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CARACTÉRISER LE SYSTÈME DE L’AIDE

3. Des relations sociospatiales des acteurs de l’aide au Laosau Laos

3.1.3. L’espace comme ressource et le capital spatial

Théoriquement, le positionnement d’un acteur dans la géométrie relationnelle peut évoluer, en particulier si ce dernier dispose de certaines compétences. Ces compétences peuvent relever de la maîtrise du gestionnariat et des normes du cadre régulateur, mais également du capital spatial des acteurs, à savoir sa ca-pacité à mobiliser, utiliser, et se mouvoir dans les différentes dimensions des relations sociospatiales.

Afin de pouvoir aborder le capital spatial des bénéficiaires, il nous faut tout d’abord caractériser leur positionnement originel dans les relations sociospatiales. Du point de vue de l’idéal type de la communauté rurale laotienne, le spectre des relations sociospatiales occupé est minimal. Le lieu représente le champ des opérations et le principe structurant principal. Les activités quotidiennes s’y dé-roulent, et correspondent en grande partie à l’objectif de le sécuriser, de le main-tenir, ou de le développer. Le lieu peut donc être assimilé à l’espace de dépen-dance des communautés rurales.

Dans le cas des communautés les plus isolées, vivant en relative autarcie, les espaces de dépendance et d’engagement peuvent tendre à se confondre. Mais, dans un contexte de globalisation des campagnes du Laos, qui se traduit no-tamment par un accès amélioré aux marchés locaux et internationaux, les com-munautés étendent de plus en plus leurs espaces d’engagement au-delà des frontières de leur village pour assurer leur subsistance, par ailleurs menacée par les rapides changements environnementaux dus à l’exploitation massive des ressources naturelles.

Le capital spatial des communautés rurales est souvent limité. Tout d’abord, leur mobilité est fréquemment restreinte du fait de l’état des réseaux et du coût du transport. Jusqu’à récemment, les aspects politiques jouaient également un rôle important dans l’absence de mobilité, puisqu’il fallait encore un permis du gouver-nement pour pouvoir sortir de sa province d’origine. Le système politique repré-sente également un sérieux frein à la capacité à mobiliser des réseaux pour pou-voir relayer les revendications à d’autres échelles, du fait de l’absence de liberté de la presse, du Parti unique, et de la régulation extrêmement stricte des activités des associations locales. L’activisme en réseau qui a pu faire ses preuves dans d’autres contextes est ainsi muselé, ce qui a pour effet de créer une dépendance des communautés envers les contractants des interventions, qui eux, jouissent d’un capital spatial nettement supérieur, et sont en mesure de faire sauter les échelles les préoccupations locales à travers un travail de plaidoyer sur la scène internationale. Même un organisme tel que la Croix-Rouge, qui dans de nom-breux pays offre un canal de communication indépendant direct du local vers le global (antennes locales, nationales, fédération internationale), est aux mains de l’Etat au Laos. Il faut néanmoins noter que la diaspora, située à l’étranger, peut fournir un deuxième axe de remontée de l’information du local vers l’international qui permet de court-circuiter la main mise de l’État.

Si du point de vue de la communauté, le principe structurant principal est le lieu, elle subit également les assauts d’autres acteurs, porteurs de principes structu-rants différents qui peuvent dans certains cas menacer leur espace de

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dance. C’est notamment le cas dans certaines interventions de l’aide au déve-loppement. Il arrive en effet que l’aide se traduise par la destruction des lieux au profit d’autres dimensions sociospatiales. C’est le cas notamment dans les grands projets d’infrastructures. Quand la banque mondiale finance la construc-tion du barrage Nam Theun 2, c’est tout un ensemble de lieux qui finissent en-gloutis sous les eaux, au profit du développement du territoire national, ou de la gestion de l’échelle du bassin versant. Lorsque les ONG conversationnistes sou-tiennent le classement de zones en aire protégée, c’est également un ensemble de lieux dont l’existence se trouve menacée par la promotion d’une échelle na-turelle locale et l’adhésion aux priorités de la lutte contre le changement clima-tique et la perte de la biodiversité, fixées à l’échelle globale. C’est également le cas dans les politiques nationales de relocalisation massive des populations intégrées dans les politiques nationales de développement, en particulier d’éradi-cation de l’opium, de la lutte contre l’agriculture sur brûlis, et de la rhétorique du progrès qui nécessite un meilleur accès aux infrastructures (Baird & Shoemaker 2007; Lestrelin 2011). L’espace de dépendance des communautés est donc sans cesse menacé par des dynamiques externes, qui parfois sont directement liées à l’aide au développement, sans pour autant qu’elles ne disposent de moyens d’action, ou de capital spatial suffisants pour pouvoir se défendre efficacement.

