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CARACTÉRISER LE SYSTÈME DE L’AIDE

3. Des relations sociospatiales des acteurs de l’aide au Laosau Laos

3.2.1. Ressources financières

Le gouvernement bailleur de fonds décide des montants et des modalités de dépense de son budget d’aide au développement. C’est lui qui peut fixer les conditions de technicité [r] qui permettent aux prétendants d’accéder à la matière [M], notamment à travers l’élaboration de clauses de conditionnalités. À ce titre, il représente un acteur de type ArM pour ce qui est de la ressource financière.

Pour la plupart des pays donateurs, cette capacité à fixer les conditions du r est toutefois limitée par le cadre régulateur à l’échelle globale [les paradigmes do-minants] auquel il est plus ou moins contraint de se conformer sous peine d’être discrédité par ses pairs. En vertu des textes internationaux tels que la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, sa marge de manœuvre est également limitée par le cadre régulateur du pays hôte auquel il est contraint de s’aligner.

3.2.2. Ressources informationnelles

Du point de vue de l’information contextuelle et des données relatives aux projets qu’il finance, par contre, l’État donateur se retrouve en position de faiblesse. Il ne peut en effet les obtenir qu’à travers l’intermédiaire de sources secondaires. En position d’acteur A, il dépend donc d’autres parties prenantes mieux connectées au terrain pour comprendre la situation du pays d’intervention, et pour assurer le suivi et l’évaluation de l’usage des fonds qu’il débourse. Or, dans la perspective d’accéder à ses fonds, les intermédiaires en question — que ce soit les exécu-tants ou les pays bénéficiaires — sont fortement incités à appliquer à la remontée d’informations un filtre qui leur est favorable.

Au sein des institutions du pays émetteur, la prise de décision se fait pour ainsi dire en circuit fermé, par des individus et d’organismes qui ne disposent pas nécessairement des éléments de compréhension de la spécificité du travail de l’aide au développement ou des contextes particuliers des pays bénéficiaires.

Par exemple, d’après un employé de la Commission européenne détaché sur le terrain, le cursus d’études et le parcours professionnel des fonctionnaires à Bruxelles — qui représentent la majeure partir des effectifs à ce niveau — n’est absolument pas spécifique à l’aide au développement. Les compétences valo-risées y sont celles qui sont davantage centrées sur l’Union européenne elle-même :

« The typical EU functionnaire profile? They know all provinces let’s say in Romania, but nothing about the reality in the field. There is a EU functionnaire recruitment process, which is very much different from the one in the field. It is not necessary geared towards development work.

It is more related to European matters » [entretien du 18 mars 2014]

Selon lui, une part importante des fonctionnaires de la commission, y compris dans les services directement liés à l’aide, n’ont jamais travaillé sur le terrain, et ont une connaissance très limitée des tenants et des aboutissants des pro-grammes dont ils sont en charge. Si l’on constate cela dans les instances en charge de l’aide, il est donc probable que la situation est pire dans celles qui n’ont pas de lien direct, mais qui sont tout de même amenées à voter les budgets et les orientations des programmes de coopération internationale.

Lorsque l’État donateur dispose d’une déclinaison territorialisée [antennes phy-siques dans le pays], cette asymétrie informationnelle est partiellement relativisée par les connaissances contextuelles du personnel de terrain et par sa capacité accrue à opérer un suivi régulier des projets qu’il finance. Mais chez tous les bail-leurs pour lesquels j’ai travaillé ou que j’ai pu côtoyer [DDC, Union européenne, AFD, etc.], la décision finale de financement est effectuée au niveau du siège.

Donc, la structure et le fonctionnement des instances en charge de la définition du volume et de l’orientation géographique et stratégique de l’aide d’un pays ou d’un ensemble de pays, représente un obstacle à la capacité du gouvernement bailleur de prendre des décisions bien informées et donc rationnelles du point de vue des objectifs de développement. Ce contexte qui combine un fort pouvoir sur les ressources financières [ArM] et un accès limité à l’information [A], n’est donc particulièrement favorable à la définition de stratégies de développement qui fasse sens par rapport à un contexte donné.

