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Longtemps considéré comme un État fortement dépendant de l’aide internatio-nale, la République démocratique populaire du Laos (RDPL) semble néanmoins être entrée dans une phase de transition. L’inversion du poids relatif de l’aide au développement et des investissements directs à l’étranger en est l’un des indi-cateurs les plus évidents. Avec une croissance économique importante, soute-nue, et jugée relativement durable par les institutions financières internationales, le Laos semble en passe de se défaire d’une relation de dépendance envers les pays occidentaux dans laquelle il était plongé depuis plus d’un demi-siècle.

Conforté par le principe d’alignement de la déclaration de Paris pour l’efficacité de l’aide (2005), le gouvernement entend désormais reprendre la main sur son agenda du développement et ne plus se laisser dicter ni les orientations straté-giques, ni la définition des objectifs à atteindre, et encore moins les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Les autorités se sont ainsi lancées dans une série de réformes et de refontes du système de coopération, et, au moins en ap-parence, se sont montrées particulièrement actives sur la question de l’efficacité de l’aide, comme en témoigne la formulation de la déclaration de Vientiane sur l’efficacité de l’aide (gouvernement du Laos 2008), suivie par la mise en place d’un système élaboré de coordination entre le gouvernement et ses partenaires de développement.

Néanmoins, cette dynamique de relative émancipation par rapport aux grands bailleurs de fonds occidentaux ne s’opère pas en vase clos. Malgré l’émergence récente de nouveaux acteurs internationaux issus des puissances émergentes de la région qui amorce une forme de rééquilibrage des rapports de force entre les nations bénéficiaires et donatrices, l’aide au développement reste encore au Laos comme ailleurs, profondément ancrée dans une philosophie du dévelop-pement et une méthodologie d’action sous influence occidentale (Rist 1996).

Ceci se constate tant dans la façon dont les objectifs ultimes de l’entreprise sont énoncés, que dans les stratégies et les modalités pratiques proposées pour y répondre. Malgré les positions idéologiques parfois radicales et à contre-courant d’un gouvernement communiste autoritaire, fortement centralisé et hermétique au regard extérieur, le Laos semble adhérer de manière générale aux grandes lignes du paradigme contemporain du développement international. Par consé-quent, une grande partie des projets et initiatives actuellement en cours dans le pays en sont des déclinaisons plus ou moins contextualisées, frappées des étendards désormais incontournables du développement durable, des questions de genre, de durabilité, de la dimension participative, et du local comme échelle d’action incontournable.

Parmi les pays les moins développés du monde, selon les critères discutables de l’indice de développement humain (IDH), le cas du Laos présente un certain nombre de caractéristiques contextuelles qui en font un cas d’étude non seule-ment pertinent, mais particulièreseule-ment riche par rapport aux différentes questions de fond soulevées par ce travail de recherche :

• Profondeur historique : Le pays est, depuis son indépendance en 1949 jusqu’à aujourd’hui, récipiendaire de volumes considérables d’une aide au

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développement dispensée sans relâche, mais dont les logiques, les enjeux et les modalités ont évolué de façon radicale au rythme des soubresauts de l’histoire et de la géopolitique locale et internationale. Six décennies d’inter-ventions, dans des contextes sociaux, économiques et politiques à évolution rapide, constituent une base importante d’observations et de leçons, qui per-met de donner une profondeur historique aux questions posées.

• Coordination : dans la foulée de la déclaration de Vientiane, les autorités ont mis en place des dispositifs de coordination qui incluent notamment la constitution de groupes de travail technique pour chacun des secteurs priori-taires, et qui regroupent en leur sein des représentants de la communauté in-ternationale, des organismes gouvernementaux, et de la recherche ; la mise en place d’un processus dit de « table ronde », qui regroupe les organismes de développement, les bailleurs de fonds et le Gouvernement du Laos (GdL) pour quelques jours de discussion chaque année ; et la constitution d’une base de données nationale de l’ensemble des projets financés par l’assistan-ce officielle au développement (AOD). En termes de coordination, c’est donc la mise en place de mécanismes d’inspiration internationale mais récontex-tualisée localement, des jeux d’acteurs complexes, et des données sur les différentes initiatives en cours qui en font un pays des plus intéressants pour nos questions.

• Profusion : Restant un pays prioritaire pour nombre de bailleurs de fonds, d’ONG et d’organisations internationales, le Laos attire encore une impor-tante concentration d’acteurs hétéroclites. Cette caractéristique soulève des questions de coordination, de gouvernance, et, dans un mode de fonction-nement de l’aide qui reste en grande partie articulé autour de l’approche par projet, fait planer le risque constant de la fragmentation, de la dispersion et de la duplication d’efforts entre les différentes initiatives, et des impacts d’une dynamique multipolaires sans centre de gravité clair, sur les trajectoires de développement du pays et des espaces qui le composent.