Depuis les scandales engendrés par la gestion technocratique des programmes d’infrastructures de la Banque mondiale (Singh 2009), des normes et bonnes pra-tiques ont été érigées et diffusées. Les grands programmes de développement au Laos contiennent donc toujours une analyse et une stratégie sur la question de la relocalisation. Les compagnies en charge de la construction et de l’exploita-tion des barrages se sont dotées de département des affaires sociales, souvent dirigées par des vétérans de l’aide au développement. Ces départements sont en charge de procéder aux études d’impacts, et de définir les programmes de relocalisation des communautés en adoptant des approches participatives. Mais malgré ces normes, les communautés sont encore une fois le dernier maillon de la chaîne, cantonnée dans un espace de dépendance menacé et un capital spatial limité. Dans certains cas, les déplacements forcés agissent comme une double peine pour les populations affectées : la perte de leur lieu d’ancrage, et le refus de certains organismes de développement de travailler dans de telles communautés, justifié par le fait qu’elles ne veulent pas donner l’impression au gouvernement qu’elles soutiennent cette politique (Baird & Shoemaker 2007).

Dans la logique gestionnaire qui caractérise le système de l’aide actuel, le béné-ficiaire constitue l’unité de base du calcul de l’impact des interventions. Certains bailleurs vont jusqu’à estimer l’efficacité de leurs actions en fonction d’un ratio de coût par bénéficiaire. Mais même dans les programmes à base communautaire, les normes et les pratiques inhérentes au système imposent parfois des défini-tions restrictives des bénéficiaires. Ainsi, de plus en plus, on exige des exécu-tants qu’ils remplissent des quotas de genre, d’âge, ou de minorités sociale ou ethnique. Ce faisant, les exécutants procèdent à une définition par le haut des bénéficiaires finaux, y compris au sein des communautés ciblées.

Le tableau ci-dessous présente une synthèse de la situation des communautés bénéficiaires de l’aide au Laos, par rapport à notre cadre d’analyse relationnelle.

Type d’acteur pour l’accès aux ressources financières et informationnelles dans le système de l’aide au développement au Laos

Ressources

finan-cières A (ou AM dans le cas des processus participatifs) Ressources

infor-mationnelles AM pour informations contextuelles ; A pour informations sur les interventions

Type d’acteur en termes de capital spatial et d’espace ressource Champ des opérations

Principe structurant

Lieu Territoire Réseau Échelle

Lieu Subsistance, développement local

Connexion aux mar-chés ; Migration ; Mise en réseau via ONGs ou diaspora

Territoire Réseau Échelle

Figure 17: Synthèse de l’analyse relationnelle des communautés bénéficiaires de l’aide au Laos

Cette synthèse montre que les communautés rurales bénéficiaires souffrent sou-vent d’une asymétrie importante dans leurs relations de pouvoir avec les autres acteurs plus influents de l’octangle, qui les place en situation de receveur passif des interventions. L’application de cette analyse au cas du Laos, montre que ce déséquilibre y est encore plus prononcé que dans d’autres pays bénéficiaires de l’aide, du fait de la pauvreté des connexions des communautés aux autres acteurs, de l’unilatéralité de ces relations, de la nature du système politique local, et du faible capital spatial, technique et social dont disposent les communautés pour parvenir à sécuriser leur espace de dépendance face aux menaces exté-rieures, y compris celles qui peuvent émaner de certains programmes d’aide.

3. 2. Les principaux bailleurs bilatéraux

Comme nous l’avons vu lors du survol historique de l’aide au Laos, les bailleurs de fonds bilatéraux tels que la France, les États-Unis, puis les pays du bloc so-viétiques ont successivement joué un rôle central dans l’évolution du pays au cours des cinq décennies qui ont suivi son indépendance. Depuis le début des réformes économiques, la provenance de l’aide s’est diversifiée, et l’économie s’est tournée vers d’autres sources de revenus. Ces évolutions ont permis au pays de relativiser sa dépendance envers une puissance unique disposant du pouvoir de dicter ses conditions. Néanmoins, avec une part de 60 à 80 % dans le financement des investissements publics, l’aide au développement dans son en-semble reste l’un des piliers des politiques nationales et une condition essentielle de la continuité du pouvoir des autorités en place.

