après jour.

Dans les faits, ce travail n’a pas pour ambition de participer à cette discussion, à proprement parler. En effet, il ne s’agit pas ici, par exemple, de déterminer la contribution du cycle de Doha au développement économique effectif des « pays du Sud. » Ni de déterminer les causes de l’échec des négociations, aujourd’hui devenu « un cas d’école pour l’étude des

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23 phénomènes d’impasse dans les négociations multilatérales » (Petiteville, 2013, p. 374). En revanche, il est important pour la résolution de notre problématique de comprendre comment la notion de développement a évolué dans les discussions sur l’OMC, et de voir comment le premier cycle de négociations « pour le développement » de l’Organisation a influencé ces discussions. Revenons donc à la littérature, où Pandolfi et Rousseau (2011) indiquent le chemin à suivre :

« L’intérêt de la problématique du développement au sein de l’OMC est qu’elle met précisément en avant le choix qui s’impose désormais quant au tempo de l’institution. Doit-elle suivre le rythme de la majorité de ses membres en développement (pourtant minoritaire en ce qui a trait au commerce) ou, au contraire, optera-t-elle pour le rythme de la minorité des développés (pourtant majoritaire sur le plan des transactions commerciales) ? » (p. 257).

Consciente que le cycle d’Uruguay avait été largement influencé par les priorités des pays les plus riches de la planète, et sans doute traumatisée par les évènements de Seattle en 1999, il était important pour l’OMC en 2001 de mettre un accent significatif sur les besoins de ses pays-Membres en développement à Doha, premier « cycle pour le développement » officiel de l’Organisation (Stiglitz & Charlton, 2005, p. 19). Ces négociations, traitant d’une vaste quantité de thèmes, étaient beaucoup plus ambitieuses que put autrefois être le GATT à l’égard du développement (Petiteville, 2013, p. 352) : elles étaient donc symboliques de l’expansion significative de l’OMC depuis sa création. En outre, le Directeur-général de l’Organisation avait saisi la valeur considérable que pouvait avoir un cycle de négociations « pour le développement » en termes de relations publiques (Nordström, 2005, p. 827).

« Dans le passé, l’OMC était l’affaire des États-Unis et de l’Europe ou au mieux du Quad8 ; maintenant, c’est un système commercial plus complexe. Vous devez aujourd’hui considérer les pays en développement comme une force » (Amorim, 2008, cité dans : Abélès, 2011, p. 137).

Le cycle de Doha marque-t-il un changement dans le régime des idées au sein de l’OMC ? Oui, selon Jane Ford (2003). Par exemple, l’Inde, « l’un des principaux opposants au régime commercial multilatéral, » y a changé son rôle pour devenir un négociant multilatéral majeur (Ford, 2003, p. 161 ; de Souza Farias, 2004, p. 475). Plus généralement, c’est à Doha

8 Groupe de pays composé de : États-Unis, UE, Japon et Canada.

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24 que les pays-Membres en développement de l’Organisation ont consolidé et affiché leur identité de groupe, fondée sur une ambition renouvelée et réflexive vis-à-vis de leurs capacités réelles de faire avancer les intérêts du « Sud » au sein de l’OMC. Le Chapitre 2 élaborera davantage cette idée sous l’angle du constructivisme. Pour le moment, en vue d’illustrer ces propos, prenons un exemple concret du cycle de Doha : la question du coton.

L’opposition « Nord-Sud » n’est pas née avec l’OMC, mais c’est au sein de cette organisation internationale qu’elle prend toute sa forme. Les différends agricoles, notamment, ont provoqué des crises majeures entre ces deux blocs, dans les négociations de Doha : en effet, écrit Petiteville, « un enjeu a priori sectoriel comme le coton y est devenu emblématique des injustices Nord-Sud dès lors que quelques pays africains pauvres exportateurs de coton (Bénin, Burkina Faso, Mali, Tchad), soutenus par des ONG influentes comme Oxfam, se sont déclarés victimes de l’industrie cotonnière américaine subventionnée » (Petiteville, 2013, p. 353).

À ce sujet, les statistiques dépeignent un tableau surprenant : en 2003, la culture du coton constitue 60 % des revenus liées à l’exportation au Burkina Faso (Abélès, 2011, p. 120) ; tandis que de 2004 à 2005, les subventions fédérales des États-Unis à ses farmers dépassait largement le produit national brut du Burkina Faso (Hoekman & Kostecki, 2009, p. 179). Donc, afin de corriger un rapport de forces aussi déséquilibré, les pays-Membres en développement ont formé des coalitions. Appuyés par Oxfam, ainsi qu’une vaste quantité d’autres ONG, le

« Coton 4 » ou « C4 » (Bénin, Burkina Faso, Mali, Tchad) s’est donc formé pour dénoncer le protectionnisme américain en matière de coton.

D’ailleurs, on constate qu’un grand nombre d’autres groupes et coalitions, comme le G20 ou le groupe des pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) sont nés à Doha.

La majorité de ces groupes existe encore aujourd’hui, et ils creusent les tranchées existant au sein de l’instance de négociation de l’OMC. Plus encore que de simples catégories, ces groupes de négociation rassemblent « ministres, diplomates et experts, » et « affichent une étonnante régularité de réunions et développent des mécanismes de coordination interne et de représentation externe » (Petiteville, 2013, p. 360). Un groupe permet par exemple la réduction des coûts de transaction au sein de l’OMC, et ce-faisant hiérarchisent la complexité des pourparlers.