• Isolation de l’aide internationale : Jusque très récemment, les associations non gouvernementales locales et nationales étaient interdites par le gouver-nement. Malgré le réveil timide de certains acteurs de la société civile, les opérations de développement au Laos demeurent presque exclusivement du ressort des organismes internationaux. Ce n’est bien évidemment pas un avantage en soi du point de vue du développement. Mais cela offre un cas d’étude rare qui permet d’étudier le rôle et les actions de l’aide internationale sans que les initiatives locales hors gouvernement ne viennent interférer sur les phénomènes observés.

• Diversité et complexité des contextes locaux : le territoire national est marqué par une forte différenciation des contextes socioécologiques qui le composent. D’un point de vue socioculturel, d’abord, avec une soixantaine de groupes « ethniques » recensés, et entre lesquels les caractéristiques lin-guistiques et culturelles, les pratiques spatiales et la cosmogonie peuvent va-rier de manière importante. D’un point de vue géographique, aussi, avec de fortes oppositions binaires entre les zones de montagnes et celles de plaine, ou en fonction de la proximité des différentes frontières. Cette différenciation

des espaces tend encore à s’accroître sous l’impulsion des profonds chan-gements engendrés par l’ouverture économique du pays depuis les réformes engagées en 1986. L’aide au développement doit désormais composer avec d’autres dynamiques au moins aussi influentes. Et puisqu’on en est encore aux prémisses de cette forme d’hybridation du local sous les influences di-verses, le cadre est particulièrement stimulant pour pousser plus en avant ces réflexions sur la production débridée des territoires contemporains.

• Données : contrairement à nombre de pays à un stade similaire de dévelop-pement socioéconomique, le Laos dispose d’une quantité importante de don-nées de qualité, en bonne partie accessible au public. L’accès aux dondon-nées est d’une importance capitale dans ce travail, car c’est elles qui permettent l’analyse spatiale de la répartition de l’aide, et le travail sur la définition des contextes de développement.

• Acquis d’importants travaux de fonds dans le milieu académique : l’Asie du Sud-est en général, et le Laos en particulier, est l’objet d’un intérêt crois-sant de la part de la communauté académique. Au cours des dernières an-nées, certains auteurs se sont attachés à y retranscrire les mutations de la gouvernance territoriale, et notamment de l’impact de nouvelles échelles de l’action publique (Heinimann 2006 ; Lebel et al. 2005 ; Messerli & Heinimann 2007; Molle et al. 2009 ; Sneddon & Fox 2006). Des réflexions de fonds y ont été engagées sur le rôle des acteurs de l’aide au développement dans la diffusion des normes et des concepts (Goldman 2004 ; Guttal & Shoe-maker 2004 ; Molle 2008 ; Singh 2009). Des approches innovantes et pro-metteuses de la production et du traitement de l’information géographique y ont été développées, aussi bien à travers des méthodes de développement participatif (Castella et al. 2012 ; Boissiere et al. 2014 ; Bourgoin & Castella 2011 ; Bourgoin et al. 2013), que des tentatives de rendre la complexité des contextes de développement intelligible pour la prise de décision (Messerli et al. 2009 ; Messerli & Heinimann 2007; Messerli, Bader, et al. 2015 ; Lestrelin et al. 2012). C’est dans la mise en commun des apports de ces travaux que plongent les fondements et les ambitions théoriques de la recherche présen-tée ici. C’est d’ailleurs la rencontre au Laos avec les chercheurs du centre pour le développement et l’environnement (CDE) de l’université de Berne, alors que j’y séjournais dans la perspective de préparer mon sujet de thèse, qui m’a donné l’impulsion finale pour entreprendre cette aventure. J’ai trouvé dans leurs travaux une source d’inspiration intarissable, qui m’a guidée tout au long de ce long cheminement, et qui n’a cessé de nourrir mes questionne-ments. Ce travail est largement inspiré par cette équipe, en particulier Peter Messerli, à qui j’ai emprunté de nombreux raisonnements, questionnements, et jeux de données. Et je suis heureux, à l’heure où j’écris ces lignes, de faire partie de cette équipe, et de représenter le CDE au Myanmar.

Ces différents aspects de la réalité laotienne en font un terrain d’exploration de l’aide au développement particulièrement stimulant et à forts enjeux pour qui en-tend traiter de la complexité des interactions, des territorialités hybrides, des re-lations du secteur avec d’autres réalités à incidence spatiale, et des problèmes de coordination

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