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Mais si elle s’est diversifiée, l’aide au développement reste un élément important.

À l’heure actuelle, l’aide bilatérale représente 60 % du total de l’aide officielle au développement. Les principaux bailleurs de fonds bilatéraux enregistrés par le Ministère du plan et de l’investissement sont le Japon, l’Allemagne, l’Australie, la Corée du Sud et le Luxembourg (Ministry of Planning and Investment, Govern-ment of the Lao PDR 2015). Soit aucun des pays ayant joué un rôle majeur dans les précédentes périodes historiques de l’aide au Laos. Les États-Unis arrivent en effet en 6e position, et la France en 12e. Les pays de l’ex Union soviétique quant à eux sont absents de la liste.

Ce classement ne reflète pas nécessairement l’influence que les pays donateurs peuvent exercer sur la configuration de l’aide dans le pays. Par exemple, la Co-rée du Sud et le Luxembourg ne coprésident aucun des groupes et sous-groupes de travail intersectoriels dans le cadre des mécanismes de la table ronde, alors que la Suisse et la France, dont les contributions sont moindres, sont chacune à tête de deux de ces groupes (voir graphique ci-dessous). Bien que sa contribu-tion soit inférieure à celle du Japon, l’Allemagne est le pays qui jouit de la plus grande influence en la matière. Nous n’avons malheureusement pas réussi à retracer l’historique du partage de ces responsabilités, ce qui aurait pu en dire plus sur les fondements de la situation actuelle.

Figure 18: Nombre de coprésidence de groupe et sous-groupe thématiques agrégé par pays donateur (www.rtm.org.la)

Comme le montre l’octangle à la page suivante, le gouvernement bailleur fait par-tie des acteurs relativement bien connectés au sein du système. Il a des relations directes avec sa propre société civile, le gouvernement hôte, les exécutants de ses financements, et ses agences de l’aide. Par contre, il n’est généralement pas en lien direct avec les bénéficiaires ni avec la société civile locale.

Figure 19: Schéma relationnel du point de vue du gouvernement bailleur de fonds

L’ancrage spatial du gouvernement des bailleurs de fonds dans un pays bénéfi-ciaire donné peut prendre deux formes, non mutuellement exclusives :

• Une forme déterritorialisée : ce sont les instances du gouvernement qui sont situées dans le pays d’origine, et dont les décisions peuvent impacter sur le pays bénéficiaire, soit directement (décisions relatives au volume et à la nature de l’aide économique ; accords commerciaux, etc.), soit indirecte-ment (toute décision qui n’est pas expliciteindirecte-ment liée à la relation avec le pays bénéficiaire, mais qui peut tout de même y avoir un impact [par exemple les répercussions sur les pays en développement de la politique agricole com-mune de l’Union européenne]. Du point de vue de l’État donateur déterritoria-lisé, le pays bénéficiaire ne constitue qu’une composante parmi d’autres d’un portefeuille plus vaste de relations de coopération.

• Une forme territorialisée, lorsque le pays bailleur de fonds dispose d’or-ganes de représentations officiels dans le pays : ambassades, chambres de commerce, consulats, centres de coopération culturels, etc. Sous cette forme, le gouvernement du bailleur peut avoir un rapport très différent aux pays bénéficiaires. Un rapport qui peut être nourri d’une certaine connais-sance contextuelle ; de liens institutionnels ou individuels avec les acteurs locaux ; d’une possibilité de mise en perspective contextuelle des probléma-tiques de développement. Un rapport qui se nourrit d’une analyse du contexte à un niveau d’agrégation des observations plus précis. Pour l’État donateur territorialisé dans le pays hôte, ce dernier constitue la totalité du portefeuille d’action.

Cette distinction entre deux caractéristiques d’un même acteur nous confirme qu’il est important de ne pas concevoir les catégories comme des ensembles monolithiques, et de reconnaître qu’un même acteur peut avoir des déclinaisons spatiales différentes.

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