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Leurs spécificités sont sans cesse renouvelées. L’unicité du lieu résulte autant de logiques et conditions internes que de leurs relations complexes et

MÉTHODOLOGIE ET CADRE THÉORIQUE

4. Leurs spécificités sont sans cesse renouvelées. L’unicité du lieu résulte autant de logiques et conditions internes que de leurs relations complexes et

dynamiques à l’externe.

On retrouve bien cette dualité identité-représentation dans la conception du lieu chez certains géographes francophones, tels que Jacques Lévy ou Michel Lus-sault par exemple. Pour le premier, c’est dans la rencontre entre un phénomène

et une localité que l’on commence à pénétrer dans le « territoire » du lieu (Lévy &

Lussault 2003). Mais c’est dans la multiplicité des phénomènes, la concentration et la cospatialité de réalités sociales diverses que le lieu se donne à voir dans sa manifestation la plus frappante. C’est d’ailleurs sur ces critères de quantité et de densité de phénomènes cospatiaux, sur une échelle de la complexité, que Lévy distingue les « lieux forts » des « lieux faibles », « qui se situent à la limite de la “lieuité” : un petit nombre de réalités (objets, acteurs) réunies pour des sé-quences brèves et à faible signification » (Lévy & Lussault 2003, p.561), mais qui n’en sont pas pour autant dénué d’intérêt. Tous deux reconnaissent également la dimension phénoménologique inhérente au concept, en replaçant les acteurs et leurs représentations au centre du dispositif structurant et de la définition des limites configurantes :

« Un véritable lieu n’existe pleinement qu’en tant qu’il possède une por-tée sociale, en termes de pratiques comme de représentations, qu’il s’inscrit comme un objet identifiable, et éventuellement identificatoire, dans un fonctionnement collectif, qu’il est chargé de valeurs communes dans lesquelles peuvent potentiellement — donc pas systématique-ment — se reconnaître les individus » (Lévy & Lussault 2003, p.562).

Ce caractère polymorphe et relatif aux représentations des acteurs du lieu consti-tue la qualité, mais aussi le défaut du concept qui « offre la possibilité d’indexer à ce terme des espaces extrêmement variés qu’il faut appréhender à l’aune des acteurs qui les agencent et les pratiquent » (Lévy & Lussault 2003, p.562).

Mais il existe un certain nombre de prérequis pour pouvoir transformer ces pro-positions théoriques en un cadre analytique qui puisse être mobilisé dans le contexte d’études empiriques. En premier lieu, et quelle que soit l’approche du lieu finalement adoptée, il est important d’en proposer une définition claire qui ne laisse pas de place aux ambiguïtés ou à la confusion avec les autres concepts mobilisés pour étudier les relations sociospatiales. Deuxièmement, il faut recon-naître l’appartenance des lieux à des ensembles plus vastes, et les étudier en conséquence sous l’angle de leur caractère relationnel et relatif. Troisièmement, il ne faut pas opposer le lieu comme ancrage au sol aux mouvements, notam-ment migratoires, qui en constituent l’une des nombreuses caractéristiques fon-damentales. Quatrièmement, il est bon de se garder de trop tôt sonner le clairon de la capitulation du lieu sous les coups assénés par les nouvelles technologies de l’information. Elles sont partie intégrante de la construction des lieux, et non pas de leur destruction ou de leur annihilation. Enfin, il convient dans certains cas de considérer l’importance des lieux dans la production et la diffusion de savoirs.

À travers l’analyse critique des contributions de ces auteurs, nous avons vu que le concept géographique du lieu ne peut en aucun cas être réduit à la seule localisation. Que le caractère dynamique du lieu, encore plus marqué dans un contexte général de mondialisation, constitue l’une des données fondamentales pour toute analyse. Que le lieu est invariablement connecté, encastré, transcen-dé par des flux, des réseaux et des territoires dans lesquels il s’insère, ou qui le constituent. En somme, l’ensemble de ces observations sur la complexité du concept nous ramène toujours inéluctablement aux mécaniques de la fabrication des lieux, que nous allons maintenant aborder à travers notamment la

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tion de la campagne globale de Michael Woods.