En tout cas, la question du coton avait de la peine à trouver une solution satisfaisante, et chaque camp reprochait à l’OMC de prendre parti pour le côté opposé (Abélès, 2011, pp.

123-124). Pour les uns, la question devait être abordée sous l’angle du développement, tandis

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25 que pour les autres il ne devrait s’agir que d’une question commerciale (p. 125). Ce blocage, généralisé à l’ensemble du Programme de Doha pour le développement (PDD) dès lors que

« rien n’est accepté avant que tout soit accepté, » perdure encore aujourd’hui. De fait, la question agricole n’a jamais été résolue à l’OMC. Trop conscients de cette impasse, certains pays-Membres, comme l’Union Européenne, firent pression dès 2003 pour traiter par ailleurs des « questions de Singapour » (concernant investissements, concurrence, transparence et mesures de facilitation des échanges). Ce qui frustra davantage les pays-Membres défenseurs du PDD, pour lesquels ce serait une erreur d’aborder de nouvelles thématiques au sein d’une Organisation qui n’a pas encore épuisé les thèmes de Doha. Oxfam (2009) dénonce :

« En mettant le développement au centre des négociations commerciales, le message de Doha était qu’aucun pays ne devait être laissé pour compte et que le commerce allait être utilisé pour garantir une plus large distribution des bénéfices de la mondialisation… Maintenant plus que jamais, il est nécessaire de corriger les décennies de règles commerciales truquées et d’avantages déséquilibrés que la mondialisation a offert à certains pays au détriment des autres. » (p. 32)

Rapidement, ce conflit entre Nord et Sud sur une matière de développement économique prit des contours familiers. D’une part, Oxfam (2009), cités ci-dessus, a fait campagne dénonçant les « promesses non tenues » par le Cycle de Doha, et la « trahison » subie par les pays-Membres en développement à l’OMC. L’échec des négociations fut rapidement perçu comme un échec de l’Organisation à adhérer aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) de l’ONU, qui s’établissait comme modèle pour rendre plus cohérente la gouvernance économique mondiale (Puri, 2011, pp. 52-53). On commençait à parler de justice commerciale ou de commerce équitable. Derrière toutes ces positions, on redéfinissait toujours plus le commerce international selon les termes du développement économique. En effet, écrit Petiteville, « un grand nombre d’auteurs se sont prononcés en faveur d’un recentrage de l’OMC sur les enjeux de développement » (Petiteville, 2013, p. 358). Dans la mesure où le développement était davantage lié aux instances onusiennes qu’à l’OMC, la confrontation Nord-Sud favorisait des réinterprétations perçues comme « intrusives » du mandat de l’OMC.

Donc, ces voix pro-développement rencontraient de la résistance au sein de l’OMC.

Ces auteurs voyaient dans toute cette affaire une redéfinition dangereuse de la fonction de l’Organisation. D’un, le rapport Sutherland, commandé en 2004 par le Directeur-général de l’Organisation, précise : « l’OMC n’est pas un organisme de développement » (Sutherland, et

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26 al., 2004, p. 71). Aussi, Hoekman et Kostecki soulignent que « la dimension de développement n’était en fait que ‘symbolique’ dans l’agenda de Doha » (2009, p. 179) ; Abbas estime que

« l’OMC n’a rien à proposer en matière de développement » (2005a, p. 896), et que la volonté d’ajuster la mission de l’Organisation aux impératifs de développement « revient à trop charger l’institution et finalement à en bloquer le fonctionnement » (2005b, p. 8). À ce titre, Debra Steger (2007) résume la situation :

« Alors que les négociateurs des pays développés décriraient l’objectif de l’OMC comme étant uniquement consacré à la libéralisation du commerce, il est clair que les pays en développement de l’OMC (qui forment désormais la grande majorité de ses Membres) considèrent également le développement comme un objectif clé de l’organisation… Il n’y a actuellement, il est juste de dire, aucune compréhension commune de ce qu’est le mandat de l’OMC » (p. 8).

Qu’est-ce que donc le mandat de l’OMC ? Une telle preuve de réflexivité organisationnelle vaut bien d’être analysée plus profondément. D’autant plus que cette question structure les lignes de fond du débat autour de la ‘réforme’ de l’Organisation. Ainsi, la section suivante présentera rapidement le débat autour la réforme de l’OMC, son lien avec la question des ‘nouvelles thématiques’ de Buenos Aires, et avec la sempiternelle problématique de la place du développement dans l’Organisation.

1.2.3. Le spectre de Doha et les « nouvelles thématiques » En définitive, on peut retirer trois leçons du cycle de Doha qui seront utiles pour la suite de notre travail. Premièrement, l’avènement du PDD réitère l’importance de l’épineuse question du développement parmi les priorités du SCM. Plus que simple arène où s’entrechoquent des rapports de force, ce dernier doit être perçu selon certains comme un bien commun mondial dont l’OMC est la garante. Deuxièmement, le Cycle de Doha témoigne des modifications significatives dans la composition de la base des pays-Membres subies par l’OMC depuis sa création. L’accession de la Chine dans l’Organisation n’est pas négligeable, et élevait à 142 (aujourd’hui 164) le nombre de pays-Membres constituant l’Organisation.

Troisièmement, l’échec du Cycle de Doha représente avant tout l’échec de l’OMC à satisfaire sa Règle du consensus. Il n’y a plus de consensus possible, tant les conflits d’intérêts sont nombreux et les États-membres récalcitrants à trouver un compromis qui satisfait tous les pays membres.

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