3.2.3. L’espace comme ressource et le capital spatial

L’objectif principal d’un gouvernement bailleur est de sécuriser son espace de dépendance : son territoire national. C’est l’espace qu’il est en charge de gou-verner et sur lequel il déploie son autorité. Celui sur lequel vit la population à laquelle il doit rendre des comptes. Dans un contexte de mondialisation, il doit pour cela se projeter hors de ses frontières pour assurer le maintien de son auto-rité, du niveau de vie de sa population, et donc de sa propre légitimité aux reines du pays. Il est donc amené à s’engager dans de multiples relations avec les acteurs extérieurs à ses frontières [acteurs étatiques ou non], notamment sous la forme de relations politiques, diplomatiques, économiques ou stratégiques.

Dans ces relations, c’est avant tout la maximisation du gain individuel [l’État en question] qui guide les décisions et les stratégies. Le territoire est donc le principe structurant principal de ses actions. L’aide au développement n’échappe pas à cette logique. Les relations de l’État donateur, dans le cadre de l’aide, peuvent donc raisonnablement être modélisées sur la base des principes de rationalité économique et politique tels qu’énoncés par exemple dans la théorie des jeux.

Certains plaideront que cette affirmation doit être relativisée, du fait des objectifs d’entraide et de solidarité entre les peuples dont l’aide au développement est porteuse. Peut-être, mais ce qui est sûr, c’est que ce triste constat s’est vérifié au Laos à chaque fois qu’un État a été en position de donateur dominant. Mais les retombées positives de l’aide pour le pays donateur sont concrètes : elle permet en effet d’améliorer les relations entre deux pays ; de faciliter l’intégration sur de nouveaux marchés ; de renforcer le rayonnement international de l’État donateur ; de nouer des alliances stratégiques [par exemple parvenir à des accords sur des votes à l’ONU]. De plus, l’aide a aussi vocation à justifier certains aspects de la politique internationale auprès des citoyens.

En termes de capital spatial par rapport à l’aide internationale, l’État donateur dispose d’une certaine mobilité. Il a accès direct aux différentes échelles de gou-vernance, de par sa participation aux instances internationales. Ainsi, le Japon, premier donateur au Laos, dispose d’un droit de vote de 7,4 % à la Banque Mon-diale [contre 0,04 pour le Laos]. Il peut mobiliser des réseaux pour pousser son

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agenda en finançant des organisations, ou en nouant des alliances de bailleurs pour accroître son influence. Si les relations avec le pays hôte ne se passent pas comme il le souhaite, il peut aisément réallouer ses ressources ailleurs. Enfin, il peut décliner ses interventions à différentes échelles, selon sa stratégie : la communauté, quand il s’agit de court-circuiter le gouvernement local ; le bassin versant, quand il s’agit de promouvoir ses investissements hydroélectriques ; les massifs forestiers pour assurer l’achat de crédit carbone, etc.

Type d’acteur pour l’accès aux ressources financières et informationnelles dans le système de l’aide au développement au Laos

Ressources financières ArM

Ressources informationnelles A ou AM dans sa version territorialisée Type d’acteur en termes de capital spatial et d’espace-ressource

Champ des opérations

Principe structuran

t Lieu Territoire Réseau Échelle

Lieu Territoire Réseau Échelle

Figure 20: Synthèse de l’analyse relationnelle des bailleurs de fonds au Laos

3. 3. Société civile des pays donateurs

En théorie, dans un système démocratique, les populations ont un droit de re-gard sur les décisions prises par leur gouvernement. Mais finalement, ce droit est très peu exercé dans le cas de l’aide au développement. L’on entend bien des critiques sur l’aide au développement dans les médias, dans les discussions de tous les jours, ou dans les milieux académiques. Mais à notre connaissance, l’histoire internationale est exempte de cas de manifestations populaires, de de-mande de référendum, de groupes d’actions, de motions de censure visant à infléchir les politiques de l’aide du gouvernement national. Dans le cas de la Suisse, cette politique de l’aide vient parfois sur le terrain de la démocratie directe et des votations populaires pour en demander l’augmentation ou la conditionna-lité, comme avec la récente initiative dite Ecopop d’inspiration malthusianiste qui souhaitait lier l’aide à des quotas de financements pour la réduction de fécondité aux Suds.