5. 3. Conclusion sur la question du lieu

Bien que tous les espaces, y compris ruraux, soient touchés d’une manière ou d’une autre par l’expansion et l’intensification des réseaux globaux (Appadurai 1996 ; Woods 2007), le degré de connexion, l’ampleur des bouleversements, et l’évidence avec laquelle se manifestent les caractéristiques de la campagne glo-bale varient considérablement d’un lieu à l’autre. Là réside l’un des paradoxes de la mondialisation : elle se traduit par une tension permanente entre une puissante lame de fond d’homogénéisation culturelle, sociale, politique et économique, et l’émergence de formes de résistances qui produisent de nouvelles formes hy-brides de différenciation spatiale sous la forme de « localized hybridity » (Murray 2006).

Il y a en effet de plus en plus de signaux qui tendent à démontrer que les diffé-rences entre les lieux ne sont non pas seulement résilientes à la globalisation, mais que dans certains cas, elles peuvent même s’en trouver renforcée (Woods 2007). Il n’y a pas plus de lieux rural, stable, préexistant, sur lesquels la globalisa-tion vient se plaquer sans distincglobalisa-tion, qu’il n’y a de force de globalisaglobalisa-tion unique, unidirectionnelle et uniforme. Au contraire, les innombrables dimensions de la Mondialisation évoluent selon des temporalités, des logiques et des intensités différentes. Il n’est toutefois pas suffisant de reconnaître que la Mondialisation est multidimensionnelle. Il faut également chercher à comprendre la façon dont ces dimensions s’entremêlent et se lient dans ce qui finalement relève d’une forme de phénomène unique du point de vue de l’expérience des protagonistes ancrés dans un territoire donné. Et c’est bien en ouvrant ses portes sur le caractère dy-namique, multiscalaire, relationnel et complexe des réalités sociospatiales que le concept géographique de lieu présente un point d’entrée privilégié pour les analyses effectuées plus loin dans ce travail de thèse.

Comme les tendances liées à la Mondialisation sont nombreuses et complexes, que les dynamiques culturelles, socio-économiques et politiques internes aux lieux sont variées, et que les conditions matérielles des milieux sont diverses, les combinaisons possibles de l’ensemble de ces éléments sont virtuellement illimi-tées. Si l’on ajoute à cela le facteur temps, qui introduit l’idée d’une accélération exponentielle des changements de toutes sortes qui s’opèrent sur les territoires du fait de l’expansion du capitalisme, des réseaux, et de l’interconnexion, l’on constate une forme de compression spatio-temporelle qui s’exerce sur les ter-roirs. Pas uniquement celle, classique, de la géographie de la Mondialisation, qui intervient du fait de l’amélioration des moyens de transports et de communica-tion et qui réduit le caractère déterminant du facteur-distance. Par compression spatio-temporelle, nous entendons plutôt le fait que plus la rencontre entre flux et réseaux globalisés et conditions locales s’intensifie, s’accélère et produit donc de l’hybridité éphémère et de la différenciation spatiale, plus les unités territoriales comparables deviennent rares et leur taille réduite, et donc, par extension, moins les possibilités de montée en généralité paraissent séduisantes et porteuses de sens (Messerli & Heinimann 2007). Cette compression de l’espace-temps intro-duit donc un défi considérable pour une prise de décision bien informée qui soit

sensible aux réalités des contextes de mises en œuvre tout en étant suffisam-ment universelle pour s’appliquer à un territoire constitutionnel donné.

Bon nombre des auteurs cités sur la question du lieu insistent sur l’unicité dyna-mique des lieux dans un contexte de mondialisation. Une fois ce constat recon-nu, que fait-on ? Est-on condamné à ne pouvoir comprendre, ou du moins ap-préhender un lieu dans une perspective d’aménagement ou de développement, que sur la base d’une longue monographie spécifique ? Ou peut-on trouver des régularités dans les modalités et les produits de fabrication des lieux, en termes de conditions initiales, de dynamiques en jeu, de configurations sociales, ou même spatiales qui permettent de monter en généralité ? C’est là le défi auquel le concept de contexte de développement entend apporter quelques éclairages.

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6. Théoriser les relations sociospatiales de l’aide au