• Aucun résultat trouvé

Le développement dans l’organisation internationale

Chapitre 1 : Revue de la littérature

1.2. La politique du développement à l’OMC

1.2.1. Le développement dans l’organisation internationale

entre le commerce et le développement dès les années 1950 (Curzon, 1969, p. 251). Mais, sans doute, c’est tout l’ordre international qui a dû faire face à cette problématique dans la période d’après Seconde guerre mondiale, à commencer par l’ONU. De fait, en 1955, la Conférence de Bandung accroît la base de pays-Membres de l’ONU, notamment en faveur de pays en développement qui, trouvant une certaine cohésion dans des thématiques-clés comme « la décolonisation, l’aide économique et technique, et le désarmement » sont dès cette période à même « d’utiliser les organisations internationales comme instruments de pression pour accomplir leurs objectifs » (Cox, 1969b, p. 296).

Simultanément, le Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC) publiait en 1955 une analyse détaillée de la croissance mondiale post-guerre. Entre autres, le rapport déplorait « l’insatisfaisante distribution des gains du commerce » dans un monde où la prospérité relative des pays riches n’a que « marginalement » profité aux pays pauvres (ECOSOC, 1955, p. 86). Ainsi, la bataille des idées était lancée : il n’y avait plus de doute que le système commercial international ne servait pas toujours les intérêts des pays les plus pauvres et qu’il fallait faire quelque chose.

20 Dans son discours de fermeture du Second comité de l’Assemblée générale de l’ONU en 1961, Philippe de Seynes, alors Secrétaire-général adjoint aux affaires économiques et sociales, remarquait que « le système de concepts et institutions qui ont servi de cadre pour le développement et la libéralisation du commerce n’est plus entièrement adapté à la situation présente… » (cité dans : Robertson, 1969, p. 267). Peu de temps après, en 1964, la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a lieu à Genève. Son premier Secrétaire général, Raúl Prebisch, était réputé pour son travail à la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), un centre majeur de la pensée critique sur le développement du « Tiers monde » au sein de l’ONU à cette époque.

Forte de cet héritage, la CNUCED n’avait pas seulement pour objectif l’alignement du système commercial international aux nécessités des pays en développement, mais aussi la correction des injustices de longue date qui caractérisaient ce système aux yeux des États les plus pauvres, même si cette institution n’était pas dotée des puissants instruments juridiques dont jouissait le GATT (Robertson, 1969, pp. 270-273).

En effet, William Diebold (1969) constate qu’au moment de la création, plusieurs observateurs redoutaient que la CNUCED se révèlerait incapable d’accomplir son mandat étant donné son ambition. L’expérience ratée de l’Organisation internationale du commerce (OIT), dont les missions énoncées par la Charte de la Havane (en 1948) touchaient une si vaste quantité de thématiques (par exemple : échanges internationaux, pratiques entrepreneuriales, promotion de l’emploi, politiques économiques, investissements privés) que le projet était devenu inacceptable aux yeux des pays les plus riches, avait marqué les esprits du bloc Occidental. De fait, c’est pourquoi le GATT avait été délibérément conçu avec une portée limitée – facteur estimé important dans sa survie à long terme (Diebold, 1969, pp. 287-288).

Néanmoins, estimait le diplomate français Guy de Lacharrière (1964), il faut moins voir le succès de la CNUCED par ce qu’elle a permis de changer dans un système commercial international dominé par les puissances majeures, que « sur ce qu’elle va permettre de réaliser » dans l’avenir (p. 885). Effectivement, nombreux de ses champions espéraient que la CNUCED fournirait une scène de premier plan où des discussions sur les effets du commerce pour le développement pourraient influencer indirectement « d’autres organisations internationales comme le GATT » (Robertson, 1969, p. 260 ; Puri, 2011, p. 59). Chose dite, chose faite : en 1964, le texte du GATT est amendé pour y inclure une Partie IV, intitulée « Commerce et développement » (GATT, 1965). Les pays en développement obtenaient alors une première

21 concession dans la longue bataille que deviendrait leurs relations avec le SCM basé sur des règles.

Lorsque le GATT devint l’OMC à la suite de l’Accord de Marrakech, la question du développement resta un point épineux au sein de son instance de négociation. D’autant plus que, à l’aune de 1995, le système commercial multilatéral ne ressemblait plus du tout à celui de trente ans auparavant, lorsqu’émergeait la CNUCED sur le plan international, comme décrivent William Dymond et Michael Hart (2000). En effet, si l’OMC hérite sa tradition du consensus du GATT, ainsi que ses Principes de non-discrimination, elle s’en distingue aussi substantiellement. Par exemple, tandis que le GATT soumettait à pays-Membres des prescriptions négatives – ce qu’il ne faut pas faire – autour desquelles ces derniers articulaient leurs politiques commerciales, l’OMC soumet ses pays-Membres à des accords contraignants dont la mise en œuvre est obligatoire. En outre, tandis que le GATT visait à favoriser la libéralisation des échanges par la réduction des tarifs douaniers, l’OMC défend des politiques d’ouverture des marchés – une conception bien plus forte et intrusive (Dymond & Hart, 2000, p. 25). La figure ci-dessous résume ces changements-clé :

Figure 1 : Du GATT à l’OMC – un aperçu des changements-clé

SOURCE : ÉLABORATION À PARTIR DE DYMOND &HART,2000, P.25.

22 En somme, l’OMC incorpore dans sa structure et ses procédures – et ce, bien plus que le GATT – la fonction de gouvernance. Sans doute, ceci fut perçu comme une opportunité en or par les pays en développement, qui voyaient s’incarner dans l’OMC tous les outils politiques dont ils auraient pourvu la CNUCED si l’histoire s’était passée autrement. Ainsi, faire valoir leurs intérêts au sein de l’Organisation était vu comme crucial. Mais ils n’étaient pas seuls. « Ce n’était pas par coïncidence que l’OMC fut la première institution internationale post-Guerre froide, » écrit Hart (1997, p. 74). En effet, avec la chute simultanée de l’URSS, l’OMC était stratégiquement placée à l’aube d’un nouvel ordre politique, dans lequel des thématiques comme l’économie et le commerce passeraient au premier plan des préoccupations étatiques – autrefois plutôt galvanisés par les questions de paix et sécurité (Hart, 1997, pp. 76-77).