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Boucle de rétroaction entre l’aide internationale et ses bénéficiaires

CARACTÉRISER LE SYSTÈME DE L’AIDE

4. Le contexte de développement du Laos

4.1.4. Boucle de rétroaction entre l’aide internationale et ses bénéficiaires

Depuis l’indépendance du Laos, l’aide internationale a représenté jusqu’à 80 % des investissements publics du gouvernement, plongeant le pays dans une forte

dépendance aux flux financiers extérieurs et à leurs clauses de conditionnalité.

Accepter l’aide étrangère revient à céder, au moins en partie, de son autorité au profit d’un acteur exogène, dont l’agenda — explicite ou pas — peut être très dif-férent de celui des acteurs locaux. Cette situation de dépendance est à l’origine d’une asymétrie potentielle entre bailleurs de fonds et gouvernement national, et fournit aux premiers les moyens de l’imposition de leur agenda.

Les États récipiendaires et les bailleurs de fonds ont engagé depuis une dizaine d’années un débat de fond sur l’orientation de l’aide, en adoptant notamment le principe d’alignement (Déclaration de Paris, 2005), qui impose aux organismes de financement de se conformer aux stratégies nationales, procédures et insti-tutions en vigueur. Or, comme le souligne bien Louca Lerch pour le cas bolivien, l’on constate encore aujourd’hui que dans bien des cas, ce sont les bailleurs de fonds qui mènent le bal, malgré ces déclarations d’intention qui demeurent prin-cipalement non-contraignantes :

« (…) l’administration publique locale ou des ONG se chargent parfois de l’exécution des projets, mais ce sont quasi systématiquement des agences d’aide internationale bilatérale ou multilatérale qui assurent l’in-tégralité du financement et énoncent, de fait, les modes d’intervention et donc de gouvernement à distance. Cette distance implique la mise sur pied de systèmes permettant de mesurer l’efficacité de ces politiques indé-pendamment des mécanismes habituels de communication entre gouver-nants et gouvernés soit la démocratie représentative et/ou les différentes formes de participation ou de protestation sociale » (Lerch 2013, p.89).

Cette observation de Lerch est également valide pour le Laos. La question cen-trale ici est donc celle de la gouvernance (ou de le gouvernementalité, dans une perspective foucaldienne) de l’aide, et plus particulièrement celle du système de redevabilité instauré entre les différents acteurs, des financeurs, aux exécu-tants, et aux bénéficiaires. Par redevabilité, nous entendons non seulement « the means by which individuals and organization report to a recognized authority (or authorities) and are held responsible for their actions » (Edwards & Hulme 1996, p.967), mais aussi les moyens par lesquels ces dernières définissent et justifient le choix de leurs actions. Au final, il est capital de comprendre pour qui les interventions de développement sont conçues et mises en œuvre. Aussi triviale qu’elle puisse paraître, cette question nous semble incontournable dans le domaine de l’aide au développement, tant ce dernier a souvent fait l’objet de détournement à des fins politiques ou stratégiques, et plus subtilement, en vue d’assurer la survie institutionnelle des organismes de développement.

Dans la rhétorique des acteurs du développement, les actions sont conçues pour répondre aux besoins spécifiques de populations. Si cette notion de réponse aux besoins constitue le fondement même de l’action développementaliste, les fortes contraintes inhérentes au système — en premier lieu le pouvoir financier et les attributions des blâmes ou des rétributions — génèrent un certain nombre de distorsions qui peuvent pousser à mener des actions davantage pour satisfaire les attentes des bailleurs de fonds que des populations dites bénéficiaires. Pour bien comprendre la façon dont le système de l’aide peut engendrer de telles

Le système de l’aide au Laos 194

distorsions des boucles de rétroaction entre décideur et populations cibles, il est nécessaire d’identifier d’une manière systématique les acteurs principaux, et leur positionnement dans la géométrie du pouvoir. C’est ce que nous avons tenté de proposer au chapitre 4 à travers l’étude du positionnement des acteurs au sein du système. Et quand bien même les interventions répondent à des intentions louables, l’absence de lien direct ou de mécanismes de communication entre les bénéficiaires et les décideurs de l’aide augmente significativement le risque de mettre en œuvre des actions qui ne répondent pas aux besoins, qui ont des externalités négatives imprévues, ou dont les modalités d’exécution sont inap-propriées par rapport au contexte.

Dans la configuration des mécanismes de l’aide, le facteur clé relève d’une di-mension résolument spatiale : la distance aux zones cibles, accentuée par les frontières, entre les décideurs qui orientent les financements et leurs modalités d’une part et les populations qui sont ciblées et subissent ou bénéficient des conséquences. La distorsion qu’instaure cette distance est de deux ordres : dans la capacité des décideurs éloignés à appréhender les besoins locaux et les mo-dalités adaptées aux contextes ; et dans la mesure des impacts des interventions ayant lieu à distance.

À partir d’une certaine échelle d’action, les organisations de développement opèrent dans des milieux auxquels elles sont extérieures. Malgré le glissement progressif, mais généralisé vers des approches dites participatives, dans les-quelles l’on pousse à intégrer davantage les « bénéficiaires » dans la formulation des problèmes et des réponses, force est de constater que la plupart des initia-tives restent encore fortement soumises aux stimulus des agences de coopéra-tion. Se pose dès lors la question de la capacité d’une organisation extérieure à identifier des problèmes réels, à les formuler en des termes qui fassent sens pour les bénéficiaires. Et donc, a fortiori, à proposer des formes de réponse qui soient suffisamment pertinentes par rapport aux dynamiques, enjeux et opportunités locaux pour obtenir l’adhésion des acteurs et produire des résultats durables et positifs.

La question du « pour qui » ne se limite pas à celle de qui sont les bénéficiaires.

Elle s’étend à celle de savoir à qui l’on doit des comptes, dans le système tel qu’il est établi. La plupart des opérateurs du développement se soucie du devenir des populations vulnérables (le fameux « will to improve » de Li), mais au final, lorsque le projet est évalué, et donc validé ou pas, et ce au stade de la concep-tion comme de la réalisaconcep-tion, les mécanismes en place ne sont que très rarement tournés vers les bénéficiaires. Les outils mêmes d’évaluation sont conçus pour répondre aux besoins de vérification des bailleurs de fonds et de leurs instances politiques de tutelle. Le « gestionnariat » est tout entier tourné vers cet objectif.

En tant qu’exécutant d’activité sur ce type de financement, et dans une logique de continuité organisationnelle, il est donc évident que la satisfaction prioritaire à remplir est celle du financeur qui dispose de moyens de dissuasion bien plus puissants que les populations cibles.