Cela peut en partie s’expliquer par plusieurs facteurs : les retombées (positives comme négatives) de l’aide sont localisées hors de l’espace de dépendance des populations. À ce titre, elles suscitent moins d’intérêt que bien d’autres décisions politiques qui ont une influence directe sur les conditions du quotidien des popu-lations et des entreprises. Ce sont donc ces dernières qui suscitent davantage d’intérêt sur la scène nationale. À l’exception des organisations et des individus qui en font partie, l’aide au développement ne présente pas non plus d’opportu-nité particulière pour les acteurs locaux à étendre ou de renforcer leurs espaces

d’engagement. Ces deux facteurs se traduisent par un manque d’intérêt pour la question de la part de la majorité des citoyens qui sont amenés à faire des choix d’opportunités dans leurs considérations, voire leurs combats. Enfin, un troisième facteur est celui de la relative ignorance de la nature et des modalités de l’aide au développement que l’on rencontre fréquemment chez les personnes qui ne s’y intéressent pas particulièrement. Les mécanismes de redevabilité et de trans-parence peuvent ainsi très bien être en place, sans pour autant être exploités à leur plein potentiel.

Figure 21: Schéma relationnel du point de vue du gouvernement du bailleur Il n’existe pas de lien direct entre le gouvernement émetteur, et les agences sec-torielles du pays hôte, la société civile locale et les bénéficiaires finaux. En ma-tière de redevabilité, le seul acteur contraignant serait la société civile du pays émetteur, qui n’est habituellement pas très réactive sur les questions liées à l’aide internationale, et chez qui on observe de manière générale une très faible connaissance du secteur de l’aide (Czaplińska 2007).

3. 4. Les banques multilatérales de développement

Dans la configuration développementaliste, les bailleurs multilatéraux occupent une position sensiblement différente à celle de leurs homologues bilatéraux.

Cette différence est particulièrement saillante en matière d’ancrage territorial.

Si, comme les bilatéraux, ils peuvent avoir une représentation physique dans le pays d’intervention, leurs espaces de dépendance sont plus vagues, puisqu’ils ne peuvent être circonscrits aux limites d’une entité administrative étatique spé-cifiques. Dans ce cas-là, la distance entre les bénéficiaires des interventions et la société civile des pays contributeurs est encore plus importante, puisque ces dernières n’ont d’autres moyens de pression à disposition que s’en prendre à leur propre gouvernement, dont les moyens d’action sont limités pour infléchir les orientations de l’institution en question. Les institutions multilatérales sont ainsi des organisations relativement indépendantes des diktats des états contributeurs individuels. Néanmoins, ces instances sont encore largement soumises aux vo-lontés de la poignée des pays les plus puissants, que ce soit à travers le droit de veto de la liste limitée des États membres du conseil de sécurité, ou du système de vote de la Banque Mondiale qui est proportionnel à la contribution financière

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des pays membres. Sous couvert de multilatéralisme, c’est donc ici aussi la loi du plus fort qui prévaut, limitant le pouvoir décisionnel des États considérés comme bénéficiaires de l’aide, dont on peut s’attendre à ce que les contributions soient largement inférieures à celles des pays donateurs.

Les bailleurs multilatéraux comptent dans leurs rangs les acteurs les plus in-fluents et dotés de la plus grande capacité normative au sein du système de l’aide, en particulier la Banque Mondiale, qui continue à être le principal pour-voyeur d’idées sur le développement (Molle 2008, p.144 ; McFarlane 2006 ; Meh-ta 2001 ; Singh 2009). CerMeh-tains comme Annisette (2004) parlent même d’hégé-monie intellectuelle et financière de la banque au sein du système de l’aide. Entre les Nations Unies et les banques de développement, les agences multilatérales président ou coprésident près de la moitié des groupes de travail intersectoriels du mécanisme de la table ronde (voir figure ci-dessous).

Figure 22: Coprésidence des groupes de travail thématiques par catégorie d’acteur (www.rtm.org.la)